Ce banquet était une idée excellente. Ils en avaient tous besoin – même June assise en bout de table à droite. Les temps étaient difficiles et il devenait urgent de s’autoriser à savourer leurs victoires, leurs réussites. Les problèmes n’étaient jamais très loin bien sûr, ils planaient au-dessus de leur tête tel des vautours avides de pitance. Mais ce soir, elle pouvait voir Phelbs chasser ces oiseaux de mauvais augures du mieux qu’elle pouvait. Pour autant, Ela n’était pas moins droite que son ainée. Guindée même, ce repas avait quelques accents d’avant, où l’apparence et l’opulence devait primer sur le reste. Combien de réception avait-elle tenu depuis votre mariage, Abel ? Compter en était presque épuisant. Ou s’en doute était-ce ce gin qui l’empêchait de compter ? L’israélienne ne buvait pas beaucoup, mais même si l’alcool lui montait légèrement à la tête, elle ne se défaisait pas de sa stature et de ce regard diaphane qu’elle posait sur chacun d’entre eux, entre deux bouchées de terrine de gibier qui la rendait presque… nostalgique. Pour autant, il était difficile d’ignorer que le standing était bien différent de ce qu’elle avait pu vivre au cours de ces réceptions mondaines dont elle avait aussi souvent été l’hôte que l’invitée. Sans doute y avait-il plus de sincérité dans ces échanges, plus de spontanéité aussi… Moins d’orchestre symphonique aussi. Mais il lui suffit de passer un coup d’œil sur les tables autour d’elle pour savoir que ce banquet n’avait rien à envier à ses réceptions mondaines. Tout ici était bien plus… authentique. Jusqu’à la présence de l’avocate qui se faisait Reine, en posant un regard satisfait sur l’assemblée. « C’était une excellente initiative, je crois que nous en avions tous besoin. » S’exprima-t-elle auprès de son aînée, d’une fois douce. Il faut lui pardonner le manque d’entrain dans sa voix, Amrani restait égal à elle-même, incapable de montrer à quel point elle pouvait apprécier cette soirée. A quel point elle approuvait cette idée, pour apaiser les dernières tensions qui fragilisaient les leurs.  

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June savait que les troupes ne pouvaient carburer qu’aux promesses d’un avenir meilleur et aux victoires sur le champ de bataille. Ce grand banquet avait justement pour but de consolider l’essentiel : leur unité. La communauté devait faire bloc contre les menaces, contre l’ombre de la régression et contre l’obscurantisme de New Eden. Elle devait être à l’image de la vie quand d’autres ne leur annonçaient que des futurs mortifères.

Altière et calme, elle était comme à son habitude. Droite, ses yeux verts dardés sur les convives qui discutaient avec enthousiasme. La fraîcheur de la soirée d’automne était chassée par quelques braséros bien placés mais elle avait conservé un gilet en tweed d’un style très britannique. Dans son assiette, un peu de riz et une part de poisson grillé, accompagnés d’un verre de vin rouge. Le mot qui lui glissa sa voisine lui tira l’esquisse d’un sourire.

- Toi sans doute plus que moi, répliqua-t-elle avec plus de chaleur que d’ordinaire, autrefois, j’avais beau régulièrement me faire inviter dans des événements mondains… je crois que j’ai jamais rien préféré au chinois à emporter en bas de ma rue.

Et cela, malgré les galas, les restaurants à plusieurs étoiles où les talents culinaires de son mari. Celui-ci s’était d’ailleurs appliqué à ne pas se présenter au même service qu’elle. L’ambiance était polaire entre les deux et ça ne semblait pas prêt de change.

- C’est peut-être ce qui nous manque : de la cuisine rapide à emporter...

A l’ancienne, trop épicée, trop grasse, dans des barquettes en plastique ou en aluminium. L’avocate qu’elle était avait bossé plus d’un dossier avec ce genre de carburant… mais bien sûr, dans le temps présent, c'était simplement une plaisanterie.

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Un peu de poudre aux yeux, voilà ce que pensait réellement le généticien de ce banquet. Une façon pour leur dirigeante d’essayer d’apaiser les esprits, de redonner courage pour la suite peut-être ? Parce que oui, la suite ? Est-ce qu’on en parlerait un jour ? Une épée de Damoclès restait suspendue au-dessus de leur tête, et ils étaient tous ici à festoyer, comme si de rien n’était.

Pour autant, le généticien adorait les événements mondains. Les interactions sociales, les langues qui se déliaient autour d’un peu d’alcool, la nourriture riche et abondante, et certains secrets qui pouvaient se dévoiler, passé une certaine pudeur. C’est pourquoi il n’avait fait qu’un bref passage auprès de Phelbs pour lui souhaiter une bonne soirée, avant de se joindre à une table somme toute, bien plus intéressante. Ne serait-ce que par la présence de la merveilleuse et détestable Adrienne, et de son arrogant regard – qu’il n’avait de cesse de vouloir lui faire ravaler d’ailleurs. Une nouvelle lubie, une nouvelle obsession, réciproque encore, mais pour combien de temps ? Peu importait, à vrai dire.

Le généticien toujours si sérieux avait un grand sourire affiché sur son visage, et l’œil pétillant alors qu’il dévorait littéralement la voltigeuse du regard. A leur se trouvaient également Misha et sa petite fille, emmitouflé dans un châle couvé du regard par son père – Clayton, faut-il le préciser ? – qui n'avait jamais semblé aussi amoureux. Il fallait dire que Friedrich était fasciné, lui aussi. L’enfant de l’immunisé, c’était son miracle à lui. Même s’il n’y avait pas que cette petite fille qui le liait au couple, l’autrichien restait un friand amateur de la compagnie de Clayton qu’il considérait comme son ami. « Quel merveilleux petit miracle vous nous avez fait tous les deux. » Dit-il, avec sincérité et bienveillance. Même si les enfants n'étaient absolument pas son truc - d'ailleurs il ne s'était jamais proposé pour la prendre dans ses bras, ou même l'approcher - il était ravi pour ses deux amis.

Il prit une bouchée de tourtes aux légumes de saison, avant de se pencher à l’oreille d’Adrienne, une certaine émotion dans la voix. « Ne trainons pas trop, je suis impatient de goûter au désert. » Lui susurre-t-il, avant de lui sourire de cet air détestablement arrogant de celui qui sait très bien ce qu’il gagne dans cette partie.

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Ce banquet est plus que bienvenue ! Assise à la table de June, je jette un œil autour de moi. La plupart des chaises sont déjà occupées, c’est effervescence sur la place centrale de Fort Ward. Les assiettes et les verres se remplissent, le tintement des couverts résonne et les conversations vont bon train. L’ambiance est chaleureuse ; c’était d’ailleurs le but de ce repas, réchauffer les cœurs !

D’ailleurs lorsque Ela complimente Madame Phelbs sur la réussite de l’événement, j’accorde un sourire à l’avocate, confirmant également les dires de l’israélienne. Puis je bois quelques gorgées de jus de fruits frais, un délice ! Mon assiette est plutôt bien fournie. J’ai pris un peu de salade de pommes de terre, un morceau de tourte aux légumes et du pain de viande au cerf. A vrai dire, j’ai eu du mal à faire mon choix, tout à l’air si bon !

« Je crois que je tuerai pour des sushis ! » Dis-je en réponse à la remarque de ma supérieure sur les plats à emporter.

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On va pas se mentir : j’ai bien la dalle. Mon assiette est donc pleine de toute ce que j’ai pu attraper : mac&cheese, terrine de gibier, pain et même de la tourte aux légumes – parce que j’avais de la place. En vérité, ces dernières années m’ont habitué à revoir à la baisse mes portions de nourriture – comme tout le monde je suppose – et ma plâtrée ferait probablement ricaner un type de la génération macdo ; mais moi, ça me parait É-NOR-ME. En guise d’accompagnement, j’ai une bière – et fraîche de surcroit ! AMEN à Roy, notre Zeus personnel.

La bouche pleine, j’écoute Luke à ma gauche qui me raconte une de ses milles anecdotes de rappeur. Ça cause de flow, de foule en délire, de fille en mini-short, d’alcool, de drogue et d’accrochage avec la police. Ça fait bizarre de constater qu’une part de moi est maintenant bien loin de l’instinct lié à la plaque que j’ai porté quelques années. L’Institution n’existe plus et ce qu’il reste de l’état, en tant que force gouvernante officielle, c’est ce qu’on a ici… alors ça ne m’offusque pas plus que ça que mon voisin affuble mes anciens collègues de tous les noms d’oiseau possible.

- Mon dieu… y’a un délit dans le monde que tu n’as pas commis ? interrogé-je en riant.

Là, je vois une fille toute maigrichonne arriver. Une nouvelle qui semble un peu ailleurs – et un peu perdue aussi. On la croirait prête à s’enfuir en courant et visiblement, elle a un appétit de moineau. Je lève la main dans sa direction pour l’interpeller : il y a justement une place en face de moi à la grande table.

- Hey, toi ! La nouvelle, désolée, je ne connais pas son prénom… c’était ça ou « brindille », viens t’asseoir avec nous si tu veux !

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