Parait qu’on a changé d’année.

En vrai, j’ai perdu le compte des jours exacts depuis longtemps. Je sais pas comment font les autres. Je sais à peu près quel mois on est, même si j’ai parfois des doutes, mais faut pas m’en demander plus. Enfin bref, on est en 2021 donc. Cool.

… ouais on s’en fout en fait, ça changeait déjà rien à mon quotidien avant, enfin si, pour faire le décompte des jours – des années – qui me restaient avant de sortir de taule. Mais autant dire que là, ça a juste pas le moindre intérêt.

A part à faire la fête, comme ça a été le cas ici y a quelques semaines. La Cage et ses proprios ont mis le paquet ce soir-là et c’est pas de leur faute si j’ai passé une soirée de merde. Juste le karma qui est la dernière des connasses. Enfin, toujours est-il qu’on commence à tisser des liens avec ce groupe aussi et que Ruby va encore avoir du taff. Je jette un coup d’œil à la blondinette, déjà en train de discuter avec euh... putain c’est quoi son nom à celle-là déjà ? C’est la meuf qui vit avec les mercenaires. Le truc chelou vu que c’était un groupe de mecs avant et là… bref. C’est pas important. C’est Rachel ? Axel ? … je me rappelle plus. Bon, on va éviter de l’appeler en cas de besoin. Hem.

Du coup je me focalise sur Valérian, qui va probablement mener les négociations avec Bill et Thaïs. Un sacré personnage ce Bill. Pour Thaïs je saurais pas dire, je lui ai encore jamais vraiment causé. Ca fait déjà un petit moment qu’on est là et qu’on discute de trucs « bateaux », histoire de se mettre tous à l’aise. Sauf que je fonctionne pas trop comme ça de base, j’aurais plutôt tendance à aller droit au but. Enfin, au moins, j’ai droit à une bière. Ca, c’est carrément cool. J’écoute d’une oreille Bill qui a l’air de causer des grands projets qu’il a pour l’année à venir pour la Cage, songeant vaguement qu’un jour, faudrait que je vienne y faire un tour pour arrêter de me défouler contre les murs et mon sac de frappe. Mais les humains, c’est pas pareil, les conséquences sont pas les mêmes, quoi qu’on en dise. Au moins les murs, ça casse pas les couilles si c’est démoli.

Je bois une autre gorgée de bière avant de souffler, mon regard passant des uns aux autres. « Bon, à quel moment on entre dans le vif du sujet alors ? Je risque aussi d’être à court de bière en fait. Sinon, on a bientôt fini notre contrat précédent et notre spécialiste a visiblement hâte de s’y mettre. » J’ai un sourire alors que je désigne d’un mouvement du menton Ruby plus loin avant de hausser une épaule en direction de Valérian qui a potentiellement me reprocher mon manque de… diplomatie ? Tact ? Je saurais pas dire. Mais en vrai, j’ai été super patient déjà, non ? « Quoi, je dois dire s’il vous plait ? » En vrai, je suis plutôt détendu et de bonne humeur, même si ça papote un peu trop à mon goût. La bouteille que je tiens en main doit forcément aider, on va pas se mentir. Et puis, personne se met en danger, donc là, on est plutôt pas mal. Tant qu’on me demande pas de retourner fouiner dans les canalisations dégueu de leur logement, ça me va.

Les Gentle Bastards étaient en deuil. Ces derniers jours, ils avaient perdus trois de leurs membres. Yue et Warrington n'étaient pas revenus de leur chasse à la prime. Seule Katherine s'en était sortie indemne, traumatisée, mais sauve. Ses deux compagnons avaient été dépassé par le nombre de rôdeurs présents sur place et ils avaient tragiquement perdu la vie. Zola, elle, avait choisi de quitter les lieux. Thaïs était chamboulée. Elle appréciait beaucoup Yue qu'elle avait appris à connaitre grâce à leurs entraînements. Warrington était charmant lui aussi. Ils se taquinaient beaucoup et elle trouvait sa compagnie toujours très agréable. Les perdre lui faisait prendre conscience qu'elle s'était attachée aux personnes qui vivaient aussi. Elle n'avait pas pleuré car ce n'était pas son style. La survie, l'armée lui avaient appris à brider ses émotions, à les cacher et à surmonter toutes les épreuves que la vie pouvait mettre sur son chemin, mais elle se sentait impactée émotionnellement.

Thaïs avait tâché de faire face, la cage devait continuer de fonctionner même en l'absence de ses deux leadeurs. Si une était partie, le deuxième était enfermé dans son bureau depuis de longues journées. Bill semblait être le plus impacté par tous ces départ. Comment pourrait-il en être autrement ? Il avait rassemblé ces personnes autour de lui et fondé la cage. Tous l'avaient laissé digérer dans son bureau. La solitude ne pouvait que lui être bénéfique. "Tomber pour mieux se relever" était l'adage de Thaïs et ces temps-ci plus que jamais, elle était persuadée que le soleil finirait par revenir sur la faction. Aujourd'hui étaient lancées les négociations avec les Exilés pour l'installation de l’électricité. Il était indispensable que leur chef soit là pour les accueillir. Elle était allée le chercher et fut soulagée lorsqu'il se présenta à elle, prêt.

En silence, ils rejoignirent ceux qui les attendaient dans le hall. Thaïs resta silencieuse, se contentant de hocher la tête lorsque Bill proposa qu'elle leur fasse visiter leur bâtiment s'ils le souhaitaient. Ils se déplacèrent dans la salle commune encore toute décorée des festivités de Noël. La brune servit à Joaquin et à ceux qui le voulaient de la bière tandis que Valérian et Bill buvaient du vin. Ils discutèrent de leurs factions respectives, du temps pluvieux de Seattle et d'autres banalités qui donnaient à Thaïs de partir loin, très loin d'ici. Elle fit son job, discutant avec les autres, répondant avec le plus d'entrain qu'elle le pouvait mais ni Bill ni elle ne pouvaient cacher que le cœur n'était pas vraiment à la fête. Même l'alcool qu'elle n'était en train de boire avait un goût amer.

Joaquin finit par briser ce passionnant échange en demandant à rentrer dans le vif du sujet. Thaïs hocha la tête et s'empressa de lui répondre. "C'est super que vous puissiez vous y mettre rapidement. Est-ce que vous avez besoin que l'on se redise les termes de l'échange ?" La militaire jeta un regard à Bill, puis à Valérian. Peut-être y avait-il encore quelques petits points à mettre au clair. De son côté, elle sortit les plans de l'ORB et les étala sur la table, ce serait peut-être utile aux ingénieurs présents ici. "Vous allez travailler tous les 4 ?" demanda-t-elle en montrant de la tête Ruby, Valérian, Alex et Joaquin. "Vous aurez besoin de main d'oeuvre ? Personne ne sera contre mettre la main à la pâte si vous nous le demandez." Surtout si ça permettait d'avoir l'électricité encore plus rapidement.

Après être descendu de voiture, Valérian avait jeté un coup d’oeil intrigué à la façade de l’ORB. Exhibant des couleurs éclatantes, le bâtiment tranchait en effet avec la morosité ambiante de Seattle et paraissait presque anachronique dans un décor pareil. À l’instar de son propriétaire, Bill, dont l’allure et le comportement fantasques avaient de quoi surprendre. Valérian savait cependant qu’en dépit de son excentricité, le maître de la Cage était un homme à l’esprit affûté dont il ne fallait certainement pas sous-estimer l’intelligence. En témoignait d’ailleurs l'empire qu’il bâtissait peu à peu dans l’Industrial District.

Alex les rejoignit rapidement et Valérian lui rendit alors son signe de tête. « Bien sûr. Merci d’être venue. » lui dit-il avec un mince sourire au moment où Bill, encadré de Thaïs et d’un jeune homme que le grec n’avait jamais eu l’occasion de rencontrer, venait les accueillir à l’entrée de l’ORB. Comme à son habitude, le propriétaire de la Cage était vêtu de ses plus beaux atours et arborait une couronne qui lui donnait l’air d’un véritable seigneur.

« Monsieur Roth. » le salua Valérian avec un sourire en retournant son accolade à Bill. « La route s’est très bien passée, merci. » Il se tourna vers la jeune Expendable. « Voici Alex. Elle aidera notre ingénieure électrique, Ruby, au cours des travaux. »

Sur un signe de Bill, ils lui emboîtèrent le pas, ainsi qu’à ses partenaires, et pénétrèrent dans l'ancienne brasserie. Alors qu’ils progressaient en direction de la salle commune, le maître des lieux leur fit part de quelques anecdotes et Valérian l'écouta attentivement tout en contemplant avec beaucoup d'intérêt les lieux. Cet endroit était surprenant et reflétait en tout point l’extravagance mêlée d’élégance de Bill. Ils s’installèrent finalement dans une pièce où crépitaient des feux dans de grandes cheminées en pierre, projetant sur les murs des lueurs dansantes, rougeoyantes.  

Prenant place dans un confortable fauteuil, Valérian accepta avec plaisir le verre de vin que lui tendait Bill et en huma brièvement le parfum, après avoir fait valser sa robe dans son écrin de cristal. « Un vin de la côte de Nuits ? » Le grec sourit. « Le Vosne-Romanée 2014 a effectivement très bonne réputation. Ses notes sont dites complexes et sa bouche aussi soyeuse que puissante. Enfin… » Il eut un air coupable. « Navré, je ne vous apprends probablement rien. Figurez-vous que j’avais, il y a peu, en ma possession un Romanée-Conti de 1992. L’un des nôtres l’a cependant bu au goulot et trouvé... Particulièrement mauvais. » Le ton de sa voix était partagé entre l’amusement et le dépit.  

Après avoir passé quelques minutes à parler de la pluie et du beau temps, Valérian avisa d’un coup d’oeil Ruby qui discutait avec Alex, puis reporta son attention à Joaquin qui se mettait à bougonner, lassé de ces trivialités. « Très honnêtement, je suis surpris que tu aies tenu si longtemps sans râler. » lui souffla Valérian avec malice avant de se tourner vers Thaïs, l’air aimable. « Si je ne m’abuse, nous avions convenu d'une gratuité des consommations à la Cage en échange de l’installation de ces panneaux. Sommes-nous toujours d’accord à ce sujet ? » Il regarda les deux ingénieures. « Quant à l’organisation des travaux, elles sauront mieux vous renseigner que moi. Ces dames se chargeront aujourd’hui de dresser le bilan énergétique de cette installation, de sorte à déterminer le nombre de panneaux et le temps nécéssaires aux travaux. À ce sujet, vous aviez proposé de récupérer vous-mêmes les panneaux, si je ne me trompe pas ? »

Le grec ajouta enfin. « Quant à mettre la main à la pâte, j’imagine que les cerveaux de cette opération n’y verront pas d’inconvénient. (ses yeux se plissèrent d’un air espiègle.) À condition, bien sûr, que vous soyez prêts à travailler sans relâche jour et nuit et à être sévèrement brimés. J’ai déjà vu Ruby à l’oeuvre avec ses assistants. Elle est impitoyable. Un vrai tyran. »  

En vrai, je crois que j’ai commencé à décrocher quand ils ont commencé à parler de vin. Pas que ça me pose un problème, en vrai, je m’en fous. C’est ptet pour ça que j’ai décroché remarquez. Mais après, je suis surtout pas du genre à discuter pendant des heures de tout et de rien. Alors je laisse Valérian taper la causette vu que c’est son rayon et que, clairement, il kiffe. Au moins, je préfère le vin au whisky, c’est toujours ça de pris.

J’ai quand même un sourire amusé quand Valérian réagit à ma remarque. « T’as vu, je fais des efforts maintenant. » C’est bien qu’il s’en rende compte, j’aurais pu craquer avant mais je l’ai pas fait. C’est bien non ? Enfin bref, personne s’en offusque et c’est plutôt cool. J’écoute Valérian rappeler les termes de l’accord et j’ai un hochement de tête avant de reprendre, rebondissant sur le bilan énergétique. « On a besoin de connaitre exactement votre consommation, ce dont vous avez besoin. De ce que j’en vois, il faudra surement changer pas mal de prises après les soucis de flotte qu’on a eu en septembre et mettre des nouvelles ampoules pour de la basse consommation. La quantité de panneaux et le temps de travaux dépendra de ce que vous attendez. Si vous voulez juste un frigo et quelques ampoules, c’est pas la même que si vous comptez faire des soirées musiques avec un DJ tous les jours. Voyez l’idée ? »

Déjà, qu’ils trouvent eux-mêmes les panneaux ça nous fera gagner du temps et de l’énergie. A la question de Thaïs, j’ai un bref haussement d’épaules. « Je travaille pas à proprement parler sur l’électricité. Je m’occupe de ramener tout ce qui peut manquer, que ce soit des câbles, des prises, des ampoules. Et l’électro dont vous avez besoin. Si vous utilisez autre chose à ce niveau-là, mais aussi au niveau des rallonges et compagnie, on pourra pas vous garantir que le système tiendra. On sait ce qu’on va y brancher, mais si vous faites autre chose… l’entretien sera pas le même non plus. » Je parle d’un ton tranquille, regardant autour de moi avec une certaine curiosité. Le coin est plutôt grand, y aura de quoi faire. « On a déjà eu l’occasion de visiter pour les travaux de plomberie. Mais je suis sûr que Valérian serait curieux de voir le coin. Le bâtiment est cool. »

Je me fends d’un rire quand Valérian renchérit sur Ruby et ses assistants. « Tu sais que si elle t’a pas entendu, ce sera répété, déformé et amplifié hein… » J’ai un clin d’œil dans sa direction et je reprends en direction de Bill et Thaïs. « Plus y aura de monde pour transporter et installer globalement les panneaux, mieux ce sera. Après, ça restera plutôt technique, ce sera à notre ingénieure et à son assistante de faire le boulot. On aura plus qu’à regarder. » En vrai, non, je sais bien que si je me contente de rien foutre, je vais me faire pourrir surtout qu’il y a toujours un câble ou autre à récupérer. Mais pour les autres, ce sera plus tranquille ouais.