Moon Sun-Hi
Mer 9 Juin 2021 - 15:30
Intelligente Stratège Observatrice Patiente Audacieuse Débrouillarde Intrusive Manipulatrice Volage Arrogante Opportuniste Têtue | Dans son sac à dos emprunté à un militaire mort il y a bien longtemps, en dehors de quelques vêtements de rechange pas trop usés (cadeaux de ses amis canadiens), le reste a – tout comme le sac à dos – principalement été emprunté sur les différents sites militaires qu’elle a réussi à trouver : une gourde en métal, une pierre à feu militaire et une lampe torche sans pile, un sac de couchage militaire accroché sous ledit sac à dos. Elle a aussi toujours une brosse à dent, une paire de gants de travail et du fil de laiton (avec lequel elle n’a jamais réussi à attraper quoi que ce soit). Elle porte de grosses chaussures de randonnée, une veste en cuir abimée qu’elle ne quitte que rarement, et elle ne se promène plus sans son couteau (lui aussi emprunté à vous savez qui) et une batte de baseball. Elle a également un Beretta M9, qui reste essentiellement caché, avec un chargeur plein et un autre à moitié. Non, elle ne s’en sert pas souvent. En dehors de cela, Moon a un sens particulier de ce qui est ou non vital. La majorité de la place de son sac est pris par un mini-ordinateur, un chargeur solaire (elle en a deux, l’un toujours accroché à son sac à dos, pour charger justement), un dictaphone, des disques durs externes résistants au choc et des dizaines de feuilles, notes et autres protégés dans une boite étanche plastique. Elle a également une petite caméra qu'elle garde même si elle ne fonctionne plus. A choisir entre ses armes et ça, elle sauvera ses recherches. A choisir entre tout, elle choisira ses recherches. Oh, elle a glissé les rares photos de ses proches, son téléphone et ses papiers d’identité dans la boite. Avec son visage ovale, ses longs et raides cheveux noirs et ses grands yeux en amandes tout aussi sombres, Moon a presque tous les traits de la beauté tant recherchée en Corée. Ou avait tout du moins, son teint si pâle ne l’est plus vraiment. Elle a beau se vouloir moderne et indépendante, elle aurait certainement eu recours à la chirurgie, comme toutes les coréennes, pour ses paupières ou son nez… voire les deux. Au final, elle est plutôt heureuse d’avoir pu y échapper. Elle a pour le moment de nouveau les cheveux longs, mais elle les coupe aux épaules de temps à autre, et les garde attachés en chignon dès qu’elle met un pied dehors. Si Moon était plutôt dans la moyenne haute en Corée, elle fait partie des petits gabarits ici avec son mètre 61 et ses 48 kg. Elle a toujours été mince, elle a toujours été musclée, mais ces années de marche et crapahutage l’ont sculptée et endurcie mieux que n’importe quel sport l’aurait fait. Elle a également hérité de diverses marques au fur et à mesure de ses pérégrinations dont une large coupure toujours visible sur la cuisse droite. Elle a également de multiples traces de coupures, écorchures et autres plaies un peu partout sur le corps. |
18 août 1990
Je suis née au sein d’une famille déjà nombreuse, après deux garçons (Jung et Eunji) et une fille (Yun). Et j’ai encore eu un frère (Yuri) et une soeur (Cho) quelques années après. Etre l’enfant du milieu est compliqué partout je pense – jamais à la hauteur du premier, jamais aussi mignon que le dernier – mais être une fille au milieu de 6 enfants en Corée du Sud peut être pire que tout. Néanmoins, j’ai eu de la chance. Mes parents n’ont jamais trop adhérés à ce côté du modèle dépassé et patriarcal extrême de notre société. Les pressions tant sociales que familiales pour démissionner après l’accouchement sont en général écrasantes, pourtant ma mère n’a jamais cessé de travailler, tout en s’occupant de nous. Ce qui nous a sans doute donné l’envie de faire de même, de travailler, de choisir nos vies et de ne pas se contenter de ce qu’on voudrait nous imposer.
Les mentalités évoluaient ces dernières années, mais c’était bien loin d’être suffisant. Enfin, qu’importe maintenant, n’est-ce pas ?
La plupart des occidentaux ne comprendraient pas ce que cela signifiait de naître et de grandir dans un pays comme le mien. Les enfants sont le centre de tout, bien plus encore que dans les pays de l’ouest. Ils sont l’avenir, la fierté et l’orgueil d’une famille. Les fils en particulier, eux qui transmettent le nom et l’héritage. La réussite des enfants est celle des parents. Et pour cela, les parents sont près à tous les efforts, à tous les sacrifices, mais en contrepartie, ce qu’on demande aux jeunes pourrait sembler inhumain, et l’est peut-être quand on sait que la majorité des enfants et adolescents étudient 15 à 18h par jour pour être à la hauteur. Ça ne laisse guère de temps pour faire quoi que ce soit d’autres. Une éducation stricte, directive, trop souvent étouffante et exténuante. L'éducation est une religion dans ce pays confucéen. Les études, un gage de réussite sociale.
Et si l’on occulte le taux de suicide terrifiant chez les 15-24 ans, cela semble presque parfait.
C’est pourtant ainsi que se passe notre enfance à tous les six, partagée entre l’école et les cours du soir. Nous travaillons et étudions sans arrêt, visant le meilleur résultat possible pour le sacro saint suneung.
1998
Je me montre curieuse de tout, je pose beaucoup de question à tout le monde. Les autres élèves n’aiment pas trop ça, disent que je suis trop bonne élève, trop indiscrète, trop fouineuse. J’essaie de les ignorer, me moquant de ne pas avoir réellement d’amis, mais ils ne me laissent pas trop le choix. Ils s’y mettent à cinq, toujours les mêmes, visant toujours les mêmes élèves trop studieux, trop sérieux, trop différents. Ne voulant par faire de vagues, je tais les insultes et les premières violences. Ils peuvent bien se penser plus forts, je trouve leur comportement puéril et ridicule. J’apprends à cacher les bleus et je serre les dents. Pas question qu’ils me gâchent mes efforts et mes études.
Jung a été un élève modèle, comme moi, mais je ressemble aussi à Eunji. Et lui a remarqué les marques et l’argent qui disparait sans que je ne mange. Et il me demande si je compte me laisser faire, avec un sourire en coin, si je compte les laisser sans tirer aussi facilement alors que je suis une Sun-Hi. Non, évidemment que non. Je pourrais éventuellement leur rendre leur coup, mais quelque chose me dit que ça finirait mal pour moi. Il approuve et me tapote la tête. « Tu es plus intelligente que ça. »
La première fois, c’est en cours d’anglais. Ce n’est pas anodin, ce professeur est un des plus sévères. Alors quand ils ne se lèvent pas à son arrivée, qu’ils commencent à s’agiter sans pouvoir décoller de leurs chaises, ils sont punis. Qu’importe leurs justifications ou suppliques, ils auraient dû faire attention. Et ils finissent par devoir retirer leurs pantalons et jupes, qui resteront collés aux chaises.
La deuxième fois – après qu’ils m’aient accusés sans preuve et qu’ils aient malgré tout continué de me frapper – c’est durant un cours de sport. Qui aurait pensé que le poil à gratter pouvait être aussi désagréable ? En même temps, j’ai peut-être eu un peu la main lourde en en mettant partout dans leurs uniformes pendant qu’ils couraient. L’un d’eux fait une réaction allergique et finit à l’hôpital. Les autres seront absents durant deux jours.
Ce n’était certes pas très intelligent, mais ça marche.
Août 1999
Aujourd’hui, j’ai 10 ans et papa a réservé une salle de sport pour le fêter avec tout le monde. Il aurait pu payer seul, mais il a partagé les frais avec les parents de Ha-Neul et ceux de Mok, qui ont 7 et 10 ans aujourd’hui aussi, pour qu’eux aussi puissent fêter convenablement leurs anniversaires. Parce que tout le monde n’a pas la chance d’être directeur financier et de gagner sa vie comme lui. Et comme maman travaille aussi, on a assez d’argent pour se le permettre, contrairement à d’autres donc. Quand j’en ai parlé, il m’a dit qu’il n’était pas respectueux de comparer les vies de chacun et qu’il ne fallait pas se vanter ainsi. Pourtant, c’est bien pour montrer qu’on est riches qu’ils organisent tout cela non ? Mais je n’ai rien dit et j’ai sagement acquiescé.
J’ai déjà été gâté, mais je sais que je vais encore avoir des cadeaux. Des vêtements, des chaussures, des livres (en anglais et en espagnol !), un nouveau vélo et une Game Boy Color rien que pour moi. Et tout le monde est là, ce n’est pas si souvent que l’on peut passer du temps tous ensemble comme ça, mais maman a dit que c’était important de profiter et de s’amuser parfois. Alors ce ne sont pas tous les anniversaires que l’on fête comme ça, mais c’était déjà le cas pour les 10 ans de Jung, d’Eunji et de Yun, comme si avoir 10 ans changeait tout. Ce qui n’est pas vrai. Je suis toujours en primaire et je ne peux toujours rien faire toute seule. Ah si ! Papa a accepté que j’aille aux cours de taekwondo avec Jung ! Maman aurait préféré que je fasse de la danse comme Yun ou que je continue la gym, avec Cho, mais je n’aime pas. Et rien n’interdit à une fille d’en faire, je sais, j’ai vérifié.
Mars 2003
Je me regarde une dernière fois dans le miroir, ajustant une nouvelle fois ma chemise. J’aime bien cet uniforme, il est bien plus joli que celui que l’on avait en primaire. « Moon, tu vas être en retard, viens déjeuner. » Je tourne la tête, souriant à ma mère, et j’attrape mes affaires avant de les rejoindre dans la salle à manger. Eunji se moque de moi et de mon appréhension pour cette rentrée, mais Cho me dit de l’ignorer pendant que maman le sermonne. Il peut faire le malin, mais je sais qu’il n’est pas mieux, lui qui passe en dernière année et qui aura son suneung dans quelques mois. Cho s’inquiète aussi, elle le rejoint au lycée et avait déjà un peu de mal à suivre au collège. Je lui souris et commence à manger.
J’ai beaucoup à faire cette année, mais je ne m’inquiète pas trop en vérité, j’aime bien apprendre. J’ai toujours aimé. Quand j’étais petite, c’était un peu compliqué de rester attentive longtemps sur le même sujet. Je me déconcentrais vite et me faisais reprendre par les professeurs. Pourtant, j’ai toujours eu de très bonnes notes. Mais j’ai fait des efforts pour réussir à rester concentrer longtemps, pour ne pas décevoir mes parents. Et jusqu’à présent, je crois que je ne me débrouille pas trop mal.
Et cette année ne fera pas exception. D’autant que j’ai décidé de commencer à apprendre le français et le russe. En plus de tout le reste oui. En même temps, j’ai déjà fait pareil avec l’espagnol et e commence à plutôt bien me débrouiller ! L’anglais ne compte pas, j’apprends depuis que je suis en maternelle. Je lis beaucoup, tout ce qui me passe sous la main, à chaque fois que j’en ai l’occasion. Je ne comprends pas toujours tout, mais je passe par des revues scientifiques, des rapports politiques ou économiques, des essais de sciences sociales. Et des livres, en coréen, anglais, espagnol, français, peu importe. J’apprends.
Décembre 2008
Un sourire jusqu’aux oreilles, je saute dans les bras de ma mère qui m’a accompagné pour voir les résultats. Elle les prend en photo, même si nous les recevons par mail, et nous éloigne un peu avant de commencer à appeler tout le monde. J’ai réussi ! J’ai eu d’aussi bons résultats que Jung ! Et il a été accepté dans les universités SKY !
Je cille et regarde autour de moi. J’ai mon suneung. Ca y est. Plus de cours dans les hawgons jusqu’au milieu de la nuit, sauf pour le taekwondo que je compte bien continuer. Je peux enfin faire ce que je veux. Je vais pouvoir aller à l’Université de Corée, à Séoul ! Je sais déjà ce que je veux faire, cela fait des années que je sais. Je veux aller au département d’Information et de Communication, pour devenir journaliste ! Ce n’est pas le métier le plus prestigieux, je le sais bien, mais qu’importe si je suis diplômée d’une des trois universités, je pourrais tout obtenir, pas vrai ?
Et puis, papa et maman sont tellement heureux et fiers. Ce n’est pas rien d’avoir un deuxième enfant dans l’une des universités SKY, ils vont être au centre de l’attention et tout le monde va les jalouser. Maman est sur un petit nuage.
Et je n’ai pas peur. A Séoul, je vais retrouver Jung et Yun, qui elle est à l’Université nationale des arts de Corée, en section Danse. Je ne pourrais pas forcément revoir beaucoup Eunji par contre, même si l’Académie de l'armée de l'air coréenne n’est pas si loin. Je verrais bien de toute manière.
Août 2012
Plus que quelques mois et j’aurais mon Bachelor. Je m’étire en soupirant avant de me figer. Ah, j’avais oublié que je n’étais pas chez moi. Je grimace et me lève en silence, évitant de réveiller Joo-heun qui est allongé à mes côtés. Je suis en train d’attraper mon soutien-gorge quand il ouvre les yeux. Dommage. « Tu vas où ? Reste un peu. » Je lui souris et secoue la tête. « Je dois y aller, j’ai beaucoup de travail. » Il se redresse et mon regard se perd un peu sur lui. Oui, je sais pourquoi je l’ai suivi… Son regard à lui fixe ma poitrine dénudée. « J’ai du travail aussi, mais on est dimanche. Tu ne veux pas en profiter un peu ? On pourrait rester un peu ici, et aller manger quelque part, tu en dis quoi ? » Je l’observe en souriant. Il est gentil. Et plutôt mignon. Mais s’il pense vraiment que je vais me montrer dehors avec lui, il n’est peut-être pas aussi intelligent que ce que je pensais. Je m’habille rapidement et attrape mon sac. « Si ce n’est pas ton cas, moi, j’ai beaucoup à faire. Et tu sais qu’il n’y a rien de plus, n’est-ce pas ? » Il fronce un peu les sourcils, mais finit par acquiescer.
Et je déteste cette ombre que je vois dans ses yeux. Cette espèce de jugement, de réprobation. Comme si lui pouvait faire ce qui voulait, mais que je devais promettre mariage pour faire la même chose. Ou peut-être est-ce juste de la déception, mais allez savoir. La plupart des hommes que je croise sont encore ancrés dans ce schéma patriarcal d’un autre âge. Et moi aussi dans un sens, sinon j’aurais pu accepter son invitation sans que cela n’implique rien de plus. Mais on ne peut malheureusement pas traîner avec un homme – ou une femme – sans que tout le monde ne vous voient déjà mariés… Avec des enfants… Et il est hors de question que je mette tout ce pour quoi j’ai tant travaillé de côté pour le moment. Même plus tard, je n’ai pas l’intention d’arrêter de travailler, mais pour le moment, mes études et ma carrière passent en premier.
Je retourne à l’appartement que je partage avec Yun avec un petit déjeuner pour nous deux. Je travaille quelques heures, avant de me laisser corrompre par ma sœur qui va au cinéma avec des amis.
2014
Et sans me vanter, je suis douée. Je n’aime pas me contenter de raconter des histoires ou de reporter des on-dit, j’aime chercher, fouiller, argumenter, prouver. J’ai obtenu mon Bachelor il y a deux ans, puis mon master cette année, après six années d’études épuisantes mais moins anxiogènes.
Et autant dire qu’en sortant de l’Université de Corée, je n’ai pas de difficulté à trouver un travail. Je suis embauchée par l’une des plus grandes chaînes de télévision coréenne dans les semaines qui suivent.
Je déchante un peu quand on me donne des tâches dignes de stagiaires, des recherches pour le compte d’autres journalistes, des reportages inintéressants sur les animaux domestiques ou sur le dernier gadget ménager à la mode. Je ne suis pas diplômé de l’Université de Corée pour n’être qu’une reporteur de seconde zone !
« Chef, je peux vous parler ? » Il lève le nez du document qu’il lit, son regard s’attardant un peu trop longuement sur moi pour que je ne le remarque pas. Tant mieux. Je lui souris et referme la porte derrière moi. « J’ai entendu dire que vous alliez envoyer quelqu’un pour interviewer le docteur Min-Oh Yeo-Jeong, à Seattle. C’est vrai ? » Il soupire. « On en a déjà parlé Moon. Fais tes preuves, travailles, et tu finiras par avoir des reportages digne de toi. » Je ne relève pas sa pique, après tout, c’est effectivement ce que je pense. « Je suis diplômé de l’Université de Corée, ce qui fait de moi quelqu’un de plus qualifiée et douée que la majorité des gens qui travaillent ici. » Tout en parlant, je m’approche de lui avec une moue et me pose sur le coin du bureau non loin de lui, mes doigts glissant sur le dossier posé à côté. « Je peux peut-être faire mes preuves autrement. Si j’ai ce reportage et d’autres aussi importants… » Je le vois me déshabiller du regard et hésiter, et ma jambe va frôler la sienne alors qu’il ouvre la bouche. « Je sais que je serais à la hauteur. Faites-moi confiance. » Sa main effleure mon genou. « On verra déjà ce que tu donnes sur ce reportage. Et le reste. »
Je ne suis pas une reporteur de seconde zone, je suis Moon Sun-Hi, alors quand je vois une opportunité, je la saisis.
Début octobre 2015
Le caméraman me regarde d’un air abasourdi et secoue la tête. « C’est hors de question. Je ne sais pas ce que tu as en tête, mais nous sommes là pour assister au colloque, pour une interview et un reportage sur lui, pas sur… Des brutes. Nous sommes aux Etats-Unis Moon, ils sont tous stupides et violents. C’est hors de question qu’on abandonne pour une stupide lubie. » Je le dévisage. « Ce n’est pas une lubie ! Je sais qu’il y a quelque chose ! Regarde ! » Je fais défiler sur mon téléphone les faits divers que j’ai déjà relevés et je secoue la tête. « Ce n’est pas la rage ou je ne sais quoi Tae-Hyun, ce n’est pas cohérent, il y a autre chose ! » Il me fixe et secoue la tête. « Désolé. Mais je vais au colloque et je suivrais le programme. Il n’est pas question que je perde mon travail pour ça. Et tu ferais mieux de faire pareil. Tu as deux jours. Sois là mardi à 8h comme prévu. »
Je le regarde partir et laisse filer un soupir. Ouvrant mon ordi, je relis les articles, passe des heures à en chercher d’autres, à essayer de trouver un schéma, des liens, sans succès. Pourtant je sais.
Mon instinct me titille en me disant ‘Hé, Moon, concentre-toi plutôt là-dessus !’, ce que je fais tous le week-end. Je décide de compiler les notes et informations que j’ai, et je commence à m’enregistrer, comme si ça m’aidait à avoir les idées plus claires.
Autant dire que le mardi je ne vais pas au rendez-vous. Plus de cas, plus de policiers. Les autorités parlent de nouveau virus, mais ça n’explique pas tout. Ce n’est pas suffisant. Et je veux trouver et comprendre.
Enregistrements datant d’octobre 2015 – Seattle
« Cela va sans doute paraître étrange que je puisse préférer me renseigner sur ces agressions et cette… épidémie plutôt que de poursuivre mon interview, mais il y a quelque chose qui… me dérange, qui m’interpelle dans toute cette histoire. J’ai cherché et regroupé les informations, et il y a des histoires du même genre dans tous les états : des violences de personnes qui semblent perdre la tête, des brutalités inattendues et sans raison, des mises sous quarantaine de plusieurs hôpitaux, des militaires qui viennent à patrouiller dans les rues. Je sais que les Etats-Unis sont un pays où les violences sont communes et nombreuses, mais celles-ci sont différentes, elles sont trop étranges, inhabituelles. Et trop nombreuses. »
« Ils m’ont mises dehors. Une jeune scientifique à accepter de me recevoir. J’ai commencé par parler du docteur Yeo-Jeong, comme raison de ma venue et pour amener la conversation, et j’ai posé des questions lambdas. Tout se passait bien, elle répondait en souriant. Mais quand j’ai commencé à parler des derniers événements, des cas d’attaques et des hôpitaux sous surveillance, elle a blêmi, et dans les trois minutes qui ont suivies, son supérieur je suppose est arrivé, accompagné de deux militaires, aussi commodes que des portes de prison. Il m’a demandé de partir. Il m’a invité à partir rapidement. Aucun commentaire. Ça veut bien dire qu’ils en savent plus et qu’ils cachent quelque chose, n’est-ce pas ? »
Enregistrements datant de 2016 – Seattle et Portland
« L’électricité et les coupures d’eau sont de plus en plus fréquentes. Je n’arrive plus à joindre personne. Je n’ai plus de nouvelle de ma famille et quand je vois la situation, c’est difficile de rester positive. Peut-être est-ce limité à ce continent, aux Etats-Unis, la Corée est tellement loin. Je n’y crois pas vraiment, mais j’essaie. Et Eunji a pu les trouver et les mettre en sécurité. Ce serait bien son genre d’arriver en héros. Ce n’est pas comme si je pouvais y changer quelque chose. » Je relis des notes et esquisse un sourire. « J’ai trouvé des disques durs étanches et des chargeurs solaires, je devrais pouvoir tenir un certain temps comme ça. Je vais continuer. Hors de question de laisser tomber alors que tout part à vau-l’eau. J’ai relevé les adresses des CDC, des bases militaires, des grands hôpitaux et autres centres de recherches dans un rayon de plus de… 1000 km je crois. Ça en fait beaucoup. Ils ont demandé à ce que l’ont rejoigne des camps, mais c’est hors de question. Je doute qu’ils contrôlent quoi que ce soit, alors je vais continuer de chercher. »
« J’ai croisé un petit groupe sur la route. Deux familles, des amis, qui ont décidé de fuir la ville. Ils m’ont fait remarquer que ce serait bien si je recueillais des témoignages de gens comme eux. Et ils ont raison, avoir différents point de vue, différents vécus, différentes expériences, c’est important. Et puis… Chacun peut laisser une trace. Et en notant les noms et provenance de tous, j’arriverais peut-être à trouver des liens. Et c’est le devoir d’un journaliste après tout, de faire apparaître la vérité et de se souvenir. » J’ai un temps d’arrêt alors que mon regard se perd un peu dans le vague, avant de fixer de nouveau la caméra, les larmes aux yeux. « En parlant de souvenir… On est le 24 juin, alors… Saeng-il chugha haeyo eomma. »
« La poêle à frire. C’est génial. » J’ai un rire nerveux. « Je ne l’ai pas vu arriver. J’étais en train de fouiller la cuisine et il est arrivé. Il m’a attrapé et… C’était assez ignoble en vrai, j’ai du m’y reprendre plusieurs fois pour… détruire son cerveau vu qu’il n’y a visiblement vraiment que ça qui marche. Avec une poêle donc. Et je n’ai rien trouvé d’intéressant dans le coin, je suis là depuis des mois et je n’ai pas trouvé grand-chose. Je crois que les morts ont pas mal quitté les villes, alors je vais tenter d’aller voir dans le centre de Portland. L’hôpital disposait d’un centre de recherche, alors qui sait, j’aurais peut-être plus de chance. »
« Ils n’étaient pas partis. » Je sais que je suis blême, un peu hagarde, les yeux écarquillés. Je parle rapidement, je dois recommencer parfois parce que je parle en coréen. « J’ai réussi à rejoindre l’hôpital. Sauf que… Ils sont tellement nombreux. Tous ces gens, tous ces morts… Et on dirait qu’ils se déplacent ensemble, j’en ai croisé des solitaires, mais… au coin du bâtiment, ils étaient des centaines… peut-être des milliers. Je ne sais pas. J’ai fui. J’ai réussi à fuir, je ne sais pas trop… Si je sais. J’ai entendu des hurlements. Ceux qui m’ont suivi ont du voir quelqu’un d’autre. Mais j’ai fui. »
« Je ne voulais pas en parler. Et je me suis rendu compte que… Qu’il fallait que j’en parle. J’en ai besoin et puis surtout…Je suis toujours en vie, je m’en suis sortie, j’ai été plus forte. Et c’est mon devoir de journaliste de reporter les faits, même les plus horribles, même les plus personnels.
Ma voiture à rendu l’âme près de… Broadman, Boardman, quelque chose du genre alors que je retournais à Spokane. J’ai du continuer à pieds. Il y a un an, les gens s’entraidaient et étaient solidaires, pour la plupart. Tout le monde avait peur et aidait, parce que c’est ce qui fait de nous des être humains, et c’est ce qui a permis de tenir aussi, au milieu de tout ça. Aujourd’hui… Les morts sont devenus ordinaires, on s’y est habitués, on a survécus. Alors il ne reste que… Les vestiges d’humanité ont beaucoup disparu chez certains et…
J’étais partie chercher de l’eau, j’avais mon pied-de-biche, mais ce n’est pas très efficace contre des vivants. Je n’ai pas couru assez vite. Ils m’ont attrapé. J’ai essayé de me défendre. De les frapper. J’ai réussi, j’ai entendu un os craquer. Ils ont frappé plus fort. Ils m’ont emmené. Ils m’ont menacé. Ils m’ont… Ils étaient cinq et ils m’ont violé à tour de rôle. Je crois que… Le cerveau finit par décrocher tout simplement. Comme en cas de douleurs trop intenses, il coupe. Ce n’était plus moi. Ce n’était pas moi. Deux jours. Peu importe ce qu’ils ont fait, ce n’était pas moi. Je me souviens qu’ils se sont disputés, qu’ils se sont battus. Je me souviens… Je me souviens que l’un d’eux était au-dessus de moi, de son regard écarquillé, du sang qui a commencé à couler de son cou. Je me revois le repousser et planter à nouveau le morceau de miroir dans son torse. Un autre est arrivé et… Les réflexes ont pris le dessus. Je n’ai pas réfléchi, à aucun moment. Il s’est retrouvé à terre et je lui ai planté le verre dans l’œil. Je suis partie. J'ai couru. Je ne me suis même pas rendue compte que j’étais presque nue. Ce n'est qu'en arrivant, plus tard, que je m'en suis rendue compte. j'avais les pieds blessés et gelés. J’étais couverte de sang.
C’était… il y a une semaine. 10 jours peut-être, j’ai un peu perdu le compte. Mais je vais bien. Je m’en suis sortie. »
Enregistrements datant de 2017 – Spokane et environs
« Je me suis tenue loin de tout le monde, comme un animal blessé. Sauf que je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas m’en sortir en étant seule tout le temps. Je ne peux pas rester éloigner des autres et continuer ce que je me suis promis de faire. Alors je reste cachée et j’observe, et de temps en temps, quand ils semblent… humains, je m’approche. Une femme seule n’est jamais une menace. Les femmes qui sourient, les enfants, les vieux, sont quelques signes plutôt positifs. Et j’ai trouvé un petit groupe, une famille recomposée post-apocalypse si l’on peut dire… Ils sont gentils, étonnement solidaires et protecteurs avec les enfants qui ne sont pas les leurs. Comme quoi tout n’est pas perdu. Et presque aussi important, ils ont des armes. Je leur ai demandé de m’apprendre à tirer, ils ont accepté. Ça fait du bruit, mais ça marche sur les morts comme sur les vivants. Et puis, on est aux Etats-Unis, je finirais bien par trouver une arme. »
« C’est bientôt mon anniversaire. J’évite d’y penser en général… Ethan, Lynn et les autres sont partis, et ça fait bizarre de se retrouver seule d’un coup. Je ne suis plus habituée. Cela fait plusieurs mois que j’étais avec eux, et je me sentais à ma place. Ils ont eu du mal à comprendre mon refus, mais… Je me suis déjà trop attachée à eux, et il faut que je continue. J’ai dû faire le tour de tous les hôpitaux et centres que je pouvais aux alentours de Spokane, je dois reprendre la route. Et puis, ils seront bien avec cet autre petit groupe. Mais je dois repartir. »
« J’ai réussi à m’introduire dans le CDC de Spokane. Il est rempli de morts, mais c’est tellement grand que j’arrive à les éviter. Il y a des notes et des recherches partout. Ça va me prendre des semaines rien que pour tout rassembler et compiler, je ne parle même pas de les étudier ou… Ce que j’ai déjà trouvé est parfois trop compliqué pour moi, je ne comprends pas tous les termes ni… Les sciences n’ont jamais été ma spécialité, alors de la biologie, de la physique et autres en anglais ? Mais peu importe, j’emmène ce que je peux et je copie le reste sur un de disques durs.
De toute façon, il commence à faire trop froid pour partir. Je vais rester ici jusqu’au printemps, ça va me laisser le temps de fouiller la ville et de… peut-être croiser des survivants. Ça fait trop longtemps que j’ai laissé ça de côté aussi. »
Enregistrements datant de 2018 – Spokane – Boise
Note manuscrite. « Les batteries sont de nouveau mortes. Toutes les batteries. J’aimerais bien avoir un peu de soleil pour recharger tout ça… J’ai dû fuir le site, si l’on peut dire. Je n’avais pas prévu de repartir si tôt, la neige est encore là, mais il y a eu des invités surprises. Des invités lourdement armés qui n’avaient pas trop l’air commodes. Et je ne suis pas restée assez longtemps pour en être sûre, mais je crois que c’est le même Colonel que celui du camp où Lynn et les autres sont partie en juillet. Si c’est le cas, peut-être qu’ils ne mentaient pas sur leur situation, vu le matériel que j’ai aperçu, ce ne serait pas étonnant.
Je vais essayer de rejoindre Moses Lake, en général qui dit base militaire, dit CDC ou du moins, centre de recherches. On verra bien. »
« Je crois que c’est l’anniversaire de Bouddha aujourd’hui. Ou hier ? Enfin, on en est pas loin. J’ai trouvé de quoi faire une lanterne… Elle n’est pas aussi jolie que celles d’avant, mais j’ai fait de mon mieux. Et j’ai de l’encens. Je n’ai pas trouvé de statue, mais je ferais sans. » Je regarde ma lanterne de papier et esquisse un sourire triste. « Ils me manquent. J’aimerais pouvoir me dire que l’épidémie est restée cantonnée à ce continent et qu’ils sont en sécurité. J’aimerais m’en convaincre… » Je déglutis et montre le paysage qui m’entoure. « Sinon, je suis dans l’Idaho, à Boise… Qui n’a rien de remarquable, si ce n’est une énième base, la Mountain Home Air Force Base, et une énième centre du CDC. J’ai réussi à trouver de nouveaux disques durs, de plus grands volumes. Vu leur coque, je suppose qu’ils peuvent supporter pas mal de chocs et autres… ça m’a permis de tout réorganiser et trier, voire copier pour certaines des informations et autres données pour lesquelles j’ai des preuves et des recherches. Je commence à avoir pas mal de témoignages aussi. Pas de scientifiques, mais c’est tout aussi important. »
Je me frotte les yeux avant de me pincer le nez. « J’ai l’impression de ressasser toujours les mêmes choses. Et d’être toujours épuisée. Je suppose qu’être la moitié de l’année sur la route à marcher, sans forcément faire de vrais repas ou vraiment dormir, ne doit pas aider. J’ai essayé d’aller à… » Je regarde mes notes. « Ah oui. Great Falls. C’est dans le Montana. C’était dans le Montana. CDC, base militaire, groupe de survivants, toujours la même rengaine. Je n’y suis pas arrivée, les routes sont impraticables et puis…. Il n’y aurait rien de plus je pense. J’ai trouvé des armes à la Mountain Home Air Force Base, à Boise. Enfin, des armes et des munitions. J’en ai gardé une, et j’en profite pour m’entraîner. Je commence à ne pas trop mal me débrouiller je crois. Je ne vais pas aller plus loin à l’est, je me suis déjà éloignée plus que prévue. Je vais remonter, après l’hiver, je pense que j’irais au Canada, il parait que c’est très joli au printemps. » J’ai un sourire. « Vancouver. J’irai à Vancouver. Et après… Je ne sais pas trop, je retournerai à Seattle sans doute. »
Enregistrements datant de 2019 - Vancouver
« C’est vraiment très joli ces parcs naturels. Je n’aurais jamais pensé pouvoir en visiter autant, encore moins les traverser à pieds. Les animaux sont nombreux, on peut voir des troupeaux entiers se déplacer. » J’écarquille un peu les yeux. « Des troupeaux de rennes, comme des troupeaux de loups. Heureusement que j’avais du feu. Je ne crois pas qu’ils m’aient suivi, je ne pense pas me diriger plus au sein de leur territoire… de cette meute-là du moins. J’aurais dû penser à ça avant oui. J’ai pensé que le nord et les forêts ralentiraient les morts, et rebuteraient la plupart des humains. Ce qui est le cas, même si je dois régulièrement m’arrêter ou faire des détours pour éviter certains potentiels problèmes. Mais j’avais oublié la nature. C’est stupide oui. Il y a régulièrement des abris, qui n’en ont que le nom pour certains, mais c’est mieux que rien. » Je jette un coup d’œil sur le côté, avant de baisser les yeux. « J’ai dû en tuer un. De loup. Pour faire fuir les autres. Je ne voulais pas. Mais ce qui est encore pire… C’est que je me demande comment ça se cuit. »
Assise dans un fauteuil, une couverture sur les genoux, je fais tourner la caméra pour filmer l’intérieur de la maison, m’arrêtant sur le feu de cheminée. Malgré les bruits de voix en fond, je ne peux guère faire plus que chuchoter. « Je vais bien. Apparemment, j’ai eu de la chance, si William ne m’avait pas trouvé, je ne serais plus là. J’ai perdu du poids depuis le début de l’épidémie, mais les derniers mois ont eu raison de mes dernières forces. Je me suis fait une jolie coupure à la jambe droite aussi, qui s’est infectée… Tout ça pour dire que je leur dois la vie. Et que les canadiens sont vraiment comme on le dit, même quatre ans après le début de tout ça. Ils sont adorables. Je peux restée aussi longtemps que je veux, je suis la bienvenue. » J’ai un mince sourire, avant de grimacer en voyant mes joues creusées et mon teint toujours blafard. « Comment refuser une si gentille invitation ? Et puis, ils fêtent Thanksgiving ! De la dinde et des pommes de terre, le rêve. Et ils m’ont promis des bonbons à la sève d’érable. Je suis obligée de rester. »
Enregistrements datant de 2020 – Vancouver - Seattle
« Je ne sais pas par où commencer. La route depuis Vancouver à été beaucoup plus simple que l’aller. Je suis repartie avec plus de vivres que quand je suis partie d’ici il y a cinq ans… cinq ans. Une éternité, pas vrai ? Tout a tellement changé. J’ai l’impression d’avoir tout à redécouvrir, ce qui est probablement le cas. Mais c’est une très bonne chose. Il y a suffisamment de bonnes volontés, on va dire ça, pour qu’ils soient parvenus à reconstruire une micro société.
… C’est effrayant un peu. Même durant la dernière année, je n’ai pas vu autant de personnes rassemblées, ni autant d’allers-venues. Une journaliste d’investigation qui a peur de la foule c’est un peu pathétique. Mais je ne m’inquiète pas. Ça va revenir, et avec tout ce que j’ai traversé, ce n’est certainement pas ça qui va m’effrayer. De toute manière, je dois comprendre comment ils en sont arrivés là, comment ça fonctionne et tient debout.
Et qui sait dans la multitude de survivants, j’en trouverai peut-être d’autres qui s’intéressent aussi au pourquoi du comment, je ne peux pas être la seule… Si ? A tout le moins, je trouverai bien quelqu’un qui pourra m’aider avec toutes ces données et toutes mes notes et recherches. »
Enregistrements datant de 2021 – Seattle
« Je peux revenir sur ce que j’ai dit mentionnant une société civilisée ? Parce que ce que j’ai face à moi n’est pas vraiment synonyme de civilisation, pas à mon sens du moins. On se croirait davantage du temps du Japon médiéval. Ou je ne sais pas trop quelle période ici.
Faut dire ce qui est, au moins, le message est clair. N’importe qui en voyant ces têtes sur des piques comprend.
On m’a pourtant dit que The Haven faisait partie des groupes plutôt pacifiques. Ce n’est pas vraiment l’image qui en ressort, mais vu qu’ils revendiquent l’action, il n’y a pas de doutes… Encore une fois, le message est plutôt limpide. Ils sont sympas tant qu’on ne les provoque pas de trop.
Et du peu que j’ai appris sur ces gars, ceux à qui appartenaient les têtes, il n’y a pas que The Haven qu’ils… contrariaient. Ils ont dû arriver à peu près en même temps que moi – ironique oui – et leur présence n’a amené que de problèmes. Et si je dois être tout à fait franche, je suis plutôt contente que quelqu’un se soit débarrassé d’eux. Même si je continue de trouver ça totalement barbare. »
Malgré les hauts et les bas, je commence à m’y faire. J’arrive à me faufiler et à me repérer dans les ruelles sans problème maintenant. Je parviens en général à trouver un endroit sûr où dormir, même si j’évite d’y rester plus de quelques jours, plus par mesure de précaution qu’autre chose. Après tout, les règles sont claires : chacun est responsable de lui-même.
Je commence par faire un tour au No Man’s Land, on y trouve plus de trucs intéressants tôt le matin. Quand j’ai de la chance, je trouve de quoi manger, et surtout, j’ai de quoi payer. Ça a été un peu compliqué au début pour moi. Après tout, un mécanicien, un flic ou encore un jardinier peut facilement trouver comment échanger ses services, alors qu’un journaliste… Mais je sais me débrouiller, et surtout, je me suis rendue compte que les gens ne changent pas. Ils ont toujours besoin d’informations. Alors je cherche et je me renseigne.
Et puis, cela m’arrive de jouer à la traductrice. Moins souvent que de jouer l’appât ou que de me joindre à une équipe de nettoyage, mais on fait avec ce qu’on a. Je rencontre des gens. Certains se moquent, certains m’envoient balader, certains me parlent. Beaucoup me parlent à vrai dire. Ce n’est pas tous les jours que quelqu’un s’intéresse véritablement à eux et à leur histoire. Et certains viennent me voir en apprenant que j’ai voyagé. Pour savoir comment c’est ailleurs. Comment les autres survivent. Si je n’ai pas croisé leur oncle, sœur ou copine. Je devrais proposer mes services en tant que conteuse. J’y pense presque sérieusement.
Je fais souvent le tour des différents panneaux et des mémoriaux. Ça fout le cafard de voir ces dizaines, ces centaines de visages et de mots. Tout le monde a perdu quelqu’un, tout le monde cherche quelqu’un. J’essaie de retrouver des gens que j’ai pu voir, à qui j’ai pu parler. Je sais bien que ça ne mènera à rien, beaucoup de ceux ayant posé un témoignage, une recherche de personne disparue ne sont plus là aujourd’hui. Les photos sont délavées et disparaissent. Les mots s’effacent et leurs souvenirs disparaissent avec eux. Bientôt plus personne ne se souviendra d’eux.
Sauf moi. Je suis là et je me souviendrais.
- Invité
- Invité
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
- Jacob E. Ross
- Administratrice
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
- Invité
- Invité
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
- Invité
- Invité
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
- Invité
- Invité
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
- Hayden Keynes
The Exiles
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
- Invité
- Invité
- Casier judiciaire
- Feuille de personnage
Page 1 sur 2 • 1, 2