RYAN - souls that dream alone lie awake.
Lun 28 Juin 2021 - 18:00
loyale observatrice intrépide entière créative abrupte cynique désinvolte rancunière obstinée | A son arrivée à The Haven, le bagage de Ryan était bien plus lourd qu’aujourd’hui – le matériel, uniquement, parce que l’émotionnel a encore pris pas mal de kilos, ce gros tas. De ses années de survie, elle n’aura gardé qu’un sifflet suspendu à son cou par une cordelette fatiguée, un couteau de chasse dont la poignée est décorée de ses initiales R.E.L. et qu’elle garde toujours à portée de main (toujours.) et un bandana bleu délavé noué à son poignet gauche. Il appartenait à Jesse, qui le lui avait offert avant qu’ils ne soient séparés ; il porte des traces de crayon gris parce qu’elle s’en servait pour estomper ses traits en dessinant et une tache de sang sur un des coins du jour où Milow a tué leur frère aîné. Mais ce côté est toujours dissimulé. Elle a eu un Smith & Wesson Chiefs Special (un modèle commun chez les forces de police américaines) déniché dans une voiture de police abandonnée, néanmoins elle n’a pas pu l’utiliser par manque de balles. L’arme est toujours dans son sac à dos, lequel reste sagement sous son lit. Une boîte d’allumettes avec dix allumettes, des crayons gris en vrac, une gourde métallique, une loupe et des eyeliners noirs constituent l’actuel contenu dudit sac. Rien de vital, donc. Mais c’est son bric-à-brac. Ryan possède également deux carnets de dessin, l’un post-apocalypse et le second, pré-apocalypse. Les pages sont chargées de dessins, annotations, croquis de paysage et morceaux de cartes ou de repères visuels des endroits qu’ils ont traversé. Ils tiennent dans les poches arrières de ses deux jeans (pardon aux férues de mode, mais elle n’en aque deux, ce qui est déjà incroyable) et elle s’en sert régulièrement. Ce qui est certain concernant Ryan, c’est que son antipathie à l’égard des êtres vivants est facile à comprendre rien qu’en la regardant. C’est un mélange entre le pli soucieux entre ses sourcils souvent froncés, ses lèvres pincées et malmenées, son regard flirtant entre l’arrogance et le je-m’en-foutisme… Elle croise toujours les bras, un mécanisme physique défensif bien connu. Elle n’a pas envie d’être dérangée, et elle l’affiche. Morveuse indisciplinée, quasiment sauvage, elle ne se prive pourtant pas de dévisager les autres et parfois de les croquer (pas avec les dents, avec ses crayons - quoi que) sans leur autorisation. Malgré l’attitude très distante qu’elle impose aux autres, Ryan sait se montrer civilisée lorsqu’on l’approche. Ryan, physiquement, c'est cette jeune femme brune au regard noisette qui vous suit des yeux. La silhouette silencieuse qui s'efface aisément au détour d'un couloir, presque fantomatique. C'est cette fougue qu'elle exprime par son langage fleuri, ses grands gestes énervés, son visage beaucoup trop expressif. Ou en tout cas, fort doué pour exsuder un venin convaincant. Rien ne tressaille pourtant quand elle ment, virtuose in mischiefs pourtant dotée d'un drôle de code de l'honneur envers... envers elle-même, Milow et puis c'est tout, en vérité. Même si son séjour à The Haven l'a aidée à s'ouvrir aux autres, elle reste cette gamine qui a du grandir trop vite, trop durement, trop seule. Les Lewis sont des durs à cuire, tous à leur façon, et si Jesse était l'arme, Milow l'agilité, elle demeure l'astuce de la famille. Celle qui avance, malgré ses jeans déchirés, sa démarche nonchalante résonnant à chaque tressailli de son sifflet sur sa veste noire à franges dont elle ne se sépare jamais. Celle qui tient bon, malgré les expériences traumatisant son esprit, ornant son bras d'une cicatrice et hantant jusqu'à ses nuits. Du haut de son mètre soixante-et-onze (quoi que, plutôt soixante-seize vu les plateformes de ses fausses Doc Martens), elle toise sans vergogne ceux qui s’adressent à elle. Elle a l’habitude d’être sous-estimée à cause de son poids plume, du fait qu’elle soit une femme, ou encore qu’elle n’est pas moche à regarder. Les gens sont bourrés d’aprioris. Ils l’étaient déjà avant tout ce merdier, ceci dit. Ses cheveux blonds et roses ? Signe qu’elle était sûrement lesbienne. Ses piercings ? Elle écoutait probablement des musiques hard-rock, ou carrément sataniques vu qu’elle a fini par se faire tatouer à seize ans. Son style vestimentaire à la limite du « j’ai mis les affaires de mes frères et ce que j’ai trouvé dans la benne à ordures » ? La pauvre fille, seule avec trois hommes, elle n’a aucune influence féminine. Sa sexualité déjà peu regardante du genre ? Encore une preuve qu’elle a mal tourné, cette pauvre, pauvre gamine. Ouais, les gens sont friands d’étiquettes. D’adjectifs et de jugements. Le blond va bien aux personnes simples d’esprit. Une jolie fille ne devrait pas jurer autant. Embrasser une fille et un mec à la même soirée vous donne immédiatement le statut de proie facile. Ou de salope dévergondée, au choix. Fumer avec Marie-Jeanne et faire partager sa compagnie termine de vous détruire socialement pour la majorité des gens. Et ceux qui pensent que vous êtes comme eux finissent par se rendre compte de leur erreur. Vous êtes vous. Vous n’avez pas besoin qu’on vous dise à quoi vous êtes supposés ressembler, ce que vous êtes supposés dire ou ressentir. Vos pensées et votre corps vous appartiennent. Les gens sont cons. |
C’est une conclusion à laquelle Ryan est arrivée très tôt, et dont elle ne démordra probablement jamais. Ce n’est là que l’une des nombreuses preuves de son obstination complètement fermée à la limite du croisement avec une mule. Les Lewis ont tous la tête dure et les idées assez fixes. S’ils pensent quelque chose, c’est généralement vrai – et ils ont de sacrées bonnes réparties, sauf Milow qui se contente d’aboyer fort et de mordre, de temps à autres. Ryan a toujours été un peu plus en marge que Jesse, sans toutefois écoper du sobriquet « d’asocial » qu’on accolait souvent à leur cadet ; elle est néanmoins un petit mélange des deux caractères, chaleureuse avec ses proches tout en demeurant férocement méfiante des étrangers. Et beaucoup trop franche pour être aimable – elle dirait entière, elle. A force d’être perpétuellement jugée et étiquetée, elle en a conçu une tendance à la rancune tenace et un farouche besoin de liberté. D’indépendance. Elle pensait d’ailleurs qu’elle était une solitaire dans l’âme, que même si le monde entier disparaissait du jour au lendemain, tant qu’elle avait sa famille, tout irait bien. Une chienne sans cœur, p’têtre, mais une chienne loyale.
Life is a cynical bitch.
Alors on se retrouve de jeune étudiante en arts marginale, au passif de fumeuse de drogues et de s’être tapé tout ce qui bougeait au lycée (info ou intox), à cette jeune femme servant de médiatrice entre trois sacs de testostérone bouclés dans un minuscule appartement. N’importe qui aurait fini par les trucider dans leur sommeil avec une paire de ciseaux. N’importe qui, vraiment. Vraiment. Peut-être qu’elle y a pensé, une ou deux fois, toutefois c’était bien moins salissant et épuisant de dessiner ce genre d’actes plutôt que de les faire. Alors, quand la pression devenait trop étouffante, quand l’avenir paraissait trop sombre, Ryan se réfugiait dans le dessin. La seule activité qui parvenait à geler totalement son cerveau en perpétuelle réflexion. Les pensées couchées sur le papier semblaient moins dangereuses. Les rêves, plus doux. Les cauchemars… eux, ils devenaient plus vrais. C’est parce qu’elle était toujours en train de faire des croquis qu’elle est devenue aussi observatrice, Ryan. Sans être un mastermind criminel, elle a toujours eu plus de facilités que les gens pour décrypter les petits gestes, les mots innocents, les regards expressifs. C’était son petit truc à elle, là où Jesse se faisait apprécier par tout le monde et Milow escaladait les murs.
Quand il a fallu quitter leur maison pour tenter de survivre dehors, Ryan est celle qui est restée le plus désinvolte – bien sûr qu’elle aurait préféré que leur père vive, mais c’était déjà le cas lorsque leur mère les a quittés. On aimerait bien des choses, sauf que la vie n’en a rien à foutre de ce qu’on veut. Alors il vaut mieux ne pas se laisser atteindre. Pas à la manière de Milow, en contrariant tout le monde et en s’enfermant toujours plus. Pas à la manière de Jesse, en voulant protéger tout le monde et en prenant le poids du monde sur ses épaules pour expier une culpabilité muette. A sa manière à elle : en devenant cette tête brûlée intrépide, au parler abrupt – voire carrément grossier – et en recyclant sa créativité en mille et une astuces pour survivre à l’apocalypse.
Mais elle n’est pas que ça, Ryan.
Personne n’est une poignée de mots jetés sur le papier.
Nous sommes en constante évolution : pour le meilleur comme pour le pire.
Ryan Elizabeth Lewis, deuxième enfant et unique fille du trio.
Avec le recul, je me dis que ma vie est vraiment en train de devenir un scénario de film. De mauvais film, en plus. Vous ne voyez pas pourquoi je dis ça ? O.K., let me fill you in.
Ryan Elizabeth Lewis, emmerdeuse professionnelle et l’une des deux survivantes du trio.
J’ai assez peu de souvenirs de ma mère. Mon psy disait que c’était parce que je les réprimais ; je roulais des yeux en disant, sarcastiquement, « oh, c’est à se demander pourquoi je voudrais oublier une femme qui nous a abandonné, pas vrai ? »
J’ai toujours eu la langue beaucoup trop pendue. Et acérée, avec ça.
Un mécanisme de défense, avait noté Dr. Phillips sur son carnet à la reliure en cuir. Même moi, je le savais. Est-ce que ça veut dire que je pourrais me faire payer soixante dollars par séance, en pseudo-psychanalysant les autres personnes brisées ? Uh, laissez-moi noter ça…
Les meilleurs souvenirs que j’ai sont… difficiles à distinguer. Flous, avec des couleurs délavées, les sons sont brouillés. J’étais trop jeune. Et je ne réalisais pas l’importance de graver ces instants dans ma mémoire à l’époque. Comment une gamine de huit ans est supposée se douter de ce genre de choses ? Pff. J’étais heureuse sans le savoir : Jesse était le genre de grand frère cool qui fait baver toutes tes copines, Milow dans le rôle du petit frère un peu creep sur les bords. Papa et maman dans le tableau, souriants, amoureux. Et l’argent aussi. Jamais compris le connard qui a osé dire que ça ne faisait pas le bonheur. Il faisait quoi, avec, il bouchait les toilettes ? L’argent est un ingrédient principal de la recette du bonheur. Croyez-moi sur parole, j’ai testé le reste et ça n’a vraiment pas le même goût.
Ryan Elizabeth Lewis, artiste solitaire et déviante sexuelle autoproclamée.
Bah, ouais, pourquoi pas après tout ?
J’avais huit ans quand ma mère a eu un accident qui s’est soldé par une amnésie providentielle. J’sais toujours pas quoi en penser, honnêtement. Les séances de psychanalyse ne m’ont pas réellement aidé à comprendre pourquoi elle n’a jamais rappelé, jamais renvoyé la moindre carte d’anniversaire. Elle était proche de la quarantaine, menottée à une famille composée de trois gosses intenables (bon, Jesse était quand même le plus adorable) et à un mari incapable de percer professionnellement. Les médecins disaient que la mémoire pourrait lui revenir, et en un sens, ça a été le cas. Elle s’est souvenue de ses dossiers, de son boulot, de ses parents, de l’université où elle est allée… Mais rien de sa vie personnelle sur ces quinze dernières années. Alors pourquoi serait-elle restée ? J’aurais sûrement fait pareil à sa place. C’est aussi sûrement pour ça que je me la déteste autant. En l’espace d’un an et demi, j’ai perdu ma mère, mon confort social et financier, notre appartement, puis… Mon père. Et mon enfance. Avec le recul, ouais, je pense que ça a l’air d’une tragédie grecque qu’on aurait scénarisé à notre époque.
Le trio qui se soutient alors que le monde autour d’eux s’écroule par pans entiers. Jesse était l’optimiste. Milow le pessimiste. Et moi… la cynique, mais aussi la médiatrice et la gamine obstinée. Celle qui voulait juste continuer d’avancer, peut-être pour prouver à cette mère absente qu’elle n’avait pas besoin d’elle pour s’en sortir. See that, mom ? I’m still alive. Fuck you. Love, Ryan.
Mon premier baiser, je l’ai eu à douze ans. Avec Terry, le petit nerd à lunettes passionnée par la Seconde Guerre Mondiale. Celui avec la langue, par contre, c’était avec Lucy dans les vestiaires après le cours de sport, à quinze ans. Elle était populaire, moi pas tellement, du Juliette Roméo et Juliette revisité. Sans le poison. Quoi que, un lynchage sur les réseaux sociaux, ça compte ? En tout cas, j’ai bien cru en crever, à l’époque, de la honte. Pas d’avoir embrassé une fille, mais d’avoir été trahie et humiliée par elle. Les gens sont cons. Alors j’ai commencé à l’être aussi. Et je pense être plus douée qu’eux à ce petit jeu. Personne n'inventait de meilleures rumeurs à mon sujet que moi.
Ryan Elizabeth Lewis, autodidacte feignante et futur cadavre.
Aren’t we all, Sherlock ?
Terry m’a tellement bassiné avec la Seconde Guerre Mondiale que j’ai fini par trouver un truc qui me plaisait dans ses jacassements incessants. Les systèmes de communication. J’ai pas fait l’erreur de lui en parler, je me suis renseignée toute seule comme une grande. Douze ans, je rappelle, alors rien d’exceptionnel. Wikipedia and all. Je crois que c’est à peu près à la même période que j’ai commencé à désigner mes gribouillis intempestifs comme une certaine forme d’art. Tout prétexte était bon pour m’enfermer dans ma chambre en rentrant des cours. « Ryan, comment ça s’est passé aujourd’hui à l’école ? » « Peux pas parler, j’ai une vidéo à regarder sur comment réparer une vieille radio. » Quant au dessin, c’est resté plus discret. Ce n’est qu’après l’incident « LUCY » que j’ai commencé à n’en avoir plus rien à foutre de ce que les autres pensaient. C’est assez ironique en un sens. Ou poétique, si on veut : ils voulaient m’humilier, mais au final ça m’a renforcé dans ma certitude que les autres étaient cons et qu’il ne fallait pas s’abaisser à leur niveau. Je gueulais comme un putois sur Milow dès qu’il essayait de voir mes croquis, je laissais Jesse jeter un coup d’œil à l’occasion et le reste du temps, je griffonnais, je bidouillais, je m’intéressais à tout ce qui n’était pas dans les manuels scolaires. Parce que c’était putain de plus intéressant. Et on apprend mieux quand on est stimulé, à c’qui paraît.
Je sais pas où j’aurais atterri si l’apocalypse ne s’était pas d’un coup pointée sur notre porche, avec ses morts et ses gros sabots. Dessinatrice de B.D. ? Artiste affamée et recluse dans son studio de peinture ? Vendeuse de bric-à-brac pour un patron pervers et narcissique ? Pas mariée en tout cas. La réunion d’anciens élèves aurait été marrante par contre. Les trois quarts me pensent sûrement morte. Et le quart restant doit s’imaginer que je me prostitue pour ma survie ou que je suis devenue une psychopathe. Ouais, Dr. Phil’ doit se dire que j’ai fini par péter mon dernier câble. En un sens, il n’aurait pas tort.
Welcome to the end of the fucking world, assholes.
• Hiver 2015.
La famille Lewis tient, réfugiée dans le petit appartement du père et des deux derniers. Le 20 Octobre, ils sont rejoints par Jesse. Avant la fin du mois de Novembre, cependant, à court de vivres et obligés de fuir, ils quittent le domicile. Leur père restera en retrait pour leur permettre de s’en sortir.
“I remember the smell. When they came… banging at the door, their nails scraping the wood. I could hear them in my dreams, years after.”
• Année 2016.
Le trio resta un temps à Garfield Highschool, le premier, mais pas le dernier camp qu’ils intégreraient temporairement. Confrontés à la bassesse humaine, ils finiront par le quitter après trois mois – le viol de cette jeune femme n’était pas vraiment un bon signe. Forcés d’évoluer seuls, ils trouvèrent une maison abandonnée au cœur de l’hiver et manquèrent de crever d’une grippe carabinée. Ou d’une angine ? Difficile à savoir, sans médecins.
“I really thought we were gonna die there. Like that. Because of some fucking flue. I hate to be sick ; I’m never sick… It would have been so stupid, right ? Fucking apocalypse and three idiots die of the flue. Life is a bitch sometimes. But not this time, I guess.”
• Printemps 2017.
Le No Man’s Land portait bien son nom. Même si l’on croisait des bipèdes, ils n’étaient plus vraiment des Hommes. Des humains. Et forcément, cela finit par déteindre sur le trio. Jesse s’endurcit. Milow termina de se renfermer sur lui-même, n’exprimant ses sentiments que par des successions de crises et d’actes imprudents. Quant à Ryan, le changement fut plus subtil. Plus long aussi. Tout ce dont elle était certaine, au début, c’était qu’il fallait mettre un pied devant l’autre. Sans cela, elle s’arrêterait et elle finirait par mourir comme tous les autres. Et pour ne pas mourir, il fallait avancer. Il fallait… faire le nécessaire. Malgré son passif de joyeuse anarchiste, elle ne pensait pas être capable de rester en vie au détriment des autres. Toutefois, dans le No Man’s Land, seuls les forts survivent. Les personnes qui n’hésitent pas à faire ce qu’il faut. Ou ce dont ils ont envie. Comme cet homme, qui la kidnappa en Avril, bien décidé à prendre un peu de bon temps. L’angoisse permanente qu’il vienne prélever son dû, l’horrible sentiment d’impuissance qui ne la quittera pas après, la première tache de sang chaude sur son visage. Jesse mit un terme à cette torture psychologique et physique, après avoir passé plusieurs jours à remonter sa trace avec Milow. Puis ils se remirent en route. Un pied devant l’autre.
“I don’t wanna talk about it. It’s in the past. All we gotta do now is move on. What’s the point on dwelling in it ? It won’t prevent another girl to be raped, somewhere. It won’t erase the fact that my brother killed someone. It won’t make disappear those nightmares… it’s useless. Let’s just move on, ok ?”
• Hiver 2017.
Le temps, c’est quelque chose d’assez fourbe quand on y pense. Il passe bien trop vite quand on est heureux, et fucking lentement quand quelque chose nous tracasse. On imagine facilement que depuis que les morts avaient décidé de se relever, il ne passait pas très vite. Certains soirs, certains jours, toutefois, ils bénéficiaient d’un repos salutaire. Une barre de chocolat ici. Une canette de coca là. Des histoires sur Ryan enfant. Jamais leur mère ou leur père n’était mentionné, comme un accord tacite. Ils grapillaient des instants de bonheur où et comme ils le pouvaient. Mais dans le No Man’s Land, le danger les guettait à chaque recoin. C’est pourquoi, quand ils pensèrent trouver un camp actif à l’Olympic National Park, ils s’y rendirent trop vite. Pas assez prudents. Leur dernière erreur en tant que trio. Ils furent attaqués par d’autres survivants et ne réussirent à s’enfuir qu’à cause de l’avalanche causée par les coups de feu. Ils perdirent Jesse ce jour-là, et bien que persuadés qu’il était en vie, ils ne le revirent jamais. Le duo fut recueilli par des bons samaritains, soignés, nourris, lavés. Et lorsque, en Janvier 2018, leur refuge se firent attaquer, Ryan et Milow leur faussèrent compagnie. Personne d’autre qu’eux ne comptaient à présent. Ils feraient le nécessaire pour survivre. Ils n’avaient pas le choix.
“I always thought that I was a loner. Like, you know, I felt better when I was alone, I really thought I did. But when you’re left with your two brothers and a succession of nights and days and nights and days… You start to question yourself. Maybe I wasn’t a loner. Maybe I liked people, after all. Milow called this having death wishes and Jesse called it having hope. I think they were both wrong. It was merely a fantasy. Humans are dickheads. Even me ! Even you. True kindness doesn’t exist – not sure it ever has. Every decent act is now a weakness. Or a way to gain something in return. Food, clothes, weapons, sex. Our fucking lives are goods to be trade. Sometimes I think Jesse was the only one left with some kind of hope. Not the naïve kind, though. He knew what he had to do to survive : and most importantly, to keep us alive. Now I had to be the big sister. I had to protect Milow.”
• Année 2018.
Si l’on devait comparer le trio Lewis à des canidés, Jesse aurait écopé du noble loup et les deux autres de coyotes. Sans la tutelle de leur aîné, ils devinrent seuls décisionnaires de ce qui était « bien » et de ce qui était « mal. » Autant dire que les nuances de gris se firent plus nombreuses encore que dans les carnets de croquis de Ryan. N’étant pas armés, ou de manière dérisoire comparés à certains survivants, ils durent redoubler de malice et d’astuce pour s’en sortir. Les pièges, les mensonges, le vol et, très rarement, les affrontements devinrent le quotidien de Milow et elle. Et à chaque fois qu’ils se faisaient insulter à cause de leurs actes, Ryan était la première à retorquer qu’ils n’avaient pas le choix. Mais, ironiquement, c’était aussi la première à aboyer dès qu’ils se faisaient voler ou tabasser. N’avaient-ils pas honte, de s’en prendre à une jeune femme et un adolescent ?! Ouais. Le culot s’appelle Ryan Lewis. Elle le pensait réellement, en plus ; il y avait une nette différence dans son esprit entre ce que son cadet et elle étaient forcés de faire et ce que les autres essayaient de faire pour survivre. Ils étaient dans leur droit, pas les autres. N’avaient-ils pas assez soufferts comme ça ? Pas suffisamment subit ? Evidemment, les autres aussi, mais qu’ils aillent se faire foutre. Rien n’était plus important que Milow. Pas même elle. Ils se reprirent leur souffle dans un campement pendant quelques semaines, en début d’année, mais s’enfuirent une nuit à cause de la bagarre entre Ryan et Mandy – l’étrangère contre l’habituée, à qui aurait-on donné raison ? Et le reste de l’année, ils firent ce qu’ils devaient pour s’en sortir. Ils survécurent.
“Those fuckers tried to steal us ! I mean, really ? Really ?! Don’t be a smart-ass ‘bout it : we stole this because we had no choice, but they do. And even so, just because we stole it, does it mean that I have to feel guilty about it ? About trying to fucking survive in this mad world ? I am not. Never will be. Don’t waste your breath. Better them than me. Than Milow.”
• Eté 2019.
Tout en commettant leur lot de larcins, mensonges, manipulations et autres activités peu louables, Ryan et Milow continuèrent d’être exposé à tous les pires vices de l’humanité. Et à les utiliser pour mieux s’en sortir. Le numéro de jeune femme blessée était l’un des plus prolifiques pour la simple et bonne raison qu’un bon pourcentage de ces gars crevaient la dalle en matière de toucher féminin et qu’ils espéraient tous en croquer un bout. Soit ils se donnaient l’air de gentlemen en attendant qu’elle le propose, soit ils n’hésitaient pas à lui dire qu’elle leur était redevable de leur aide. Tout était devenu une monnaie d’échange, y compris leurs corps. Alors Ryan en abusa, jusqu’à ce qu’elle ne cauchemarde plus au sujet de sa tentative de viol et se persuade que c’était nécessaire. Bien évidemment, elle ne fut jamais obligée de passer à l’acte, car Milow veillait sur elle dans l’ombre et surgissait toujours avant le drame… tout était parfaitement calculé. Et ils mettaient un pied devant l’autre, enfouissant leurs sentiments si profondément qu’ils finirent par penser qu’ils n’en avaient plus. Ce fut peut-être le cas pendant un temps. Jusqu’à ce qu’ils soient confrontés à un évènement qu’ils ne pourraient ni rationnaliser, ni justifier. Jusqu’à ce qu’un coup de feu résonne. Jusqu’à ce que Ryan débarque, cherchant à retrouver son petit frère, et tombe nez-à-nez avec le regard stupéfié de Jesse, juste avant qu’il ne s’effondre. Jusqu’à ce que Milow le tue. Les semaines fuck, months qui suivirent sont encore floues dans l’esprit de l’artiste en herbe. Ils étaient orphelins, et leur trio était devenu un duo bancal. Sans la tempérance de Jesse, sans ses conseils, Milow et elle ne faisaient que se déchirer un peu plus. The Haven leur accueilli les bras après la mort de leur aîné, un véritable refuge, un rassemblement de gens décents et désireux d’avancer. De reconstruire leurs vies. Tout aurait pu être si différent…
“It took us weeks to even be able to mention his name. And even so, I was the only one trying to speak about what happened. I knew that Milow felt guilty, but I also knew that in his shoes, I would’ve done the same error. We had to be willing to do anything to survive. He didn’t know that it was Jesse. We thought he died – or rather, that we would never have a chance to see him again, so yeah, that he was kinda dead. And then he was here, alive and well, with a girlfriend and… and this smile, that I loved so, so much. When I saw him, I realized how much I missed him. Everything about him. Even his smell. The way he talked. The sound of his breathing, during the night. In the few minutes it took for death to take him, I remembered everything about him. And I lost him. Again. I was… We were broken. We were dead inside. But I had to try, cause this is what Jesse would’ve wanted for us. To survive. No : to live. To have a damn life, even in those conditions. So I tried. I am trying. But Milow…”
• Hiver 2019 (-2020).
Pour Ryan, The Haven représentait quelque chose d’impossible. Périodiquement, elle devait se rappeler que cela ne pourrait pas durer. Un peu masochiste, sûrement, mais salutaire pour quand les choses finiraient par totalement dégénérer. Ils avaient vu de sales trucs, les Lewis, alors comment pourraient-ils être encore confiants envers l’avenir ? Des chevaux, un semblant de société, des soirées avec des rires, comment est-ce qu’ils auraient pu se dire qu’ils avaient une chance de s’en sortir ici ? Ryan se pensait bien trop brisée pour ça. Toutefois, dans les premiers temps, elle tenta de communiquer – à sa façon bourrue – avec eux, parce que c’était ce que Jesse l’aurait poussée à faire. Elle tenta de convaincre Milow de faire de même, mais chaque discussion commençait par des cris et se terminaient en larmes ou avec l’accord tacite de ne plus remettre le sujet sur le tapis. Le temps passant, il devint évident que The Haven n’était pas prête à disparaître. C’était une ville en devenir. Un phare, un repère. Un sanctuaire, en quelque sorte. Et progressivement, Ryan s’intégra bon gré mal gré. Elle sociabilisa avec certains, une poignée trouvant réellement grâce à ses yeux, le reste devenant une partie du paysage au même titre que les chevaux ou la menace constante des morts-vivants. Ils étaient là. Elle aussi. Ils n’avaient pas besoin de s’apprécier pour autant. Elle refusa de faire partie d’une équipe d’expédition, se découvrant à cet instant une terreur muette qui la faisait se figer dès lors qu’elle s’approchait de la porte. Personne ne se douta de son état, pas même Milow, et elle fit de son mieux pour faire taire cette peur. L’angoisse d’être à nouveau sur les routes. De causer la mort de Milow, comme il avait causé celle de Jesse. De ne pas réussir à le protéger, une fois de trop, et de le perdre définitivement. D’être seule. Réellement, absolument seule. Et de ne pas avoir la force de se mettre une balle dans la tête pour éviter de finir comme tous ces cadavres ambulants. Elle fut parmi les personnes les plus dubitatives et méfiantes (sans surprise) lorsqu’ils apprirent l’existence de New Eden. Elle passa de longues nuits éveillée, après l’attaque du convoi et de l’avant-poste, en Novembre. Pas parce qu’elle inquiète pour eux, ou inquiète pour The Haven, mais parce qu’elle s’en voulait de ne pas réussir à agir. Elle voulait faire plus. Ce fut après leur retour qu’elle tenta plus activement de s’intégrer – elle ne changea pas du jour au lendemain, elle ne devint pas plus souriante ou affectueuse, mais elle essaya de trouver son rôle dans tout ça. Ici, et aussi auprès de Milow. C’était ça la différence entre vivre et survivre, non ? C’était le fait de ne plus subir les événements, mais de les prendre par les cornes. Et de leur dire d’aller se faire foutre. Royalement.
“We stopped the trade for some times, after what happened. We focused on how we could prevent this, and I think this is around this time I started to say ‘we’ when talking about The Haven. Cause we were in this shit together, weren’t we ? I mean, some more than others, but… yeah. We were supposed to survive together. And I tried to make Milow understand. I think I knew, deep down, that he wasn’t ready for this. I even thought that he was right, for awhile. Honestly, I am still unsure about any of this. Staying here, helping them, was it what I needed ? What I wanted ? I think it was. It is. I don’t want to see anyone die. Not again. I don’t want to see them suffer like we did before. I don’t want someone to lose a brother, a sister, a parent. I don’t know if I could live with it.”
• Printemps 2020.
Et il n’en resta qu’une. Milow disparu du jour au lendemain, avec quelques mots gribouillés sur une page de son carnet. Des fautes d’orthographe, des excuses lourdes de sens, et une Ryan complètement ivre de chagrin. Ce soir-là, elle eu son premier black-out à cause de l’alcool. Et son dernier. Il l’avait abandonnée là. Après tout ce qu’ils avaient pu vivre ensemble, toutes les fois où ils s’étaient relevés ; voilà comment se terminait l’histoire des Lewis. Des morts et deux survivants séparés par des kilomètres sans aucun moyen de communiquer. Vraiment géniale, comme décision, pas vrai ?
“Yeah, fucking brilliant. Does he really thinks that he’s gonna be ok without me ? That Connor, I mean fucking Connor, is gonna watch over him ? It’s not safe outside. Never was, never will be. Not like here. Was it too fucking difficult to try, Milow ? Was it a torture to be around people alive and willing to help without anything in return ? You selfish prick. You didn’t let me chose. You didn’t give me a choice. I would’ve gone with you. You know that, right ? I would’ve gone anywhere with you. I would’ve killed anyone. I would’ve… I would’ve… I would’ve kept you safe. You left without me. You left me… asshole.”
• Hiver 2020.
A défaut de pouvoir surveiller Milow, Ryan fut obligée de tourner son attention sur les autres. Sur tous ceux qui vivaient à The Haven. C’était tout ce qu’elle savait faire ces dernières années : veiller sur les plus jeunes, les plus démunis. Et si elle aurait pu se contenter d’être une silhouette effacée, elle sortit de sa zone de confort et cela scella son intégration à The Haven. Elle s’invita dans le poste radio quelque peu oublié du refuge, cassant les oreilles aux deux volontaires qui s’en chargeaient jusque-là et aux équipes d’expéditions pour essayer d’améliorer leur structure. Des fils, des pièces pour réparer ce qu’ils avaient déjà. Des projets d’installer des relais radios aux avant-postes pour une meilleure couverture. Il leur fallait un moyen de garder le contact, même séparés par des kilomètres. Et si cela servait à The Haven, elle pourrait aussi caresser l’espoir de tomber sur un message de Milow sur les ondes. Un espoir complètement dingue, mais quelque chose auquel se raccrocher. Quand, au mois de Novembre, une bonne partie du camp se vida, elle se noya dans le travail. Elle refusa de penser aux risques auxquels ils s’exposaient en se mêlant des affaires de New Eden. Si cela n’avait tenu qu’à elle, ils seraient restés loin de toute cette merde. Même s’ils exploitaient des gens, pourquoi iraient-ils se soucier d’eux ? C’était dur, mais c’était comme ça qu’il fallait faire maintenant. L’époque où l’on avait le luxe de pouvoir jouer les héros était révolue depuis longtemps. Les héros se faisaient tuer, dans ce monde-ci. A l’époque, on lui avait appris à ce moment-là que Milow était encore en vie, une putain de surprise, et que Connor et lui avaient créé cette faction qui se faisait appeler les Expendables. C’était son choix de ne pas participer à l’attaque, même si elle savait qu’elle passait à côté de la chance de revoir son frère. Elle disait à tous les curieux que c’était parce qu’il fallait s’occuper de ceux qui restaient à The Haven. Parce qu’il fallait bien que quelqu’un le fasse, pas vrai ? Ce n’était pas parce que son corps refusait de bouger une fois en périphérie du camp. Ce n’était pas parce que sa vision se brouillait, s’assombrissait, quand elle repensait à ce qu’ils avaient dû subir de l’autre côté. Ce n’était pas parce qu’elle était brisée.
“I had to. Stay, you know ? Yeah, I could’ve gone with them. Fight. Be a fucking hero. Pff. Like what my brother thinks he is, I guess ? The Expendables. What a fucking joke : my baby brother is NOT expendable. For fuck’s sake, if he was in front of me right now… My slaps are stronger than Jesse’s. He would deserve it. Dumbass. I stayed because I had to watch over the wounded and end this project. I had to. I couldn’t do anything else.”
• Hiver 2021 (début d’année).
Marlon fut le plus bruyant, mais pas le premier à dire qu’ils avaient dépassé les bornes en se mêlant des affaires de New Eden. Et il ne fut pas le dernier non plus, malheureusement. Si sur certains points, Ryan pensait comme eux, elle était toutefois à des années-lumières de supporter le putsch qui arriva en Mars 2021. Sa nature sceptique la poussa à remettre en question l’annonce de la mort du précédent conseil et elle fit à l’époque beaucoup de bruit. Au risque qu’on la fasse taire. Les choses dégénèrent rapidement. Depuis qu’elle était arrivée à The Haven, elle avait vu ses voisins, ses amis parfois, s’endurcir. Commettre parfois l’irréparable, ou l’atroce : comme lorsqu’ils chassèrent les bikers violents à Seattle et exposèrent leurs crânes scalpés aux abords du No Man’s Land. De la sauvagerie à l’état brut. Mais nécessaire pour conserver la paix qu’ils tentaient d’instaurer. Et peut-être Marlon avait-il fini par croire que ses actes étaient justifiables. Mais l’opinion publique décida qu’il avait dépassé les bornes. Pendant que leurs émissaires se faisaient torturer par New Eden, ils s’entredéchiraient. L’année commençait bien.
“He’s in prison now. I thought they were going to kill him. I guess we’re back to being civilized now. I don’t know what to think about all this : honestly, I try not to get involved too much. It’s not that hard when you’re trying to improve communications in this rathole. I don’t understand how they managed to survive this long mostly with talkies. Fucking amateurs. What do you mean by, I should feel more concerned ? Fuck off.”
Quand je me réveille, ma nuque me fait un mal de chien. Je ne tarde pas à comprendre pourquoi : je me suis encore endormie devant les radios. Les grésillements me rappellent que je n’ai toujours pas réussi à réparer ce truc. Enfin, en soit, il y a eu de l’amélioration depuis l’année dernière. Les communications en talkie-walkie sont plus claires maintenant, et on peut capter quelques transmissions du moment qu’ils utilisent un émetteur puissant et qu’ils ne sont pas loin. Difficile d’estimer la portée exacte de nos installations. Il faudrait faire des tests, mais je pense qu’on a manqué un peu de temps ces derniers mois. Entre l’attaque sur George, tous ces blessés, la destruction de ce groupe de bikers à Seattle et les représailles de New Eden, on aurait eu déjà suffisamment à gérer. Mais Marlon s’est rajouté à tous ces problèmes et ça a terminé de mettre un frein conséquent à mes travaux. Ugh, ça fait pompeux dis comme ça. Et vieux. Avec un soupir, je me redresse sur ma chaise bancale et je m’étire. Longtemps. Jusqu’à ce que mes muscles arrêtent d’hurler de protestation. Je ne sais pas combien de temps j’ai dormi, probablement pas longtemps vu que le soleil est à peine en train de se lever. Je passe ma main entre mes mèches brunes, j’éteins la batterie et je me décide à aller chercher quelque chose à manger. C’est un luxe à notre époque de pouvoir se dire ça. De se dire que parce qu’on a faim, on a juste à aller en chercher dans la réserve – version simplifiée, mais c’est ce qui va se passer. Sauf si je croise Nolan et qu’il est en train de manger quelque chose. Il ne m’en voudra pas.
« Ryan. » La porte claque derrière moi et je redresse le menton pour voir le type qui m’interpelle. « Hey, stranger. » Il me tend une bouteille d’eau que j’accepte de bon gré, puis m’emboîte le pas en direction de la salle de rassemblement. C’est bientôt l’heure du petit-déjeuner et mon estomac crie famine. « Still nothing ? » « Nope. Dead as a corpse. » Je penche la tête sur le côté, rebouchant la bouteille. « Well, I guess that deads are walking now, so let’s just say no. »
La station de radio n’est pas loin, nous marchons le reste du trajet dans un silence amical seulement brisé par le son des graviers sous nos semelles. Je n’ai jamais été une grande oratrice, lui non plus et ça me convient parfaitement ces derniers temps. Il y a eu trop de discussions, trop de décisions à prendre. Marlon m’a saoulé pour les cinq prochaines années. Je crois qu’il aimait beaucoup trop s’entendre parler. Comme pas mal de gens ici, mais eux n’ont pas fomenté un coup d’état au beau milieu d’une putain d’apocalypse. C’est vrai que ce n’est pas suffisant de devoir survivre aux morts et aux vivants. Il fallait en plus qu’un connard décide qu’il ferait un mieux chef que les autres. Et comment il le prouve ? En mentant, en menaçant et en faisant couler le sang de ses voisins. Très civilisé tout ça. A croire que d’aller scalper le crâne de bikers donnait la mauvaise impression.
« You should try to sleep in your one bed, for once. » J’hausse les épaules, l’air de rien « don’t even bother » et je le dépasse pour pénétrer en premier dans la salle de rassemblement. Le réfectoire. Le centre névralgique de The Haven. Appelez ça comme vous voulez. « What, yours isn’t good enough now ? » « You know what I mean. » « Yeah, and I don’t care. »
Pour appuyer ma nonchalance, je lui adresse un sourire faussement angélique et il roule des yeux. On ne couche pas ensemble, même si probablement la moitié du camp le pense. Ceci dit, ils pensent sûrement aussi que j’ai une dizaine d’amant(e)s, alors je ne me fierais pas trop à eux de base. Fair enough, la majorité de ces rumeurs viennent de moi. Mais c’est de leur faute s’ils les croient.
« I am starving. » « This tends to happen when you only take one meal a day. » « What the fuck are you, doctor ? » « No, worse. » L’assiette fumante me paraît digne des plus grands festins. J’en ai l’eau à la bouche. J’enfourne une grosse cuillérée avant de lui accorder mon attention, haussant les sourcils pour l’inciter à développer. Il porte son café à ses lèvres, amusé, et ajoute : « I’m your friend. »
Je dois lutter pour ne pas rire devant son expression, et l’espièglerie qu’il affiche me rappelle certains de mes amis, à la fac. Putain, je crois que même ça, ça me manque. « Oh, that’s so sweet... » En me penchant vers lui, je glisse mon index sous son menton et plonge mon regard dans le sien. « Fuck you. »
Son sourire s’élargit et je sens le coin de mes lèvres s’étirer malgré moi. Qu’est-ce qu’il peut être con, celui-là. « Love you too. Gotta go, please take some rest, okay ? » « Yes, mom. » Je le suis du regard lorsqu’il me fausse enfin compagnie, songeant à la suite de mon itinéraire. C’est l’un des deux bénévoles qui s’occupait de la station avant que je ne casse les pieds de tout le monde à ce sujet et ne finisse par hériter du bébé. Il n’y a pas vraiment d’expert en communications ici, pas même un militaire, donc on fait avec les moyens du bord. J’attrape une pomme en sortant, parce que Nolan ne refusera jamais un tel cadeau et qu’après ça, il sera plus patient pour notre session de demain. Enfin, « session » est un mot savant pour dire qu’on prend des nouvelles l’un envers l’autre et qu’il répond à mes questions au sujet du garrot, des points de suture ou encore des attelles de fortune. C’est le genre de savoir qu’il vaut mieux accumuler, des fois que tout parte une nouvelle fois en couille. Ce nouveau monde, c’est comme le jeu des allumettes. On essaie d’en enlever une à une, dans l’espoir que tout le reste ne s’écroule pas au passage. Et des fois, ça arrive. Comme tout ce qui s’est passé après l’attaque sur George et New Eden, tout ça a découlé de cette décision. La rébellion de Marlon, les tortures de nos émissaires. Juliet n’était plus la même après ça, et quand Selene est partie j’ai eu un choix à faire. M’emmurer dans ma solitude, ou accepter de faire rentrer quelqu’un d’autre dans ma Forteresse. Cela s’est fait plus facilement que je ne l’aurais pensé, sûrement parce que depuis notre arrivée, elle s’est toujours montrée aimable et compréhensive. Même quand Milow et Selene se regardaient en chiens de faïence, elle essayait de servir d’intermédiaire et d’apaiser les tensions. Une tentative aussi désespérée que lorsque je tentais de discipliner les deux sacs de testostérone qui m’accompagnaient. Et puis grâce à elle, je sais monter à cheval maintenant. C’est comme ça que fonctionne une amitié, non ? En théorie. Dans le passé. Difficile de dire si ça suffira de nos jours. Et si l’une de nous deux ne finira pas bouffée – or worse.
Quand j’arrive devant l’infirmerie, je vois que Nolan est déjà en discussion avec quelqu’un alors je n’essaie même pas de me montrer. J’aurai une autre occasion de le voir, ça ne sert à rien de s’incruster. Je ne supporte pas ceux qui le font, alors bon. Mes pas s’orientent vers le terrain d’entraînement, que je traverse sans m’attarder. Mes muscles me font encore mal de ma nuit, et j’ai déjà donné la veille : entraînement de parkour, au moins une fois par semaine. Avant c’était tous les deux jours, mais sans l’engouement de Milow, difficile de me motiver. J’étais déjà nettement plus intéressée par le fait d’améliorer ma visée, sauf qu’on ne dépense pas les balles à juste tirer dans le vide. Plus maintenant, en tout cas. Il faudrait peut-être essayer de trouver ces armes d’airsoft hyper réalistes, ça permettrait aux gens de se familiariser avec tout ça avant de devoir en utiliser dans un moment de panique. A cette pensée, un tressaillement agite ma joue et je serre nerveusement la mâchoire. Comme Milow. Evidemment que tout ce qu’ils avaient traversé aurait pu être bien mieux accueilli s’ils avaient eu l’entraînement adéquat : sauf qu’ils n’étaient que des gosses. Personne n’apprenait ça à des gamins. Maintenant, c’est un sujet dont on discute vraiment. Certains veulent les épargner, et je pense qu’ils vivent dans un monde utopiste ; on ne sait jamais de quoi demain sera fait. Il y a eu un incident qui a ravagé les écuries quelques mois plus tôt, maintenant ces étranges morts-vivants sous caféine, quelle personne saine d’esprit oserait dire qu’ils avaient une chance d’avoir une enfance normale ?
Mâchoires toujours serrée, sourcils froncés, je m’arrête près du manège à chevaux. Vide pour l’instant. Je reste là un certain temps, songeuse, la pomme posée sur la rambarde non loin de moi. Ce matin, j’ai oublié mon carnet à la station. Pour ma défense, ce n’était pas comme si je quittais suffisamment l’endroit pour ne pas le considérer comme une extension de ma chambre. Mais mon carnet « pré-apocalypse » était encore dans ma poche arrière. Je n’y dessine plus rien depuis un bon moment. Mes dernières entrées consistaient en un croquis de Milow en train de faire du parkour et une bougie en train de se consumer. Rien d’excitant en soit, pourtant je me sens toujours nostalgique en les regardant. Je suis tentée de feuilleter les autres pages quand quelque chose appuie d’un coup contre ma cuisse et bêle super fort. Je crois que ça fait des mois que je n’ai pas sursauté comme ça. « What the fuck ! »
La petite biquette me regarde un regard innocent. Je roule des yeux et lui enlève la pomme qu’elle a généreusement croqué. Sale bête. Vilaine, vilaine chèvre. « That’s not for you. And how the hell did you get out !? » Machinalement, je la gratte entre les oreilles, puis je la guide vers l’enclos à chèvres et moutons. Je repère directement le problème : l’un des piquets a bougé avec la pluie, et cette petite peste en a profité pour se faufiler. Heureusement, j’ai l’impression que c’est la seule. « Come on, go on ! » Une claque sur l’arrière-train la fait râler, puis avancer et cette fois, le regard qu’elle me lance en étant à nouveau enfermée est presque noir. « Don’t be like that. It’s better inside, trust me. » Je recale le piquet, continuant d’argumenter avec l’animal comme si c’était vraiment quelqu’un. « You don’t want to be outside, not really. » Je l’observe alors qu’elle mâchonne le bout de pomme, l’air parfaitement imperméable à mon discours. En même temps, c’est une chèvre. Mais je ne sais pas pourquoi, quelque chose dans la hargne de ses prunelles noires me rappelle un peu Milow. Des têtes de mules, tous les deux. « You know what ? Fuck you too, Germaine. And have a great fucking day. » Agacée par mon comportement – et par le fait que j’étais affectée par l’attitude d’une chèvre – je lui balance la pomme entamée et tourne des talons. Nolan doit avoir terminé, non ? Ou peut-être que Juliet a besoin d’aide avec les morveux. Il faut que je m’occupe. Tout, plutôt que de penser à la situation de Milow. Tout, plutôt que de penser à l’extérieur qui risque à tout moment de m’arracher le dernier membre de ma famille. Tout, plutôt que de penser à tout ce que je ne peux pas contrôler.
Un pas devant l’autre.
Right ?
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Re: RYAN - souls that dream alone lie awake.
Lun 28 Juin 2021 - 18:19
Bon courage pour ta fiche !
- Levi M. Amsalem
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Re: RYAN - souls that dream alone lie awake.
Lun 28 Juin 2021 - 18:27
C'est vrai que le scénario est vraiment top !! Il m'avait fait de l'œil aussi il y a quelques temps !!
J'ai vraiment hâte de te voir en jeu du coup !!
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Re: RYAN - souls that dream alone lie awake.
Lun 28 Juin 2021 - 18:44
*hyperventile*
Olalalalalala
*tombe raide*
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Re: RYAN - souls that dream alone lie awake.
Lun 28 Juin 2021 - 18:45
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Re: RYAN - souls that dream alone lie awake.
Lun 28 Juin 2021 - 19:28
- Brian Mackenzie
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Re: RYAN - souls that dream alone lie awake.
Lun 28 Juin 2021 - 20:23
Bienvenue par ici, hâte de découvrir ta fiche !
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