Les jours passaient, si ce n’étaient pas les semaines. Eden s’était mise en tête de rassembler le plus d’informations possibles. Au début de cette entreprise, il ne s’agissait que d’une vague recherche concernant New Eden. Mais ses recherches s’étaient étendues sur la température de chacun concernant cette fameuse communauté religieuse, en passant par les projets de certaines factions, sans oublier le très superficiel, mais très intéressant comparatif sur les nouveaux infectés. Eden s’était félicitée de n’en avoir croisé aucun. Une chose qui la rassurait, d’une certaine manière c’est qu’il n’était pas particulièrement nombreux, ou du moins pas encore. La fenêtre d’action devenait donc de plus en plus serrée, et les prises de décisions définitives allaient arriver à très grands pas.

Le comparatif entre les anciens et les nouveaux infectés n’avaient été aussi conclusif qu’elle l’aurait voulu. Mais malheureusement, elle n’avait pas à s’en étonner. Le matériel médical auquel elle avait été habitué au début de sa carrière se faisait particulièrement rare, surtout en état de fonctionnement. Il ne fallait pas sous-estimer le pouvoir du temps et de l’abandon. Pour autant, elle en avait appris un peu, certainement pas assez, mais assez pour que ses anciens réflexes d’épidémiologiste puissent être remis au goût du jour.

Le motel n’avait quand à lui pas changé. Les mêmes visages, les mêmes allers-retours et les mêmes habitudes. Ses enfants toujours au centre de son attention grandissait à une vitesse folle, Poppy apprenait à lire et son anglais s’améliorait au contact des autres filles. Adriel était fidèle à lui même et avait pu exprimer ses parties de sa personnalité qui avait été brimé quand ils habitaient dans les bois de Seward Park. Eden demeurait tout de même vigilante à ce sujet. La mère de famille avait convenu d’un entretien avec Oxana, concernant l’avenir du motel, Eden avait bien des suggestions à ce sujet, mais bien entendu, elle n’avait aucune prétention à imposer quoique ce soit à l’ukrainienne, sans oublier que ses intérêts et ceux de sa famille passait avant tout, avant n’importe qui.

Elle coucha ses enfants après les avoir nourri. Les chasses devenaient de plus en plus hasardeuses, et de plus en plus risqué. Eden, d’un naturel calme, se prenait à se retourner bien plus qu’avant. Les nouveaux infectés et leur robustesse n’étaient pas étranger à ce nouveau réflexe. Elle était encore plus au à guet quand elle quittait le motel, prenant toutes les précautions qu’il fallait, mais qui était réellement à l’abri d’un accident, ou d’un acharnement du sort ? En quittant ses enfants, elle regarda Stella, la chienne qui veillait sur eux lever la tête, alors qu’elle se plaçait déjà auprès de Poppy et Adriel.

Eden toqua à la porte, attendit qu’on lui dise de rentrer. La chambre d’Oxana avait toujours cette même odeur caractéristique, entre poudre et tabac, une habitude que l’ukrainienne n’avait pas réussi à perdre malgré la fin certaine de la production des grandes entreprises fournisseuses officielles de cancer du poumon et tous les autres.

La nuit avait à peine commencé à tomber, les nuits étaient toujours l’occasion pour les monstres de sortir et pour les leaders de prendre de grandes décisions ou de discuter de la possibilité de grandes décisions.

« Bonsoir Oxana. » déclara t-elle sur un ton monocorde. « Je n’ai pas voulu trop m’étendre sur le sujet de New Eden, et des factions alentours. Mais les choses bougent à Seattle, et à une vitesse importante. »

Cette ville devenait folle. Complètement. Littéralement. Les avions qui passaient au-dessus de leur tête, la moitié des leaders de Seattle mis à prix, le dispensaire en tension à cause de New Eden… il faudrait être aveugle pour ne pas voir l’étau se refermer, et il faudrait être stupide pour ne pas s’en préoccuper. C’était la quatrième clopes d’affilée que l’ukrainienne écrasait dans son cendrier et si elle ne poursuivit pas, c’était parce que son paquet était désespérément vide. Elle le froissa et le balança à travers sa piaule, avant de reprendre ses cent pas, comme un lion en cage. Thea n’était pas revenue, depuis plus de 48 heures maintenant. Ce n’était évidemment pas dans ses habitudes, surtout que personne ne l’avait vue récemment au No man’s land ou à la cage.

Et plus Oxana y pensait, plus elle se souvenait de ce que lui avait raconté la brésilienne trois jours auparavant. Qu’elle avait rencontré des hommes de New Eden, qu’ils avaient été serviables et qu’ils étaient venus consommer au motel ; pour la première fois. Est-ce que ça avait un rapport ? Est-ce que c’était plutôt l’homme qu’avait longuement traqué Johanna et sur lequel elles n’avaient jamais mis la main ? Est-ce qu’il s’agissait des bikers de l’hiver qui avaient des alliés avides de vengeance ? Lorsqu’on était une femme, le monde était peuplé d’ennemis. Et la quadragénaire avait l’impression que plus elle en chassait de son palier, plus nombreux ils revenaient frapper à sa porte.

Un peu plus tôt dans l’après-midi, elle avait confié à Johanna la mission de fureter dans les alentours, en quête de la disparue, dans des quartiers moins fréquentés. Peut-être avait-elle été prise en chasse par des rôdeurs et était simplement bloquée quelque ou éventrée dans une ruelle ? Contre des voraces mutants notamment, elle n’aurait tout simplement eu aucune chance.

- Entre.

Les coups contre le battant de sa porte l’avaient tiré de ses réflexions. La conclusion était qu’elle avait trop peu d’éléments et Thea pouvait littéralement être n’importe où. C’était Eden, qui entra avec la fraîcheur de la nuit et entra immédiatement dans le vif du sujet.

- J’ai remarqué, grogna Oxana, rabattant d’une main sa crinière blonde, désordonnée par ce geste répété mille fois aujourd’hui, tu as des choses précises à me dire ?

Merci, mais je vous laisse ici, ça n'est vraiment pas loin, assura-t-elle à Cooper et l'homme qui l'accompagnait, un rouquin du nom de Calvin qui n'avait franchement pas l'air méchant. Cela étant, Johanna ne se fiait plus aux apparences. Elle n'était pas assez en confiance pour aller jusqu'au motel : c'était offrir son logis à des hommes en qui elle n'avait pas vraiment confiance, en qui elle ne pouvait pas croire. Je passerais au No Man's Land demain, ajouta-t-elle.

Rabattant sa capuche sur ses cheveux blonds, elle profita de la pénombre de la nuit et de la couleur sombre de son haut pour se fondre dans l'obscurité. Elle ne mit pas longtemps à regagner le motel d'ailleurs, encore plus à se glisser à l'intérieur pour saluer Amalia avant qu'elle ne la dispute. Où était-elle, avec qui, faisait-elle. Tout ça n'était pas important. En l'absence encore de Thea, plus rien n'était important, en fait. Respirant fort, elle gagna la chambre de la Matrone et frappa à la porte avant de rentrer sans attendre l'autorisation :

Oxana ! L'odeur de cigarette, la présence de l'ukrainienne et finalement de la coréenne à côté. Ecarquillant les yeux de surprise, Johanna ne s'attendait pas du tout à les voir toutes les deux ici, et en même temps... Qu'est-ce qui les en empêchait ? Eden, je...

Elle fit en sorte de reprendre son air. Elle avait un peu sprinté jusqu'ici pour faire vite. Le pire étant qu'elle n'avait rien de nouveau. Rien de concret. Rien pour se mettre sur la piste de leur membre disparue. C'était frustrant mais il fallait faire avec, aviser en conséquence. Johanna laissait les grandes décisions à Oxana, qui s'y prendrait mieux. Même à Eden, qui semblait plus sagace que beaucoup au campement.

Elle a été vu avec un homme la dernière fois au No Man's Land, mais ensuite plus de trace nulle part, souffla-t-elle. Le pire étant qu'elle n'avait qu'une description désuète de l'homme. Monsieur tout le monde, autant le dire. Même si on le suspectait d'être de New Eden. J'y retourne à la première heure, voir si d'autres gens ont des choses à m'apprendre, mais New Eden est vraiment partout...

« Bonsoir Johanna. » déclara Eden alors que la jeune femme entre dans la chambre d’Oxana.

Elle reporta ensuite son attention sur Oxana. Eden en avait des choses à dire, et dans le même temps, la coréenne avait l’impression de n’avoir rien de concret, ou rien d’assez précis. New Eden était assez douée pour s’éviter trop de mauvaises presses, pourtant, les échos et les rumeurs ne se taisaient jamais. Il suffisait certainement d’une chose, une informations sur les réelles exactions de la communauté pour réellement mettre le feu au poudre. Seulement, Eden n’avait pas l’intention de faire preuve d’une quelconque patience concernant l’explosion qui viendrait, ou ne viendrait pas. Elle laissait aux autres survivants d’être les architectes de la fin de New Eden. Billie et Nova le lui avait dit, il était préférable de se tenir le plus éloigné possible de ces fanatiques.

« Comme le dit, Johanna, ils sont partout. Et ils n’ont pas l’intention de partir … Il n’est pas difficile de comprendre ce qu’ils compte faire de Seattle, j’imagine que l’on peut euphémiser en parlant de «nettoyage.» commence t-elle. Seattle était le terrain de jeu de beaucoup de groupes, certes les uns plus puissants que d’autre ou plus aguerris; seulement la réalité veut que dans ce monde anarchique c’est toujours le plus fort qui l’emporte. Que l’on soit d’accord ou non, pour l’heure, c’était New Eden qui menait la danse.

« J’ai pu m’entretenir avec Billie. Sa faction se prépare à quitter la ville, de ce que j’ai compris ils chercheraient même à réhabiliter des trains. Je suppose que ce serait en soit une petite révolution en elle-même. » Ils connaissaient tous le train, leur ancien monde vivait à leurs rythmes, seulement depuis la fin du monde, et ce depuis six ans, les locomotives que chacun considérait comme acquise étaient restées en gare ou abandonnées au milieu des voies. Avoir un moyen de transport comme un train risquait d’attirer les regards, et certaines attentions n’étaient toujours bonne à obtenir. Pour l’heure, Eden ne faisait qu’énumérer les faits concernant les dires des différentes représentantes des quelques factions qu’elle avait pu interroger.

« La grande majorité semble peu enclin à se ranger derrière New Eden, ce qui en soit peut être considérer comme une bonne nouvelle. Mais je crains que les bonnes intentions ne soient pas suffisantes pour en venir à bout de la gargantuesque envie expansionniste de New Eden.»

L’arrivée de Johanna n’apporta aucune bonne nouvelle ni aucune information. Thea n’était nulle part, personne n’avait de renseignement tangible à son sujet, c’était à enrager. Et New Eden, encore New Eden. Il ne se passait désormais plus un jour sans que leur nom grandiloquent n’écorche ses oreilles et ça lui donnait des ulcères. A défaut de pouvoir manipuler une énième cigarette, les doigts d’Oxana écorchaient les peaux de ses pouces. Elle réfléchissait mais ne voyait que des impasses autour d’elle.

- Des trains…, répéta-t-elle pensivement.

Ce n’était pas la première fois qu’elle entendait parler de ce projet, mais elle n’imaginait pas que le groupe de Billie s’y mettrait vraiment. Dans un monde dominé par le silence et l’inertie, une ligne de chemin de fer était bruyante. Un moyen de transport facilement repérable et relativement aidé à intercepter. Et quitter la ville alors ? C’était, dans l’absolu, une solution qui n’était pas déraisonnée. Mais l’Ukrainienne exécrait l’idée de courber l’échine devant des fanatiques décidée à « nettoyer » Seattle. Cette métropole, c’était sa maison désormais, son royaume en quelque sorte. Un respect gagné en partant de la fange, payé par le sang et le sacrifice de celles qui l’avaient suivie – comme Johanna.

- On ne va pas se contenter de bonnes attentions alors.

Ses prunelles azurées se posèrent sur sa protégée. La proxénète avait toujours refusé d’avoir à entrer dans ce dangereux engrenage. Elle pariait sur le fait de se faire oublier et de laisser les autres s’attirer des ennuis. Ça avait plutôt bien marché jusque là : Valérian et Connor étaient mis à prix, leurs communautés devaient se terrer, et Bill n’était pas dans une situation moins délicate. Au final, le motel était l’entité qui s’en était le mieux tiré dans le secteur. Comme quoi, la neutralité avait du bon… même si cette prétendue indifférence avait déjà été entachée quand elle avait accepté l’accord passé avec le camp d’où est revenue Ellie.

- Si on a le choix entre plier, s’enfuir ou se battre, alors…, alors il y avait deux solutions qui ne lui plaisaient pas du tout, Johanna, tu as pu approcher un ou deux hommes de chez eux, non ? Aucun qui pourrait se révéler utile ?

Vous... Vous pensez qu'il est temps de partir, nous aussi ? Demanda Johanna, d'une voix blanche.

Elle ne savait pas ce que ça lui inspirait. Le Motel était son foyer depuis un moment, mais il renfermait également quelques très mauvais souvenirs. Sans doute que partir était une solution à envisager très sérieusement. Mais pour aller où ? Et pour faire quoi, ensuite ? Parce qu'avec Thea disparue, Ellie qui devait garder des contacts avec son ex-compagnon, ou son compagnon - Johanna n'était pas sûre de tout suivre - elle s'interrogeait beaucoup sur tout ça. Est-ce que les filles sauraient les retrouver, à ce moment-là ? Un soupir échappa à la blonde. Elle se rangerait à l'opinion d'Oxana dans tous les cas, même si du coup ça impliquerait qu'elles perdraient leur visibilité.

La question de l'ukrainienne la fit se raidir.

O-Oui... Articula-t-elle avec une brève hésitation. Elle déglutit. Elle avait promis à Cooper de ne pas parler de tout ça, mais Oxana était de confiance et... Si elle ne donnait pas son nom, ça irait, non ? Il m'a parlé, en fait, il s'est confié à moi, mais il ne peut plus se promener seul alors nos entrevues vont être très limitées et surveillées, expliqua-t-elle aux deux femmes. Je vais trouver un moyen de continuer à obtenir des informations, affirma-t-elle ensuite.

C'était nécessaire. Bill lui avait dit la même chose : il fallait entretenir ce lien, d'une manière ou d'une autre. Même si... Finalement, ça n'allait pas du tout être aussi simple qu'elle l'espérait. A croire que New Eden couvrait également tous ses angles, pour s'assurer une protection, pour qu'aucune fuite ne persiste. Cooper s'était mis en danger. Et ce qu'elle voulait lui demander de faire était encore plus dangereux.

Il m'a confirmé ce que les autres ont dit : le rôle des femmes, les mariages forcées, la nécessité d'enfanter, énuméra-t-elle avec appréhension. Il m'a dit aussi que notre groupe, où il n'y a que des femmes, serait très mal vu. Maintenant qu'ils savent que nous existons, ils vont forcément commencer à nous approcher pour de bon, non ?

Les yeux d’Eden se tournaient vers Johanna au fur et à mesure que les informations tombaient. Comme un couperet à chaque phrase, le noeud dans l’estomac d’Eden se serrait. Ce qu’elle craignait les plus était arrivé, New Eden connaissait l’existence du motel. Ce n’était plus qu’une question de temps maintenant. La coréenne n’osait pas imaginer ce qu’ils leur feraient, qu’arriveraient-ils donc à ses enfants. Sa mâchoire se serrait ensuite, elle prit une longue inspiration pour calmer ses nerfs désormais à vif. Cette colère qu’elle avait réussit à tenir enchaînée depuis son arrivée chez les Vénus ne faisait que monter. La pression était à son rendez-vous. Il fallait prendre des décisions, et vite. Était-ce encore le temps des informations ?

« Je pense que nous avons passé le temps de la recherche des informations. » déclara Eden. Qu’est ce qu’elles pourraient apprendre de plus ? La manière dont elles allaient toutes se faire découper ou violer ? La créativité des hommes pour l’horreur n’avait jamais trouvé de réelle limite, et New Eden faisait partie des fanatiques. Hors de question d’attendre plus de précisions, il n’y avait rien dans cette ville qui valait d’être sauvé. Les petits royaumes qu’ils s’étaient tous crée les uns et les autres n’avaient de valeurs que s’ils restaient en vie et encore à, la chose n’était si évidente que cela.

Plier, s’enfuir ou se battre ? Pour Eden, il n’y avait qu’une seule option. Et se battre n’en faisait clairement pas partie. Elle n’avait pas l’hubris ou l’ambition de son égo. Ses enfants n’avaient pas subir les envies expansionnistes de qui que ce soit. Entre courage et témérité il n’y avait qu’un pas, et Eden n’avait pas l’intention de franchir la limite. « Il n’y a pas que New Eden qui devrait nous inquiéter. Même si j’admets qu’ils sont la première menace. Mais les nouveaux infectés ne sont pas en reste. Nous avons pu en faire les frais. » reprit-elle.

La somme de toutes les menaces qui pesaient sur la ville ne penchait pas la balance de la sédentarité au motel pour Eden. Elle l’avouait sans problème, chacun savait où elle se plaçait. « J’ai pu faire un comparatif avec l’un de ces infectés, et ceux auxquels nous sommes habituées. Les différences sont troublantes et certainement pas synonyme de bonnes nouvelles. »

Elle se massa la tempe droite. Toutes ces données, toutes ces informations avaient vocation à être oubliées au fur et à mesure. Elle se rendait bien compte que cette mémoire qu’elle avait, pouvait parfois être synonymes de maux de tête quand elle devait le faire tourner à plein régime et prendre des décisions en fonction. « Pas de décomposition, pas d’attaques sur les muscles, ils n’ont pas l’air décharnés… » elle soupire alors. « Ils ont une peau étrange … quelque chose qui doit la rendre comme ça. Mais quoi… je ne peux pas le dire. »

Elle donnait tout ce qu’elle avait en stock. Le peu d’ailleurs, estimait-elle. Mais c’était toujours ça de pris, peut-être était-ce une première pierre à un édifice qui permettrait de comprendre ces nouveaux éléments dans leur survie. Eden ne voulait pas être prisonnière de quoi que ce soit, mais ce qui était certain, c’était qu’avec un matériel médical adéquate, les découvertes iraient beaucoup plus vite. Maintenant qu’elle y pensait, peut-être qu’Ellie qui arrivait d’un grand groupe aurait quelque chose de plus à leur apporter.

« New Eden arrivera bien assez vite. Mais les nouveaux infectés sont déjà aux portes du motel. Il faut se rendre à l’évidence le temps des informations est passé. »