Children still play in the gardenSoo & Corray
Le temps est agréable, un brise tiède vient lentement caresser mes joues pâles. Ça fait une petite semaine que j’arrive à me reposer un peu plus, à reprendre en main mes angoisses et souvenirs amers. Mais malgré ça, les cernes sous les yeux continuent à faire leur place. Parce qu’apparemment les pensées bruyantes ne suffisaient pas, il a fallu qu’un rongeur décide d’élire domicile sous ma caravane. Et toutes les nuits, ce n’est pas le bruit du vent ou celui de la pluie qui me berce, mais les grignotements et grattements d’un rat qui a décidé d’élire domicile sous mon plancher. Autant dire qu'à l'inverse de la météo de cette matinée, je ne suis pas d’une humeur radieuse. Et c’est en ronchonnant que j’ouvre la porte de chez moi, histoire de faire rentrer un peu d’air. Je frotte mes yeux émeraudes, étirant les muscles douloureux de mon dos dans un grognements.

J'apprécie paisiblement l’ambiance que m’offre ce début de journée. L’herbe commence clairement à repousser, nous offrant même un certain tapis sur quelques reliefs. Cet été, cette herbe sera haute et sèche, et je pourrais m’y allonger paisiblement pour admirer les étoiles. L’hiver a toujours eu un poids sur ma conscience, plus encore que celui que je viens de passer. Car il fait aussi froid dehors que dans le cœur des hommes. Je vois également que dans certains arbres les feuilles commencent à faire leur apparition et le cent s’y glisse tranquillement. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pris ce temps. Celui d’admirer l'étendue des talents de la nature, bientôt, j’irais faire un tour dans la forêt. L'avantage d’avoir eu un père chasseur est de pouvoir pister les animaux. J’irais voir les cerfs qui parcourent les bordures de notre camp, pas pour les tuer, juste pour les observer et me balader dans les bois. Juste un instant de paix, quelques heures pour renouer avec un monde paisible.

En me souvenant de mon père, je souris bêtement. Me souvenant de son désarroi face à ma peur des armes à feu, mais de sa fierté quant à ma capacité de pistage et de construction de piège. En parlant de pistage, mes yeux tombant sur le sol, de petites traces y sont marquées. Suivis, de minuscules crottes qui n’ont pas l’air d’être si sèche que cela. Mon visage se déforme d'une expression frustrée. Je siffle entre mes dents.

“Saleté nuisible..”

Aujourd’hui, je ferais déguerpir ce rongeur de chez moi. Encore, il serait discret, je le laisserais bien vivre en ma compagnie. Mais dans ce cas précis, il empiète largement sur mon confort de vie. J’enfile donc en vitesse quelques affaires avant de préparer un plan pour le faire sortir de son trou et d’essayer de le faire sans devoir le tuer. Je prends un soin particulier à bander mes doigts bien serré aujourd’hui. Même si ils vont mieu, je ne me risquerais pas a les casser une secondes fois sur une chose aussi stupide. Je sors donc de ma caravane, allant dans des buissons et arbres aux alentours chercher ce dont j’ai besoin pour fabriquer mon piège.

Une fois tout le matériel récupéré, je m'assois en tailleur devant un moi, posant toutes les branches souples à ma portée. Je reste un instant sans rien dire, ma main supportant le poids de mon menton. J’essaie de me rappeler de la manière dont je dois m’y prendre, mais cette fois-ci la théorie est plus simple que la pratique. Puisque quand enfin, j'arrive à sortir un plant poussiéreux d’un coin de ma tête, mes mains me font obstacle. Avec deux doigts en moins, pas facile de bosser correctement.
:copyright:️ 2981 12289 0`

Soo, comme d'ordinaire, avait passé une journée très occupée.

Loin des préoccupations des adultes, elle avait commencé à s'occuper de Chicco tous les soirs, après son "aide" à l'infirmerie devenue quotidienne. Très enthousiaste, elle apprenait petit à petit à le bouchonner, à l'étriller correctement, à lui donner à manger, et même à faire du petit trot ; mais à chaque fois qu'elle s'approchait de l'écurie, la petite fille pensait à Corray. Maintenant, elle ne pouvait s'empêcher de penser au pauvre copain de maman qu'elle avait écarté en essayant de rabibocher cette dernière et papa-Lisandro - dans un sens, au-delà de cette bêtise, elle avait lésé Corray plus que le couple séparé que formait ses parents.

C'est ainsi que ce matin, après avoir mangé son petit-déjeuner, la petite asiatique fit un détour par les habitations. Elle n'avait pas d'école ce matin-là, et elle trainait un peu les pieds à l'idée de la confrontation et la dispute inévitable, mais elle était fermement convaincue de la nécessité de dire la vérité, d'être honnête. Aussi finit-elle par arriver à la porte de sa caravane, à frapper doucement de son poing serré.

Puis du bruit sur les côtés de la maison l'interpella, et l'enfant se figea, brusquement un peu inquiète. Etais-ce un animal ? Et si c'était un rôdeur ?

Mais il n'y en avait pas dans le camp.

Alors, tout de même, elle appela par précaution. Peut-être même était Corray - il ne semblait y avoir personne chez lui.

- "Y'a quelqu'un...?"

Elle se décida à faire le tour de la caravane, s'immobilisant devant l'homme et ses bâtons. Avec ses doigts mutilés, ses gestes semblaient empruntés et patauds, et la petite fille se mordit la lèvre, tandis que ses cheveux noirs et lisses s'agitaient sous la brise printanière.

- "Coucou, Corray ! ... Qu'est-ce... qu'est-ce que tu fais ? T'as besoin d'un coup de main ?"

Finalement, l'aider ne serait pas une mauvaise entrée en matière...
Elle vint se poser en tailleur devant lui, se penchant avec curiosité sur les branches de bois, fixant ensuite le bandage serré autour des doigts du copain de maman.

Son petit cœur se serra. Lui aussi, on lui avait fait du mal... et elle lui en avait infligé encore plus. Ses yeux s'assombrirent, prirent une nuance un peu douloureuse. Comme elle se sentait coupable !

Children still play in the gardenSoo & Corray
Je grimace au fur et à mesure que les doigts se croisent dans les mécaniques de mon piège. Je grogne de douleur alors que je sens un courant électrique parcourir mon majeur gauche. De toute évidence, mes blessures ne sont pas encore tout à fait guéries. Néanmoins, il est hors de question que je me laisse une nuit de plus perdre le sommeil par la faute d'un rougeur qui a décidé que ma caravane serait sa nouvelle piole. Alors, j’essaie encore, continuant à échouer et de me faire mal. Une petite voix lointaine m’arrête un instant , mais personne ne se montre. Alors, haussant les épaules, mettant ça sur le compte d’une rêverie, je continue de m’acharner sur mon projet. Mes yeux se plissent, essayant d’adapter mes gestes habituels à ma condition. Puis la même petite voix, plus proche cette fois-ci, fait lever mes yeux verts.

La petite fille le tient devant moi, ses cheveux noirs et brillants s’agitant sous la caresse du vent réconfortant. Un air légèrement déconcerté sur ses traits.

« Oh ? Salut princesse ! »

Je lui souris, mes pommettes remontant sur mes yeux. Alors qu’elle me demande ce que je fais, une légère gène creuse ma gorge. J’ai honte de lui expliquer que je me bat contre un rongeur qui doit faire a peine la taille de ma main. Elle me propose son aide, alors que j’allais refuser poliment, elle s’assoie en face de moi. Apparemment, elle ne me laisse pas vraiment le choix et mes blessures non plus de toute façon. Je reste hésitant quelques secondes. La petite pose son regard onyx sur les bandages et mes ongles meurtris. J’imagine qu’elle se rend bien compte que quelque chose de grave est en train de se passer. Je me racle la gorge, réfléchissant quelque secondes. Et puis après tout pourquoi pas ! Je lâche mes bâtons et brindilles, massant mes doigts en grimaçant.

« Je ne refuse pas ton aide, c’est très gentil ! Je suis en train de fabriquer un piège pour attraper un rat qui commence à penser que ma maison lui appartient. J’avais à peu près ton âge quand mon papa m’a appris à le faire, alors tu devrais y arriver ! Je lui offre un grand sourire , me laissant remplir de nostalgie et de fière de transmettre ce que mon père m’a transmis. Mais mon air joviale retombe doucement quand je constate la mine grise qu’aborde la petite brune. Je prends une voix plus douce. Quelque chose ne va pas ? »
:copyright:️ 2981 12289 0`

Children still play in the gardenSoo & Corray
Les doux rayons de soleil filtrés par les nuages donnent des reflets émeraudes à mes iris inquiets. L’état psychologique de la jeune fille est plus que palpable. Alors que je me redresse un peu, posant la paume de mes mains sur mes genoux, je fouille dans chaques recoins de ma tête le moment ou j’aurais pus blesser Soo ou la mettre mal à l'aise. Elle qui a toujours l’air si enjouée et partant pour tout, il est étrange de la voir avec un teint si gris. Elle commence avec une phrase maladroite et comme tous les enfants, se sentant coupable, elle tourne autour du pot. Elle frotte ses yeux et mon air inquiet laisse place à une incompréhension. Moi qui cherchait que ce j'aurais pus lui faire, je me demandai ce qu’elle avait bien pus faire pour afficher un air aussi coupable.

Mon cœur se fige un instant alors qu’elle aborde le sujet de NewEden. Duncan ne lui avait rien caché et a dû trouver les mots pour expliquer une situation aussi compliquée et délicate pour qu’une enfant de son âge comprenne les grandes lignes. En même temps, je vois mal comment il aurait pu lui cacher quoi que ce soit. L'incompréhension et le mensonge creusent un gouffre que la vérité comble toujours. Mes arcades tombent sur mes yeux quand une tristesse rampante se loge entre mes côtes. Le fait qu’une âme aussi innocente se face éclaboussée par la cruauté et la barbarie d'une communauté comme la leur me laisse un goût amer. Plus elle essaie de m’expliquer la bêtise pour laquelle elle s’en veut autant et plus je suis intrigué. Elle ajoute même que ça aurait pu avoir une grave répercussion sur moi. Définitivement intrigué, je bombe le torse, prenant une grande inspiration et croisant les bras.

Alors qu’elle finit, après une tartine d’excuse, par me dire enfin ce qu’elle a fait, mes épaules se détendent et un sourire se fixe sur mon visage. Non seulement c’est beaucoup moins grave que ce que j’avais imaginé, même si je n’avais pas imaginé grand-chose, mais en plus de ça, je ne peux que comprendre qu’une enfant avec son histoire cherche à se reconstruire une famille au complet. Mon cœur se tord un instant, repensant à cette discussion avec Lisandro. Celle ou je me suis avoué à moi même que je ne pourrais sûrement jamais avoir de famille a moi. Si un jour l’occasion se présentait, je sauterais dessus sans hésiter. Alors comment est-ce que je pourrais lui reprocher quoi que ce soit.

Quand elle ajoute qu’elle et moi faisant partie de la même famille maintenant, mon cœur rate un bâtiment et se serre immédiatement après. Mes paupières s’ouvrent sur mes iris verts, ils s’embuent d’émotion alors que la jeune fille me promet d’être son amie pour la vie. Pour éviter de me laisser a trop d’émotion, je ricane, plissant les yeux sur un grand sourire.

« Arrête de t’en vouloir princesse. C’est pas grave ! Si la relation de tes parents devait évoluer, j’en serais le premier au courant. J’ai confiance en eux. Et range moi cette salive jeune fille, chez moi on promet comme ça. Je me penche vers elle, lui tendant un poing fermé. Je relève douloureusement le petit doigt. Une fois que tu l’a serré avec le tien c’est comme si tu signais un pact. Pas de retour en arrière ! Je lui souris de toutes mes dents. Appréciant ce moment léger et enfantin. »
:copyright:️ 2981 12289 0`

Children still play in the gardenSoo & Corray
Elle enlace mon auriculaire du sien, délicatement, si doucement que j’arrive à peine à sentir ses mains d’enfant sur mes mains usées. Je souris tendrement, je m’attends à ce qu’elle passe a autre chose, qu’elle s’assoie en face de moi, jambes croisées, une lueur curieuse dans les yeux. Mais elle s’approche de moi, se glisse contre mon torse, m’enlaçant de ses bras fins. Pendant un instant je reste les bras ballants, ne sachant pas vraiment quoi faire, un peu surpris par son geste. Après quelques instants, mes épaules se détendent légèrement. Un sourire chaleureux prend enfin place sur mes lèvres et j’ose l’enfermer doucement dans une étreinte fraternelle. La jeune fille finit par se relever, déposant un bisou sur ma joue. Je ricane. Je n’ai jamais eu de petite sœur, mais je sais que j’aurais sûrement aimé avoir une ration comme celle-ci si j’avais eu la chance d’en avoir une.

« Moi aussi je t’adore. Et je serais toujours là quand tu auras besoin de moi, pour toujours. »

Quand j’eu fini de prononcer ces mots, ma gorge se serra subitement. Leurs visages me reviennent, comme le flash d’un appareil photo mal réglé. Ceux de mes amis disparus. Ils étaient comme mes frères, je m’imaginais vieillir à leurs côtés, qu'on ne se quitterait jamais. Alors que je me perdais dans un buisson de souvenirs piquants, la voix de la jeune fille me refait faire surface.

« Bien sur, dis moi ? »

Elle me pose une question qui fait renaître une émotion positive sur mon visage. Je me rends soudainement compte que je ne suis plus si jeune et que le monde où je suis né est bien loin à présent. A part quelques photos, le souvenirs de quelques personnes et des livres, il ne reste plus grand chose du monde que l’on a connu. Je me détends quelques instant, cherchant dans mon esprit par quoi commencer pour ne pas la perdre.

« Tu sais, le monde ou je suis né, il y a un moment maintenant, était bien différent du monde ou on vit. Avant, on avait accès à la musique beaucoup plus facilement que maintenant. Ce serait trop long a t’expliquer, mais… Je pense que tu as déjà quelques notions, mais le monde d’avant été régi par l’argent. C’est quelque chose qu’on s’échangeait entre nous pour de la nourriture, des vêtements, des objets et tout un tas d'autres choses… Et faire de la musique, si beaucoup de gens écoutaient, pouvait rapporter de l’argent. Beaucoup même si tu devenais connu. Quand j’étais jeune, j’ai formé un groupe avec des amis. On s’est beaucoup entraîné, on a beaucoup travaillé et notre musique a fini par être connue ! On faisait ce qu’on appelle des concerts. C’est un événement qui rassemble énormément de gens qui viennent pour écouter des musiciens jouer. Et j’ai fait des concerts partout en Amérique et même dans d'autres pays ! C’était vraiment bien. Sur ces derniers mots ma voix se teinte d’une mélancolie palpable. »

Soo s’installe dans la poussière en face de moi. Je lui tends alors avec entrain les bâtons et brindilles que j’avais réunies. Elle continue à parler tout en observant les matériaux d’un air intrigué et un peu perdu. J’allais lui dire qu’il ne s’agissait pas de collet mais au moment où je prends une inspiration, elle me pose une question puis me noie sous un raz de marré d’information. C’est vrai qu'il est difficile d’en placer une avec Soo, c’est une jeune fille tellement remplie d’énergie et de curiosité qu’il est compliqué de suivre la cadence. Je la fixe un instant, un regard amusé, la voyant passer par toutes les émotions, de l'excitation à la déception de ne pas savoir toutes les règles qui régissent le monde. Elle se pose enfin, le dos droit, me fixant d’un regard plus soutenu. Elle m’affirme qu'elle ne regrette pas du tout d’être venu me voir. Je lui souris, tendrement, ne pouvant retenir un léger rire nasal.

“ Tu sais, tu es loin d’être stupide. Je tends ma main, la posant sur sa tête. être curieux et ouvert d’esprit c’est ça l'intelligence. Continue comme ça ! Alors par quoi commencer…  Pour la chanson, je t’en chanterais une si on arrive à attraper ce rat ! Et je pourrais même t’apprendre tout ce que je sais de la musique. Je sais jouer du piano et un peu de guitare, donc je suis loin de tout maîtriser. Mais Selene, elle, sait jouer du violon ! Et si ça t'intéresse encore quand tu auras grandis, je connais beaucoup de gens dehors qui savent jouer de plein d’autres instruments. Je t'emmènerais avec moi ! Je lui souris, l’imaginant dans quelques années, arpenter les bois à mes côtés. Bref, concentrons-nous sur les pièges pour le moment, d’accord ?”

J’attrape du bout des doigts les brindilles et bâtons que j’avais commencé à essayer de tresser malgré la douleur.

“Alors, le but, c’est de fabriquer une espèce de mini cage. Tu vas tresser les bâtons, c'est-à- dire en mettre un dessus, puis un dessous, et le faire a l’inverse sur celui d'à côté. Quand tu en auras fait cinq comme cela, pour faire les côtés et le dessus on accrochera toutes les parois ensemble avec les brindilles. Aller, essaie !”
:copyright:️ 2981 12289 0`