Je vais pouvoir récupérer tous les jouets ? Me demande Elijah a côté en me regardant avec des yeux ronds. A croire qu'on est à l'aube d'un jour nouveau, ou un truc du genre. Je sais pas si je dois croire que oui. On y reviendra pas ?
Pas avant un moment, à l'évidence.

L'installation à Centralia se fait progressivement, l'aménagement de la caravane également. Je crois qu'on a pas trop l'occasion de se plaindre, la communauté fait que c'est toujours plus facile à dix qu'à trois. Les gosses essaient de suivre, de pas être des boulets. Sur le siège arrière, la grosse bave un peu sur le fauteuil de mon fils, qui affiche une grimace un brin dégoûté en le remarquant.

On va rester avec eux alors ? Demande-t-il finalement.
On verra, que je lui souffle. J'en sais rien. C'est pas que le coeur m'en dit, c'est juste que c'est pas une question de choix. Elijah comprend pas forcément ça, mais y'a des trucs évidents qu'il a du mal à piger, et des trucs complexes qu'il voit comme des évidences. Parfois, j'ai pas l'impression qu'on vienne de la même planète. Écoute, rembourser ma dette peut prendre des mois, d'ici là faut de quoi meubler cette caravane, que j'ajoute en lui adressant un regard.

La route défile. On rentre vers notre abri, ensuite on retournera à Centralia. Pas plus mal comme ça, j'imagine. Baïka renifle, adresse une lechouille à Elijah qui rit dans la foulée.

Mais t'aime bien avec eux ? Qu'il me questionne. Je secoue fermement la tête.
Non, pas du tout, même.
Désolé, il a les épaules voûtées, la tête baissée, évite mon regard.
Hey, arrête ça, t'y es pour rien, que j'ajoute alors que la voiture ralentit et que notre ancien abri est en visu. Y'a encore quelques trucs à récupérer dedans pour bien vivre, on va pas se priver ce soir, quoi. Je soupire. Adresse un regard devant moi, avant d'aviser que la porte en bas est ouverte. Attend dans la voiture, y'a quelqu'un à l'intérieur, sur le siège arrière, j'attrape ma hachette, mon fusil, et siffle Baïka pour qu'elle suive.

On met pas longtemps à sortir, à fermer les portières aussi. Elijah se vautre devant, pour se cacher sous la boite à gant, au cas où. Comme je lui ai appris. Bref, à moi de cueillir la personne qui a pris ses aises dans le coin, visiblement.

Je sors de la voiture le plus discrètement possible avant d'm'approcher de notre ancien abri. La porte ouverte me donne une sale impression, et j'ai les nerfs que quelqu'un ait pu y venir en notre absence. Si c'est pour y trouver boucles d'or en train d'y dormir pendant qu'on bosse, ça va me rendre encore plus chafouin. Fusil équipé, j'avise autour de moi en passant dans le couloir, puis je rentre plus franchement. Mort bien mort, trépané fraichement de ce que j'en comprends, y'a de bonnes chances que le squatteur soit encore dans le coin. Je dois être d'autant plus vigilant à cet instant. Nos barricades ont été déplacé puis remises, pas laissées de la même manière que quand on en est parti.

Bien, maintenant je suis vraiment fâché. Je grimpe les marches et sous mon poids, ces dernières grincent. J'entends du mouvement à l'étage justement alors je me dépêche, mais quand j'y arrive, la personne a visiblement eu l'occasion de se planquer, ce qui est pas pour me plaire. J'dois être d'autant plus vigilant que si elle me tombe sur le coin de la gueule, je vais me prendre un sacré tarif ou me faire saigner au passage. Elijah en bas pourra rien y faire. Je souffle longuement, à la recherche du moindre indice sur la cachette prise par le squatteur, sans rien trouver de probant. Moi, j'suis annoncé, ce qui veut dire que ma marge de manœuvre est ridicule niveau surprise.

J'crois que tu vas sortir d'ici très vite, que je dis haut et fort pour être sûr qu'on m'entende. Je retire la sécurité du fusil, balaie la pièce d'un mouvement du canon, le doigt déjà sur la gâchette. T'es chez moi, dans mon abri, et j'suis pas d'humeur à m'faire piller, cela dit, on est rarement d'humeur pour ça étrangement, donc on s'en formalisera pas. J'te donne dix putain d'secondes, et je suis généreux.

Dix secondes, c'est suffisant pour plomber quelqu'un qui m'gênerait.

Si j'te trouve passé ce délai, j'te promets qu'tu vas vivre un sale quart d'heures, que je souffle. Alors, entamons. Un. Deux. Trois...

Une voix finit par se faire entendre, enfin bordel. Je me crispe autour de mon arme et attends que la meuf - parce qu'il s'agit d'une meuf - sorte de sa planque. Pour l'instant, elle me raconte un peu trop sa vie pour que je baisse ma garde, et j'ai aucune envie de me faire avoir comme un gland dans la pire situation du monde. Quand elle se présente enfin, je la braque sans attendre, et j'affiche évidemment pas mon meilleur regard avenant, étrangement. Je suis pas trop d'humeur, je suis comme beaucoup en fait : j'aime pas me faire enfler. Je la fixe de haut en bas, avise évidemment sa machette quand elle me le précise. Je peux évidemment pas voir son flingue.

Et en dégageant les barricades, tu t'es pas dit qu'il y avait quelqu'un pour se protéger avec ? que je lui grogne en réponse.

Les excuses, je m'en passe. Les prétextes avec. J'veux juste pas d'emmerdes, comme elle a l'évidence. J'la fixe longuement, sans la perdre de mon fusil, histoire que les choses soient limpides entre nous.

Je veux voir tes armes en évidence, que je lui souffle. Un signe sec de la tête pour lui désigner la table, qu'elle sache exactement ce que j'attends. Je vais pas lui faire un dessin, je pense que c'est suffisamment clair qu'entre nous, y'a aucune confiance possible. Je vais pas te les prendre, je veux m'assurer que tu vas pas les utiliser sur moi, à l'évidence.

Je me doute que c'est pas pour la mettre à l'aise, mais je suis pas là pour ça. J'veux dire : elle est dans ma planque. Certes, elle a fait en sorte de se montrer - pour l'instant - plutôt droite dans son attitude. Mais c'est pas un joli minois qui va m'empêcher de me méfier. Et avant qu'elle tente quoi que ce soit de vraiment con - comment s'en prendre à moi si je tourne le dos, c'qui arrivera clairement pas mais sait-on jamais - j'préfère la prévenir :

Y'a mon fils en bas, ok ? je la regarde longuement. Je veux le rejoindre dans tous les cas, donc on repart d'ici en vie, tous, sans exception, c'est ma seule proposition.

J'ai un haussement d'épaules, avisant son arme quand elle me la montre avant de pousser un soupir. Bon, au moins cette dernière est pas directement accessible ; et j'en profite pas pour lui tirer dessus alors qu'elle me tourne effectivement le dos. Je sais bien que l'honneur de la rue, c'est un peu un truc abstrait pour beaucoup de gens, mais quand même, j'ai une décence. Si je dois me regarder dans une glace pour me raser la barbe et les cheveux, faut au moins que je flingue mes ennemis en face, pas quand ils s'y attendent pas. Un peu de dignité, que diable. Un soupir m'échappe. Je relâche la pression, baissant mon arme sans lâcher la jeune femme des yeux. Évidemment que si elle s'en prend à moi dans la minute, y'a moyen que je la retourne comme une crêpe...

Mais en attendant tant qu'elle fait pas un faux mouvement, je vais rester sage et rien faire non plus. De toute façon, elle dit qu'elle veut pas d'ennuis, et l'idée que je puisse pas retrouver mon fils a l'air également de la travailler. Donc, je suis à priori tombé sur une personne correcte, pas une grande méchante. Sinon, ça veut dire qu'elle me monte la tête pour me la mettre à l'envers comme jamais, ça risque pas de me rendre jouasse mais... Autant pas baisser la garde pour l'instant.

Qu'est-ce que tu fais toute seule ? Que je lui demande. Pas vraiment avec toute la politesse du monde, mais si elle a besoin d'une conversation aimable, elle peut aussi aller voir ailleurs si j'm'y trouve, et revenir quand elle aura la réponse. Et qu'est-ce que tu cherchais ici ? que j'ajoute dans la foulée.

Seulement un abri ? Ou elle a réussi à mettre la main sur ce que j'ai laissé dans le coin ? C'est pas pour le rendre jouasse dans le second cas, surtout que ces affaires sont là au cas où il arriverait un truc débile.