2 juillet 2021 ••

Elle avait mal dormi. A cause de la menace de ces rôdeurs d’un nouveau genre, certes, mais surtout à cause de sa discussion avec Juliet. Ça l’avait profondément chamboulée. L’avenir dira si c’était pour le mieux. Ce matin, la musicienne avait donc envie de fuir les lieux. Pas au sens propre, mais elle avait besoin de respirer, de ne pas être enfermée entre les quatre murs de sa chambre. La jeune femme avait donc saisi l’occasion de se rendre utile – a contrario de la veille, où elle s’était empressée de disparaître.

A peine levée, Selene avait sauté dans un jean et enfilé un t-shirt aux longues manches, ainsi que ses chaussures, pour rejoindre la fraîcheur de l’aurore. Elle nouait encore sa crinière auburn à la va-vite, à l’aide d’un élastique fatigué, quand elle tomba sur une inconnue sur le pas de la porte. Elle fut à deux doigts de lui bondir à la gorge, avant de se rappeler que l’attaque avait été ponctuée par l’arrivée saugrenue de nouvelles personnes. Bonnes, mauvaises ? Tendues, la pianiste dévisagea son aînée pendant un moment, une lueur farouche dans le regard. Devant l’absence d’offensive adverse, elle se redressa et demanda sèchement :

- T’es qui toi ?

C’était un peu bourrue, mais elle n’était clairement pas en état de mettre les formes. En témoignait la pâleur de ses traits et les cernes grises sous ses prunelles bleu glacier. Par ailleurs, elle n’était même pas chez elle et n’avait pas son mot à dire sur les invités de Matias, mais… Selene le soupçonnait d’être capable de laisser s’installer n’importe qui. La preuve : elle était ici depuis plusieurs mois.

- C’est toi qui a défoncé la barricade hier ?

Parce qu’elle avait vu le trou béant dans les défenses et c’était justement pour ça qu’elle était levée : elle avait l’intention d’aller y faire un tour, pour voir l’étendu des dégâts en plein jour, et accessoirement, alors s’assurer qu’il n’y avait pas d’autres monstres dans les parages. De ce qu’elle avait vu de ces horreurs, il fallait s’en méfier comme de la peste : elles étaient bien plus sournoises que les mordeurs ordinaires…

La première fois on aurait pu croire à une blague, une coïncidence qui ne se reproduirait jamais. Enfin, ça, c'est les idéalistes et les naïfs qui s'y serait laissait aller, mais une deuxième rencontre ne peux guère laissé place au hasard. Les rôdeurs avaient évolué et le version 2.0 n'était pas belle à voir, la marche de progression était telle qu'on s'était tous pris le sol. Ce n’était pas comme leur apparition, pas comme l'apocalypse ou la surprise et l'incompréhension avaient totalement ruiné nos chances de survie, non là, ils étaient aussi performants qu'un vivant si ce n'était plus et cette agressivité, il n'y avait pas que la dévoration stupide et inconsciente, il y avait une violence et une puissance qui laissait sur le cul.

Compte tenu de ces facteurs on s'en était pas trop mal sortie en fin de compte, juste quelque contusion, pas de mort de notre côté, par contre on avait probablement envenimé la situation d'autre. C'est pourquoi l’accueil froid et méfiant de la jeune femme qui vient de se téléporter devant moi à l'ouverture de sa porte n'est pas très étonnant. La fatigue et la douleur des combats de la veille devaient avoir endormi ma hargne, parce qu'honnêtement, là tout de suite, je n'ai absolument pas la force de me battre, ne laisse qu'un soupir de tension qui s'évacue.  « Nova »

Lui demander la réciproque aurait été de circonstances, mais vu sa gueule, il y avait peu de chance qu'elle soit encline à se tailler le bout de gras avec moi et je n’étais pas certaine de le vouloir non plus.

« Moi...pas exactement, mais je fais partie du groupe qui en est responsable. »
Il était encore tôt et je n’avais pas franchement envie de provoquer un esclandre pour un problème qui avait, à priori, été réglé. Enfin, jusqu'à ce que leur chef change d'avis, ça, c'était un potentiel problème. « Écoute, ce n'était pas fait exprès on s'est fait surprendre par les déviants et on a fait comme on pu pour survivre, détruire votre entrée n'était pas prévu du tout, d'ailleurs on ne savait pas que vous étiez là. Si tu as un souci avec notre présence, vois ça avec ton chef. Je dois aller faire le tour des environs pour rendre compte des dégâts et être sûre qu'il n'y ait ni rôdeurs, ni déviants dans les parages, parce que vu ce qu'on s'est pris dans la gueule ce n’est pas le moment de se faire surprendre. »

Comment dire ça de façon pas trop agressive et éviter que ça n'empire encore... Je n’en sais pas, je voulais juste lui faire comprendre qu'on pouvait simplement passer notre chemin et retourner à nos occupations, il y avait bien trop à faire pour se prendre la tête.

« Je vais y aller et te laisser tranquille... »
Bon c'était pas trop mal comme résumé, non ?

- Matias est pas mon « chef », rétorqua instinctivement Selene.

De toute la réplique de son aînée, c’était ce qui lui était venu – comme si c’était évidemment le point le plus important. La dénommée Nova prit congé sans chercher à insister, laissant la musicienne en tête à tête avec la brise fraîche de la matinée. Ses prunelles glacier suivirent un moment la trentenaire qui s’éloignait, puis elle lui emboita le pas. Contrôler les environs ? C’était justement ce qu’elle voulait faire. Et honnêtement, la pianiste ne comptait pas trop sur ceux qui avaient enfoncer les défenses pour s’assurer que tout était bon.

- C’est pas la première fois que tu vois ces trucs ? En quelques enjambées, elle avait rattrapée son aînée et se cala sur son allure, tu les as appelés les « déviants », expliqua Selene.

C’était évident : si Nova avait nommé ces monstres, c’était qu’elle les avait déjà croisés. Si elle les avait croisé ailleurs, alors… dans quelle proportion étaient-ils présents dans l’état ? Étaient-ils anecdotiques ou bien prenaient-ils le pas sur les rôdeurs qu’elle connaissait ? D’ailleurs, qu’étaient-ils : une nouvelle espèce de vorace ou les anciens qui évoluaient ? La musicienne avait l’impression d’être revenue à zéro, quand elle n’avait que des questions et aucune réponse.

- Pourquoi ce nom d’ailleurs ? Elle le trouvait au mieux, étrange, au pire, mal attribué, tu sais quoi sur eux ?

Leur pas les menèrent vers la portion de la barricade qui avait été enfoncée. Les dégâts étaient encore plus impressionnants de jour. Vu ces derniers, ça tenaient presque du miracle que personne n’ait été tué lors de l’accident qui avait fait s’écrouler la tour de garde. Les images de la veille lui revenaient, comme les rémanence d’un mauvais film en noir et blanc. C’était tellement surnaturel – et pourtant, ils s’étaient habitués aux morts qui marchaient.

Parlant de mort, une charogne – normale celle-ci – titubait à l’orée de la propriété, prête à passer la limitation éventrée. Une femme ou une adolescente, que les années et la décomposition avaient rendu particulièrement méconnaissable. Selene la désigna à sa complice improvisée. Elle n’avait toujours aucune arme en sa possession -et objectivement, c’était probablement pour le mieux.

- J’ai pas de quoi m’en charger.

Son attitude était presque attendrissante, si je ne m’attendais pas à tout moment à voir un couteau apparaitre dans sa main pour aller se lover avec amour dans ma gorge. Je note donc dans un coin de ma tête qu’elle ne faisait pas partie des habitués de cet endroit, un campement sans chef n’existait pas, soit il venait d’arriver au commandement et n’avait pas encore assis son autorité, soit c’était elle l’intruse ici. Ça commençait à faire beaucoup d’inviter et d’électron libre, c’était un bon point dans le sens où leur tolérance à notre égard semblait plus logique, cela dit cela faisait d’autant de gens qui n’était pas assujetti à leurs autorités et donc qui risquait de nous nuire.

Je m’éloigne rapidement, puisque nous n’avions plus grand-chose à nous dire et moi un sacré bordel à surveiller, réparer, protéger, rayer la mention inutile. Enfin, du moins, c’est ce que je pensais, mais rapidement une petite foulée résonne dans mon dos et la tête brune réapparait dans mon champ de vision. Et curieuse avec ça. Cela dit ses questions étaient suffisamment légitimes pour que je me laisse à y répondre. « Oui, nous avons déjà eu affaire à eux, une fois lors d’une mission de sauvetage »

Je n’arrivais toujours pas à savoir si leurs apparitions avaient envenimé les choses ou au contraire nous avait sauvé la mise. Il faut dire que ça avait été sacrément la merde. Mais le fait est que leur arrivé n’augurait rien de bon. « Parce qu’ils n’ont rien à voir avec des rôdeurs lambda, je pense que tu as dû t’en rendre compte. Je ne pourrais rien t’apprendre de plus que ce que tu as vu, ils sont plus résistant, ont une force égale, voire supérieure à la nôtre, de même pour leur vitesse quant à leur intelligence… Disons qu’ils se démerdent mieux que nos cadavres ambulants actuels. Pour résumer, ces trucs c’est la merde. »

D’ordinaire ces infos auraient été payantes, mais si elle n’était pas stupide, elle aurait tiré ces conclusions d’elle-même d’autant que Ruby avait déjà répéter la même chose à … Mathias donc.
Arrivés à l’entrée, les dégâts n’étaient pas beaux à voir, nous avions enfoncé les fondations d’une tour de guet qui s’était effondrée, il y avait des débris de partout, ça faisait vraiment la gueule. Un rôdeur s’était égaré, curieuse mais pas téméraire donc. Un ombre de sourire si niche à l’ourlet de mes lèvres, je prends mon couteau de chasse et l’enfonce dans son crâne sans y trouver de réelle résistance, le corps était en mauvais état, les mouvements lents et désordonnés. Je traîne le cadavre un peu plus loin et reviens vers l’entrée. Il faudra attendre d’autre personne pour commencer à réparer ça, même si certains étaient déjà sur place à constater les dégâts de jour et à enlever les morceaux les moins proéminents.
« Je vais faire le tour pour éliminer ceux qui se sont égarés comme elle, pour que les autres puissent bosser en paix quand ils s’y mettront »

Je ne sais pas pourquoi je me faisais chier à la tenir au courant, mais quelque chose me disais qu’elle n’en avait pas encore fini avec moi, d’autant que ce trou-là, c’était difficile de le louper, mais il n’était pas exclu que d’autres failles soient apparut dans la nuit avec le bordel qu’il y a eu.

La musicienne avait eu une moue sceptique en écoutant l’explication de son aînée. Elle avait effectivement remarqué que ces voraces étaient différents, c’était juste que pour elle, « déviant » signifiait qu’ils avaient « dévié » de quelque chose. Étaient-ils d’anciens mordeurs qui avaient évolué alors ? Est-ce que toutes les charognes restantes étaient destinées à devenir comme celle-ci ? Cette idée lui faisait froid dans le dos, mais Nova n’avait apparemment pas la réponse. Ce n’était qu’une inconnue de plus à ce monde obscure qui était désormais le leur. Selene avait appris à se passer de ce qu’elle ne pouvait élucider pour se consacrer à l’essentiel : survivre.

La pianiste observa sa partenaire imposée qui se débarrassa de la charogne, puis reporta son attention sur la végétation au-delà des murailles défoncées. Tout paraissait si calme vu comme ça et en pleine journée… difficile de croire que la nuit précédente, les défenses étaient martyrisées par des espèces de « super rôdeurs ». Elle dut se perdre dans ses songes parce que la voix de la trentenaire, qui l’informait de ses intentions, la fit sursauter. Brusque retour à la réalité.

- Je viens avec toi, déclara-t-elle en emboîtant toujours le pas à Nova.

Certes, elle n’était pas armée et ne serait pas d’une grande aide en cas d’invasion imminente, mais elle avait deux yeux et comptait en garder au moins un sur l’inconnu. Si l’expérience lui avait appris quelque chose, c’était qu’il fallait se méfier des gens trop entreprenant ; surtout quand ils prenaient des initiatives dans un camp qui n’était pas le leur.

- T’as parlé de mission de sauvetage… c’est ce que vous faites alors ? Vous secourez des gens ?

Elle doutait que ça puisse être la vocation de qui que ce soit aujourd’hui – qui serait assez bête ? – mais elle cherchait à prêcher le faux pour avoir le vrai. Selene se stoppa subitement. Les réflexes acquis pendant les séances de chasse avec Nima n’étaient pas endormis par sa retraite : elle venait d’apercevoir des traces dans la terre meuble. Sourcils froncés, elle s’accroupit pour voir les empreintes de plus près. Elle les examina brièvement, puis informa son aînée :

- Ce sont deux rôdeurs. Y’en a un assez gros, ça peut être un problème.

Son timbre ne trahit pas d’inquiétude, il était simplement didactique : un vorace en surpoids ne serait pas une simple paire de manches pour un binôme de survivantes qui partageaient un couteau pour deux.

La gamine avait des couilles, des ovaires aurait été plus juste cela dit. Je ne savais pas trop si je devais m'agacer de sa présence trop collante à mon gout ou m'en amuser, mais très honnêtement, j'avais trop de trucs à m'occuper pour m'encombre encore en plus à devoir gérer une frustration inutile, donc pour le moment j'allais la tolérer. Et puis, qui savait ce que je pouvais obtenir d'elle comme info, cette remarque aurais pu me faire sourire, Ruby déteignais sur moi, même si je n'étais clairement pas à son niveau pour amadouer les gens, ce n'étais pas mon rôle de toute façon.

"Ne traine pas alors"
parce que je n'allais pas revenir sur mes pas pour l'attendre, continuant sur la piste qui semblait contourner le campement pour en faire le tour.
Sa remarque me tire un sourire ironique. Serait-elle une naïve finalement? Elle n'en avait pourtant pas le profil. "Entre autres, tout travail mérite salaire, nous intervenons dans la mesure de nos capacité sur des demandes variées. Mais principalement sur du renseignement si tu veux tout savoir. Pour peu qu'on puisse nous payer"
J'allais enchainer pour lui dire qu'elle pouvait faire appel à nous si besoin, mais son immobilité brutale réveil mes réflexes, je sors mon flingue tout en m'armant de mon couteau de ma main libre, observant les environs. Je ne détectais rien pour le moment. Je l'entendais sans la regarder, pour le moment, je n'avais rien en visu. J'acquiesce néanmoins pour lui signifiait que je l'avais entendu. "Tu sais te battre?"

Même si l'idée ne m'enchantais pas, je pouvais toujours lui passer mon couteau si besoin, enfin ça c'était si elle risquait pas de se trancher les veines avec en trébuchant sur un cailloux.
"Est-ce que tu les vois? Et est-ce que tu peux nous mener à eux, discrètement?"

C'était toujours mieux de leur tomber dessus que le contraire, la surprise n'était une alliée que pour ceux que réussissaient à l'éviter. Cela dit , je n'étais pas certaine des capacités de ma partenaire provisoire, ni de sa fiabilité, est-ce que je voulais vraiment partir à la chasse aux rôdeurs avec une potentielle ennemie?

Au moindre doute, je n’hésiterais pas à lui tirer dessus de toute façon et pour le moment, elle n'avait pas l'air bien dangereuse. Mais clairement, j'irais pas m'enfoncer plus que de raison dans les environs avec elle, surtout avec les déviants qui déambulaient peut-entre encore.
J'avais plus beaucoup de balles non plus et utiliser le flingue était prendre le risque d'en ramener d'autre, bref rien n'était simple et ça me faisait chier... Mais bon j'allais pas fuir la queue entre les jambes, alors que j'allais précisément éradiquer toute menace pour que les travaux se passent aux mieux et que les miens soient en sécurité.

"Tu te sens capable de servir d’appât?"

Comme elle n'avait pas l'air armée, elle pourrait m'être utile si elle voulait bien coopérer et en l'état, en absence d'autre information concernant ses capacités, c'était encore le plus réaliste. Puis bon, c'était elle qui avait voulu venir, je l'obligeais à rien. Fallait assumer maintenant.

- T’as fini de me prendre pour une empotée ? Claqua soudainement la voix de Selene, alors qu’elle se redressait.

Nova n’avait, depuis qu’elles étaient parties, de cesse de faire des remarques sur l’intérêt de sa présence. « Ne traine pas », « est-ce que tu sais te battre », « est-ce que tu peux être discrète », « est-ce que tu te sens de faire l’appât »… la musicienne n’avait rien à prouver, mais ça l’horripilait quand même. Surtout quand son aînée osait des sourires ironiques, que la musicienne interprétait comme une façon de la prendre de haut. Quand on débarquait en enfonçant les défenses de quelqu’un et qu’on se faisait en plus généreusement inviter pour la nuit, on évitait de se montrer si hautaine en général. Mais bon… ce n’était pas sa maison, et ce n’était pas non plus le lieu puisqu’ils avaient de la vermine dans les parages.

- Essaye plutôt de me suivre et de ne pas bêtement presser la gâchette, grogna-t-elle en se détournant de la trentenaire.

La piste n’était pas dure à suivre. La terre étant meuble et les rôdeurs peu soucieux d’effacer leurs traces, Selene suivait les empreintes sans trop de difficultés. A demi-courbée, prenant soin de ne pas – trop – froisser la végétation dense qu’elles étaient parfois obligées de traverser, elle guida sa partenaire jusqu’à devoir s’arrêter. Des râles. Elle se réfugia derrière le tronc d’un arbre, puis se pencha juste pour voir ce qui stagnait quelques mètres plus loin.

Sans un mot, elle adressa à sa complice du jour un signe « trois » avec la main. Les deux qu’elles avaient suivi, et un autre larron décomposé, empêtré dans le branchage bas d’un arbre. Ses grognements de protestation étaient probablement ce qui avait attiré les deux autres ici. C’était peut-être ce qui risquait d’en faire venir d’autres, s’il y en avait pas loin. Il fallait le faire taire avant qu’il ne provoque la formation d’une meute.

- Je distrais les deux autres, tu vas tuer celui qui est coincé et on les termine après, suggéra-t-elle à voix basse.

Et sur ces mots, elle se mit à scruter le sol humide à la recherche d’une pierre assez grosse pour lui servir de projectile et faire s’éloigner les deux morts. D’ailleurs, l’un d’eux était en effet particulièrement massif.