Elle tira sur la bride de Cochise pour le sortir de son box. Venant flatter son encolure, elle l'équipa l'instant d'après à la force de son seul bras. Parvenant à lui glisser la selle sur le dos, elle ajuste les étriers l'instant d'après avec difficulté. C'était toujours le cas de toute façon quand elle devait se débrouiller toute seule. Dans ce genre de moment, évidemment que son autre main lui manquait, mais qu'importait. Ca faisait trop longtemps maintenant et Andrea n'était plus du genre à râler ou à se plaindre du sujet. Elle avait fait son deuil, d'une certaine manière.

Soupirant, elle marmonna quelques mots pour elle-même, et sa monture hocha vigoureusement la tête alors qu'elle chassait quelques mouches qui virevoltaient autour de ses yeux. Il avait grand besoin d'une douche, à n'en pas douter. En tout cas, d'une toilette qu'elle comptait lui donner après la promenade qu'ils avaient de programmé ensemble.

Mais une présence attira son attention et si Andrea se tourna, ce fut pour baisser les yeux vers la silhouette de Zahra qui venait juste d'apparaitre dans son champ de vision. La petite lui adressa un sourire, et Andrea le lui rendit sans faire énormément d'effort pour ça :

Hey Zahra, la salua-t-elle en douceur.

Lorsqu'il s'agissait des enfants, Andrea était capable de mettre de la distance avec sa froideur ordinaire. Annabella avait révélé chez elle bien des qualités qu'elle ne se soupçonnait pas. D'autant plus maintenant qu'elle parvenait à s'identifier facilement comme mère, et qu'elle faisait tous pour sa petite fille. Finalement, les enfants des autres étaient par prolongation également des membres de sa famille, ils avaient besoin d'un monde pour les élever. Un village entier : comme Nisqually.

Qu'est-ce que tu fais ici ? Lui demanda-t-elle par curiosité. La gamine était également du genre aventureuse, d'autant plus maintenant que le camp s'était drastiquement élargi et qu'il y avait de l'espace pour partir en vadrouille. Tu veux venir faire un tour avec moi ? lui proposa-t-elle alors qu'elle attrapait le filet entre ses mains, celui-là même qu'Isaac lui avait construit pour qu'elle puisse monter sans problème. Je ne sors pas du campement mais Cochise a besoin de faire un tour pour se défouler un peu, expliqua-t-elle enfin.

Tu as déjà eu une matinée bien occupée à ce que je vois, ne put s'empêcher de sourire Andrea en pouffant doucement du nez.

Cette petite était une vraie merveille. D'une imagination débordante, peut-être était-ce le trait de tous les enfants, elle n'en était pas certaine. Certains étaient plus sensibles, d'autres plus timides. Il y avait différentes mentalités à dire vraie, suffisamment éloignées pour définir des caractères variées. Zahra cependant, était loin d'être comme tous les autres. Elle ne rentrait dans aucun moule, et sa bonne humeur naturelle était communicative.

Va chercher tes protections alors, souffla Andrea en lui désignant la bombe qu'elle devait mettre sur la tête. Quand la petite revint avec, la jeune femme ne manqua pas d'ajuster la sangle en l'aidant à la boucler : Il n'est pas trop serré, ça va ? S'inquiéta-t-elle.

C'était nécessaire. Elle ne voulait pas prendre de risques avec une enfant, surtout si la chute était envisageable. Evidemment, Andrea allait tout faire pour qu'il n'arrive rien, mais elle ne pouvait évidemment pas tout prévoir. Elle écouta cette dernière lui parler et en conservant son sourire tendre, hocha la tête :

Hm, c'est une bonne question, analysa-t-elle en réfléchissant sérieusement à ce qu'elle évoquait. Sans doute qu'il y avait de quoi débattre sur le sujet ! Les chevaux ont peur de beaucoup de choses, surtout de ce qu'ils ne connaissent pas à dire vrai. Donc j'imagine que s'ils n'ont jamais vu de chauve-souris, ils doivent sûrement les craindre, expliqua-t-elle.

Se redressant peu après, elle se positionna près de Cochise qu'elle avait sorti de son box pour l'attacher à une barrière. Il fallait d'abord que Zahra monte dessus, ensuite elle la rejoindrait. Mais ça demandait une certaine technique évidemment. D'abord, faire un appui pour la petite, ensuite la pousser pour qu'elle grimpe à la force de ses bras. Et s'installer derrière elle.

Il va falloir que tu m'aides à te monter, je ne peux pas te porter, expliqua Andrea à Zahra, en lui désignant son bras absent. J'irai derrière toi, d'accord ? souffla-t-elle. Tu n'as pas peur d'aller un peu vite à cheval ? Au trot par exemple ?

Tu as raison, je vais en mettre une aussi, souffla Andrea avec un sourire en coin alors que Zahra relevait le plus important. Elle s'écarta de quelques pas et enfonça sur sa tête la bombe en verifiant que cette dernière était bien à sa taille. Il fallait montrer l'exemple, n'est-ce pas ? Aussi se pencha-t-elle vers l'enfant : Tu m'aides à l'attacher ?

Voilà qui serait bien plus rapide. Aidant cette dernière à grimper sur la monture, elle teint Cochise immobile et la retrouva rapidement. Il fallut un petit mic-mac d'ailleurs pour la rejoindre, surtout que Zahra voulait l'aider à monter en lui tendant la main. Andrea fut obligée de lui passer l'extrêmité de sa prothèse pour lui donner l'illusion que ça fonctionnait, et se hissa seule à la force de ses jambes sur l'étrier et de son bras sur l'arrière train du cheval pour passer dessus. Une fois installée, elle poussa un bref soupir et remercia la gamine devant elle en passant ses pieds dans l'autre étrier.

En un rien de temps, Cochise l'écouta. Elle donna un bref coup de talons dans son flanc, doux. Ce dernier n'avait d'ailleurs pas besoin de plus pour écouter, il était d'un tempérament doux et patient, d'autant comme Anoki ou Picasso n'avaient pas la même facilité à obéir aux ordres, quand bien même Isaac tâchait de les canaliser. C'était tout un travail.

Tu as deux yeux pour te repérer, comme tous les humains, c'est normalement suffisant... expliqua Andrea sans parvenir à aller plus loin. Elle n'avait plus l'esprit enfantin, même si sa fille Annabella réveillait chez elle des instincts plus profonds et des souvenirs qui lui revenaient en tête. Avisant Zahra un instant, un bref rire lui échappa : Je ne suis pas sûre, admit-elle. J'ai des peurs comme beaucoup d'adultes, de ne pas être à la hauteur de mes proches, ou de les perdre, mais d'autres animaux, non. Ils sont comme ils sont, il n'y avait donc pas de raisons de les craindre. Et toi alors ? Il y a des choses qui te font peur ?

Elle était curieuse. Voir ce qu'une enfant à l'imagination fertile pouvait vraiment craindre du monde.

Tu veux tenir les brides ? Proposa-t-elle. Le dispositif était conçu pour elle, et évidemment pour les personnes avec son handicap. Et l'école se passe bien ? Shawna est gentille avec toi ? Demanda-t-elle avec un sourire en coin, alors qu'elle pressa un instant Cochise pour qu'il parte en petit trot : Et surtout, tu es gentille avec elle ?

Le tempérament premier degré de Zahra lui arracha malgré elle un rire de circonstances. D'autant plus devant ses explications. Effectivement, Andrea n'était pas encore habitué à ce genre de réponses énergiques. Elle ne réalisait pas à quel point les enfants pouvaient être curieux. Sa fille ne parlait pas encore, tout du moins, elle n'articulait pas des phrases entières, seulement quelques mots laborieusement enchainés, répétitifs aussi. Mais d'ici quelques années, elle aurait avec de longues conversations sur le sens de la vie, qu'elle devrait lui expliquer avec des termes d'enfants pour qu'elle comprenne... Zahra était sans doute un bon entrainement.

Disons que j'ai peur de ne pas être assez bien pour les autres, tu comprends ? S'inquiéta-t-elle immédiatement. D'être parfois trop méchante avec eux, ou trop exigeante et que ça nous empêche d'être amis.

C'était des peurs d'adultes cependant, quoi qu'elle pouvait imaginer que Zahra serait assez sensible pour comprendre ce qu'elle voulait dire. N'était-ce pas humain de la part d'enfants de craindre de ne pas être accepté ? De ne pas être à sa place ? De ne pas réussir à se lier avec d'autres enfants, ou de ne pas coller à l'idée qu'on se fait des cases qui peuvent nous tolérer. Andrea avait rapidement compris qu'il n'y avait pas de case pour elle dans ce monde, et en avait souffert. Ce ne fut que plus tard qu'elle avait saisi l'idée qu'il n'y avait de case pour personne. Parce que coller à un idéal, ce n'était pas être heureux. Et cette poursuite du bonheur restait une finalité en soi que peu de gens comprenaient. Correspondre aux attentes irréalisables des autres, ce n'était pas ça, le bonheur.

C'est très bien d'être impliqué comme tu le fais, Shawna doit être très contente de toi, souffla Andrea en posant sa main sur l'épaule de Zahra, qui elle, tenait fermement les rennes. Tu dois rester curieuse et fatigante comme tu le dis, c'est ce qui fait ton tempérament et les gens doivent t'aimer pour ce que tu es, conseilla-t-elle enfin.

C'était en tout cas ce qu'elle aurait aimé entendre à son âge pour continuer à être cette enfant innocente.

Tu t'en sors très bien, assura-t-elle d'ailleurs alors que Cochise avançait au rythme encourageait par l'enfant.