Ça me faisait un bien fou d’être de retour ici. Après un bon mois d’absence entre la crise, mon début de grossesse et la maladie, j’avais l’impression de retrouver un endroit qui n’avait pas connu tous mes mauvais moments, mon fond du baril. Un endroit neutre où j’y régnais en vraie reine, où je contrôlais absolument tout. L’être humain était vraiment une bestiole étrange. J’savais que ces sentiments étaient tellement… puérils et superficiels, qu’il y avait rien de vrai là-dedans, pourtant ça m’apportait un peu de réconfort. Sam avait fait le chemin avec moi, mais quand Donovan était arrivé, je l’avais libérée. Ok, je lui avait presque fichu des coups au derrière pour qu’elle file et qu’elle en profite de pas m’avoir dans ses pattes.

J’avais un système pour que les gens prennent rendez-vous. J’utilisais un petit espace sur l’un des panneaux au No Man’s Land pour indiquer les journées où j’étais au cabinet. Ça fonctionnait plutôt bien, enfin, avant que les nouveaux venus repartent avec cinquante pour cent de la population puante du coin. J’devrais les remercier, on a quand même chopé des médocs pour moi grâce à eux, mais j’sais pas… De partir avec autant de monde ? Ils me faisaient chier. On aurait moins de pigeons a floué comme ça, moins de clients et moins de cibles pour nos pillages. Ça me gonflait.

Bon, quoi qu’il en soit, j’avais terminé mon petit ménage pour que l’endroit soit propre et je m’étais assise dans mon fauteuil, profitant de mon vieux thermos rempli de café infect, mais que j’appréciais depuis la fin du monde. Il faudrait qu’on refasse nos stocks en pillant un nouveau complexe de condominium de bourges.

Perdue dans mes pensées en regardant par l’une des fenêtres de ma salle de consultations, j’agitais mon crayon inconsciemment en le faisant taper contre mon petit carnet de notes. C’est le bruit de la porte de mon commerce qui me sortit de mes réflexions. J’attendis un petit moment et selon ce qui me revenait de la salle d’attente, j’devinais que finalement c’était mon patient du jour et pas quelqu’un qui venait prendre rendez-vous. J’attendais que mon garde du corps retire les armes du nouveau venu et prenne son paiement, avant de me lever et aller accueillir mon client. J’avais opté pour un chignon en désordre, mais des vêtements à l’allure plus professionnelle pour mettre en confiance. J’avais pas l’air coincé, mais j’avais pas l’Air d’une fraude. Un joli pantalon noir, des petites boots à talon en cuirette et une blouse marine me donnaient un air soigné comparativement à la majorité des survivants.

J'passais la porte et rejoignais les deux hommes dans la salle d’attente.

- Bonjour. Docteur Dean, ravie de vous rencontrer. Si vous voulez bien me suivre. J’avais un sourire avenant, et mon ton était chaleureux. Il fallait toujours mettre les gens à l’aise et leur offrir une certaine forme d’anonymat. Nous nous présenterions plus officiellement durant notre consultation confidentielle.

Il est bien silencieux. Ils le sont pratiquement tous en fait, au début. Je le guide dans la petite pièce sur notre droite et je l’invite à prendre place sur le canapé. Je referme derrière nous en lançant un dernier regard à mon armoire à glace. Il se tient prêt s’il entend quoi que ce soit de louche ou ma petite cloche, c’est son job.

Mon sourire ne quitte pas mes lèvres. Rien d’exagéré, juste un truc doux et chaleureux. Je le feins extrêmement bien, c’est une deuxième nature pour moi d’imiter des émotions qui ne m’habitent pas. Il y a une petite bouteille d’eau sur la table devant mon patient et je commence toujours par leur offrir, mais je n’ai pas le temps de le faire, qu’il s’inquiète déjà que je l’empoisonne. Ah ouais, ça commence hyper bien. Pffff… Je lâche un petit ris mélodieux, avant de tenter de le rassurer.

- Je ne suis pas une empoisonneuse ni ce genre de docteur. Savait-il pourquoi il était ici ? Savait-il où il était ? Est-ce qu’il avait eu une absence jusqu’ici ? Des désillusions ? Était-il conscient de ce qu’il faisait ? Oh, j’avais bien envie de creuser cette cervelle en fait. Ou peut-être qu’je faisais monter mon intérêt pour rien… Je m’occupe de l’esprit des gens, je leur offre des solutions pour gérer leurs soucis, pour les aider à guérir ou à obtenir... un nouvel état d’esprit. Je suis docteur en psychologie.

J’me dirigeais vers mon fauteuil et je m’y asseyais, avant de finalement indiquer la bouteille d’eau devant mon patient.

- Je ne cherche donc pas a empoisonner les gens, mais à les aider. Pour me faire payer et endormir leurs soupçons. C’est pour vous. Que j’ajoutais gentiment.

J’ouvrais mon calepin et j’y inscrivais la date, du moins celle que je pensais qu’il était. Nous allions pouvoir poser les bases. Je reportais donc mes grands yeux noisette sur le jeune homme qui me faisait face, sur le canapé.

- Souhaitez-vous utiliser un pseudo ou votre nom ? Nous pouvons également nous tutoyer ou nous vouvoyer, selon votre préférence. Vous pouvez m’appeler Docteur Dean ou Billie, si vous le préférez. Ce qui vous rend à l’aise. Je lui laissais le temps de faire ses choix, crayon en main, avant de poursuivre.

Honorable ? Ah ! J’ai envie de rire, mais je feins un peu d’humilité en souriant. La majorité des psys voulaient aider, oui j’en était persuadée. Y en avait pourtant qui était là parce qu’ils voulaient s’aider eux-mêmes et d’autres comme moi, qui étaient devenus des spécialistes pour l’argent et la renommée. Si ça n’avait pas été de cette saloperie de fin du monde, j’aurais poursuivi en psychanalyse et j’aurais pu bosser au foutu FBI, j’aurais pu interroger des criminels de haut rang ! Comprendre leurs pensées si chaotiques et immorales. Faire des études sur eux, écrire des livres, devenir une sommité !

Sauf que le monde s’était effondré et maintenant je proposais mes services au premier pouilleux qui se présentait et qui payait en médicaments, en munitions ou en bouffe. Glamour à souhait.

- Bien sûr. Que je répondais à mon patient avec douceur. S’il tâchait mon canapé, j’ferais nettoyer Roméo ou Cook tiens.

En soit, j’en avais rien à foutre de sa position, tant que ça le mettait à l’aise pour parler. Sauf que mon petit doigt me disait que ce type allait pas mal parler, mais pas nécessaire comme mes autres patients. Au fond, j’m’en fiche. Il a payé, on pourrait bien parler de son plat favori pendant une petite heure que ça me poserait pas problème.

- J’offre des solutions et des exercices pour que les gens changent eux-mêmes leur esprit. Il me répond de façon naïve, ça m’intrigue un peu je l’avoue. Est-ce qu’il a un dédoublement de personnalité ? Un retard ?

Je prenais des notes dans mon calepin, prenant un air un peu plus neutre. Je l’écoutais parler. Au fond, il a pas tort. J’veux dire faut gratter pour aller au fond des choses, pour découvrir qui on est vraiment, qui sont réellement les autres. Bon, ça façon de s’exprimer, il me rappelait mes anciens clients un peu new age en fait. Il était peut-être comme ça. Il allait me parler d’encens et de cristaux ? Mes yeux noisette s’attardent sur lui, le détail sans que ça ne soit pressant.

- Il y a de la vérité dans ce que vous dites, effectivement.

Je note qu’il refuse mon eau. Qu’il pensait que j’allais l’empoisonner en entrant. Quelques symptômes de paranoïa ? Du vécu qui le laisse désormais suspicieux ? Il répond néanmoins à mes questions, c’est bien. Je note donc qu’il souhaite qu’on l’appelle Chester, que nous nous vouvoyons, mais qu’il m’appellera par mon prénom. Ça dernière question fait que je relève encore une fois les yeux vers lui. J’ai envie de froncer les sourcils, mais je me retiens, gardant une expression professionnelle.

- Comme vous avez pris un rendez-vous avec moi, nous allons effectivement pouvoir faire affaire ensemble. Qu’est-ce qui vous amène à mon cabinet Chester ?

Il insistait sur le fait qu’il changeait l’Esprit des gens et forcément je le notais attentivement dans mon carnet. Je l’écoutais sans l’interrompre et il complimentait mon cabinet, mentionnant un certain Kaz, nom que j’ajoutais à mes notes évidemment. Toutefois, Chester ne répond pas à mes questions, les évitaient même, donc j’décide de jouer le jeu. Y a pas mal de choses sur lesquelles rebondir, il semble en confiance, mais pas tout à fait. Il cherche à savoir comment je vais le traiter peut-être ? Ou alors, son esprit est juste difficile à contenir. J’sais pas encore, mais ça m’intrigue, il a ça pour lui, j’ai envie de faire un petit effort et ne pas donner les conseils à deux balles habituels qui fonctionnent bien pour monsieur et madame tout le monde.

- Merci Chester. Oui, j’aime bien les plantes, plus particulièrement de nos jours. Un petit bout de vie qui nous accompagne dans un endroit assez sécuritaire pour en prendre soin. J’ai toujours su sortir des trucs comme ça, alors que j’y crois pas. Les plantes c’est chiant, mais ça meuble bien et c’est une touche de couleur, voilà tout. Qu’est-ce que vous définissez comme étant de ‘’l’absence’’ ici ?

J’me préparais à prendre des notes, à le faire parler pour le découvrir un peu plus, pour voir s’il y avait du sens dans son fil de pensée ou si c’était confus.

- Autrefois, oui, de nos jours je l’espère. Que je lui répondais. En vrai, oui j’prenais un petit peu de plaisir à aider les gens qui avait des soucis psy, quelque part ça me prouvait que j’étais douée, mais sinon j’avais peu d’intérêt pour les autres en réalité. Comment vous y prenez-vous pour essayer de sauver les gens Chester ?

Ah, ça oui ! J’voulais le savoir. Est-ce que j’avais un fou furieux avec moi ? Savez, ceux qui disent qu’ils vont sauver les gens, mais qui les buttent à la fin ? Est-ce que j’avais un illuminé qui pensait avoir des pouvoirs de guérison ? Un psychologue en herbe ? Un religieux new age ?