S’il semble dans un premier temps mal à l’aise par les paroles de l’israélienne, il semble comprendre rapidement sa propre gêne - et son petit problème. Il faut dire que la trentenaire a beaucoup subi ces derniers mois, et même si elle n’en parlera pas, certaines séquelles sont marquées dans ses chairs et difficiles à cacher. A la fois éteinte et à fleur de peau. A la fois effacée et pourtant plus sociable par la force des choses. Elle est entrée dans le moule qui a été conçu pour elle, mais forcément, elle y a laissé des plumes. La mémoire. Les angoisses. Les tocs. Un peu de ses formes aussi, son corps est marqué par ses douleurs, et elle peine à reprendre un peu de poids. Cela viendra. L’important c’est qu’elle donne le change, c’est ce qu’on attend d’elle à présent.

Il lui dit que ce n’est pas grave, et elle relève les yeux vers lui comme pour s’assurer qu’il ne mentait pas. Un soupçon de soulagement détend ses épaules. « Une journée bien remplie, comme on les aime. Merci. » Répond-elle, c’est presque une phrase automatique. Que lui a-t-on fait subir pour qu’elle manque ainsi de sincérité ? Tout est dur en réalité, tout est si différent pour elle. C’est difficile encore pour elle de s’adapter, mais les choses iront de mieux en mieux, surtout maintenant qu’elle ne doit plus s’inquiéter que quelqu’un franchisse la porte de sa chambre pour lui chercher des ennuis - comme au bidonville, ou à l’institut. « Et la vôtre, Grant ? » Elle lui retourne la question, avec sans doute plus d’intérêt pour sa réponse que ce qu’elle avait elle-même à en dire.

Et puis ils se mettent en route, un peu en silence. Elle est bien plus calme que le premier soir - moins effrayée aussi. C’est peut-être parce que l’arme qu’il porte n’a pas été braquée sur elle ? Une pensée légère qui la surprend et qui fait naître un soupçon de sourire sur son visage fatigué. Les pas les mènent naturellement vers son bâtiment, et elle également surprise de se rendre compte qu’elle n’a pas hésité, qu’elle ne s’est pas trompée. Lui, de sa haute stature, la félicite dans un sens. Ses joues rosirent dans la pénombre. « Je ne sais pas si je m’en souvenais, ou si j’ai juste suivi vos pas... » Lui avoue-t-elle, en baissant un peu le nez. « D’habitude, je me trompe d’un croisement… quand même » Peut-être manquait-elle finalement de confiance en elle, tout simplement. Et quand Grant lui souffle qu’elle n’aurait peut-être plus besoin de lui, elle tourne la tête dans sa direction, un peu surprise. Elle réfléchit, un instant, en pesant ses mots.

« Peut-être plus pour retrouver mon chemin, effectivement. » Souffle-t-elle à son tour. Il a un regard touchant quand même. « Mais cela ne veut pas dire que je n’apprécie pas que vous me raccompagner le soir, quand je termine tard. Cela me rassure un peu, en réalité. » Lui dit-elle, avec toute la franchise qu’elle pouvait transmettre. « Vous connaissez mieux les District que moi, et je n’aurai peut-être pas la même bienveillance qu’avec vous si un autre garde me surprenait à rentrer chez moi le soir, après le couvre-feu. » Lui explique-t-elle ensuite, comme si tout n’était qu’une question de pragmatisme.

Le silence reprend un peu ses droits, alors qu’ils ne sont plus qu’à une centaine de mètres de l’entrée du bâtiment. « Cela fait longtemps que vous êtes arrivés ici ? » Lui demanda-t-elle alors, avec douceur.