Elle semblait plus à l’aise en parlant de ce qu’elle connaissait, et c’était exactement le but du gitan. Il n’était pas instructeur, mais il connaissait quelques petites astuces pouvant aider : et distraire les gens était une solution vieille comme le monde. « Je serai curieux de les voir. Ou même de voir celles que tu as faites dernière avec ton appareil de l’âge de pierre – quoi que… C’est pas une métaphore, tu veux dire que tu peins des petits bonhommes et des bisons dans des cavernes ? » Il lui adressa un petit clin d’oeil, souriant à sa marque d’humour absolument improbable. Évidemment, elle ne parlait pas de ça. « Il doit y avoir moyen de trouver des polaroids, non ? » Ça lui épargnerait le souci de développer les photos. « Mais du coup, tu as peut-être une chambre noire installée quelque part ? » Y avait-il de la place pour ça, ici ? Probablement.

Posant sa main sur son cœur, feignant d’être incroyablement souffrant, il se pencha vers elle, pour exagérer le trait. « Je suis dévasté ! Souffrant ! Je ne m’en remettrai jamais. Ja-mais. Ou alors il faudra du temps : des semaines ou des mois, des années peut-être. J’espère que tu es prête à m’aider à réparer mon égo blessé ! » Il en faisait trop ? Il en doutait. Il était évident qu’il ne pensait pas réellement ça et qu’il essayait juste de la distraire. « … tu m’as percé à jour, moi qui pensais être d’une subtilité à toute épreuve ! Tu vois, tu continues à me froisser ! Les intérêts vont être élevés, si ça continue ! » Son sourire grandissait à chaque parole qu’il prononçait.

Et, se prêtant au jeu, elle alimenta elle aussi la conversation – et piqua son intérêt plus qu’il ne l’aurait cru. Avant de le faire retomber aussitôt. « Oh. C’est dommage. Vraiment dommage. Je ne pense pas aller à Los Angeles dans cette vie. Peut-être dans une autre vie. » Croyait-elle en la réincarnation ? « C’est presque un sacrilège d’aller laisser passer une opportunité pareil ! Ça doit être absolument fantastique à faire. Et donner de sacrés frissons. » Il répondait plus ou moins à sa question sur les parcs d’attraction comme ça. « Démasqué ! Mais pour l’escalade, c’est encore différent. Le danger est là, et je le sais, et je dois être extrêmement prudent et préparé. C’est plutôt l’adrénaline de se dépasser et de réussir à monter à un endroit où les gens normaux ne se risquent pas d’aller qui me motive, tu vois ? » Elle ne pouvait pas réellement comprendre, mais peut-être en avoir une petite idée au moins. « On peut y remédier ! » En commençant par des choses simples, évidemment. Mais il ne la penserait pas partante. Prenant les clous et les outils, il se mit au travail : il pouvait parler et réparer ce qui devait l’être, après tout.

J'eus un léger rire. Ouais sans doute que sans l'existence d'appareil photo, j'aurais fini par peindre sur les murs des cavernes. Ceci dit, je dessinais mal. « Je ne sais pas vraiment dessiner mais, ma foi, a voir les peintures des grottes...cinq bâtons, un rond, c'était du grand art ! » Je penche légèrement la tête sur le côté. J'aime toujours autant parler photo, après tout, c'était une passion qui ne m'avait jamais quittée. C'est réconfortant et mélancolique dans le même temps. « Nolan et Tom m'ont dégoté de quoi faire une espèce de chambre noire, ce n'est pas parfait mais c'est toujours mieux que rien. Je ne suis pas fan des polaroïds, même si ils sont parfaits pour saisir un instant fugace par contre. » Alors oui, j'étais capable de montrer mes clichés,  de les développer aussi, a condition de trouver de la pellicule évidemment. Ceci dit, c'était assez facile, après tout, on ne se nourrissait pas avec des pellicules, ce n'était donc pas le premier truc qui disparaissait. Tant mieux pour moi.

J'esquisse un sourire très amusé a le voir tenter de me détourner du vide sous mes pieds. Autant le dire, il était efficace et l'attention était plaisante. Je ne me liais que rarement aux autres, mais parfois, j'y gagnais quelque chose, comme maintenant sans doute. « Je suis froide et sans cœur, donc je serais très mauvais payeur, m'est avis que la dette n'est pas prête d'être comblée. » Et puis j'étais persuadée qu'il était autant blessé que moi Mère Térésa. Il était amusant et bourré d'humour, cela me faisait du bien. N'étant pas spécialement ouverte aux autres, j'étais toujours attirée par mon contraire d'une certaine façon. Rafaël avait le sourire facile et la blague encore plus, c'était rafraîchissant quelque part. Il arrivait assez facilement a me faire parler.

Voir sa mine déconfite peignit un air moqueur sur mon visage. Oui, il aurait sans doute aimé cet immeuble, bien plus que moi, c'était certain. « Oh mais j'ai frissonné pour ceux qui se lançaient dans le toboggan crois moi, personnellement, je ne suis pas sûre d'avoir le cœur assez accroché pour ça. » Je mimai un frisson exagéré. « Et puis honnêtement, je ne sais pas si j'aurais aimé que les touristes sur le trottoir prennent mes fesses en photos. » Même si il aurait fallu un sacré télé-objectif pour pouvoir le faire. Mais cette conversation me donnait un aperçu assez clair de la personnalité de mon compagnon du jour, quoique nuancé, je l'aurais sans doute taxé de tête-brûlée mais apparemment, ce n'était pas tout a fait le cas. Je hochai lentement la tête. « Oui je vois, c'est un peu ce qui anime tout les sportifs de haut niveau. Personnellement, je trouve ça plutôt admirable, je suis beaucoup trop feignante pour ça moi. » Et je mimai un air horrifié lorsqu'il embraya sur mon ignorance de l'escalade. « Avoue, tu veux me voir coincer sur une paroi, les jambes tremblotantes et le cœur au bord des lèvres c'est ça ? Et c'est moi la cruelle ? »  Après, je pourrais peut être apprécié, j'en savais rien en fait. Comment savoir si l'on aime si on ne goûte pas ? Je lui passais une paire de clous et il se mit a marteler le bois avec un enthousiasme certain. « On se sent comment lorsqu'on atteint un sommet que l'on croyait inaccessible ? J'ai vu plusieurs vidéos de grimpeurs sans sécurité, c'était un sacré exploit quand même. Tu l'as déjà fait ? » repris je, profitant d'un léger répit dans le rythme assourdissant des coups de marteau.

Il sourit alors qu’elle lui répondait. « Exactement ! Dans quelques siècles, ça sera peut-être découvert comme des peintures fondamentales ! Du coup, quand est-ce que tu t’y mets ? » Il écarquilla les yeux, alors qu’elle lui parlait de sa chambre noire improvisée. « Il faut pas des produits spéciaux pour ça ? Vous avez trouvé de quoi le faire ? C’est génial ! Du coup, tu arrives à vraiment développer des photos ? » Il s’émerveillait même si, au final, quand la première chambre noire avait été inventée, il ne devait pas avoir tant de moyens. Il n’avait aucune idée de la date de l’invention de la photographie, mais ça n’était pas récent.

Bien que sur un toit, il croisa les bras, prenant un air outré à sa réponse. « Tout ça pour me laisser dans mon désarroi ! J’irai noyer ma peine dans l’alcool avec Tomeo, dans ce cas. Double peine pour toi, je te le volerai une soirée entière ! » Oh, je ne devais certainement pas être la seule, quoi qu’il en soit. Il était suffisamment agréable et apprécié pour passer du temps en compagnie de différentes personnes du camp.

Et en plus, elle était cruelle pour lui faire miroiter une attraction sensationnelle, sans qu’il n’ait la moindre chance d’y aller. Los Angeles était beaucoup trop loin pour ça, même si ça aurait été une formalité, par le passé. Même s’il avait sa dose de sensations fortes dans leur vie actuelle, ce n’était pas le même genre. Il était réellement en danger actuellement, alors que ça… « Je note tout de même ta cruauté ultime ! Me faire miroiter ça, et me dire que c’est hors de ma portée. Tout ça par jalousie. Je vais finir par devoir danser la valse sur ce toit, pour te rendre la monnaie de ta pièce ! » Il était exclu qu’il le fasse réellement : si l’on omettait le fait qu’il ne sache pas danser la valse, il n’était pas aussi idiot non plus. « Je plaide coupable, si on s’était connus et qu’on avait fait ça, je t’aurai poussée dans le toboggan rien que pour voir ça. Je t’aurai relevée, quand même. Après les photos. »

Lui adressant un petit clin d’oeil, il se reconcentra sur la tâche qui l’attendait, alors qu’elle lui servait ni plus ni moins d’assistante, pendant qu’il lui parlait de lui et de ses expériences. « Il paraît qu’on y prend goût, après s’être mis un bon coup de pied au cul pour faire du sport. » Il haussa toutefois les épaules : lui, il en avait fait toute sa vie, alors il n’avait pas d’élément de comparaison. « Je n’oserai pas ! Quelles viles intentions tu me prêtes ! Je note que tu veux – encore – m’offenser. » Il prit un air faussement scandalisé. « Je n’ai pas vraiment été sur un sommet qui avait cette réputation. Mais ne serait-ce que gravir un sommet dont on me disait que je ne l’atteindrai pas… C’est exaltant. J’avais l’impression que rien ne me résisterait. » Et c’était probablement le cas. Jusqu’où serait-il allé, s’il en avait eu l’opportunité ?

Je me tapote le menton, faussement pensive. « mmmh...Dès que j'aurais fais chauffer assez de bout de bois pour pouvoir faire des graffitis. » Oui parce que pour avoir un genre de charbon...je n'étais pas assez calée en plante pour connaître celles qui pouvait servir de teinture. Quoique, si je demandais a Cassy, j'étais sûre qu'elle pourrait me répondre. Finalement, je laisse échapper un rire ténu. « Si il en faut, mais ce n'est pas des produits utiles a la survie, enfin pas trop donc on en trouve encore. Evidemment, je fais attention a mes stocks mais pour le moment ça va. Oui, j'y arrive, même sans lumière noire, c'est un peu handicapant mais pas impossible. » La fameuse lumière rouge crippy. Je me débrouillais sans, tant que la lumière pure ne touchait pas les négatifs, c'était bon.

Dans tous les cas, la stratégie de Rafaël pour me détourner du vide, fonctionne plutôt bien, tellement que même en en étant consciente, j'oublie peu à peu les quatre mètres qui me séparent du sol. Je hausse un sourcil lorsqu'il me menace d'embarquer Tomeo pour une soirée alcoolisée. Mouais. «  T'es sûr de pouvoir le faire boire ? Et t'es sûr qu'il risquerait une nuit sur le palier pour toi ? » Allez savoir en fait ! Cela dit, ça ne me gênerait pas, on était ensemble oui, mais je n'étais pas sa mère pour autant, ni collante a souhait. J'aimais qu'on respecte mon indépendance alors je faisais de même, c'était aussi simple que ça...Bon ce concept ne s'étendait pas a l'envie de sauter dans le lit de quelqu'un d'autre, il ne fallait pas déconner.

Je pointais un index inquisiteur. « Et c'est moi la cruelle dans l'histoire ?! » Bon d'un autre côté, on était pas prêt de mettre un pieds a LA. J'avais aimé cette ville, comme beaucoup d'autre ville d'ailleurs, mon seul regret ? Je n'avais jamais pu faire mon voyage en Europe et en Asie...Maintenant, c'était clairement exclus évidemment. Cela dit, j'étais surprise, enfin plus ou moins, qu'on puisse aimer le sport de haut niveau, j'avais l'impression que ça demandait des sacrifices que je n'aurais sans doute pas été prête a faire...Quoique, si ça avait été pour mes photos... « Oui alors faire un footing, ce n'est pas se lancer dans la compétition de haut niveau. Il paraît que ça demande beaucoup de travail et de sacrifice, honnêtement, je ne suis pas sûre d'en être capable...Enfin maintenant, on peut oublier les Jeux Olympiques, mais a l'époque. » Je lui passai une paire de clous qu'il s'empressa d'enfoncer dans le bois avec quelques coups puissants. Et je ne peux m'empêcher de le titiller un peu. Je penchai légèrement la tête sur le côté. « Un peu comme enfin réussir a prendre une photo que l'on considère parfaite ? Je vois le topo...Et la concurrence ? C'était rude ? L'escalade n'était pas très connue, enfin si on compare au football américain ou au baseball. Tu avais ton lot de groupies ? » demandais je avec un léger sourire en coin quelque peu moqueur.

Il rit à sa répartie, avant de se faire un peu plus sérieux – et un peu malicieux aussi. « J’espère que tu feras une exposition pour nous ! Qu’on puisse s’extasier et demander ce que ça peut représenter ! Mais tu sais, on doit pouvoir trouver des bombes de peinture, sinon. » Et là, là, ils pourraient réellement disserter sur ce que c’était. Parce que si les vrais graffeurs arrivaient à faire des peintures assez folles, ça devait être bien compliqué de penser au dessin dans son entier et à ce qu’on veut reproduire pour y arriver avec des bombes de peinture qui ne permettaient pas la précision. Enfin ça, Rafaël le supposait. « Oui j’imagine que ce n’est pas exactement ce que les gens recherchent. Ça ne se mange pas et ça ne se boit pas non plus – ou alors faut être un peu dérangé. » Et dans ce cas-là… les concernés ne devaient pas avoir survécu. Mais il n’avait pas spécialement envie de s’attarder là-dessus.

Parler de tout et de rien avec Farah était beaucoup plus agréable – même si ça partait d’une intention de la distraire à la base, et qu’il était à peu près sûr de n’obtenir que des réponses en monosyllabes au vu des brefs échanges qu’il avait eu avec elle auparavant, il était d’ailleurs agréablement détrompé. « Ah, tu fais donc partie des femelles castratrices du clan ! Moi qui pensais juste que tu ne m’aimais pas et que tu étais taciturne, c’est parce que tu as peur que je monopolise ton homme, en fait !
« Évidemment ! J’espère que tu te feras pardonner et en fera construire un ici, pour me surprendre ! Je suis né le 23 juin ! » Bon, clairement, ça n’arriverait jamais : trop coûteux en ressource, en temps, juste pour une distraction. Mais il irait quand même bien voir un office de tourisme, pour voir s’il y avait des choses comme ça à Seattle… juste comme ça. Il doutait pouvoir réellement le faire et, si c’était le cas, se rendre sur les lieux concernés mais on savait jamais. « Oui c’est… autre chose. Et il faut y être dévoué, ne pas rechigner à l’entraînement, mettre un peu sa vie entre parenthèse. Mais je n’ai jamais tenu en place, et sans ça pour me cadrer, pour me dépenser – en plus du reste – je crois que mes parents m’auraient donné à manger aux animaux de cirque qu’on avait avec nous. » Ou qu’ils lui auraient botté le cul, en tout cas. Plusieurs fois. Jusqu’à épuisement. « Exactement comme ça, je suppose ! Tu en as, des photos comme ça ? Ou des photos dont tu n’attendais pas grand-chose, mais que tu aimes particulièrement ? Peut-être que c’est plutôt comme une photo que tu pensais ne jamais pouvoir faire – parce que le lieu inaccessible, l’angle trop compliqué, je ne sais pas vraiment le genre de problèmes que tu pouvais rencontrer – et que tu y es arrivée malgré tout ? T’as déjà vécu ? » Il croisa les bras un instant, s’arrêtant de marteler le toit de la maison, prenant à nouveau un air vexé. « Quoi, tu penses que je pourrai ne pas en avoir ? J’avais mes pompomgirls personnalisées, évidemment ! Avec une tenue avec mon initiale, des mini-jupes, des pompons aux couleurs de ma tenue, tout ça. » Il rit malgré lui, tellement c’était absurde. « Bon j’avoue, rien de tout ça, en vrai. Des aficionados oui, mais plutôt parmi d’autres gens qui en pratiquaient eux-même. » Et c’était plutôt un sujet qu’il voulait éviter, pensant aussitôt à Emily et à leur relation désastreuse.

Je haussai un sourcil amusée. « Je rêve de voir mes bonhommes bâton s'étaler sur tout les murs des maisons du camp ! Il faut faire ça de nuit, en catimini, masqué et se sauver si les gardes sont a deux doigts de nous tomber dessus aussi ? » J'en avais vu des cas comme ça, et de toute façon, les tagueurs avaient beau se faire attraper, ils n'écopaient de pas grand chose et puis en vérité, ils étaient carrément inarrêtables pour certains, tellement que certaines villes leur avait dédiés des pans entiers de murs...Il y avait de magnifiques œuvres d'art...Finalement on en revient sur le sujet de la photo et mon sourire refait surface. « Oh tu sais, la faim peut pousser a n'importe quoi, mais là, effectivement, les produits utilisés sont plutôt mortels, mais je crois que certains servent a fabriquer des bombes ou des détergents. Quoique...peu importe, c'est vrai que ce n'est pas de la première nécessité quand tu dois survivre. » A vrai dire, je trouvais déjà miraculeux que mon frère et Tom ai pu en trouver...

En parlant, je me rendis compte qu'il était facile de communiquer avec Rafaël, il était d'un naturel plutôt ouvert, c'était même mon contraire a ce niveau, j'avais toujours du mal avec les inconnus, de ce fait, on me pensait souvent froide et distante...C'était sans doute un peu vrai pour le second mais pas du tout pour le premier, j'étais plutôt réservée et même si Tom s'entendait bien avec lui, je ne m'étais jamais immiscée dans leur conversation. Un tord peut être lorsque je nous voyais maintenant, avec un peu de recul. « Castratrice ? Carrément ?! Tu n'y vas pas avec le dos de la cuillère quand même. » explosais je de rire. Il ne faisait pas du tout dans l'exagération, pas du tout ! Mais dans tous les cas, au moins, je ne pensais plus a la hauteur a laquelle je me trouvais. « Mmmh...Tu aimes vivre dangereusement on dirait. » Je n'étais pas très douée de mes mains, quoiqu'ici j'apprenais, je n'avais pas d'autre choix dans le même temps, si je voulais porter ma pierre a l'édifice. Et puis je bloque sur un détail. « Des animaux de cirque ? Tu as vécu dans un cirque ? Je pensais a une blague quand on me l'a dit...Mais en fait pas du tout ? » Pour un peu j'en aurais sans doute cligné des yeux de surprise...Les cirques... je crois que j'avais du n'en voir qu'un dans mon enfance...Enfin si on pouvait appeler ça un cirque évidemment, ceux qui passaient a la télé avec strass et paillettes étaient hors catégorie évidemment. Je ne savais pas que...Enfin ce genre de vie, déjà avant, m'apparaissait surréaliste en fait...Alors pour le coup, ma curiosité était bien piquée.

Et puis on revient sur mon terrain de prédilection et je secoue un peu la tête devant l'avalanche de question qui me tombe sur la figure. « Mmmh...Si tu parle de la fameuse fierté du travail bien fait ou du surpassement de soi, il y a un peu de ça. Évidemment, ce n'est pas physique, c'est plus émotionnel. Tu as dû remarquer que je ne parle pas beaucoup en règle générale, je ne sais jamais comment aborder les gens, mais la photo brisait cette barrière assez facilement. Ce qui me rendait le plus fière était sans doute le fait qu'une personne comprenne en un coup d'oeil ce que j'ai ressenti en prenant une image sur le vif. Là, je me disais que j'avais réussi. » Je plisse un peu le nez, presque mal à l'aise, parler de moi n'est jamais évident mais Rafaël était le genre de personne a pousser a la confession d'une certaine façon, il avait le chic pour mettre les gens a l'aise, même les cactus dans mon genre. Un sourire moqueur ourle mes lèvres. « J'ai du mal a imaginer une armée de cheerleaders s'excitant au pied d'une falaise de trois cents mètres en hurlant ton prénom... » Mais l'image était marrante. Puis je repris un peu mon sérieux. « Disons qu'il n'y a pas le côté bling bling du football ou du baseball j'imagine. Ca n'empêche que j'étais presque fascinée par la facilité qu'avait les grimpeurs quand je tombais sur un reportage, c'est pas vraiment un sport qui était populaire mais c'était beau a regarder. » Il fallait une certaine grâce et une certaine souplesse, quelque part, oui, c'était beau. «  Et ça te manque ? »

Il rit franchement, alors qu’elle surenchérissait. « Sans le moindre doute ! Tu es prête à flirter avec le danger de si près ? » Il aurait apprécié que ce soit le seul danger auquel ils étaient confrontés, en réalité. Mais ça n’était dans tous les cas qu’une plaisanterie sans grande conséquence. Il haussa les épaules, alors qu’elle parlait des conséquences de la faim. Aurait-il fini par dévorer des choses initialement non comestibles, s’il était resté dans ses souterrains ? L’idée lui arracha un frémissement, mais il préféra ne rien en dire, et ne pas la relancer sur le sujet. Même si du temps s’était écoulé, c’était encore un sujet sensible. Et il était prêt à affirmer qu’ils en avaient plein d’autres, plutôt que celui-ci. Même si, au départ, ça n’avait rien à voir avec le fait de souffrir de la faim. Preuve en était d’ailleurs qu’ils enchaînaient aisément en parlant d’elle, et de sa relation avec Tom. « Je suis l’innocence incarnée, pourtant ! Et personne ne te croira, si tu répètes que j’ai dit ça ! » Très certainement parce qu’il ne dirai jamais ça en le pensant réellement. Il y avait des femmes de poigne au sein du camp, oui, mais il ne se sentait pas oppressé ou diminué.

Il eut un sourire en coin, alors qu’elle ignorait à moitié sa volonté qu’elle lui construise une attraction à sensation. « J’aime les sensations fortes, voilà tout ! » Il ne put s’empêcher de rire, quand elle releva son mode de vie. « J’étais gitan, et on faisait différents spectacles, dont un cirque, oui ! J’ai toujours été itinérant. » Il s’attendait presque à voir l’air méfiant ou désapprobateur que les gens avaient, quand il annonçait ça, dans le passé. Le jugerait-elle là-dessus ? Elle lui semblait ouverte, mais elle n’avait pas pris ça au sérieux, jusqu’à présent, alors… Se retenant de grimacer, il essaya de laisser de côté son appréhension.

« J’ai failli croire que tu étais muette ! Mais je pensais que Tomeo me l’aurait dit avant, pour ne pas que je fasse de bévue. Du genre me pointer pour te serrer la même en me présentant, et en attendant que tu fasses de même ! » Il en aurait été tout à fait capable, même s’il aurait très probablement trouvé un moyen de dédramatiser dans la foulée. « Tu as déjà fait des photos… commandées ? Si je peux dire ? Ou tu ne les faisais qu’à l’instinct ? Parce que j’imagine que réussir à percevoir des gens ou d’un lieu des choses qu’ils ne voyaient même pas, alors qu’ils t’ont demandé les photos, est encore plus flatteur. » Même si être photographe pour les autres devait être ingrat la plupart du temps.

« Et pourtant, on en méritait pas moins ! » Il lui adressa un clin d’oeil, ne le pensant pas réellement. Son but n’était pas d’avoir mille et une groupies, mais de faire ce qu’il aimait. « Chaque jour un peu plus. » C’était presque aussi vital pour lui que de respirer. Mais, s’il pouvait escalader quelques parois pas trop dangereuses, il s’en abstenait souvent. Une blessure pouvait être mortelle, sans les moyens adéquats de la traiter…