No man's Land -  Bar de la cage - Mardi 1 septembre

Bon ça allait faire quelques jours que j’ai enfin rejoint le groupe de Bill en compagnie de Dany, une belle bande de cas plus spéciaux les uns que les autres mais assez attachants quand on n’y regarde pas de trop près. Bon après avoir pris mes repères à l’hôtel je fus vite mit à la gestion du coin buvette de la cage, c’était un comptoir, trois tables et quelques chaises, rien de fameux mais assez pour distribuer aux gens venant observer le combat et assez pour avoir besoin de bras.

C’est pour ça que j’avais emmené ce petit branleur qui serait mon futur serveur et avec le sourire ! Je le regarde, lui et ses airs de chien battu, on dirait que je l’ai tiré par la peau du cul. Une fois derrière le comptoire je sors toutes les bouteilles et lui demande alors :

- Bon maintenant tu vas me montrer ce que tu veux en tant que barman. Dis-moi le nom des alcools de chaque bouteille.

J’avais bien sur tourné les étiquettes pour qu’il ne puisse pas tricher. L’écoutant ensuite marmonner les réponses comme si chaque mot lui coûter plus cher que le dernier. Je lève les yeux au ciel et lui demande :

- Bon Dany, qu’est ce qui t’arrives ? T’as pas envie d’apprendre à être barman ? Tu préfères retourner faire le ménage pour les Barnetts ?

A moins que ça soit son chéri qui lui manque déjà ? Enfin je ne m’amuserais pas à ce petit commentaire sinon je sentais que j’allais me prendre un retour de flamme des moins agréable possible. Déjà que je lui cache ma relation avec Abi alors qui j’étais pour juger ses gouts en termes de mec… Enfin de vous à moi, vraiment pas terrible le Curtis.

Voyant qu’il hésite encore à parler, je me saisis de la bouteille de whisky, jongle un coup avec, sort un verre et m’en sert un fond. Quitte à être barman autant profiter des avantages du métier.

- Tu sais ce qui est cool dans le métier de barman ? Je lui laisse un temps de réponse. C’est que tout le monde cherche à te draguer pour avoir une ristourne ou un verre gratuit. Et tu sais ce qui est encore mieux ? C’est que tu peux leur faire croire que t’es sympa alors que tu les enfles comme pas permis. Tu veux que je te montre ? Mais ça doit rester entre nous !

C'est pas tant que je tire la gueule. J'veux dire, j'suis quand même soulagé d'avoir quitté le No Man's Land. Pas Kaycee, ni même Emerson parce que je les aime très fort, mais le ménage et le regard des survivants qui n'hésitaient jamais à me critiquer au passage. À croire qu'ils captaient pas que le ménage, je le faisais pour eux.
Mais voilà, j'ai toujours cette appréhension de me retrouver au milieu de pleins de gens que je connais pas.

Pas très à l'aise derrière le bar, je colle Vaughn d'un peu trop près sans doute, redoutant le moment où j'allais devoir m'éloigner de lui. À cette heure-ci, heureusement il n'y a pas encore grand monde. Ça me laisse un peu de temps pour me familiariser avec le lieu et ce métier que je ne connais pas du tout.
Les bras ballants, j'observe mon protecteur alors qu'il sort toutes les bouteilles et qu'il les dispose soigneusement devant nous. Je pince les lèvres, détaille sans inspiration les liquides à l'intérieur. C'est pas vraiment mon domaine de prédilection. Alors j'balance un peu au p'tit bonheur la chance les quelques noms d'alcool que je connais :

- Hm … ça … du Jack Daniel's ? Du Gin ? De la Vodka ? Non, la vodka c'est transparent … ça ?

Mon ongle peint de noir tapote une bouteille au liquide cristallin. Je jette un coup d'oeil à Vaughn prêt à enchaîner, mais il me coupe, visiblement agacé de mon manque d'entrain.
J'ouvre la bouche pour répondre, baisse les yeux avant d'oser sortir un son.

- Non, c'pas ça...

Mon regard balaie la salle, je soupire un coup. Tout ces gens …
Je secoue la tête et reporte mon attention sur le barman qui y va de sa petite explication accompagné de ses jongleries. Je le dévisage alors qu'il se sert un verre, toujours réticent, quand je le vois boire. En tant que barman, en plus, j'sais très bien que ça peut vite dégénèrer.

- Boire à l'oeil ? Je suppose d'un air neutre quand il me pose sa question rhétorique.

Un petit rire m'échappe finalement. J'appuie ma main sur le comptoire, un sourire au coin des lèvres, alors que j'détaille un peu plus les gens présents.

- J'pense pas … être capable d'enfler les gens. J'sais pas mentir, j'avoue dans une moue embêtée. Je vais être un très mauvais barman, tu sais. Moi je voulais chanter, ici. Pas être proche de tous ces gens et devoir les servir.

Je refoule un frisson de dégoût. C'est pas que j'aime pas les gens. Outre le fait que je redoute par-dessus tout de tomber sur l'un de mes nombreux agresseurs, je sais juste que j'ai tendance à me faire marcher dessus. J'aime pas décevoir, peu importe la manière. J'aurais envie de satisfaire tout le monde, quitte à me mettre dans la merde. Alors, les manipuler ? Cette notion m'est tout à fait étrangère.

- Dis toujours. Mais moi j'comptais plutôt jouer le mec qui parle pas la langue, juste pour avoir à faire seulement mon job et qu'on me fasse pas plus chier. Je t'ai déjà dis que c'était très drôle de faire semblant de pas parler anglais ? C'est très drôle. Les américains sont outrés. Genre, comme si c'était vital pour nous, immondes étrangers, de devoir nous adapter à eux ! Pfeuh, ils sont pathétiques, non ?

J'comble un peu le vide en parlant de choses un peu idiotes, mais... Vaughn commence à me connaître.

Ce p’tit je ne sais vraiment pas par quel bout le prendre, j’ai toujours l’impression de faire quelque chose de travers mais il semble toujours heureux de ma manière de le traiter, certainement parce qu’il avait vécu un enfer ces dernières années. Je lui demande alors de me dire qu’elles sont les bouteilles qui sont devant lui, mais je ne sais pas dire si je le fais suer comme ce n’est pas permis ou s’il n’y connaît rien, dans le doute je préfère la première option. Je lui demande alors ce qu’il ne va pas avant de que je perde patience, c’était l’un des rare a pouvoir me mettre aussi rapidement hors de mes gonds.

Bon il a l’air d’en avoir quelque chose à carrer vu sa réponse aussi bien physique qu’orale. J’vais pas insister plus sinon il va se mettre à pleurer et ce n’est pas très vendeur. Je lui explique ensuite les avantages du métier de barman, le fait que toute le monde essaie de t’avoir dans sa poche mais qu’au final c’est plus toi qui leur mets à l’envers que l’inverse et ça, ça c’est le plus fun je trouve.  Je rigole lorsqu’il me parle de son honnêteté et son incapacité à enfler les gens, je ris doucement et lui rétorque :

- Qui te parle de les enfler ? Tu fais copain-copain avec, tu dis que tu leur fais un prix d’ami en leur faisant payer le prix normal et tout le monde y gagne. Toi tu as fait ton job et eux ont l’impression d’avoir fait une affaire, c’est une manière de fidéliser le client aussi. Puis tu sais un moment ou un autre va falloir se rapprocher des gens, autant que je sois dans le coin non ? C’est parfait pour travailler ta sociabilité non ?

Avec un sourire confiant et peut-être même une lueur d’espoir au fond des yeux. Et le voilà qu’il enchaine sur le coup du mec qui ne parle pas la langue et que tout le monde trouverait ça pathétique … J’étais infirmier urgentiste des travailleurs non déclaré mexicain qui ne parlait pas un mot d’anglais j’en ai vu et pas qu’un peu, donc non je ne pense pas qu’ils font pitié et je lui fais bien comprendre avec un regard noir quand il prononce ses derniers mots :

- Non ce n’est pas pathétique, mais oui ça peut te sortir d’une mauvaise passe c’est bien vrai. Maintenant le vrai boulot commence, tu connais quoi en cocktail ? Histoire de voir à peu près ton niveau.

Je pense pas qu’il soit spécialement haut, mais il pourrait me surprendre.

- Qui te parle de les enfler ?

Je papillonne des paupières, éberlué.

- Ben … toi ?

Je cite « c'est que tu peux leur faire croire que t'es sympa alors que tu les enfles comme pas permis. » J'ai pas rêvé, il a bien dis ça genre trente secondes plus tôt ?
Mais j'me tais, parce qu'il arrive à me mettre le doute et que de toute manière, c'est lui le chef, alors s'il décide qu'il n'a pas dis ça, alors il ne l'a pas dis.

Mon visage se peint ensuite d'une expression sceptique face à son explication.

- Ca m'a l'air totalement foireux comme technique. Suffit qu'il entende ensuite le prix que tu donnes à d'autres, et il captera que c'est le même que la ristourne que tu lui as gracieusement faites.

J'ai un haussement d'épaules.

- Les gens sont pas idiots, Vaughn.

Et ouais, j'dis ça en le prenant un peu de haut, parce que la plupart ont tendance à oublier que chaque survivant ici a survécu au pire, qu'ils ont probablement tous de grandes capacités, peu importe leur domaine. Et pas besoin d'être un crétin pour capter qu'on se fait enculer par son barman. Et les gens n'aiment pas être pris comme tels, surtout quand ils sont là dans l'optique de passer un bon moment.

Vaughn enchaîne finalement, abordant les sujets des cocktails. Je lui lance un regard pleins de détresse.

- Euh … le Jäger Bomb ? Whisky-coca ? C'est pas des cocktails ça ?

J'essuie mes mains moîtes sur mon jean. Pourtant, je sais que je ne devrais pas avoir honte de ne pas avoir de connaissances là-dedans. Chacun son domaine, hein. Mais j'ai l'impression que j'suis débile. Que je devrais au moins connaître un ou deux cocktails.
Finalement, j'lâche un gros soupir et mes épaules s'affaissent.

- J'en sais rien. J'pourrais même pas te donner plus de trois noms de cocktails.

J'énumère sur mes doigts :

- La Caïpi, le Mojito, la Pina Colada …

Mes lèvres se pincent. Mais après une demi-seconde, une lueur traverse mon regard.

- Hé, la Pina, j'connais ! C'est super bon. Mais j'sais pas la faire par contre.

Faux espoir pour Vaughn sans doute.

- Je suis plus doué pour reconnaître les poissons, hermano ! Pourquoi on m'a foutu ici ? J'ai l'impression d'être débile !

Oh bordel, si y’a bien un truc qui me fait rapidement perdre toute tempérance c’est bien la stupidité et là avec Dany y’a des moments il frôle l’oscar de près, même si j’avoue que mes réponses sont évasives et alambiqués. Faut que je garde les choses simples et explicite si je veux qu’il comprenne bien et ça demi leçon de morale sur le « ce n’est pas bien les gens ne sont pas stupides », j’avais envie de lui dire qu’il pouvait se la garder pour lui, je veux bien que tous les survivants sont plus ou moins doué dans un domaine mais en général ce n’est pas le social, il devrait le savoir lui qui est passé de brute en brute.

- Ouais … J’crois qu’on ne s’est pas compris tous les deux. Ça sera plus clair avec un exemple, donc observe et essaie de capter ce que je fais. Si tu ne te sens pas de le faire ce n’est pas grave, mais si quelqu’un te demande une ristourne d’une manière trop insistante tu viens me voir.

On va commencer comme ça, de toute façon c’est en forgeant qu’on devient forgeron comme le veut l’adage, il prendra d’abord ses marques puis quand il se sentira mieux ici on verra pour en faire un véritable barman.

Lui demandant ensuite des noms de cocktails qu’il connaissait, il me sort quelques classiques mais je ne mettrais pas ça dans la catégorie cocktail. Enfin c’était bien de l’alcool avec un diluant mais ça ne rentrait pas dans l’image du verre aux belles couleurs avec une petite ombrelle dessus que l’on peut avoir lorsqu’on évoque cocktail.

- C’est presque ça …. Continue tu vas trouver, penses plus des trucs avec des jus de fruit !

Il semble perdre courage jusqu’à ce qu’il me sorte enfin trois cocktails ! Un large sourire vient orner mon visage qui disparaît bien vite quand il me parle de ses poissons. Y’a des moments où je me dis que le jeter dans le port serait la bonne solution pour qu’il prenne une douche froide.

- Pourquoi tout de suite dire que tu es débile alors que tu m’as sorti le nom de 3 cocktails ! Et y’en a un qui n’était pas facile à connaître. Bon après il sonne très hispanique donc ça m’étonne qu’à moitié.  Continuons la leçon, comme tu te doutes on a plus tous les ingrédients d’avant donc on ne va pas non plus faire de la magie ! On va rester sur des sex on the beach, tequila Sunrise ou autre cocktail plus simple à produire qu’un mojito par exemple !

Je prends les bouteilles nécessaires, le shaker, le verre doseur et une orange avec un couteau.

- Allez on commence tranquillement avec un Tequila Sunrise. On va remplacer le sirop de grenadine par les framboises et mures que j’ai eu. Tu veux bien me les écraser ?

Je lui pointe alors du doigt un mortier en bois et les fruits un peu plus loin.

Je me renfrogne un peu quand il me dit de l'observer et d'essayer de capter, mais je hoche la tête. Aller le voir si une situation me fait paniquer, ça je sais le faire. Encore faut-il qu'il comprenne que je risque de venir très souvent vers lui.

Ses encouragements quand je tente des noms de cocktails m'arrachent un petit sourire. C'est tout bête, mais c'est ce genre d'attitudes qui me fait du bien. Qu'on me considère. Qu'on m'encourage. Ce genre d'attitude qu'on a plus eu envers moi depuis bien longtemps, et qui fait qu'à la fin, je ne me considérais même plus comme un être humain. Avoir l'impression de réussir quelque chose, ou du moins, de s'améliorer, c'est ça qui fait grandir et évoluer.

J'écarte les bras de chaque côté de mon corps après lui avoir annoncé que je connaissais mieux les noms de poissons.

- Bah c'est vrai ! J'ai été pêcheur, moi, pas barman ! Et puis j'buvais pas de cocktails à l'époque !

Vaughn continue dans sa lancée de formateur en sortant les ingrédients qu'il faut pour faire l'un de ses trucs de mélanges.

- Tequila Sunrise, je répète, studieux, en essuyant mes mains sur mon pantalon – noir, sobre, pour une fois, presque classe j'ai envie de dire-.

Mes yeux suivent ce qu'il me pointe du doigt, j'attrape le tout et entreprend alors d'écraser les fruits, comme il me le demande. Je peux être un bon élève, parfois.

- Okay, ça j'sais faire. Y'a aucun moyen de se foirer, pas vrai ?

Discrètement, je glisse une framboise entre mes lèvres avant de reprendre le travail. Concentré, une ombre me tire de mes rêveries, et je lève la tête pour me retrouver face à un grand type chauve, client, sans aucun doute. D'où il sort ? Je l'ai même pas vu arriver.

- Ouais, souffle-t-il en guise de bonjour sans doute. Vous avez un truc fort ?

Je me mords la langue, lance un regard à Vaughn, mais la connerie m'échappe sans que je parvienne à m'en empêcher :

- Genre, plus fort que votre haleine ?

Je pouffe, stupéfait par mon propre humour, mais j'm'arrête net quand je capte que ça l'a pas fait rire du tout.

- T'es sérieux, là ?
- Euh, oui … non … euh j'veux dire … hm no hablo inglés. Vaughn ?

Je tourne le visage vers lui et lui lance un regard pleins de détresse.

Je crois que lorsque je lui aie dit de venir me voir quand une situation le ferait paniquer était très certainement la pire idée que j’ai eu depuis un petit bout de temps et je pèse mes mots, car ce petit à l’art et la manière de se mettre dans des situations merdiques presque aussi vite que moi et pourtant je vous assure que je suis un expert dans ce domaine. Enfin je ne vais pas me décourager pour si peu, je ne le supporte pas depuis tout ce temps pour abandonner maintenant, de un ça me ferait chier car je suis du genre bornée et de deux il est marrant ce p’tiot de temps à autre.

Je lui propose alors de continuer sa formation afin de faire un cocktail basique, vraiment celui-là s’il le foire je ne sais pas quoi faire de lui. Il a l’air studieux tandis que je prends tout ce dont on a besoin pour faire le fameux cocktail. Je lui demande alors d’écraser les framboises, il me dit qu’au moins à ça il ne peut pas se rater. Je lève les yeux au ciel et lui répond :

- Tu sais comme à dit un petit être vert dans une galaxie lointaine, très lointaine. Le meilleur maître, c’est l’échec. Je vois bien son air de poisson en dehors du bocal, je souffle un coup pour reprendre. En gros échouer fait partie de l’enseignement, je n’ai pas toujours tout réussit du premier coup hein, je me suis planter et plus d’une fois c’est pour ça que je suis maintenant et je l’espère une meilleur version de moi-même que je l’étais hier.

Après je veux bien entendre que si quelqu’un ne fait que se planter, il est difficile de se concentrer sur les aspects positifs de ses échecs mais s’il ne fait que regarder le fond, c’est sûr qu’il y finira.

Enfin je quitte des yeux 2 minutes l’hispanique afin d’aller chercher le shaker et le voilà avec une brute épaisse et chauve qui est entrain de monter le ton contre lui. Je soupire un coup et reprends :

- Monsieur, je suis désolé mais mon apprenti ne comprend pas et ne parle pas très bien l’anglais. Je m’excuse s’il a dit involontairement quelque chose de déplacé, mais si vous êtes ici juste pour chercher de quoi défouler vos poings, je vous prierais d’aller vous inscrire dans la cage. Je n’aimerais pas à avoir à expliquer à Monsieur Roth la situation présente et pourquoi vous devez quitter les lieux sans avoir la chance de revenir jouir de nos services.

Calme, serein mais autoritaire dans la voix si ce monsieur muscle voulait se la jouer, il comprendrait rapidement que malgré ma réputation de lover du dimanche, je suis aussi celui qui a battu le roi de l’arène.