Voilà quelques jours que Teresa était partie de Fort Nisqually. Direction le nord, droit sur le No Man's Land. Enfin, le No Man's Land et ses alentours. Elle avait passé un moment à parlementer et négocier avec Kara, la responsable du troc, échangeant des denrées contre d'autres pour les membres du camp. Nourriture, alcool, essence.. Et puis quelques commandes spéciales, untel qui avait besoin de piles, untel qui cherchait du papier et des crayons. Et puis elle, la couturière, qui comme souvent cherchait quelques coupons de tissu pour créer ou raccommoder des fringues.

Puis, le temps que la belle blonde récupère tout ce qu'elle devait donner à la cubaine, cette dernière était allée à la Cage, cette ancienne piscine communale reconvertie en ring géant. Teresa s'était laissée prendre au jeu des paris, et souvent quand elle y allait, elle mettait en jeu quelques cigarettes roulées sur l'un ou l'autre des combattants.
Et surtout, il y avait Bill. Ça faisait depuis début septembre qu'elle le fréquentait, après une rencontre aussi fortuite qu'incongrue. Le dandy anglais et sa grandiloquente bonne humeur remettait du baume au cœur de celle qui avait perdu un peu trop, un peu trop vite. Déboire amoureux, suivi de la perte d'une amie et de son fils, le tout sur fond de tempête et pluies diluviennes. Elle en était venue à se demander ce qu'elle avait bien pu faire au bon dieu pour mériter ça.

Quoi qu'il en soit, après ces quelques jours passés entre le No Man's Land et son British Amant, elle retourna voir Kara pour récupérer ses biens. Une fois le tout empilé façon Tetris dans sa voiture, elle se remit en route pour Tacoma.
Du moins, ça c'était le plan. Parce qu'à peine passé quelques rues, sa voiture eut un sale soubresaut, forçant Teresa à s'arrêter en urgence. Sortant rapidement du véhicule, elle en fit le tour, pour arriver comme elle le craignait devant un pneu crevé. Joder de mierda..! Elle donna un coup de pied dans la roue, ce qui n'arrangea rien et lui fit mal aux orteils, avant de se pencher pour regarder les dégâts. Un long clou rouillé tombé d'on ne savait où avait jugé bon de s'y planter; s'attirant les foudres de la conductrice. Faut dire que la patience n'était pas sa principale vertue...

Bien entendu, elle avait une roue de secours. Et bien entendu elle était dans le coffre, sous toute la marchandise qu'elle y avait entassé. Même si elle n'était pas très loin du No Man's Land, elle n'était pas sereine d'être à l'arrêt avec tout ça dans les bras. Les survivants ne se faisaient pas de cadeau entre eux, et elle se sentait comme un gros steak bien saignant entourée d'une meute de loups.

Quand elle eut fini de tout débarrasser, essayant de cacher ce qu'elle pouvait comme elle le pouvait, elle attrapa le cric et la croix, pour entamer de déboulonner le pneu. Premier boulon... second boulon... troisième boulon.. C'est le quatrième qui lui posa problème. C'est qu'il refusait de tourner, cet enfoiré ! Il passa par tous les noms d'oiseaux possibles et imaginables, la brune retombant finalement à côté, les main couvertes de cambouis et le visage en sueur.
C'est le moment que choisit un homme pour avancer vers elle, d'un pas décidé. Sauveur musclé ou charognard mal intentionné ? Elle n'en savait rien mais elle se releva rapidement, main à la ceinture et prête à dégainer son couteau.

Il fallait se méfier autant des vivants que des morts. C'était une règle de survie essentielle. Une de celles qu'on apprend souvent à ses dépends, quand on est un peu trop naïf.
Bon en soit, Teresa n'avait pas à se plaindre à ce propos. Elle avait eu largement son lot de malheur, mais elle n'avait encore jamais eu trop de problème avec des humains vivants. Ceci étant, elle commençait à saturer doucement mais surement de se prendre toutes les merdes possibles sur le coin de la gueule depuis quelques temps. Comme beaucoup de survivants, elle avait perdu ses proches : Sa compagne, puis plus tard son fils d'une dizaine d'années. Et après une année où survivre avait été un coup de chance inouï vu son état de délabrement, elle avait été trouvée et remise sur pied par le doc de The Haven, Lisandro.

Mais depuis peu les choses tournaient mal à nouveau. La disparition de sa meilleure amie, la mort du fils de cette dernière, une tempête qui avait failli la noyer, et qui avait foutu le feu à l'écurie du campement. Ça commençait doucement mais surement à la gaver, et le coup du boulon grippé, c'était la cerise sur le gâteau à l'arsenic.

Teresa se redressa rapidement à l'approche de l'inconnu, priant silencieusement qu'il ne vienne pas par attrait pour sa marchandise. L'homme leva les mains en signe d'apaisement, proposant son aide à la cubaine. Celle-ci demeura silencieuse un instant, incertaine sur la marche à suivre. Soit elle l'envoyait chier, mais il risquait de mal le prendre et de devenir agressif. Ou alors elle acceptait son aide, au risque de se faire agresser... Mais avait-elle réellement le choix ? Elle était plantée là avec son pneu crevé, et ce mec avait l'air plus normal et sympathique que la grosse majorité des survivants du coin.

- Si... C'est ce foutu boulon qui est grippé. J'arrive pas à le faire tourner pour retirer la roue. La brune soupira bruyamment avant de reprendre : T'as vraiment l'intention d'm'aider, ou tu vas m'dégommer pour voler ma bagnole et tout ça ? Elle désigna ses affaires d'un geste de tête, toujours un peu trop crispée, sur la défensive.

Au final, sans trop savoir comment conclure, elle lâcha : J'm'appelle Teresa. C'quoi ton nom ?

Y'avait une logique imparable dans les mots de cet inconnu. Et en même temps, s'approcher en se disant amical, pour ensuite la bousiller d'un coup de couteau dans le dos, c'était pas un plan délirant et sans doute que d'autres s'y étaient fait prendre avant elle.

- C'est ça.. "Teresa", comme... Teresa, quoi. Tu peux aussi attendre que j'te tourne le dos pour m'faire le coup du lapin, mais mettons qu'on est trop proche du No Man's Land pour qu'un type s'y tente avec tout le passage qu'il y a ici. Elle avait lâché ça tant pour se rassurer que pour faire passer le message au bon samaritain. S'il tentait quoi que ce soit, il y aurait certainement quelqu'un pour le voir faire, de près ou de loin. Le calme était de mise au No Man's Land, les meurtres étaient mauvais pour les affaires.

Elle finit par étirer un sourire à la mention de sa "tête de noix", vrai qu'il était pas bien garni.
Une faveur se doit toujours d'être retournée.. Les bons comptes font les bons amis. Si t'arrives à m'débloquer cette putain de roue de mierda, je t'offre un verre. C'est bien le minimum que j'puisse faire.

Parce que devoir des comptes, même informels, ça menait toujours à avoir des emmerdes. C'était toujours dans ces cas-là que le type qui se retrouvait dans des embrouilles pas possibles venait demander un coup de main parce que "moi je t'ai dépanné la dernière fois !". Et en plus elle venait de troquer une bouteille d'alcool de patate. C'était fort en t'en arracher la gorge mais c'était efficace pour délier les langues -quand elles avaient fini de brûler-, et lier des relations.

Enchantée.. Jack. Dans un raclement de gorge, elle lâcha le manche de son couteau militaire, et tendit même la croix à l'inconnu, avant de lui laisser la place. Elle se posa sur le siège arrière de la voiture, la portière grande ouverte, et porta un petit bout de pain pita à sa bouche, grignotant en silence quelques instants avant de demander : Alors, t'habites dans le coin ou t'es de passage ?

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