« Je peux aller lui rendre visite, lui donner un coup de main, voir si tout se passe bien ... » dit-elle en haussant les épaules d'un air innocent. A vrai dire, elle voulait en savoir plus, en savoir plus sur cet Ailleurs. Comment était-ce ailleurs ? Etait-ci si parfait ici ? Depuis les dernières révoltes, elle n'était plus aussi certaine que ce soit le meilleur endroit. Elle semblait curieuse. On acquiesça et elle prit la direction du 5ème district pour se rendre dans la maison qui était désormais celle d'Emerson et de ses enfants. Bonnet enfoncé sur sa tête, le col de son manteau relevé, elle avait les mains plongées dans les poches de son manteau tout en accélérant le pas. C'est le pas traînant qu'elle prenait la direction de chez Emerson. Une nouvelle venue. Et comme toutes les nouvelles venues, elle avait pas mal de tests à passer.Une fois devant la porte de la maison, elle sortit une main de sa poche pour frapper plusieurs fois. Politesse. Elle était bien élevée, des restes d'une éducation passée sans doute. Elle replongea aussitôt sa main dans la poche de son manteau tout en se dandinant de droite à gauche contre le froid.

La porte s'ouvrit et la silhouette d'Emerson apparut dans le cadre de la porte. Elle releva doucement son bonnet comme pour mieux faire voir son regard noisette. Un sourire radieux accroché à ses lèvres, elle essayait de ne pas être aussi distante que les autres. Elle connaissait leurs regards. « Hi. Eliza. On m'a envoyé pour s'assurer que tu aies tout ce dont tu as besoin et surtout pour te donner un petit coup de main avec les petits. » avait-elle dit d'une traite avant d'ajouter : « Est-ce que je peux rentrer ? ... » Elle désigna d'un signe de tête l'entrée de la maison. Cela était sans doute une nouvelle habitude qu'elle avait gagné à New Eden. Rien n'appartient aux femmes. Rien ne leur appartient. Alors Emerson, en tant que femme seule, ne pouvait que lui ouvrir sa porte … à elle … venant simplement lui offrir un petit coup de main. On lui donnerait de toute manière le bon dieu sans confession à Eliza Phillips.

Grace chouinait encore pour son biberon et Emerson poussa un long soupir. D'un bref mot adressé à sa fille qu'elle n'eut pas le temps de terminer, qu'on frappait déjà à la porte. Il y en avait dans tous les sens, c'était terrible ! Entre sa nouvelle née qui n'en finissait plus de réclamer son attention et Sean qui avait besoin qu'elle le surveille constamment, Emy n'avait plus une minute à elle depuis qu'elle était ici. D'autant que la formation touchait bientôt à sa fin - encore un mois de ces idioties et ça serait plié. Elle demanda deux minutes à sa fille avant de se redresser, approchant d'un pas rapide de la porte qu'elle ouvrit...

Sur la silhouette d'une jeune femme à la peau hâlée qui lui adressa immédiatement un sourire :

Bonjour ? Fit-elle avec hésitation en la scrutant, venant froncer les sourcils sur le coup. Le comité d'accueil mais un peu en retard ! Emy ne put s'empêcher de lui rendre son sourire de fait et quand elle comprit les raisons de sa présence, ne manqua pas d'en tenir compte : Oh bien sûr, ne reste pas dehors, entre vite ! Ajouta-t-elle en l'encourageant d'un signe de la main.

Elle ne connaissait pas encore tout le monde ici, elle n'arrivait pas tout à fait à s'orienter non plus, elle commençait tout juste à comprendre comment les choses se déroulaient. Le tableau n'était pas tout beau de ce qu'elle en voyait, et il y avait même pas mal à redire mais pour l'instant, Emerson était satisfaite d'être en vie avec ses amis.

Tu n'as pas trop froid ? Je viens juste de relancer la cheminée, tu peux te mettre devant si tu veux, fit-elle en lui désignant l'endroit, le fauteuil le plus proche du foyer : J'allais me lancer un thé et réchauffer le biberon de Sean mais avec Grace sur les bras, je suis totalement débordée et mon mari est occupé à la caserne alors... Elle se tut un instant, Sean minauda dans son parc alors que sa petite sœur se tortillait dans son siège bébé. Désolée, je parle, je parle...

Elle n'avait plus pour habitude de recevoir, en fait !

Eliza, tu disais ? C'est gentil de venir m'aider, je dois bien admettre que tu tombes au bon moment, ajouta-t-elle alors avec un sourire reconnaissant.

« Bonjour ? Oh bien sûr, ne reste pas dehors, entre vite ! » Soupir de soulagement discret alors qu'elle enjambe le pas de la porte pour finalement se mettre au chaud. Un regard circulaire dans les lieux, juste par mesure de sécurité. «Merci. » souffla-t-elle en ouvrant son manteau aussitôt.

« Tu n'as pas trop froid ? Je viens juste de relancer la cheminée, tu peux te mettre devant si tu veux. » Son regard suivit le geste de la main de la jeune femme et atterrit sur un fauteuil près d'un feu de cheminée. Son sourire s'élargit. « J'allais me lancer un thé et réchauffer le biberon de Sean mais avec Grace sur les bras, je suis totalement débordée et mon mari est occupé à la caserne alors... » Eliza était bousculée par ce flot de paroles mais elle n'en perdait pas pour autant son sourire. C'était, selon elle, humain et naturel. Elle le connaissait ce besoin de parler, de tout lâcher en moins de quelques secondes. « Désolée, je parle, je parle... Eliza, tu disais ? C'est gentil de venir m'aider, je dois bien admettre que tu tombes au bon moment. »

Un sourire radieux et elle se débarrassa de son manteau, de son bonnet et de son écharpe tout écoutant les paroles de la mère de famille. Elle balança le tout sur une chaise avant de se tourner vers la jeune femme, les mains posées sur les hanches. « Eliza, oui. Dis-moi ce que je dois faire et je le fais. Aucun souci. Je me débrouille plutôt pas mal avec les enfants. » Sourire rassurant. « Je peux m'occuper de ta princesse pendant que tu t'occupes du thé et de --- Sean, c'est ça? » dit-elle de cette voix enthousiaste.

Ce fut un soupir de soulagement qui échappa à Emerson l'espace d'une seconde. Des bras supplémentaires sur cet instant précisément, c'était une véritable aubaine ! Que pouvait-elle espérer de mieux, en fait ?

Super, fit-elle alors avec un sourire en se tournant vers Sean : Merci beaucoup, rajouta-t-elle.

En un rien de temps, Emerson s'empara de son fils qui passa ses petits bras autour de son cou pour se tenir à elle. Enfin, il obtenait l'attention qu'il désirait. Soupirant doucement, elle embrassa sa tempe avant de se diriger d'un pas décidé vers la cuisine où elle eut enfin l'occasion de lancer le biberon de son fils et l'eau sur le feu. Alors que tout était en place, elle put revenir vers son invité :

Quel âge as-tu ? Demanda-t-elle soudainement avec une véritable curiosité dans la voix. Eliza semblait jeune, la peau encore lisse, les joues bombées. Vingt ans, maximum, non ? Tenta-t-elle alors, essayant de déduire si elle se trompait ou non.

Mais Emerson était plutôt douée à ce petit jeu, il fallait dire qu'elle avait eu le temps dans sa vie de faire attention à ces détails. Elle s'y connaissait. Esquissant un sourire de circonstances, elle prépara deux mugs qu'elle posa sur la table, et un sachet de thé qu'il glissa dans la bouilloire. Pas de sucre, mais une touche de crème cependant que son mari avait ramené la dernière fois.

Tu es ici depuis longtemps ? Je veux dire, à New Eden ? S'enquit-elle pour faire la conversation : Tu t'y plais ? Demanda-t-elle alors. C'est quasiment un endroit normal en comparatif à l'extérieur, je me demandais comment se faisait l'adaptation en fait... J'ai une autre fille, Kaycee, elle a dix-neuf ans et... J'hésite à lui dire de venir, je ne suis pas sûre qu'elle sache se faire à cet endroit, admit-elle dans son explication.

Tout ça pouvait ressembler à un interrogatoire, mais Emerson était encore partagée. Avec Kendale, ils en discutaient : est-ce que ça valait le coup de demander à leur ainée de faire la route jusqu'ici, ou devait-elle rester dehors ? Pouvait-elle trouver sa place dans cette communauté ou était-ce impossible ?

Tu as de la famille avec toi ? S'enquit-elle ensuite, alors que le lait chauffait dans le biberon et qu'elle le retira pour vérifier qu'il n'était pas bouillant.

« Super.Merci beaucoup. »

Eliza la regarda alors s'emparer de son fils, Sean pour disparaître dans la cuisine. Et le regard de l'adolescente se posa alors sur Grace. Un voile de tristesse se posa alors dans ses prunelles ambrées. Une petite fille. Marquée à jamais par un sort qu'elle ne contrôlerait jamais. Elle tenta un sourire avant de s'approcher du petit bout qui se tortillait. Elle la prit dans ses bras et déposa un baiser presque instinctif sur son front. Pauvre petit bout, se dit-elle. A cet instant, elle se demandait ce que ce petit bout deviendrait, ce qu'il se passerait quand Grace aurait elle-aussi dix neuf ans. Est-ce qu'elle aurait la même vie qu'elle ? Est-ce qu'elle aurait des amis ? Est-ce qu'elle, elle serait encore en vie ? Foutues questions qu'on ne devrait pas se poser à dix neuf ans. Emerson réapparut, chassant par sa présences ces pensées néfastes de son esprit. « Quel âge as-tu ? Vingt ans, maximum, non ? » Eliza releva la tête pour poser son regard amusé vers la mère de famille. Elle acquiesça d'un signe de tête. « Dix neuf, j'ai eu dix-neuf ans. » Elle avait soudain envie de se justifier, d'expliquer pourquoi elle avait dix-neuf ans et n'était toujours pas mariée. Cela lui brûlait les lèvres mais elle se tut, se contentant de sourire poliment.

« Tu es ici depuis longtemps ? Je veux dire, à New Eden ? Tu t'y plais ? C'est quasiment un endroit normal en comparatif à l'extérieur, je me demandais comment se faisait l'adaptation en fait... J'ai une autre fille, Kaycee, elle a dix-neuf ans et... J'hésite à lui dire de venir, je ne suis pas sûre qu'elle sache se faire à cet endroit. » Eliza fronça les sourcils avant de déglutir difficilement. « Tu as de la famille avec toi ? » Sourire poli, faux sourire de politesse qu'on apprend rapidement à afficher à New Eden. Assise dans le fauteuil avec Grace dans les bras, elle souriait. « Mon oncle. » dit-elle tout d'abord, timide et pudique. « Je suis arrivée ici avec mon père et mon oncle ... » Cela signifiait que le père était mort. Anecdote courante. « J'crois que ça va faire quatre ou cinq ans. » Elle hocha la tête. « Quelque chose comme ça, oui. » Son regard se posa sur le visage angélique de sa file. « J'connais pas grand chose hormis New Eden …. » Elle hésitait. « Je ne sais pas si ta fille serait plus en sécurité ici ou dehors. » Elle avouait à demi-mots, incertaine. Elle releva la tête vers Emerson. « La vie à New Eden possède pas mal de règles. Des règles essentielles certes … mais il n'est pas toujours évident de s'y adapter … Un choix pour la Vie. » Nouveau sourire même si le ton de sa voix sonnait comme celui d'une vieillarde désabusée, brisée, blasée.

Ton oncle ? Reprit-elle doucement, se saisissant du biberon qu'elle donna à son fils. Du haut de ses un an, il n'eut aucun mal à comprendre quoi en faire. Tenant l'objet du bout des mains, il l'enfourna dans un soupir satisfait de pouvoir manger. L'eau a côté était en train de bouillir et Emerson s'occupa de retirer la casserole du feu. Qui est-il ? S'enquit-elle avec curiosité.

Elle n'avait encore que très peu de connaissances ici. Luisa, Kerwan, Min-Oh... Voilà qui faisait le tour. Eliza maintenant, qu'elle pouvait compter dans sa liste de noms. C'était déjà bien, se rassura-t-elle comme elle put en pinçant les lèvres. Forcément, s'intégrer dans une communauté comme celle-ci après tout ce temps, ça avait de quoi être perturbant et compliqué. Kendale avait au moins la chance de pouvoir travailler pour de bon, et donc de voir d'autres personnes. Il y avait ce jeune, d'ailleurs, Cooper, qui donnait l'impression d'être sympa.

Oh, ton père... Ce fut à cet instant qu'elle calcula. Si Eliza disait qu'il ne lui restait que son oncle, alors son père devait être mort. Pinçant les lèvres, elle reprit rapidement : Je suis désolée, articula-t-elle avec un air peiné.

Sean manqua de faire tomber son biberon, mais Emerson l'empêcha de faire. Elle lui adressa un sourire qu'il lui rendit immédiatement, et dans la foulée la blonde ramena deux mugs et servit Eliza d'un thé bien chaud, qui finirait de la mettre à l'aise. L'écoutant d'une oreille attentive, Emy se rendit compte qu'il y avait comme un double discours dans ses propos. Une lourdeur dans le système qui semblait déranger la jeune femme, la paralyser.

Je vois, fit-elle alors doucement. Elle est trop indépendante je pense pour se faire à cette vie, mais j'ai peur que ça signifie ne plus pouvoir la voir à force... Elle soupira. Il fallait se faire une raison : On savait qu'en venant, ça serait forcément plus compliqué de la croiser, notamment à cause de la distance qui nous sépare, elle est assez grande pour se débrouiller et faire ses choix, c'est juste... J'aurais aimé ne pas avoir à rompre totalement avec elle pour qu'elle ait sa liberté, articula-t-elle.

« Ton oncle ? Qui est-il ? » Et du tac au tac, sans prendre la peine de réfléchir, elle répondit : « Armand. Armand Phillips. Elle n’avait pas à être mal à l’aise. Armand était quelqu’un de bien. Il était sa famille, son tout. Il était son bouclier, son sauveur, celui qui veillait sur elle. Depuis … toujours.

« Oh, ton père … Je suis désolée. » Eliza releva la tête pour planter ses prunelles noisettes sur cette nouvelle venue. Désolée. Si seulement elle avait connu son père. Si seulement elle savait. Eliza avait pleuré. Moins longtemps que pour sa mère. Moins longtemps que pour sa sœur. Et en réalité, elle s’était surprise à être soulagée. Soulagée de ne pas être envoyée plus tôt dans les bras de celui qui voulait faire d’elle sa femme, sa pondeuse. C’était fou comme le chagrin avait été teinté de soulagement ; elle en avait été malade. « Merci. » souffla-t-elle simplement avant de poursuivre « J’crois qu’on en est au point où nous avons tous perdus des êtres chers, non ? Alors, pas de souci. » Un sourire qui se voulait chaleureux. Il ne fallait pas qu’Emerson se sente mal à l’aise avec ce faux pas. C’était un faux pas qui ne pouvait que se reproduire. Aujourd’hui, la Mort était partout. Elle devenait une amie. Eliza ne connaissait plus ce que signifiait le deuil. Les amis, ils disparaissaient aussi vite que les liens se créaient.

« Je vois. Elle est trop indépendante je pense pour se faire à cette vie, mais j'ai peur que ça signifie ne plus pouvoir la voir à force... On savait qu'en venant, ça serait forcément plus compliqué de la croiser, notamment à cause de la distance qui nous sépare, elle est assez grande pour se débrouiller et faire ses choix, c'est juste... J'aurais aimé ne pas avoir à rompre totalement avec elle pour qu'elle ait sa liberté » Eliza écoutait avec attention Emerson, et la compassion… foutu sentiment qui lui fit afficher un air triste. Le comité d’accueil aurait sans doute trouvé d’autres mots, des louanges pour les lieux … lui aurait dit combien elle était ici en sécurité, que sa fille devrait venir elle-aussi … mais au lieu de cela, elle se mordillait l’intérieur de la joue. « Je suis désolée… » Légère grimace. « Vous venez d’où au fait ? »