Mercredi 27 Janvier 2021 – Dans le loft de Caleb et Lily
Après une longue journée de travail.

Caleb était épuisé. Depuis plusieurs semaines, le bûcheron, responsable de scierie, passait ses journées à alterner entre l’atelier d’ébéniste – quand les commandes étaient trop grandes – la scierie et le chantier titanesque des barricades extérieures. Se levant tôt, rentrant tardivement, il n’assurait pas – selon lui – une présence suffisante pour Lily qui, depuis plusieurs jours, était dans tous ses états.

Bien-sûr, il n’oubliait point, jamais, que la jeune femme avait été victime des pires sévices et des pires atrocités, de la part d’un homme portant un masque. Il l’écoutait, s’épancher à l’envie ou au besoin, déversant ce flot traumatisant dans l’oreille attentive de Caleb qui faisait tout ce qui était en son pouvoir, pour pouvoir l’écouter, l’aider, et l’encourager à se relever et à se reconstruire. Si, au début, les deux tourtereaux étaient constamment attachés l’un contre l’autre, la reprise du travail obligea Caleb à s’éloigner jusque tard le soir. Un éloignement qu’il n’appréciait pas forcément, et qu’il tentait de contrebalancer en restant, de temps à autre, dans l’atelier du loft. Là, s’il travaillait toujours, il était au moins juste derrière la double porte séparant l’atelier du loft, et il n’était donc qu’à quelques foulées de Lily qui, si elle était là, et si elle en avait besoin, pouvait retrouver le bûcheron n’importe quand.

Mais Caleb n’avait, parfois, aucune explication quant aux changements d’humeurs de Lily. Ses nausées matinales, d’ailleurs, étaient sources d’inquiétudes. Avait-il des blessures internes plus grandes que ce que les médecins du dispensaire avaient réussis à voir ? Et l’humeur de Lily ? Pourquoi était-elle parfois si énervée, si virulente… Parfois même si vexante ? C’était à n’y rien comprendre.

Et puis, depuis deux jours, Lily était beaucoup dehors, occupée avec Trévor. C’était un bon ami de Lily, mais Caleb, lui, ne pouvait s’empêcher d’en ressentir une forme de jalousie. Les changements de Lily, et le fait qu’elle passe beaucoup de temps avec cet autre homme, étaient des circonstances quelque peu inquiétantes et Caleb, parfois, se demandait si Lily n’était pas en train de changer d’une manière… Radicale. Avait-il été un pansement ? Maintenant qu’elle n’était plus une biche effrayée, peut-être ne voulait-elle plus du vieux cerfs…

Lorsqu’il rentra au loft, Lily n’était pas là. Alors, il s’attela à se laver les mains, se laver un peu histoire de chasser la sueur de la journée, avant de se mettre derrière les fourneaux.

Caleb s’appliqua à préparer le repas pour le couple. Il était tard, et Lily ne devrait plus tarder. Enfin du moins l’espérait-il. Tel l’adolescent baignant dans le manque de confiance en lui, Caleb craignait que Lily ne se soit lassée de lui, après ses deux jours de torture, après tout ce qu’elle avait vécue… Après tout, n’était-il point son premier ? Et l’humain ne se lasse-t-il point une fois la primauté consommée ? Qui se souvient de son premier vêtement ? Qui se souvient de son tout premier cadeau ? Qui se souvient de son premier mot doux ? A force, on se lasse. C’est le cas de presque tout le monde. Presque.

Ce soir, au menu : de la viande blanche, quelques haricots verts et quelques brocolis, troqués au sein du camp. Le fait de pouvoir fabriquer des choses de ses propres mains, permettait à Caleb de régulièrement troquer des choses utiles – ou pour du plaisir telle un rocking-chair par exemple – contre des denrées, des aliments, de quoi diversifier les repas et même se faire plaisir à son tour. Nourrir un tel colosse demandait plusieurs grosses plâtrées par jour. Et Lily aussi mangeait beaucoup pour une femme : en tant que fermière, et chasseuse, elle consommait beaucoup d’énergie. Alors, le repas de ce soir devait être bon, sans être toutefois trop copieux. Trop manger le soir n’était jamais très bien venu.

Et la voici, qui revient enfin. Tout sourire, toute couverte de terre… Mais jamais moins belle qu’auparavant. Déposant ses affaires, Caleb accueillit son air malicieux et sa phrase tendancieuse par un sourire entendu, et une petite phrase joueuse, elle aussi.

- C’est ce que j’ai fait ma douce… Je crois qu’il n’y a plus d’eau chaude… Ce sera à moi de te réchauffer, après ça…

Bien-sûr qu’il restait de l’eau chaude, Caleb s’en était assuré. Recevant un baiser de sa dulcinée tâchée de terre, Caleb l’écouta à nouveau… Et se mit à ressentir une profonde angoisse. Elle devait lui dire quelque chose… Acquiesçant, Caleb reçut le baiser de Lily, et la vit disparaître dans la salle de bain.

Les minutes qui suivirent furent longues, très longues… Caleb ressassant cette phrase, repensant aux derniers jours, parfois difficiles, avec Lily aux humeurs changeantes… Voulait-elle revoir leur relation ? Reprendre son indépendance ou, pire… Se libérer de cette relation ?

Inquiet, le bûcheron mit la table, et lorsque le repas fut prêt, s’occupa de servir les deux assiettes et, entendant Lily qui devait avoir terminé, et qui devrait ressortir d’une seconde à l’autre, il plaça la vaisselle dans l’évier, commençant même à la faire… Pour éviter de trop penser.

L’eau froide coulant depuis le robinet jusque sur la main cornée de Caleb, à la peau épaissie par le labeur, venait être raclée par une petite brosse aux poils épais, que Caleb agitait frénétiquement. Encore et encore, Caleb, inquiet, soucieux, frottait les casseroles et poêles utilisées pour le repas du soir, alors que celles-ci étaient, à la longue, déjà bien propres. Mais c’était ça aussi, l’inquiétude. Faire quelque chose de répétitif, cela permettait de ne plus penser, ou plus trop du moins.

Le bûcheron sortit soudainement de ses réflexions lorsque Lily, toute proprette, toute belle, toute magnifique qu’elle pouvait l’être, sortit de la salle de bain. Complimentant le repas, elle arracha un sourire à moitié soulagé à l’ébéniste qui retrouvait là la douce Lily, toujours émerveillée par les attentions du gigantesque Canadien. Au moins n’était-elle pas encore habituée, et elle appréciait toujours les attentions du bûcheron qui faisait tout son possible pour sa dulcinée.

Et puis vint la suite… Elle voulait dire quelque chose avant de manger. Elle voulait que Caleb s’assoie à la table. Chose qu’il fait, bien évidemment. Mais son cœur semblait battre la chamade… Chaque battement semblait creuser un peu plus sa poitrine, comme le mineur creuse les profondeurs à la recherche d’un filon toujours plus loin de l’écorce terrestre. Ces battements, presque douloureux, provoquèrent quelques sueurs froides, électrisant l’échine du bûcheron au physique impressionnant.

Lily s’assoie à son tour. Ses mots glissèrent sur ses lèvres et trouvèrent les oreilles du bûcheron qui, dans un premier temps, sentait une énorme vague de soulagement. Elle présentait ses excuses, et s’était rendue compte de ses humeurs et comportements qui, d’une certaine manière, avaient été parfois très difficiles à supporter pour le bucheron surmené. Mais celui-ci ne lui en tenait pas rancune, bien au contraire. Il était même prêt à lui dire que tout ceci n’était pas grave, que rien n’avait d’importe pour lui, autre que le fait qu’elle soit là, avec lui, et qu’elle soit en bonne santé.

Et puis, dit-elle, il y avait une raison au fait qu’elle soit si présente avec Trevor… Une raison qui expliquerait pourquoi elle préférait passer du temps avec lui, plutôt qu’avec l’ébéniste.

« Je suis enceinte. »

Les yeux du bûcheron s’écarquillèrent, et son regard se perdit dans les yeux de la demoiselle. Qu’elle était belle… Qu’elle était magnifique… Le tourbillon des mots, des pensées, des sentiments et des réactions se perdait dans le caramel gourmand des iris de la dulcinée.

Son cœur manqua un battement, provoquant une douleur incroyable dans la poitrine de l’ébéniste. Puis, ce fut un second battement, qui arracha une légère inspiration au bûcheron, via un hoquet de surprise. Un troisième battement semble encore se dérober au cœur de Caleb, qui tenta de bredouiller quelque chose, mais qui n’y parvint point…. Sinon à faire ce mouvoir ses lèvres dans des tressautements non maîtrisés. « Tu… Tu…. T… »

Et enfin, le cœur repart. Provoquant une cuisante douleur, Caleb ne peut s’empêcher de porter sa main au niveau de son cœur, alors qu’un spasme musculaire le projeta en arrière, sur sa chaise. Il parvint à reprendre sa respiration, une profonde inspiration bruyante…

Et puis, il se leva. S’appuyant à l’épaisse table en bois, il se déplaça de sorte à rejoindre Lily qui, elle, demeurait assise et visiblement inquiète. Lorsqu’il arriva à sa hauteur, il lui prit les mains, et s’agenouilla, de sorte que son visage soit plus bas par rapport à celui de Lily. Agrippant les mains de la jeune femme, Caleb bredouillait encore et encore… Jusqu’à enfin réussir à décrocher quelques mots.

- Tu… Tu es… Tu es enceinte… Tu es enceinte… Mon dieu… Je… Je vais être… Papa ? Demanda-t-il en bredouillant, ses yeux se nimbant de larmes. Je vais être papa… Mon dieu… Je… Je t’aime… Je t’aime tellement.

Et puis il déposa un doux baiser sur les lèvres de Lily, tremblant comme une feuille, essayant de ni la heurter, ni lui faire du mal d’une quelconque manière que ce soit.

Tant d’émotions pour Caleb. Voilà quelques jours seulement que Lily avait prononcé les deux mots fatidiques, les deux mots les plus importants pour bon nombre de gens de ce monde, qui cherchent désespérément quelqu’un avec qui partager ces deux mots, quelqu’un pour les prononcer, quelqu’un pour les recevoir… « Je t’aime ». Deux mots qui firent le bonheur de Caleb, et ce, même lorsqu’il vit Lily dans ce lit d’hôpital, au cœur du dispensaire de fort Nisqually. Lily l’aimait, et lui, il l’aimait elle.

Alors savoir que là, en cet instant, Lily était enceinte… Ce fut à une explosion de sensations et de sentiments. La peur, la crainte, la stupeur, l’angoisse… Et puis le bonheur. Oui, il était de nouveau un homme, et il allait être père, pour la troisième fois de sa vie. Il allait avoir une famille, une nouvelle famille, en plus de celle qu’il avait trouvé ici, à fort Nisqually chez les Havens. La stupeur passée, Caleb avait cédé à la joie et à la félicité. Alors, il s’était agenouillé devant elle, sa femme, la mère de son futur enfant, et il avait annoncé son bonheur, et à quel point il l’aimait.

Et là, ce fut au tour de Lily de laisser libre court à ses émotions. Elle pleurait… Elle pleurait tant et tant que son corps s’animait et se secouait sous les soubresauts de ses sanglots. Mais point de tristesse, du moins, Caleb n’en ressentait point : Lily était heureuse. Elle était soulagée aussi de voir que Caleb était heureux de cette nouvelle, de voir qu’il s’était rapproché et qu’il avait dit tout cela. Les deux amoureux s’embrassèrent avec fougue et passion, sanglots et autres expressions de bonheur. « Oui, je suis le plus heureux des hommes ! » Dit-il, alors que Lily enchâssait le visage du bûcheron dans ses petites pognes.

Et puis ils se levèrent, et là, Lily fit une chose que Caleb adorait plus que tout, comme un rituel, comme une drogue : elle se lova dans les bras du bûcheron et posa son minois dans son cou, comme Caleb adorait. Car il adorait réellement ces instants. Lui, il enlaça sa dulcinée de son bras gauche, et de son bras droit, termina de l’enchâsser contre elle en plaçant la paume de sa main contrôle de côté de la tête de Lily, comme pour la protéger, pour la faire disparaître. Pour que rien ni personne ne puisse tenter quoi que ce soit contre elle, car le bûcheron, le géant Canadien, était là pour la protéger.

Lily dans ses bras, Caleb se mit à dodeliner de droite à gauche. En berceuse, une douce danse sans pas ni mouvements autres que ceux guidés par le cœur et les bras.

- Tu es la clé de mon bonheur, Lily… Je suis si heureux… Si heureux…

Et puis il baissa sa tête, et posa sa joue gauche sur le crâne de Lily, le parfum de ses cheveux l’enivrant comme une douce drogue dont il ne pourrait jamais se sevrer.