Je n'aime pas les hauteurs. Pourtant, je devrais y être habituée, j'avais déjà pris des clichés depuis des toits bien plus haut que celui de ce bâtiment...Mais là, maintenant, je n'ai pas l'attention focalisée sur un objectif ou un jeu de lumière. Non, j'ai l'esprit déconcentré par la vision du sol en bas ou encore les pensées focalisées sur la solidité des tuiles sur lesquelles je marche. Bon sang ! J'aurais dut refuser... En même temps, cela était il seulement possible ? Chacun devait faire sa part et je n'échappais pas a la règle.

Je tâte une tuile du bout du pieds avant d'y porter mon poids. Les dents serrées, je sens mes doigts se crisper sur le manche du marteau que je tiens. Les clous sont dans mes poches. A défaut de tuiles neuves, il fallait boucher les trous avec des planches de bois. Je soupire. Encore heureux, il ne pleuvait pas. Le vent était faible et c'était tant mieux. Vu mon poids, c'était un coup a ce que je m'envole. Finalement, je trouvais le premier trou, large d'un bon mètre. Songeuse, j'observe un instant l'ouverture avant de me glisser vers son bords, très doucement. Je plie les genoux et fini presque a quatre pattes pour passer ma tête par l'ouverture. « Environ un mètre cinquante sur un mètre, je pense que ça suffirait. » Fis je a l'homme qui était avec moi.

Lui, je ne le connaissais presque pas. Voir pas du tout. Ca pouvait me gêner d'être avec quelqu'un que je ne connaissais pas, surtout un homme. Je n'ai pas franchement peur non, disons que je suis plus méfiante que d'habitude. Pourtant, je ne crains rien ici hein, au loin j'entends le brouhaha des autres qui travaillent plus loin. Je sais, c'est des pensées débiles mais elles ont le chic pour surgir quand je ne m'y attends pas vraiment. Ce n'est pas la faute de cet homme non plus, il a l'air sympa en plus. Non, c'est juste ma méfiance naturelle ou pas naturelle, ça dépend sans doute du point de vu. « Tu peux la monter ? » Et si il pouvait monter aussi pour qu'on échange nos places...Ah...Non, j'étais plus légère, sur un toit abîmé mieux valait un poids plume qu'autre chose, même si il était pas bien épais, il l'était toujours plus que moi.

Monter sur un toit, pour faire des réparations ? Ca ne lui posait pas vraiment de problème – le seul inconvénient était qu’il n’était pas sûr d’avoir recouvré totalement ses forces. Mais en même temps, depuis un mois… Il fallait bien qu’il se rende utile et, surtout, qu’il arrête de sous-estimer ses forces. Alors il s’était préparé, et il avait demandé à avoir des cordes, et de quoi s’assurer, ainsi que d’assurer la personne avec qui il devait faire ça. Ça n’aurait pas été très prudent qu’une seule personne s’en charge, surtout quand il s’agissait de monter sur un toit.

S’approchant, il salua Farah d’un signe de tête – il l’avait vue quelques fois, en allant rendre visite à Tomeo, mais elle n’était jamais restée, et avait été plutôt distante. Du coup, Rafaël ne la connaissait pas, et n’était pas particulièrement poussé à le faire. Si elle ne le voulait pas… Tant pis. « Attends. Il faut que l’on s’attache, et qu’on attache solidement la corde à différents points, pour être sûrs de ne pas tomber. » Il n’avait pas vraiment d’expérience sur la façon de s’assurer sur un toit, mais en tant qu’ex compétiteur en escalade, il pouvait adapter ce qu’il connaissait. Sans tenter de brusquer la femme presque inconnue face à lui, il lui indiqua comment il allait assurer sa sécurité avec la corde et autre, avant de le faire – une habitude de l’escalade. Inutile de prendre quelqu’un par surprise ou de le brusquer, sans l’avertir de ce qu’on faisait.

Il était monté rapidement, pour vérifier qu’elle ne craignait rien, mais il devait de toute façon lui passer le matériel – elle ne risquait rien, de toute façon, normalement. Même si on était jamais à l’abri d’un accident. Il leva la tête vers elle, l’observant à travers l’ouverture – tout le matériel était protégé dans le reste de la maison, au cas où. Histoire de pas perdre les clous pour une raison ou pour une autre, ni quoi que ce soit. Hochant la tête, il releva les yeux vers elle. « Ca marche. » Regardant autour de lui, il sélectionna quelques planches, plus ou moins au hasard, dont la taille pourrait correspondre, les glissant sous son bras. Ils pourraient monter quelques barreaux de l’échelle avec elles, mais Farah devrait venir les récupérer.

« Tu les attrapes au passage, que je finisse de monter ? » S’arrêtant le temps qu’elle les récupère, il reprit son ascension aussitôt qu’il eut les mains libres, avant de remonter sur le toit, tenant lui même un marteau, vérifiant que les clous n’étaient pas tombés à quelque moment que ce soir. Il s’installa à proximité du trou béant, et jeta un œil à sa coéquipière. « Ca va ? » Elle ne lui semblait pas particulièrement mal à l’aise, mais lui était comme un poisson dans l’eau – il escaladait une structure, à l’air libre, sans contrainte. Il se sentait beaucoup plus libre qu’il ne l’avait été, depuis leur périple sous terre.

J'ai conscience de la corde qui m'assure d'éviter une chute mortelle mais...Honnêtement, ça ne me rassure pas. Je sais, c'est une peur idiote mais qui a dit que les peurs étaient logiques ? Non, elles ne l'étaient pas. Passer la tête par l'ouverture, c'était déjà pas mal, inutile de dire que mes doigts sont crispés a leur maximum sur le bord des tuiles entourant le trou. Si je ne me coupe pas, j'aurais de la chance...je crois. J'envie la facilité avec laquelle Rafaël me rejoint, réclamant mon aide d'un coup d'oeil alors qu'il est a mi-chemin du toit. Prudemment, je me rapproche de lui. J'ai bien du mal a décoller mes mains des tuiles pour attraper les planches qu'il me tend.

Je le regarde se diriger vers le trou avec une assurance que je déteste sur le coup. Grommelant a voix basse et plus pour moi même que pour lui, je le suis...A quatre pattes. Je ne sais pas de quoi j'ai l'air mais certainement pas d'un chat sur un toit. D'ailleurs, il ne me loupe pas. J'esquisse un sourire crispé. « Non ? » je m'assois comme je peux a coté du trou, prête a lui passer les planches dont il aura besoin. « j'ai pourtant l'habitude de la hauteur...Enfin je veux dire, j'ai souvent été sur les toits des gratte-ciels de Seattle pour mon métier sans trembler de peur, mais le toit d'une maison pas sûr... » J'explique avec un coup d'oeil un prudent sur le sol qui me nargue. Ah. Ne dit on pas, ne regarde pas en bas ? Si. Mais l'instinct veut que tu regarde en bas. C'est nul.

Je relève les yeux sur le visage de Rafaël. Lui il n'a pas l'air d'avoir peur, je dirais même qu'il paraît particulièrement a l'aise. J'ai envie de le frapper. « Tu n'as pas ce problème hein ? » Clairement pas en fait. « J'ai envie de te coller une planche derrière la tête. » J'adoucis la chose d'un sourire entre amusement et prudence. Oui je n'oublie pas que je suis sur un toit et que je ne suis pas du tout a l'aise avec ce fait. J'aimais surpasser mes peurs mais celle là, je ne savais même pas que je l'avais. Le vertige ? Peuh... Et bien si en fait. On en découvre des choses parfois.

Elle était beaucoup trop tendue – c’était, autant que la désinvolture, un gros risque d’avoir un accident. Si elle ne parvenait pas à surmonter sa peur et à se concentrer sur ce qu’elle faisait… Rafaël ne parierait pas que tout irait bien. C’est pourquoi il essayait de se comporter comme si tout allait bien – même si tout allait effectivement très bien pour lui - même s’il l’avait assurée convenablement avec une corde et avait vérifié qu’elle courrait le moins de risque possible. C’est aussi pourquoi il l’incitait à se confier, en lui demandant si ça allait. Bien sûr, il avait du taf à faire, mais ils n’en perdraient pas plus de temps s’il prenait celui de la rassurer et de l’apaiser. Au contraire, même – ils en perdraient au début, mais elle serait sûrement plus vite rassurée et efficace.

Et la faire parler était probablement la meilleure solution, surtout alors qu’elle se prêtait au jeu. Il la connaissait bien peu, mais qu’est-ce qui exigeait qu’elle monte sur les gratte-ciels ? « Tu faisais quoi, comme métier ? Et disons que tu étais sur un sol plat et stable, n’importe qui de peu ou pas habitué aurait peur. C’est même plutôt rassurant – ça évite que tu ne sois trop en confiance, et que tu ne fasses n’importe quoi. » Il préférait largement ça. Il en avait vu, des imbéciles se prenant pour les rois du monde, qui s’étaient blessés sérieusement en faisant de l’escalade.

Il lui sourit, en l’entendant. « On me disait souvent ça, pendant mes compétitions d’escalade. Des jaloux, évidemment, qui enviaient mon talent qu’ils étaient loin d’égaler. » Il disait ça sur un ton léger, mais avec un peu de fierté malgré tout – il n’avait pas à rougir de ses talents dans ce domaine. Même si sa carrière avait été fauchée en plein vol par l’apocalypse. « Au moins, tu peux te dire que tu es entre les mains d’un pro. Je peux te jurer que tu es assurée comme il faut, et je peux te paver le chemin, si tu veux. Si tu suis mes pas, tu poseras tes pieds sur des zones sûres. J’ai l’œil pour les repérer. » Il s’arrêta un bref instant. « Tu peux même rester en bas, sur le plancher des vaches, me passer les matériaux et me tenir l’échelle, pendant que je monte tout. Et une fois que ça sera fait, tu pourrais monter avec moi, et t’asseoir sur le toit, pour me passer ce dont j’aurai besoin pendant que je déambule sur le toit. Jusqu’à ce que tu te sens plus en confiance. Si tu te sens plus en confiance. » Et si ça n’arrivait pas… Eh bien, elle serait peut-être de bonne compagnie ? Il en doutait, du peu qu’il l’avait vue mais eh, tout le monde pouvait être surpris.

Rafaël essayait de la mettre en confiance et de la rassurer – quoi d’autre, alors qu’elle semblait franchement mal à l’aise, ainsi sur un toit ? Devrait-il plutôt lui proposer de descendre, et qu’il s’occupe de tout ? Mais elle n’était pas pour autant tétanisée, elle réussissait à tenir une conversation et même à parler d’elle – il la questionnait volontairement, en plus d’apprécier en savoir un peu plus sur l’ombre taciturne qu’il avait croisé quelques fois chez Tomeo, pour la distraire et la faire avancer, se trop se soucier de sa peur. Plus Farah se focaliserait dessus, plus la peur prendrait le dessus sur la jeune femme. Et, étant donné qu’elle ne semblait pas si atteinte, Rafaël pensait qu’elle pouvait la surmonter – il l’espérait, en tout cas, et s’efforcerait de la mettre autant que possible en conscience. « Ca devait être passionnant. Tu en as gardé quelques unes, malgré tout ça ? J’imagine que tu les avais fait développer, plutôt que de toutes les garder en numérique. » En tout cas, il s’imaginait que les professionnels faisaient ça, et ne se contentaient pas de les observer sur un écran. Mais, en réalité, il n’en savait rien du tout.

Et, si la jeune femme se livre sur ses occupations pré-apocalypse de morts-vivants, ils en viennent à parler des siennes, et de ses propres talents – bien visibles pour la photographe, alors même qu’il est à l’aise et se déplace sans mal en hauteur comme ils le sont. « Et Humble le troisième ! Ça se voit, n’est-ce pas ? » Il lui adressa un clin d’oeil, riant lui aussi, et de bon coeur. Il n’était pas réellement vantard, même s’il valorisait ses propres prouesses, mais il n’était pas privé d’auto-dérision. Un rire lui échappa à nouveau, alors qu’elle poursuivait. « Je ne sais pas si je dois être blessé de l’opinion que tu te fais de moi, comme si j’étais un flemmard bon à refiler le boulot au reste, vexé que tu lises ainsi en moi, ou juste amusé parce qu’il n’en est rien ! Peut-être ne suis-je qu’un chevalier servant qui cherche à te mettre à l’aise dans une situation qui fait le contraire ! » Il plaisantait à nouveau, mais ce n’était pas faux pour autant. « Disons que, quand on a peur, il est plus facile de se rattacher à des faits rationnels pour la faire refluer, tu ne crois pas ? » C’était ce qu’il faisait, lui, en tout cas. Plus encore ces derniers temps, alors qu’il était sujet à de nombreuses crises d’angoisse.

Il sourit comme un gamin, alors qu’elle mentionnait le toboggan géant. « Et comment! Tu sais si l’immeuble est encore là ? On pourrait y aller. Toi, pour faire des photos, et moi pour essayer le toboggan ? Je t’attendrai en bas, le temps que tu me rejoignes ! » Bon, il s’enflammait peut-être un peu, mais l’idée de ce toboggan transparaît qui surplombait la ville et permettait de voir la ville… C’était génial ! Comment avait-il pu ne pas en entendre parler ?