Être avec Soo était… facile. Douloureusement facile. A force de survivre avec Milow, Ryan en avait oublié que les gens pouvaient être simples et accueillants. Qu’on avait pas besoin de s’engueuler pour se prouver qu’on s’aimait. Qu’on pouvait aussi, parfois, se permettre de se montrer vulnérable. La jeune adolescente n’avait pas peur de parler de ce qui la rendait heureuse, triste ou inquiète. Elle s’offrait entièrement à ses interlocuteurs, sans le moindre fard, sans la moindre honte apparente. L’artiste lui enviait cette innocence somme toute enfantine, elle était toutefois mitigée à ce sujet. Une partie d’elle espérait que la fille ne s’en départirait pas en grandissant, une autre estimait que s’endurcir lui permettrait de mieux survivre à ce monde apocalyptique. Peut-être que la petite voix pragmatique avait raison. Peut-être pas. En tout cas, ce dont Ryan était certaine, c’était qu’elle ne pourrait pas supporter la disparition d’une autre personne à laquelle elle s’attachait. Milow était déjà une absence trop difficile à accepter.

Ici, perchées au-dessus du monde (de leur petit monde), elle avait toutefois l’impression que cette crainte n’était pas fondée. Comme le disait Soo, les guetteurs avaient sûrement le sentiment d’échapper à toutes les misères du monde d’en bas, eux aussi. « Tu as raison, j’aime bien ma cabane, je m’y sens en sécurité là-haut… » souffla-t-elle doucement pendant que l’adolescente prenait une première gorgée de chicorée, exprimant sa satisfaction d’un gros soupir. Amusée, l’artiste l’imita, admettant en silence que le breuvage n’était pas aussi horrible qu’elle se l’imaginait. Soo lui avoua avoir déjà rencontré Milow, et cette fois, la surprise se lut pleinement sur les traits de Ryan. « T’as vu Milow ? Enfin, tu lui as parlé ? Je savais pas que vous vous connaissiez… Il n’a pas été trop… » Trop Milow ? « Trop chiant ? » lui demanda-t-elle avec un sourire un peu pauvre, un peu triste, un peu doux. Soo lui répondit qu’elle l’aimait bien, et quelque part, cette réponse rassura un peu la jeune femme qui se laissa aller contre le toit en expirant lentement l’air de ses poumons. Milow lui manquait. Atrocement.

Fort heureusement, le petit moulin à paroles à ses côtés ne lui laissait pas le temps de se perdre dans la mélancolie. « J’aimais bien faire ça, avant. Je savais juste pas que ça pourrait devenir aussi utile. Je pense que je devrais pouvoir y arriver, mais il faut que j’essaie de mettre en place le relais dont je t’ai parlé tout à l’heure. Parce que pour l’instant, on ne capte pas grand-chose. Mais je pourrais t’apprendre ce que je sais, si tu veux… finit-elle par lui proposer, maladroitement. Enfin, c’est si ça t’intéresse vraiment. Parce que je veux bien jouer les professeurs, mais il faudra être sérieuse ! » Là, c’était un chouilla brut, mais c’était plus facile que d’admettre qu’elle aimait sa compagnie. Et puis, même si elle avait donné l’impression de la menacer avec sévérité, Ryan souriait doucement, alors aucun risque que la fille soit mortifiée.

Soudainement, l’asiatique releva la tête avec la bouche grande ouverte, montrant quelque chose de son doigt tendu. Ryan eut tout juste le temps d’apercevoir la queue scintillante de l’étoile avant qu’elle ne disparaisse totalement. L’émerveillement de la jeune adolescente était contagieux. Il y avait quelque chose de… familier, dans cette situation. De chaleureux, aussi. Ryan mit quelques minutes avant de réaliser le sentiment qui la parcourait. Elle était heureuse. Simplement heureuse d’être là, d’être en vie. « Ouais… c’est une bonne soirée, tu trouves pas ? » Elle chuchotait plus qu’elle ne parlait, le regard vissé au ciel parsemé de corps célestes, de planètes lointaines. Autant de lueurs. Autant de lumières porteuses d’espoir, aurait sûrement dit Jesse, juste pour la voir rouler des yeux en se moquant de lui.

Ils avaient tous énormément perdu depuis le début de la fin de leur monde. Mais peut-être qu’ils parviendraient à reconstruire quelque chose d’aussi bien ici. « Merci à toi, Soo. J’en avais besoin, je crois… » La tasse était plus légère, la chicorée descendait bien. Elle lui désigna une autre étoile filante, plusieurs dizaines de minutes après la première, finissant toutefois par lui signaler qu’il était bientôt l’heure de rentrer. « Il se fait tard. Si tu veux, demain soir on pourra revenir ici. Ou aller chez moi. Je te montrerai les constellations. Et après-demain, on travaillera à la station. T’en dis quoi ? »