Grosse loose. Fallait m’le dire si c’était aussi compliqué de vivre toute seule, parce que j’me serais pas barrée du camp, hein… J’ai presque plus de gâteaux, et les derniers que j’ai mangés avaient un goût un peu bizarre. J’ai réussi à avoir un peu d’eau en mettant un seau près d’la porte arrière, c’est le seul truc qui me permet de bien m’sentir, l’eau… Y a aussi un gros distributeur de bouffe près de l’entrée, j’ai commencé à essayer d’péter la vitre mais il est plus tenace que j’le pensais… faudra que j’m’y mette pour de vrai.

Après avoir fui Edgar, j’me suis cachée dans le premier truc que j’ai trouvé… une salle d’arcade. Drôle de hasard, c’était l’endroit le moins probable mais le plus kiffant à squatter. Y a des jeux partout. Bon, ils marchent plus vu qu’il y a plus d’électricité, mais j’m’amuse quand même parfois à m’asseoir au volant d’une des machines, en train de rêver d’conduire la voiture que Papa avait. Puis le fauteuil est confortable, plus confortable que la table de billard sur laquelle j’dors… mais j’me plains pas.

J’ai commencé à sortir il y a peu. Toute seule, comme une grande ! Je m’éloigne pas tant que ça de la salle, hein. Mais comme y a des magasins dans le quartier et des trucs qui m’semblaient pas si vides que ça quand j’suis passée pour la première fois, j’me suis dit que ça valait le coup d’y jeter un œil. Au final… bah j’ai pas trouvé grand-chose. Enfin, si ! J’ai trouvé une montre que j’suis pas sûre de savoir lire (c’est la grande aiguille pour les heures, nan ?), mais aussi un ancien paquet d’chips que j’ai bien vidé hier soir avant d’me coucher… et un pyjama ! L’meilleur pyjama au monde, d’ailleurs. Il m’fallait de nouvelles fringues. Ça commence à faire longtemps que j’ai pas pris de douche, ça se sent j’pense… Et comme il commence aussi à faire froid, j’ai pas pu m’en empêcher.

Seattle étant une grande ville, je m’attendais quand même à quelque chose… de différent. Je sais pas, à croiser des gens, à voir plus de rôdeurs… Mais soit j’ai eu de la chance, soit j’suis dans le quartier le plus pourri de la ville, parce que j’ai pas croisé grand monde. Mon pistolet à plomb dans la poche de mon pyjama, le couteau dans l’une de mes bottines, j’arpente les rues du centre de Seattle pour rentrer à la salle d’arcade. Le poids de mon sac à dos sur mes épaules commence à me rappeler qu’il faudrait que j’le vide et que j’arrête de ramasser tout ce que je vois. Des bonbons que je sais même pas comestibles, un paquet de feutres et de marqueurs avec lesquels j’ai prévu de peindre les murs de mon p’tit refuge (mais bon, ça c’est pas inutile)... ah, puis aussi une ancienne figurine collector de Bob L’Eponge. C’est collector, j’pouvais pas laisser passer ça.

Ouais, nan, tout s’passe sacrément bien. Les seuls rôdeurs que j’ai croisé cet après-midi étaient assez éloignés pour que j’ai pas à m’occuper d’eux. Y en a juste un qui m’a un peu surprise et qui m’a donné du fil à retordre... le pistolet a pas suffit, alors y a fallu que j’lui coupe ses doigts avec mon couteau... il voulait pas m’lâcher le salaud !

Tout s’passe bien jusqu’à ce que je me mette à entendre des bruits d’pas alors que j’approche d’la maison... et pas des bruits de pas de rôdeurs. Nan, j’les reconnais ceux-là. Des vrais bruits de pas. J’me retourne, je jette un coup d’œil derrière moi... Rien à l’horizon, mais c’est pas ça qui m’empêche de me taper le meilleur sprint de ma vie. Je me mets à courir. Courir pour rentrer plus vite et limiter les risques d’me faire fusiller, mais aussi pour peut-être prendre l’avantage.

La salle d’arcade à quelques pas, je m’accroupis vite pour entrer par la porte d’entrée, toujours ouverte mais verrouillée par une chaine qui m’a toujours permis de m’y glisser, puis je cours me réfugier sous mon lit.

Je l’entends approcher. La cachette la plus simple, c’est sous la table de billard... Le dessous presque complètement couvert par le rideau qui me sert de couverture, je m’y sais en sécurité. Allongée à plat-ventre, je prends mon pistolet en main et j’observe silencieusement la cible. Une femme et son chien. S’ils me faisaient pas aussi peur, peut-être même que j’me plairais à le caresser... Mais j’peux pas, mignon ça veut pas dire que c’est pas capable de me bouffer tout cru !

J’sens que ça commence à faire du bruit, dans ma poitrine. J’ai le cœur qui se déchaine, le souffle qui se met tout aussi en colère... J’ai jamais eu peur des chiens mais celui-ci, il me fait peur. Il renifle, le grand toutou, il s’approche... À une dizaine de mètres, je tire ma première bille... mais elle l’atteint pas et part s’abattre sur l’écran d’une des bornes de jeu.

Le chien se met à grogner en ma direction... j’suis repérée ! Je recule dans un grand soupir, me laisse glisser jusqu’à me révéler derrière la table de billard, le pistolet baissé en direction du chien... qui me parait plus dangereux que la femme. « J'voulais pas tirer sur l... Dis-lui de s’calmer ! » que je crie à celle que je devine être son maître... « J’ai rien à vous donner, j’crève la dalle et si j’avais d’la bouffe, j’la donnerais certainement pas à un chien. » Parce qu'ils sont certainement là pour mes affaires. J'ai rien, et j'donnerais rien... surtout pas à un chien qui veut m’bouffer ! « Ça s’tient en laisse ça, normalement, en plus... ! » Et ça, même moi j’le sais.

J'avale ma salive et j'les observe avec de grands yeux alors que j'sens ma tension atteindre le summum. J'ai plus peur d'un chien qu'un rôdeur... C'est normal ?

Roh... Fais chier. Y a qu’moi pour rater un tel tir, d’toute façon. Il pourrait être à deux mètres de moi que j’serais quand même capable de le louper... la honte. Et pourtant, j’ai jamais eu de soucis de vue. C’est juste que moi et la précision, ça fait quarante-deux. Il grogne, le vilain toutou, j’crois même qu’il bave... C’est pour ça que j’aime pas les chiens. Ça pue, ça bave et ça grogne tout le temps... on dirait moi quand j’dors.

J’sors de ma cachette... non pas parce qu’elle me le demande, mais surtout parce que je sais que j’ai pas l’choix, ils ont découvert ma cachette. Je prends bien mon temps, je glisse sur le carrelage poussiéreux et sors de derrière la table de billard... mon pistolet à plomb pointant vers le chien alors que la jeune femme pointe le sien sur moi... M’ouais, comme si moi, du haut de mes treize ans, j’étais capable de faire du mal à quelqu’un... Bon, j’ai voulu tirer sur son chien et j’ai déjà planté un mec dans l’genou, mais ça veut rien dire...

Je la regarde silencieusement, essayant de paraître totalement sereine alors qu’au fond de moi, ça fait « bim bam boom ». La pression, je la connais... mais là, c’est quand même incroyable tout c’que j’arrive à ressentir. C’est exactement comme quand on nous a forcé à quitter le supermarché pour aller au trailer park... sauf qu’Hughie était avec moi.

Elle calme son chien, la grande brune. Max... c’est le nom d’un cousin à moi, ça... On dessinait souvent ensemble, même s’il a jamais eu un bon coup de crayon. Il était supra méga nul. Elle range son arme, je garde la mienne en main... Elle me dit ne pas me vouloir de mal, moi, j’ai un p’tit doute. « J’ai pas peur, moi, hein... » Pas peur du tout, même. C’est peut-être pour ça que je sens mes aisselles devenir chaudes et que j’suis à deux doigts de faire dans ma culotte.

Elle fait les présentations... Nina et Max. C’est vrai qu’elle semble pas bien méchante, mais... j’crois qu’on peut plus vraiment faire confiance aussi facilement aux gens. J’en connais des gens aux têtes de gentil qui sont en fait de grands méchants... « J’m’appelle Ava... et nan, j’suis pas toute seule. Y a tous mes copains qui vont revenir, alors... tu devrais pas rester là. » Du bluff. Je suis toute seule, moi... mais ça, elle est pas censée l’savoir. Enfin... elle peut facilement le deviner vu le peu d’affaires qui trainent autour de moi. Mais p’têtre qu’elle est pas aussi intelligente que ça, j’l’espère en tout cas.

J’ai du mal à comprendre sa venue. Est-ce qu’elle m’a suivie, est-ce qu’elle venait juste visiter mon p’tit chez-moi ? Est-ce qu’elle sait même qu’elle a posé les pieds sur une propriété privée ? Mais merde, quoi... Tout ça n’a plus aucune importance dès le moment où elle plonge les mains dans son sac pour en sortir une bouteille d’eau et... d’la bouffe ? J’ai les yeux qui s’illuminent. « Du lapin ? Pour de vrai ? » que je demande, surprise, alors que je range déjà mon arme dans la poche de mon pyjama et que je m’approche d’elle, tout en me méfiant du chien... « Il va pas me bouffer, hein... ? » Je fronce les yeux et jette un mauvais regard au chien, comme pour essayer de m’affirmer alors qu’en vrai, j’ai bien la trouille. Finalement, le chien semble donner toute son attention au bout de viande que la fameuse « Nina » lui donne... et je peux m’approcher sans trop de souci, me saisissant déjà du bout de viande gelé qui part vite retrouver ma langue et mes dents. C’est pas bon, mais... ça a plus trop d’importance. Si fallait qu’un truc soit bon pour que je le mange, ça ferait bien longtemps que j’mangerais plus rien.

Je mâche, j’avale... et je prends de moi-même le sac en papier pour y glisser ma main sale et y récupérer deux, trois bouts supplémentaires que je mange sans perdre mon temps. J’crois que même le chien se régale moins que moi. « Attends, donne... » que je lui dis à peine après avoir avalé la viande, en saisissant la bouteille d’eau pour en boire quelques gorgées et laisser échapper un p’tit rot. De la nourriture et de l’eau... !

J’ai encore le réflexe de mâcher alors que j’ai plus rien dans la bouche. « Je peux avoir une pomme ? » Je sautille presque... j’pourrais presque autant baver que le chien si j’le voulais vraiment tellement elle me vend du rêve, cette Nina... « Et ton chien... Max, tu le nourris pour ensuite le manger, c'est ça, hein ? » Je me lèche le bord des lèvres en regardant l’animal, couché au sol. Doit bien y avoir pas mal de viande sous tous ces poils...

En un instant, et ce sans même que je m’en rende compte, Nina a abattu une bonne partie de mes défenses, et simplement grâce à de la bouffe... Qu’est-ce que je vais faire de moi, hein... ?

Une fois la pomme en main, je n’prends même pas la peine de la remercier que je lâche mon meilleur croc dedans... Bonté divine. Dieu Merci. Sacrebleu. C’est tout c’qui me vient en tête... Elle était dans la Bible, Nina ? C’est un ange que Dieu m’a envoyé, hein ? « J’chai pas comment t’as fait pour avoir tout ça... mais ché trop bon. » Je mâchouille, savoure avec beaucoup d’intensité chacun des bouts qui terminent au fond de ma gorge... Je suis pas très fruit, de base, mais ça a plus trop d’importance... On pourrait me faire manger d’la chauve-souris que j’y prendrais du plaisir.

« T’es sûre que tu veux pas me laisser ton chien, hein... ? J’ai des trucs rares à échanger... » C’est impossible que ma toute nouvelle figurine Bob L’Eponge vaille moins que son clébard...

« Hein... ? T’sais qu’ici, c’est chez moi, hein... ? » Nan, parce qu’elle a beau vouloir péter la vitre du distributeur, c’est pas dit qu’elle repartira avec ce qu’il y a dedans. P’têtre dix pourcent. Cinq, pour la remercier de la nourriture qu’elle m’a laissé manger... mais pas plus ! C’était mon projet à moi, au départ, de la péter cette foutue vitre pour piller tout ce qu’il y avait dans la machine. Elle veut pas non plus m’piquer mes affaires et se barrer avec tout c’que j’ai, tant qu’on y est ? Par contre, elle peut bien faire un billard, ça, j’m’en fous.

Bon, bah p’têtre qu’elle est sympa Nina, au final... J’veux dire, elle a débarqué chez moi comme si j’étais pas là, prête à piller l’endroit, mais faut dire qu’elle se rattrape plutôt bien. Elle a sorti ce sachet de son sac comme s’il contenait le plus beau des trésors... et j’veux bien la croire. Elle me donne à manger, de la viande et une pomme. Des bouts, surtout, mais c’est toujours plus que ce que j’ai mangé cette dernière semaine. Je me régale, je m’en fous un peu partout... j’ai les doigts collants, mais c’est loin d’être important... L’important, c’est qu’mon petit bidou se remplisse, et c’est en bonne voie !

Je lâche un croc dans la pomme, puis un second tout en la regardant, en l’écoutant avec attention, et ce avec la plus grande naïveté possible. Y a cinq minutes, j’étais prête à lancer un enchaînement de billes sur son chien, et voilà que j’bouffe ce qu’elle me donne. C’est quand même incroyable, la vie. En parlant du chien, elle a beau essayer de me rassurer, de me dire qu’il est inoffensif... j’ai quand même du mal à y croire. Il tire la langue, me regarde comme s’il voulait ma pomme... « Nan, nan, nan... y pense même pas, c’est à moi. » que j’dis au petit monstre poilu en lui faisant une grimace. J’ai rien contre les animaux, mais... franchement, elle pourrait pas le bouffer au lieu de le nourrir ? Ça ferait plus de nourriture pour elle, elle est bien bête.

« Ton ami... ? Une arme ? Qu’est-ce qu’il fait, il tire des billes ? Ou il crache du feu ? » J’ouvre la bouche en grand, mes yeux suivent. J’blague, forcément... Nan parce que, même si ça me surprend qu’elle prenne un animal pour son ami, j’veux surtout comprendre ce qu’elle entend par « arme »... parce que s’il peut la défendre, j’en veux un aussi !

Zut. Elle veut pas m’le filer... j’peux comprendre, ça reste le sien après tout... puis j’suis pas une voleuse. J’en trouverais peut-être un par moi-même... un plus mignon, j’espère. Un qui bave pas et qui grogne pas pour rien. Je croque une énième fois dans la pomme. J’en prends de grandes bouchées, c’qui fait qu’en même pas cinq minutes, tout ce que je laisse, c’est un trognon que je jette dans un coin de la pièce... Max se met à courir après, il croit que je joue. Ça me fait rire. Si en plus il sert de jouet, elle a de la chance de l’avoir.

Elle m’explique comment elle a fait pour trouver tous ces trucs, toute cette bouffe alors que moi, j’ai galéré à trouver un paquet de chips dégueulasses. Je l’écoute attentivement, mais j’y comprends pas grand-chose. Chasse à la prime. Combats à la cage... mais j’fais mine de comprendre en hochant la tête. J’retiens surtout qu’il faut troquer, être malin et connaître la nature... c’est déjà bien.

Et la voilà qu’elle me fait une offre, qu’elle me propose de devenir son « assistante »... J’ai une tête à répondre au téléphone et à ramener le café, moi ? J’suis une star... ‘fin, j’étais. Mais j’suis d’accord qu’un lieu où dormir, manger et boire, ce serait bien. Mais nan, j’fais plus confiance aux inconnus... la dernière fois que j’ai suivi un taré, ça s’est pas si bien terminé qu’ça... Edgar, c’est à toi que je pense.

J’fais quand même mine de réfléchir. Parce que son offre parait intéressante, mais aussi parce que j’veux pas me faire piéger une deuxième fois. Elle ressemble pas à Edgar, loin de là... mais une jolie bouille veut plus rien dire, maintenant. « Qu’est-ce qui me dit que c’est pas un piège ? Que tu vas pas m’emmener dans ta maison pour m’découper et m’faire cuire au barbecue, hein ? » Barbecue... j’en bave rien qu’en y pensant. « Ça m’parait trop bizarre comme offre... pourquoi tu m’donnerais ça gratuitement ? C’est quoi le piège ? Faut que j’m’occupe du chien à ta place, que j’ramasse ses trucs puants ? » C’est pas bête... c’est p’têtre ça son piège ! J’suis maline, trop maline...

Nan... j’en sais rien. Ça me chauffe moyen. Hughie était pas con quand il m’disait que faire confiance aux inconnus, c’était pas le meilleur truc à faire. C’est même le premier truc que mes parents m’ont toujours dit... Jamais parler aux inconnus, jamais monter dans le van du monsieur qui te propose des bonbons à la sortie de l’école... Ce serait bête d’accepter maintenant, même si Nina me promet bien plus que des bonbons.

Je jette un regard autour de moi. Le clébard est toujours en train de s’amuser avec le trognon de pomme... il met des coups de patte dedans et s’amuse à le suivre comme si c’était une balle... que c’est con, un chien. « Eh, attends... vu qu’t’as proposé... » Je fais signe à Nina d’me suivre en récupérant mon sac sur la table de billard.

Quelques mètres plus loin, dans l’entrée, se trouve l’un des quelques distributeurs de bouffe que j’ai jamais réussi à péter. La vitre est trop forte, trop dure... j’en sais rien. J’ai jamais réussi à la détruire pour piquer ce qu’il y a à l’intérieur. « Vu qu’tu parlais de l’ouvrir... si tu l’fais, j’te laisse en récupérer un peu, ça t’va ? » Genre... dix pour cent, quelques trucs, pour au moins la remercier de m’avoir aidé à l’faire... parce que ce serait con qu’elle se barre et que j’réussisse jamais à l’ouvrir.

C’est qu’elle est marrante, Nina. Elle essaie de faire des p’tites blagues, j’crois... Parce que si elle croit réellement que j’aurais dû mettre une p’tite pancarte à la porte, elle est sacrément débile. Mais bon, je crois pas qu’elle l’est vraiment. Elle est bien fringuée, elle a l’air intelligente et pas vraiment bête... y a qu’les gens intelligents qui ont survécu tout ce temps de toute façon, nan ? Moi, j’fais que rouler des yeux à sa blague. Peut-être qu’elle est marrante, mais c’est pas avec ça qu’elle m’aura dans sa fanbase. J’ai connu des dessins-animés bien plus marrants qu’elle.

Son chien a été dressé, qu’elle me dit. Au Ring, à la protection. J’me dis que c’est peut-être l’un de ces chiens que les vigiles avaient parfois à l’entrée des magasins, avant. Les gros chiens genre rottweiler qui font peur, que t’oses pas caresser parce qu’ils ont bien souvent une muselière. Le sien a quand même l’air plus ‘’sympa’’... mais j’fais pas confiance aux chiens. Suffit qu’ils aiment pas que tu leur caresses les oreilles ou qu’tu fasses un pas de trop et hop, grand coup d’gueule sur le bras.
Elle m’a filé à manger, elle m’a aidé à remplir mon p’tit bidou comme j’ai pas été capable de le faire ces derniers temps. Depuis que j’ai quitté le camp, depuis que j’ai planté le genou d’Edgar. Forcément, c’est moins facile de trouver de la nourriture quand t’es seule, quand t’es aussi fine qu’une brindille et qu’tu peux pas atteindre les grandes étagères, là où le plus important se trouve parfois.

Ça me rassure presque quand elle m’avoue qu’elle a pas comme projet de me manger toute crue. C’est vrai que si j’peux rester un peu en vie, je vais pas cracher sur cette opportunité-là... « J’ai toujours voulu un lapin, moi... mais mes parents voulaient pas, alors j’ai réussi à négocier un hamster. » que j’lui raconte ma vie, rebondissant sur le fait qu’elle aime chasser le lapin. Si j’avais eu un lapin, peut-être que j’serais plus compliquée à convaincre quant à l’idée d’en manger, j’sais pas... D’la viande, c’est de la viande. Qu’est-ce qu’ils font les anciens vegans, pour survivre... ? Ils continuent de manger des graines ? J’me suis jamais posé la question, mais c’est vrai qu’c’est peut-être plus simple... ça, ça doit pas être compliqué à trouver.

Je la regarde, quand même dubitative. Elle m’offre d’aller vivre avec elle, mais c’est pas comme si j’ai besoin d’une nounou... j’en ai jamais eu besoin. « Hmm... ? » J’fais mine de réfléchir, je fronce les sourcils en passant la main par-dessous le menton. Veiller sur son chien et l’aider à trouver des trucs... ? C’est pas bien compliqué. C’est pas vraiment les conditions qui m’inquiètent, c’est surtout l’après. Qu’est-ce qui m’dit qu’elle va pas essayer d’me tuer dans mon sommeil, ou même m’abandonner sur le bord d’une route un beau jour d’été... hein ?

Je penche la tête en baillant, pas vraiment sûre de savoir quoi faire. J’ai toujours été indécise. « J’vais y réfléchir... et au pire, tu sais où j’habite. J’connais pas l’adresse mais tu t’en rappelleras, hein... ? » Non, parce que j’peux pas la suivre comme ça, moi. Faut que j’y pense un peu, que j’pèse le pour et le contre, même si j’suis pas sûre que ce sera bien compliqué...

On en vient finalement à parler du distributeur qui semblait elle-aussi l’intéresser à son arrivée. Un distributeur que j’ai essayé de péter quelques fois depuis que j’ai trouvé l’endroit mais qui s’est toujours avéré être plus fort que moi... J’y ai lancé tout un tas de trucs, pourtant... Mais rien n’y fait, j’ai pas la force pour. Nina propose de le faire... j’acquiesce en reculant, histoire d’éviter de me prendre le moindre bris de glace. Bon, j’suis peut-être prête à lui filer au moins la moitié.

Un diable dans les mains, elle le lance violemment contre la vitre... et ça a l’effet escompté. Le bruit qu’elle cause est énorme... mais la vitre se brise en mille morceaux, venant se mêler à toutes les friandises qui se sont écroulées sur le carrelage poussiéreux. Je m’approche du distributeur pour commencer à remplir mon sac, faisant à peine attention à ce que j’arrive à ramasser... je prends de tout, sans compter ni faire selon mes goûts. De petits paquets de chips, des paquets de bonbons... Je sais pas du tout si la moitié est comestible, mais ça reste mangeable. « Je sais, j’suis pas une gamine... » que je soupire, mes doigts se mêlent aux bouts de verres dans lesquels je suis agenouillée. Je remplis mon sac autant que possible et le ferme dès qu’il ne reste plus un seul paquet de nourriture à terre. Je glisse la fermeture éclair vers le haut et le reprend sur mes épaules.

« Quoi ? » que je lui demande, les yeux bien grands ouverts. Le bruit causé par l’impact, le verre qui s’est brisé... puis les grognements qu’on entend au loin. « T’as fait exprès pour que j’vienne avec toi, hein ? » Je lui reproche en secouant la tête... j’arrive pas à croire que j’me suis faite berner aussi facilement. « D’abord, tu t’pointes chez moi, puis tu m’menaces avec ton chien et ton flingue... et ensuite tu m’forces à t’suivre. » Un plan de folie, elle est super intelligente, la Nina !

Sa main tendue vers moi, je regarde la table de billard et mes quelques affaires qui sont posées juste à côté. Un vieux cahier de coloriages, un vieux sac à dos qui me servait d’oreiller... Putain, qu’elle est cruelle. « Tu m’saoules... » Et c’est dans un grand soupir que je prends sa main et qu’on gagne l’extérieur. Max est aux aguets.
Je dégaine directement mon pistolet de l’autre main, commence à tirer des billes à l’aveugle vers ces ombres, ces silhouettes qui commencent à s’approcher. Ça me fait bizarre de lui tenir la main... ça fait longtemps que j’ai pas fait ça, mais j’crois que ça me fait du bien... ? « On va où ?! » Nan parce qu’ils commencent à s’rapprocher, et j’vais pas pouvoir les contenir avec mon pistolet à billes... Je suis bête, mais pas suicidaire.