Il sembla soulagé que la cubaine ne veuille pas se répandre en lamentations auprès de lui, quoiqu'un peu vexé par sa façon de le dire. La franchise et le rentre-dedans de la brune n'étaient pas nouveau et n'étaient surtout pas prêts de changer malgré toutes les merdes qui lui tombaient sur la gueule. Finalement, elle était un peu comme la mauvaise herbe. Quoi qu'il arrive, elle était la ronce qui repoussait entre les interstices de bétons et les débris d'une vie éparpillée.

- c'est donc ça ton secret.. en avoir rien à foutre. J'ai jamais réussi à faire, ça. Elle lui lança un regard en coin. S'il s'en foutait, est-ce qu'il serait là ? Pas sur, mais c'était sa carapace, sa défense. Un gamin sous une épaisse couche de jemenfoutisme qui le protégeait du reste du monde. C'est du moins comme ça qu'elle le voyait.

Elle sourit en coin quand il se défendit de ne pas être franc, et poussa la taquinerie en répondant à mi-voix : T'as oublié la rose pour faire bien, Ash'.. Puis plus sérieusement : Y'a quand même quelques personnes avec lesquelles tu t'entends, non ? J'veux dire.. que t'apprécies de voir pour le plaisir de les voir ? La solitude était la pire des situations pour elle. N'avoir personne sur qui compter, personne avec qui discuter ou s'amuser. La couturière avait toujours été sociable.. A l'opposé d'Elrik et de son frère, manifestement. Comment elle et le vikings avaient-ils pu se supporter aussi longtemps, c'était un mystère.

Ashton fit les gros yeux quand elle l'invita à se réfugier chez elle si on lui voulait du mal, ce à quoi elle répondit d'un haussement d'épaules. La proposition était lancée, il en ferait ce qu'il voulait.
- Il était incapable de rester derrière des murs, oui.. Mais il aurait pas accepté que tu l'accompagnes, il voulait te protéger. C'pas pour rien qu'il m'a demandé de veiller sur toi, même si de toi à moi, c'est une sacrée blague. Elle lui sourit en coin. Un sourire complice ? ça y ressemblait bien.
Un sourire qui se mua en bref rire à ses mots. Tu peux parler de ce que tu ressens sans que c'soit du pleurnichage, t'es au courant ? ça s'appelle... discuter.

Elle s'étira doucement, reposant une main sur son ventre arrondi. Rassure-toi, il a pas parlé de bisou magique. Par contre je promets rien pour les calins inopinés. En plus avec les hormones de grossesse, je réponds plus de rien..! Jouant des sourcils pour appuyer sa dérisoire menace, elle finit par rire à nouveau avant de reprendre son sérieux dans un petit soupir.

- Il me manque aussi, t'sais. Au-delà de tout sentiment, ma vie était.. structurée, avec lui. Là j'suis en roue libre. Elle brassa l'air devant elle et revint au jeunot. T'as vraiment aucun projet ? J'veux dire, rien qui t'donne un peu envie de t'impliquer ou d'te bouger dans tout ce qu'on peut faire au Fort ou en dehors ?
Tu faisais quoi, avant l'invasion ?

C'tait pas un s'cret, c'tait une botte secrète, voilà c'qu'c'était qu'd's'en foutre pour moi, y avait rien d'glorieux, rien d'incroyable mais c'tait le seul moyen d'se protéger parfois surtout quand il s'agissait d'problèmes. Moi, j'en avais souvent d'problèmes, alors c'tait sûr'ment pas les mêmes que Old El Paso, parce qu'elle, elle était adulte, et pas moi, mais j'en avais quand même assez pour pouvoir en lister quelques uns pour êt'franc. Mais tout ça, c'tait quelqu'part enfouis sous moi, quelqu'part où j'foutais jamais les pieds parce qu'ça m'foutait l'cafard rien qu'd'y pointer l'bout d'un orteil, c'tait comme si on te proposait un bain d'glaçons, bah crois moi, tu l'refuses toujours l'bain en question surtout si l'résultat c'que tu sors avec une pneumonie qu'même la mort ça lui chauff'rait l'cul. Enfin, moi, j'y connaissais sans doute rien à ses problèmes et j'serais sans doute pas capable d'l'aider dans tous les cas alors ça valait mieux d'pas s'en occuper, ça la protégeait elle d'd'voir en parler, et sans doute moi d'me croire avoir un quelconque d'voir envers quelqu'un.

"Sans doute." C'tait la seule chose qu'j'pouvais dire quand elle fit l'effort d'poser l'état d'fait qu'y avait sans doute des gens qu'j'appréciais voir, c'tait sans doute l'cas mais j'm'en rappelais plus tant qu'ça. J'posais mon r'gard ailleurs un instant, parce qu'j'sentais qu'elle essayait p'têt d'avoir un semblant de réponse tolérable mais j'voulais pas lui en donner parce qu'en somme, même si les gens savaient êt'sympas avec moi, y avait personne qui m'donnait vraiment l'impression d'compter, d'être aimé autant qu'mon frangin pouvait m'donner cette impression, pour moi c'tait juste des gens qui passaient comme tous les autres.. comme tout ceux qu'j'avais vu avant ça.

J'me renfrogne un peu plus quand elle essaye d'm'expliquer qu'mon frangin voulait m'protéger et aurait r'fusé qu'j'vienne avec lui, elle a sûr'ment raison mais j'suis pas un enfant, j'aurais voulu l'suivre, j'aurais pu l'suivre pour l'aider, j'pense qu'c'est c'qu'elle a loupé.. p'têt c'qu'j'ai loupé aussi. Son rire m'réchauffe un peu l'cœur, d'habitude j'me fiche qu'les gens rient.. sauf quand ils sont tristes.. mais là ça m'fait du bien, j'crois qu'j'ai b'soin d'entendre quelqu'un rire, d'entendre quelqu'un qui pourrait s'morfondre, s'faire un peu d'bien au moral. Sûr'ment quelque part là-d'ssous j'tais encore un peu humain.

Pis elle m'fait peur avec ses câlins, j'la regarde un peu moins content : "Il en est hors de question, Teresa." J'veux pas qu'on m'voit dans c'te situation, c'pas ma mère quand même.. bon, on pourrait l'croire quand on a des discussions comme ça mais j'le jure.. "D'habitude on s'balance des insultes, j'trouve ça vachement mieux et moins flippant.." J'fais la moue encore une fois tandis qu'elle s'met à s'toucher l'bidon et qu'j'la dévisage, c'vrai qu'elle r'ssemble à un bibendum maintenant, c'sera marrant quand elle aura un enfant et qu'elle sera débordée, j'aurais hâte d'me foutre d'sa gueule pour êt'honnête.

"J'ai rien à faire, j'm'occupe d'temps en temps d'la mécanique pour dépanner et j'fais c'qu'on m'donne à faire mais c'tout." J'pose mes yeux une nouvelle fois sur les siens, paisiblement. "J'ai pas b'soin d'faire grand chose d'plus et j'crois pas qu'on voudrait qu'j'fasse quelque chose d'aut'pour être franc. J'm'occupe en m'promenant d'temps en temps, s'tu savais l'nombre d'blaireaux qu'on rencontre dans la forêt en faisant un peu gaffe et j'parle même pas d'l'animal." Dire qu'ces types étaient pour la majorité des gens d'chez nous c'tait quand même quelque chose d'particullier, j'veux dire c'tait la preuve qu'on avait pas qu'des foudres de guerres dans l'coin, voir même qu'c'tait relativement le contraire, on avait beaucoup d'débiles à la ronde. "Le bébé est pour quand ?" J'lui dis ça du bout des lèvres, j'aime pas trop avoir à m'intéresser à l'p'tite vie des gens.

"Sans doute". C'est tout ce que ce petit con fut capable de répondre à la cubaine quand elle tenta de le faire parler des gens qu'il appréciait. C'était pas évident de faire la conversation à un mur. Quand bien même c'était le mur qui était venu à sa rencontre. La brune passa machinalement sa langue sur ses lèvres en regardant par la petite fenêtre du camping-car, pianotant sur le bord de la table. Y'a genre... vraiment personne que t'apprécies un peu ?
Elle savait pas exactement pourquoi elle insistait. Ou peut-être que cette solitude, voulue ou non, l'attristait pour Ashton. Même lui ne méritait pas ça.

La conversation se poursuivant, il lui fit les gros yeux quand elle le menaça de câlins, accentuant le rire de la couturière. Si elle avait lancé ça en l'air pour l'emmerder un peu, ça fonctionnait mieux qu'elle ne l'avait escompté. Tendant le bras à travers la table, elle lui tapota à peine le poignet en secouant la tête : C'est pas tant différent de d'habitude : je te fais hurler de mécontentement. La seule différence c'est ce que c'est en te balançant des gentillesses et pas des menaces ou en te frappant. Elle soupira exagérément avant d'en rajouter une couche : Puis je t'ai dit, c'est pas ma faute, c'est les hormones de grossesse.. Je me sens pas d'humeur à te coller un coup de genoux entre les cuisses en ce moment. Puis ça m'fait plaisir que tu sois venu discuter, allez. Elle lâcha sa petite phrase comme un aveu honteux, encore une fois plus pour emmerder le petit jeune qu'autre chose.

Sans lâcher l'affaire et bien décidée à le faire parler un peu de lui, Tesa demanda mine de rien :
- Où est-ce que t'as appris la mécanique ? C'est pas rien, ça demande pas mal de compétences. Elle reposa sa main sur son ventre et avala une gorgée d'eau avant d'enchainer. ça me manque d'aller au No Man's Land. J'ai hâte d'accoucher et de pouvoir retourner m'y balader. On y croise une toooonne de blaireaux et de rats.. et je parle pas non plus des animaux. Mais y'a quelques gens cools. T'y es déjà allé ?

Elle baissa les yeux sur son ventre avant de revenir les poser dans ceux d'Ashton. C'est pour fin Août, début Septembre. Dans ces eaux-là. Je sais pas trop si j'ai hâte d'y être ou pas.