La pluie battait depuis un moment. Dans l'entrée de sa maison, Levi tirait sur sa cigarette, à l'abri de son porche et à pouvoir admirer le rythme régulier des goutes sur le béton. Un soupir lui échappa. Indiana se reposait, Sean était en cours, lui était en train de réfléchir comme il le pouvait, préparant une prochaine expédition. Il avait demandé à l'adolescent avant de se rendre en classe d'essayer de trouver Elizabeth et de lui donner rendez-vous dans l'après-midi. Il espérait que le message avait été passé, sinon il savait comment s'occuper.

Quasiment au bout de sa cigarette, il vit la silhouette d'Elizabeth percer à travers le rideau de pluie. Il lui fit signe, et quand elle fut à portée, il lui ouvrit immédiatement l'accès pour qu'il puisse se mettre à l'abri. Sean avait bien fait sa part, tant mieux :

Rentre, lui fit-il.

Il la suivit à l'intérieur, refermant derrière lui. Dans la salle de bain, il passa pour lui donner une serviette sèche, si elle n'était pas trempée jusqu'aux os, c'était déjà un miracle. Il avisa vers l'étage un instant, écoutant voir si Indiana se reposait bien. Pas un bruit, pas une plainte non plus, elle devait rattraper la nuit compliquée qu'elle avait passé. Avec les remontées acides et le bébé qui bougeait dans tous les sens, la cubaine peinait à simplement se reposer.

Installe-toi, l'invita-t-il dans la foulée. Sans un air très avenant mais venant de Levi, ça n'était pas anormal. La table était remplie de papier en tout genre, des notes, des croquis, une carte aussi, bref, de quoi dire qu'il travaillait suffisamment pour combler son temps. Et de toute façon, il entama directement le sujet qui l'intéressait : J'ai plus de contact à l'extérieur depuis que je suis ici, est-ce qu'il t'en reste de ta période dehors ? Demanda-t-il de but en blanc, portant un regard sur Elizabeth.

Elle allait forcément se poser des questions. Depuis son arrivée, la brune avait prouvé une partie de sa valeur, pour autant Levi n'était pas encore en confiance. Ceci étant, il ne l'était avec personne.

On essaie de surveiller les agissements de New Eden sur le terrain, mais sans des personnes sur place, c'est impossible, ajouta-t-il.

La pluie s’abat inlassablement, s’immisce dans le moindre interstice de ses couches de vêtements. Une goutte glacée parvient à se glisser le long de sa nuque, lui rappelle qu’elle est bel et bien vivante. Les derniers temps ont été un peu… compliqués, pour elle. Elle qui a maintenant tout ce dont peut espérer quelqu’un, ne peut tout simplement pas se résoudre à accepter cette situation d’éventuel épanouissement. Elle ne réalise pas encore tout à fait comment accéder à cette notion ; même si, au fond d’elle, elle le sait. C’est terriblement égoïste, mais, elle est une aventurière, et elle ne pourra jamais se résoudre à une existence de quiétude.

Elle marche d’un pas pressé, aussi pressé qu’elle l’est d’enfoncer les portes de toutes les opportunités qu’elle a de retrouver un peu le frisson qui caractérisait la vie d’un espion. Elle ne tarde pas à être extirpée de ses pensées par une lueur au loin, celle d’une cigarette crépitant, animée par l’inspiration de celui qui se révèle être celui qu’elle vient trouver. Alors qu’elle s’approche, malgré la pluie et sans chercher à s’en protéger, elle cherche son regard de son unique oeil. Elle répond à son injonction d’un geste du menton alors qu’elle approche, s’extrait de son manteau et prend le temps de se sécher ses cheveux que l’eau glacée avait collé à son crâne. Elle ne prend pas la peine de les rattacher, alors qu’elle s’installe sans rechigner.

Elle parcourt sans tarder les différents documents et papiers qui jonchent la table. Son oeil avisé capte tout ce qui mérite d’être remarqué, avant que la voix à l’accent marqué de Levi ne vienne l’interrompre. Elle prend un instant pour réfléchir, mais ne tarde pas à répondre à sa question :

« Peut-être, s’ils ne sont pas morts » elle croise les bras, alors que ses sourcils se froncent. Elle n’aime pas l’incertitude, et un peut-être est toujours problématique. Elle reprend alors : « Cela peut être un début, comme un problème. Si tu veux qu’on les surveille, effectivement, il nous faudra un réseau. La question est : est-ce que tu veux vraiment qu’on se contente de les surveiller ? »

Elle prend une inspiration, alors que son regard parcourt une nouvelle fois la table, puis se lève, et explique sa pensée :

« Le renseignement sera l’élément déterminant pour délimiter notre marge d’action. Mais, en fonction de celle-ci, un réseau d’informateurs pourrait nous permettre beaucoup plus d’actions. Contre-information, sabotage, infiltration, voire même, insurrection ; nous pourrions même faire en sorte de saper leur action. De ce que je vois jusque là, ils essaient de se donner une légitimité à s’imposer dans la région »

Elle cesse son monologue, lève son œil pour chercher le regard de Levi, alors qu’elle vient de résumer sa pensée et la raison de sa présence aujourd’hui.

Pour l'instant, oui, répondit-il à Elizabeth avec l'envie de se griller une autre cigarette sur le coup. Il se concentra plutôt sur l'analyse de la jeune femme, hochant la tête : Nous manquons de trop d'informations, dès qu'on pourra en condenser et recouper une partie, alors il sera temps de passer à l'action, fit-il.

S'y prendre trop tôt pourrait leur causer du tort, notamment ils avaient besoin de ne pas reproduire la réussite partielle de l'attaque sur Seattle. Elle n'était pas précipitée, mais Levi n'attendait désormais que des victoires totales et complètes, pour ne pas laisser l'occasion à New Eden de se relever. Pour ça, ils devaient forcément se mouiller en amont pour obtenir des leviers capables de faire basculer une situation. Le savoir, le pouvoir, tout ça.

A terme, l'idée est de faire tout ça effectivement, mais tant que leurs intentions sont obscures, nous n'arriverons à rien, New Eden semblait grouiller de projets en tout genre, s'étendre à toute vitesse, comme une mauvaise gangrène ou une tumeur. En prenant le pas sur ces idées, ils pourraient éventuellement amputé le membre en train de pourrir pour préserver l'intégralité du corps. Éventuellement lancer des offensives pertinentes pour ne jamais perdre de ressources ou d'hommes. Je pensais passer du temps au No Man's Land, plusieurs semaines pour rester à l'écoute, ajouta-t-il.

Ses yeux scrutèrent Elizabeth, dans le but de discerner ce qu'elle pouvait en penser. Il ne doutait pas qu'elle viendrait le lui dire directement. Mais il avait besoin de comprendre les sentiments qu'elle éprouverait à ce moment-là. Comme lui qui devrait forcément se défaire des quelques personnes qu'il appréciait ici, il allait lui demander d'en faire autant.

Il nous sera facile de prendre l'équipement minimum et de nous faire passer pour des survivants lambdas dehors, notamment parce que ça faisait un moment qu'ils se faisaient tous deux oublier dans le centre de Seattle. Qui au No Man's Land les connaissait encore ? Ils n'auraient pas à mentir sur leur identité mais... Pourraient se créer une autre histoire. Eddie nous servira de relai pour retransmettre les informations au campement, fit-il. On peut prendre une troisième personne avec nous si on en ressent le besoin, mais plus on aura l'air d'être organisé, moins nous aurons le résultat attendu, ajouta-t-il.

Dépendrait comment elle se sentirait en confiance. Pour sa part, il pourrait bien partir juste avec elle et quelques armes.

Tu as passé du temps seule dehors, plus que la majorité des soldats de mon équipe, souffla l'israélien d'un hochement de tête. Manière de dire qu'il comptait sur le fait que ses réflexes reviennent rapidement.

Elle acquiesce simplement, alors qu’il exprime sa volonté. Il est vrai que l’information, qui constitue la clé de beaucoup de problème, leur est que bien trop limitée pour l’instant. Que veulent donc ces gens ? Qu’est-ce qui sert de liant à leur groupe, qui semble si organisé et uni ?
L’ancienne espionne qui est en elle sait que cette cohésion n’est probablement qu’en apparence. Plus un groupe est grand, plus il comporte d’individus, et plus il sera vulnérable. C’est d’autant plus vrai dans cet après-monde, où, généralement, les effets de ces dissenssions sont clairement visibles puisqu’elles résultent souvent par leur effondrement.

Elle acquiesce une nouvelle fois à son idée ; le No Man’s Land est une bonne base de départ. Une once de culpabilité l’envahit, alors qu’il est fait mention de plusieurs semaines d’absence ; mais qui se mêle à une lueur incidieuse de soulagement dans cet éloignement progressif qu’elle impose inconsciemment aux gamines.

La suite la fait réagir physiquement ; un geste d’approbation du menton, puis, une once de perplexité. Son plan est simple, et, c’est bien connu que les plans simples sont les meilleurs. Mais c’est dommage, à ses yeux, de ne pas profiter des ressources qu’ils ont à leur disposition. Elle commente donc :

« Simple, efficace. C’est un bon plan. Mais, d’expérience, je sais que constituer un réseau à un prix. Et à partir du moment où nous allons le payer à nos éventuels indics, notre couverture risque d’en être fragilisée »

Elle marque un temps d’arrêt, marque un geste de réflexion en passant ses doigts sur son menton, et propose :

« Pourquoi ne pas nous faire passer pour des marchands itinérants ? J’en ai croisé un bon nombre. Des clopes, des balles comme monnaie d’échange ; contre des ressources glanées ou échangées lors de nos voyages » elle met l’accent sur les deux mots, pour faire comprendre qu’ils utiliseraient simplement leurs propres ressources. Elle reprend : « Nous pourrions facilement nous déplacer, aller à la rencontre de gens et de communautés sans attirer l’attention sur nous, si nous parvenons à avoir des stocks raisonnables »

Ils pourraient donc commencer au No Man’s Land, puis, logiquement, grâce au bouche à oreille, faire mine de suivre un chemin de marchand ambulant classique en allant à la rencontre de communautés que leurs clients leur auraient vendu comme dignes de confiances. Le contact serait facile, les opportunités de prendre des informations nombreuses ; mais il est clair qu’ils attireraient beaucoup plus l’attention.

Pour l’instant, Eliza n’a manifesté son appartenance à son camp à personne de l’extérieur, mais est-ce le cas pour Levi ?

Les objections d'Elizabeth lui permirent de reconsidérer sa position. Levi pouvait être borné, mais lorsqu'il s'agissait de préparer un plan, il était au contraire assez ouvert à la discussion. Ses entêtements se retranscrivaient sur d'autres choses, sur des principes qu'il avait pour lui-même, sur des envies précises, pas sur ce genre de point. Car un soldat qui n'était pas capable d'admettre les qualités d'un interlocuteur ou d'un adversaire n'était résolument pas compétent. On lui avait appris à ne jamais sous-estimer qui que ce soit, les piques d'intelligence étaient plus redoutables encore par moment qu'une force herculéenne.

Il hocha la tête. Attentif. Elizabeth savait fomenter une couverture, et surtout aller au devant de ces informations pour les obtenir. Lui avait toujours été doué pour ce qui pouvait sembler plus trivial en comparaison : faire un camp, le poser, le renforcer, le tenir. Abattre quelqu'un, couvrir ses traces. Levi n'était pas un espion comme avait pu l'être Elizabeth à sa manière. Il était avant tout un tueur, formé à déstabiliser des régimes, comme un pion efficace pour capturer un roi derrière ses renforts.

C'est sans doute une meilleure approche au final, surtout si on veut s'intégrer dans le décor, analysa-t-il rapidement.

Il n'y avait aucun jeu d'égo pour sa part : il lui concédait volontiers cet état de fait, il fallait être pragmatique et apprendre à jouer le jeu. Elizabeth avait une face plus aimable que celle de Levi, sans doute aurait-elle l'avantage d'être plus régulièrement en contact des autres. Lui saurait observer, il saurait sans doute également donner le change si vraiment on l'exigeait de sa part. A ce moment-là, il ferait semblant, comme très souvent.

Je vais consacrer les prochaines semaines à sécuriser un abri, nous ne pourrons pas rentrer sur Fort Ward tous les soirs, expliqua-t-il simplement. Si tu peux t'occuper de nous préparer nos stocks de marchands itinérants, elle saurait sans doute ce qui ferait sens à l'extérieur, et ce qu'ils auront besoin. Il nous faudra un véhicule de fait, vois ça avec Locklan, il devrait pouvoir nous fournir quelque chose qui sera passe-partout, ajouta-t-il rapidement.

Si Elizabeth ne l'avait toujours pas rencontré, elle le trouverait très vite du côté du garage à faire ce qu'il savait déjà faire.

Elle ne manque pas de remarquer l’acquiescement silencieux de son interlocuteur, lui laissant penser que leur coopération va être plus agréable que ce à quoi elle s’attendait. Elle hausse les épaules lorsqu’il annonce que c’est une meilleure approche. Elle ne peut pas l’affirmer, c’est simplement une autre approche qui apporte son lot d’autres possibilités et d’autres complications. Mais la suite de sa réponse la laisse penser qu’il privilégie cette hypothèse, alors, c’est sur elle qu’ils vont partir. Elle approuve silencieusement dans un premier temps, puis, raffle un crayon et un papier de la table, avant de lui annoncer :

« Avant toute chose, il nous faut une histoire, Levi » elle marque un temps d’arrêt, le dévisage de son unique oeil visible, avant de reprendre : « Je peux m’occuper des grandes lignes, mais, afin qu’elle soit cohérente, il faut la construire ensemble. Qui es-tu ? Qui suis-je ? Comment nous-sommes nous rencontrés ? Pourquoi restons nous ensemble ? » elle lève sa main libre, comme pour marquer  un temps d’arrêt qu’elle ne tarde pas à préciser : « Pas besoin de se précipiter, et de répondre directement à toutes ces questions. Mais il faut commencer à y réfléchir ; en gardant en tête que ce ne sera qu’une base »

Elle se tait, n’en rajoute pas plus après une si longue tirade. Mais elle n’en pense pas moins. Construire sa légende est un exercice particulier, et loin d’être facile. C’est un challenge qu’elle a toujours aimé, cependant, qu’elle a maintenant plus ou moins inclut dans son quotidien. Mais revenir dans un format plus… classique ne manque pas de lui déplaire.

Alors que plongée dans ses idées et ses réflexions, elle adopte une attitude plus détendue, adoptant un port un peu moins élégant en s’accoudant à la table et en pausant son menton sur sa paume de la main, alors que de l’autre main, elle griffonne des idées. Mais ses sourcils s’agitent brusquement, et, alors qu’elle écoute quand même d’une oreille attentive, elle en profite pour rajouter :

« Le plus simple sera le mieux. Altérer légèrement la réalité pour en exclure ce qui est problématique nous donnera une base solide et authentique »

Et l’authenticité est la clé ; s’ils parlent de leurs propres expériences, ils restent sincère, et, c’est la meilleure façon d’acquérir la confiance des gens. ça, et, la sympathie. Elle dévisage quelques instants de plus l’israélien, songeant qu’il allait devoir mettre justement les bouchées doubles sur le premier point, parce que le deuxième n’est visiblement pas son fort.  

Levi pouvait faire preuve d'imagination pour les histoires, mais ça n'était pas forcément là où il était le plus à l'aise. Sa débrouillardise se limitait principalement à l'improvisation sous la pression pour se sortir d'une situation compliquée. Parler ? Non, ça n'était vraiment pas son truc. Et plus que ça, il était relativement mal à l'aise dans des discussions qui s'éternisaient. Il analysait, observait mieux qu'il ne manipulait. Sur le principe, s'entourait de personne capable de le faire à sa place, c'était ce qu'il pouvait faire de plus stratégique fondamentalement.

Si on a des gens qui nous connaissent au No Man's Land, il vaut mieux garder nos prénoms comme ils sont, analysa-t-il rapidement en fronçant les sourcils, venant se poser en face d'Elizabeth pour réfléchir avec elle. Elle avait vraisemblablement besoin de noter les idées, de fixer quelques points. Au final, ne le connaitre un peu. Quel est le discours que tu as construit à l'époque, que tu peux reprendre ?

Elle aussi devait avoir une histoire, il y avait un moment dans leurs mensonges où il y aurait cette fable sur leur rencontre et sur le fait de rester ou non ensemble. Levi soupira, ça l'ennuyait mais il se pliait néanmoins à l'exercice. Avant, c'était d'autres gens qui le faisaient pour lui. Il se contentait d'apprendre tout ça par cœur, et de faire en sorte de se faire discret, de rester à l'écart surtout. Moins il attirait l'attention, mieux il se sentait de toute façon. Au final, il n'était pas tant remarquable que ça physiquement. Beau garçon, mais pas de quoi en tomber en pâmoison.

Je suis resté simple, j'étais avec une autre personne à ce moment-là, avec qui j'étais pendant trois ans. Il y a eu quelques groupes, rien de transcendant, et ensuite j'ai disparu de la circulation en intégrant Bainbridge, il n'avait jamais parlé de son intégration à quiconque. Personne sait où j'ai disparu pendant tout ce temps. On a grosso modo huit mois à écrire, huit mois qui justifieraient qu'on soit ensemble, elle et lui en tout cas. En tant que quoi ? Collègues ? Amis ? Plus ? Quand on le regardait bien, l'idée que ça soit plus semblait surtout saugrenue : On peut rester sur le fait d'avoir intégrer le même groupe, d'en être reparti tous les deux, proposa-t-il.