J'écoute Cole qui essaie de pas avoir l'air bizarre et de surtout pas paniquer. Je sens bien que c'est pas franchement facile, et alors que je m'agrippe à son bras pour pouvoir marcher droit et pas tomber, je sais que ça l'aide absolument pas. Je souffle longuement pour faire passer la douleur qui me scie le ventre pourtant. J'ai mal. Mais je vais donner le change pour le rassurer. Je regrette aussi de pas avoir de véhicule pour qu'on y aille plus vite, à ce fichu dispensaire.

Eh pourquoi tu m'as jamais montré ! Que je grogne, un peu mécontente.

Je lui fais les gros yeux. Apparemment, c'est un secret d'état qu'il a pas l'intention de parler. C'est l'occasion de me détourner de ce qui m'arrive, j'imagine, mais je suis jalouse de pas avoir eu accès à ça avant. Surtout qu'en matière de théorie de complot, je suis pas non plus la bonne dernière de la classe. J'avoue que les histoires comme ça, ça m'éclate un peu trop. Je souffle. Une autre contraction me fait grogner. Je respire comme je peux, tenant mon ventre et le bras de Cole comme je peux :

Y'a quoi dans cette clé, t'as réussi à glaner quoi comme informations ? Que je demande, à bout de souffle en relevant les yeux vers lui. Je dois être rouge tomate à pas pouvoir respirer comme je le voudrais. Esca va me torturer jusqu'au bout je sens. T'as des trucs sur... J'veux dire sur le début de l'épidémie ? Les raisons de tout ça ?

Je suis vachement curieuse de savoir comment c'est arrivé, quand même. M'enfin, on va pas creuser trop pour l'instant, je porte un regard surpris sur Cole. Et en même temps, je devrais pas l'être :

Ah ouais ? Je hausse les épaules : De toute façon on a pas trop le choix, s'ils rallient New Eden, on va l'avoir dans le cul !
Le kuku ! Repète Esther avant de rire de plus belle.
Ah oups... Merde ? J'ai rien dit, que j'articule péniblement.

Je suis grave pas étonnée, mais en vrai, je suis quand même curieuse de savoir comment ça a commencé : genre qui a eu la bonne idée de mélanger les éprouvettes, et dans quel but, que je souffle à Cole avec surprise.

Au moins cette conversation me permet de me détourner de la douleur, je me sens vraiment pas bien. Je suis obligée de faire une pause dans la marche qu'on a, jetant un regard à mon ami en m'excusant ainsi. Mais la contraction me coupe les jambes, et si je mets un pied devant l'autre, c'est sûr à cent pour cent que je vais me vautrer comme une idiote. J'y pense au passage, mais il faudra prévenir Stanley que ça arrive. J'espère qu'il est pas en ronde, je sais pas trop où. Ou loin du campement, à défaut. Et quand ça passe, je relève les yeux vers Cole encore :

Parce que c'est évident non ? C'est une expérience qui a mal tourné ! Ouais, on reprend où on a laissé la discussion.

Comme si de rien n'était, c'est un talent chez moi. C'est surtout que je veux rien dramatiser, ou donner l'impression que ça va vraiment pas. Cela dit... C'est pas non plus la grande forme, et j'ai vraiment hate d'être prise en charge. Si j'ai perdu les eaux, je sais que j'en ai encore pour un petit moment avant d'accoucher vraiment. Ce que ça veut dire, c'est que ça a démarré en tout cas, donc, que je suis pas du tout dans la partie marrante.

Mec, t'as la mémoire courte, j'te signale que notre groupe est pas exactement le plus digne de confiance, ils doivent se poser les mêmes questions, et eux au moins ont la légitimité pour se demander tout ça, je lui lance un regard en coin, il faut remettre les choses dans leur contexte avant de faire des reproches aux autres, quand on est pas des exemples de bonté. Nous, on est très mal placé pour se plaindre, j'te rappelle, et ça c'est clair. J'ai à peine le temps de le dire néanmoins que mon souffle se coupe : J'ai besoin d'une pause...

C'est pénible mais j'ai pas le choix que de me crisper encore, au moins de devoir m'agenouiller et me tenir au sol pour pas tomber. Ma tête tourne, mais cette contraction est plus violente que les autres.

Je sais qu'on est pas loin, mais ça fait super mal... que je souffle, à bout d'air.

Bordel, qu'est-ce que ça fait mal ! Je soupire encore plus longuement pour essayer d'faire passer ça mais c'est clairement un échec cuisant. Me tenant fermement le bas du ventre, une autre contraction plus forte que les autres m'empêche de respirer correctement, j'ai envie de vomir tellement j'ai mal. Heureusement, Cole est à côté et fait ce qu'il faut pour m'aider. En appelant à l'aide, on perçoit quelques formes se rapprocher, s'interroger sur ce qu'on est en train de faire lui et moi. Carrément pas un scrabble, je pense que ça se voit.

Merci, que je lui souffle, vraiment reconnaissante. Je suis agrippée à son bras de toute façon, je dois lui faire un mal de chien juste en m'accrochant à lui. Il doit endurer plus que je pourrais l'imaginer. Mais en matière de douleur, je crois qu'il ressent pas un quart de ce que je ressens. Hokulani se rapproche, et comprend très rapidement ce que ça signifie :
Le travail a commencé ? Me demande-t-elle fermement, avec un sourire qui se veut confiant et rassurant.
Ouais depuis un peu de temps mais j'ai perdu les eaux dans la chambre, Cole m'a amené ici, que je lui réponds.

Elle hoche la tête, m'aide en passant mon autre bras sur ses épaules pour me soulever. J'en ai encore les jambes coupées d'avoir mal comme ça, mais elle fait pas trop cas de l'évidence. Je vais pas me taper une péridurale de toute façon, le travail est trop avancé, l'accouchement va sans doute aller relativement vite avec tout ça.

On ne perd pas de temps alors, somme-t-elle fermement. J'ai à peine le temps de me tourner vers Cole pour lui lancer un regard de circonstances.
Tu peux aller chercher Stanley ? que je lui demande comme une faveur. Je sais que les deux s'entendent pas à merveille mais au moins, ils pourront s'accorder. Et de toute façon, Cole se retrouve avec la responsabilité d'Esther jusqu'à nouvel ordre. Je lui fais aveuglément confiance pour ça. On se revoit quand le bébé est né, ok ? Laisse-moi le temps de me faire à peu près présentable !