Lucy sourit en écoutant son invité, mais… le sourire n’était que de façade hélas, il n’avait rien à lui offrir et son discours ampoulé sur l’art ne touchait guère la rousse, bien plus femme de science qu’Artiste. Même si elle préférait encore quelqu’un comme ça à un sauvage bourrin qui exigeait beaucoup trop de chose pour bien trop peu : « ça fait beaucoup de poésie pour pas grand-chose si tu veux mon avis. Le ton de sa voix restait chaleureux mais sans appel. Hélas pour le jeune homme. Oxana s’était montré très claire à ce sujet et c’était bien un point sur lequel la rousse rejoignait son ainée. Elle secoua la tête en prenant un air désolé pour l’autre : « Si tu n’as rien pour payer, je ne peux pas te laisser entrer malheureusement… Notre travail c’est d’être aimante, malheureusement ça reste un travail. » Les vrais sentiments, elle se les réservait, elle les réservait pour quelqu’un d’autre et d’ailleurs, il tardait à se montrer.

Elle perdit quelques instants à penser au métis, au point qu’elle lâcha même son nom, répondant à la question qu’il lui avait posé plus tôt. « L’homme en question s’appelle Otis, un dessinateur de bande dessinée. » Un bon dessinateur d’ailleurs, elle avait plusieurs de ses portraits bien cachés dans un tiroir.

Néanmoins, un client était un client, il fallait l’encourager à venir, à revenir. Lucy se penchant un peju en avant et lui glissa quel serait le prix pour la prochaine fois : « Ecoute, si tu veux revenir, j’accepterai un livre, qui s’appelle « The inflationary universe ». Pour moi… pour les autres filles, il faudrait trois boites de conserves. Ou alors de l’alcool, si tu peux t’en procurer. » ça faisait des semaines qu’elle voulait lire cet article mais elle n’avait pas eu le temps de partir en expédition récemment. Peut-être que ce jeune homme, avec son beau vélo auquel il semblait tenir, pourrait l’aider ? Finalement, ça avait parfois du bon de faire ce métier, elle pouvait obtenir presque tout ce qu’elle voulait. Et non, elle se refusait de le demander à Otis car elle ne voulait pas que le jeune homme aille encore se mettre dans une situation dont il ne pourrait pas se sortir seul.

Lucy n’en montra rien mais il commençait à l’agacer, soit cet homme était un génie, soit il était perdu dans son monde. Mais dans tous les cas, ses commentaires sur le fait qu’elle vendait ses services n’étaient ni utiles, ni les bienvenus. Si elle faisait ça, c’était par nécessité, mais aussi car elle en avait un minimum envie non ? Soucieuse de botter en touche, elle répondit, non sans une pointe salée d’ironie : « C’est un débat qui n’a pas de fin, je fais ce que je fais pour ne pas trainer ma misère sous la pluie et avoir froid. » Elle, là était au sec, à la lumière, après son service, elle trouverait un lit confortable et pourrait lire un livre d’Arthus C. Clark, certes, ça lui rappelait la fable d’un poète français, mais elle acceptait sa situation actuelle.

Son ironie se fit encore mordante quand elle répondit à la dernière proposition du jeune : « C’est trop d’honneur jeune homme. »Elle claqua de la langue, cherchant des yeux sa machette noire, au cas où, avant de reprendre : « Un grand nombre d’homme m’ont proposé « de me faire découvrir » des choses, qu’ils me feraient plaisir gratuitement, je crois qu’aucun ne comprends que je n’ai pas ce besoin. » Elle se retint de justesse de lui lancer à la figure « Je ne voudrais jamais rien faire avec toi gratuitement » Cela aurait été le meilleur moyen de le faire fuir, encore qu’il sembla accepter de bonne grâce de lui trouver son livre.

Pour finir, elle achevait de renvoyer l’autre dans les cordes : « Je déteste cette façon de penser, tu as mes conditions jeune homme, à toi de décider ce que tu souhaites faire. Mais sache une chose, je serai inflexible. » Lucy ne quitta pas des yeux son non-client, les dernières traces de sympathie qu’elle pouvait avoir dans les yeux disparurent. Lui faire ça gratuitement, réalisait-il seulement la bêtise de ce qu’il venait de dire ? Ou était-il encore une de ces personnes qui ne se prenaient pour ce qu’elle n’était pas ?