Je lui jette un regard en biais et hausse un sourcil. Il a le don pour chaque fois me lancer des phrases de pseudos philosophes qui me laissent toujours pantois. J'suis pas très sensible à tout ça, alors forcément, en général, ça me fait lever les yeux au ciel. Mais cette fois j'crois que je sais de qui il parle.

- Le p'tit bonhomme vert c'est maître Yoda on est d'accord ?

Un rire m'échappe alors que je reprends mon travail, sans vraiment me formaliser de ce qu'il me raconte sur le fait d'être une meilleure version de soi-même et blabla. Ça me touche pas, tout ça. J'ai toujours été trop concentré sur le fait de vivre au jour le jour, à l'époque. Depuis l'épidémie, j'suis concentré sur le fait de pas mourir et c'est tout. J'en ai peut-être un peu trop rien à battre du fait de m'améliorer, de me relever après un échec et toutes ces conneries.

Notre échange est troublé par l'arrivé d'un client, que j'accueille avec ma spontanéité habituelle. La remarque m'échappe, je me mords la langue, j'appelle en silence Vaughn à l'aide. Heureusement, il réagit aussitôt et s'approche pour prendre les devants.
Mes yeux quittent pas le mec tout le temps de l'explication de mon ami. Par moment, je hoche la tête, ou j'accompagne ses mots de petits sourires.

Y'a un petit blanc après sa tirade. Le mec chauve nous regarde chacun notre tour en mâchant son chewing-gum, un sourcil arqué. Puis finalement, il se redresse, croise ses gros bras contre son buste, dans la posture typique du daron en colère.

- Vous vous foutez de ma gueule, en fait ? Oh, les gars, c'est quoi le problème ? Vous êtes barmans ou quoi ? J'veux juste boire un truc, vous êtes des tarés !

Son attention s'arrête sur moi. Il prend une grande inspiration par les narines et ferme une seconde les yeux, sans doute pour prendre sur lui et éviter de nous éclater le front contre le comptoire. Il y pose ses coudes, ignore royalement Vaughn, et moi je rentre un peu la tête dans mes épaules.

- C'est trop demander de commander un truc, Tim Burton ?

Je secoue la tête. Mes mains attrapent une bouteille au hasard. Du coin de l'oeil, j'vois qu'il sort un truc de sa poche. J'me tends d'un seul coup, mais me sens bête lorsqu'il plaque devant lui un paquet de piles neuf et une boîte de Dolipranes.

- Hm … on a … on a … ça ? Ça vous va ?

Ses yeux glissent sur Vaughn. Il lui offre une expression vaguement médisante, mais son visage se détend vaguement quand il revient sur moi. Il lorgne sur la bouteille et moi sur sa bouche qui mâche bruyamment son chewing-gum, et finalement, il hoche la tête en se redressant.
Mes épaules se décrispent. Je jette un regard à Vaughn pour savoir la marche à suivre au niveau des dosages par rapport à ce qu'il nous a filé. Le mec semble s'être un peu calmé, je sais pas trop comment ni pourquoi, mais … on va pas se plaindre, et encore moins jouer aux fiers.

Encore une fois je ne peux m’empêcher de faire mon mélange de philosophie et d’optimisme pour essayer de tirer ce Dany de ses propres démons qui ne font que le tirer vers le bas et avec force il faut bien l’avouer. Je lui cite du star wars et je serais presque fier qu’il reconnaisse la citation ! Après faut dire que c’est tellement connu que c’est difficile de la manquer, il me demande confirmation pour le film et je lui confirme alors sa demande :

- Yep, bien joué mon grand ! Je ne pensais pas que tu connaissais, comme quoi t’es plus malin que tu le penses !

Ouais on va flatter son égo avec ce qu’on a, il faut qu’il reprenne confiance en lui.

En parlant de confiance en lui, je le laisse trois secondes et voilà qu’il provoque une de ces brutes qui vienne boire ici. Je tente de calmer le jeu en continuant de jouer sur la carte que venait d’utiliser Dany mais il semblerait que le gros malin en face ne semble pas réceptif à mes excuses. Je sens la colère qui monte, mon poing bien dissimulé derrière le bar se serre tandis que ma carotide venait certainement de doubler de volume. J’observe en silence le client qui vient une nouvelle fois mettre la pression à Dany.

Il demande quelque chose de fort et il va être servi. Dany lui sort une bouteille pendant qu’il pose sur le comptoir deux trucs que je ne prends même pas le temps de regarder. Mon regard est noir et mes pensées corrompues par la colère qui me dévore. Il semble se détendre et un sourire hypocrite vient se dessiner sur mes lèvres, j’invite alors a Dany à venir de mon côté pour que je me rapproche de la boule de billard. Il prend la bouteille, commence a partir mais je l’interpelle :

- Monsieur vous oubliez quelque chose !

Il revient alors au bar innocemment et je le saisis d’un mouvement rapide de ma main droite afin de lui exploser la tête contre le bar, dans un grand bruit sourd qui fait écho et tout le monde se tourne vers nous. Le relâchant il se redresse pour finalement tomber en arrière, prenant le temps de doucement faire le tour du bar, je sors mon pistolet de mon holster d’épaule plie mes genoux pour me mettre à son niveau et mettre le canon du pistolet contre son genou en appuyant.

- Ecoute moi bien sac à foutre. Je n’aime pas bien tes manières et la façon dont tu parles à mon apprenti. Alors sois-tu t’excuses maintenant, soit tu vas devoir aller chez les Barnett pour qu’ils essaient de recoller les morceaux de ton genou explosé. Je relève les yeux et le regard pour affronter de ce dernier le reste des clients. Ici les règlessont simple, pas de baston, la maison fait pas crédit et soyez toujours poli avec le personnel. Si ça ne vous convient pas vous pouvez porter vos doléances à Bill. Mon bar, mes règles. Appuyant de nouveau sur le genou et replongeant mon regard dans celui du chauve qui se tenait le nez et le genou. Capiche ?

Le type prend carrément la bouteille que j'ai posé sur le comptoire. Je fronce les sourcils en me rapprochant de Vaughn, pas trop sûr de moi. Euuh … je pensais le servir moi, pas qu'il se tire avec la bouteille entière.

Vaughn de nouveau – ce héros -, prend les devants, et alors que le mec revient et que je m'attends à un échange cordial et plus détendu qu'au départ, la situation dérape en un clignement d'yeux. Mes épaules sursautent au bruit que fait la tête du type sur le bar et je plaque une main contre ma bouche, éberlué. Putain ! J'ai beau commencer à connaître Vaughn, il n'en râte jamais une pour me surprendre.

- ¡No mames!

Je regarde partout autour de moi. Quelques têtes se sont tournées vers nous, mais j'crois bien être le seul à être autant choqué de la scène. J'oublie parfois qu'on est dans un lieu où le combat en est le gagne-pain.
Quand je vois l'arme à feu que Vaughn sort, mon visage se teinte d'une expression horrifiée. Je fais un pas en avant, mais … qu'est-ce que je peux faire, après tout ? Comme tout le monde présent, je me contente d'assister à la scène. Et Vaughn en colère, j'avoue que … ouais, il est quand même sacrément sexy. Mais j'oublie pas que le mec chauve vient de se faire péter le nez par ma faute. J'suis prêt à mettre ma main à couper que j'vais avoir droit à un sale remontage de bretelles, après.

Toujours est-il que tout ça fit mouche. L'homme hocha frénétiquement de la tête, main plaquée sur son nez, et il leva les yeux vers moi. J'lui lance un sourire un peu pincé, une main posée sur le bar, l'autre bras le long de mon corps. J'suis sûr qu'il sait même pas pourquoi il doit s'excuser. Je suis mal à l'aise car c'est moi qui lui en doit.

- 'solé fiston, qu'il baragouine avant de baisser le regard sur Vaughn pour s'assurer qu'il avait bien agi.
- Oh, c'est rien, j'réplique dans un petit haussement d'épaules. Puis, Tim Burton il est cool, je l'ai pas pris comme une insulte.

Mon attention se porte sur Vaughn. L'homme attend, toujours au sol, qu'il lui donne l'autorisation pour se lever et repartir comme il est venu. J'attends aussi, comme un con. J'viens d'assister à un truc auquel je m'attendais pas. Ce qui est sûr, c'est que je préfère quand même que ce soit cet inconnu qui ait pris plutôt que moi.

Celui qui sait arriver où il est pas attendu

La cage, c’est plus que mon gagne-pain, c’est mon bébé, surement, et je l’espère de tout mon cœur d’ailleurs, le seul que j’aurais. On me flatte et on me félicite pour cette réussite mais c’est loin d’être suffisant encore pour moi. Je veux plus, toujours plus. La partie combat a bien trouver sa place dans la société de primates violents en manque de divertissement qu’est devenue la nôtre. Mieux que de voir Loana se faire prendre dans une piscine par Jean Edouard, moi je vous propose Kendale qui va vous déboiter dans notre piscine et en direct live. Mieux que Loft Story, Cage story ! Avec quelques combattants qui m’obéissent assez sagement pour faire le show et se coucher quand je leur demande, les gains commencent vraiment a valoir le coup…

Là où les autres applaudissent et se disent que nous avons une pépite, moi je vois tout le potentiel du filon. L’endroit est vaste, il y a de la place a exploiter et des talents dans notre groupe qui ne sont pas encore assez justement mis en valeur. Je pense notamment au petit jeune a qui je dois de porter un bonnet aujourd’hui. Dieu soit loué, les gens pensent qu’il s’agit d’une excentricité ou d’une nouvelle mode, bientôt ils penseront que c’est cela qui m’a sauvé de l’épidémie, mais ça, c’est aussi une autre histoire. Pour ma part c’est surtout le moyen de camoufler le massacre capillaire du protéger de O'Mucrhúlu.

D’ailleurs, il est en formation avec notre barman, et je ne sais pas pourquoi, l’instinct peut être, je me décide à aller voir comment ca se passe. Le plus courageusement possible, comme à mon habitude, je ne traverse pas la salle quand elle est bondée tout seule. Je m’assure que Chris reste près de Zola, et fait un signe de tête à Thaïs pour qu’elle m’accompagne. A priori cela passe mieux une jolie jeune femme a mon bras que mon fougueux viking. Et ma belle sœur est très capable niveau sécurité. Je lui explique brièvement :

« J’ai M. Iacobo qui débutait ce soir, je vais m’assurer que tout se passe bien. »

Plus j’avance vers le bar, plus je vois qu’il y a du grabuge. Je reste tel le Dandy flegmatique que je suis, les mains dans le dos a voir le sang d’irlandais s’agacer fortement sur un client sans trop comprendre ce qui se passe ici. Je jette un œil a Thaïs avant de poser LA question a 100 rouleaux de PQ triple épaisseur, avec un ton très calme malgré mon inquiétude grandissante.

« Mais que diable se passe t’il donc dans mon bar ?»

Codage par Libella sur Graphiorum

Ce type commençait sérieusement à me taper sur le système avec son air sûr de lui et son sourire hautain quand il balance « l’insulte » de Tim Burton. Je regarde Dany qui tente de régler la situation par la seule chose qu’il sait faire, la soumission. J’aurais presque envie de lui en mettre une à lui aussi mais ça attendra. J’interpelle le gus en lui disant qu’il avait oublié quelque chose, ce qu’il ne sait pas c’est que c’est sa rencontre prématurée avec le comptoir.

Une fois à portée, je garde mon sourire hypocrite et vient lui écraser son visage à pleine vitesse contre le bois et le laisse chuter en arrière pendant que je fais doucement le tour du bar tout en sortant mon pistolet. Je viens menacer son articulation et lui demande alors de s’excuser, j’en profite aussi pour faire un rappel à la clientèle que dans le bar et le territoire de Bill en général, il faut respecter ses règles. Le type semble avoir compris et je relâche la pression afin qu’il se relève. Il présente ses excuses, c’est bien sûr à ce moment que Bill décide de se montrer.

J’étais entrain de ranger mon arme alors qu’il me demande ce qu’il se passe, un sourire amicale venant se dessiner sur mes lèvres, je me tourne vers lui et alors que j’allais lui répondre, une brune sortit de derrière lui demande s’il faut qu’elle intervienne. Je la détaille un peu plus et mon sourire se transforme naturellement en un plus charmeur et je réponds finalement en finissant de ranger mon pistolet :

- Je réexpliquais les règles du bar à ce gentilhomme. Et maintenant que la situation est claire comme de l’eau de roche, il peut prendre le verre que Dani va servir et s’installer à sa table si le cœur lui en dit.

Récupérant au passage sur les tables quelques verres vides, je continue de regarder de temps à autre Bill. S’il n’aimait pas ma façon je gérais le bar je lui laisserais volontiers le plaisir de gérer les gros bras qui se sentent plus pisser une fois deux verres dans le gosier.

Je relève les yeux du mec chauve pile quand Bill s'arrête devant nous, débarquant de nul part, au pire moment possible. Ma main cache ma bouche – pire geste à faire quand on se fait prendre la main dans le sac – et on me regard se tourne automatiquement vers Vaughn. J'crois que dans mon imaginaire il doit détenir tous les pouvoirs du monde, parce que dès qu'il y a un truc qui va pas je me tourne toujours vers lui et j'suis persuadé qu'il peut tout régler. Jusqu'à présent, ça a plutôt bien marché.

Je croise au passage le regard de Thaïs, celle qui je crois est genre la garde du corps de Bill, et immédiatement je baisse les yeux, pas trop fier de ce qu'il se passe, en grande partie parce que c'est carrément de ma faute.

Vaughn sourit, pas du tout perturbé par ce qu'il vient de faire et par l'interruption du grand patron et explique de manière claire et limpide la situation. En réponse et pour donner du corps à son flegme, j'attrape la bouteille, un verre, et j'le remplis en lançant un sourire moyennement naturel à l'assemblée.

Le client qui s'est fait agresser s'approche de moi. J'sens qu'il sent qu'il faut pas qu'il fasse le malin, et j'dis pas ça parce qu'il a encore le nez en sang. Ici, tout le monde connaît plus ou moins, et personne n'a vraiment envie de se le mettre à dos.

- Et voilà Monsieur Propre.

J'refoule mon envie de pouffer en poussant le verre vers lui. À son tour, il sourit, hoche la tête comme s'il trouvait que c'est de bonne guerre.

- Merci Tim Burton, réplique-t-il en attrapant sa consommation.

Il me lance un dernier regard et fait volte-face, s'arrêtant une seconde sur Bill comme pour s'assurrer qu'il puisse partir, avant de s'éloigner pour de bon cette fois.

Et parce que je suis gêné, j'attrape un torchon, un verre, et j'entreprends de l'essuyer, parce que c'est ce que tous les barmans font tout le temps.