Oxana soupira en passant une main dans sa crinière mal coiffée. Les options se refermaient à mesure que la conversation avançait. Johanna rapportait que son indic’ était moins accessible, Eden soulevait – à juste titre – que l’heure de la prise d’information était passée. L’Ukrainienne en convenait. Au stade où elles en étaient, elles avaient tout ce qui leur fallait pour conclure que l’étau allait se refermer sur le motel. Les New Eden d’un côté, les voraces mutants de l’autre. Et avec cela, les ennuis iraient crescendo : les prostituées du quartier industrielle étaient relativement respectées parce que leur organisation distillait un peu de peur dans les esprits. Si jamais elles étaient mises en difficulté, les hommes prendront de moins en moins de gants à leur égard.

- Eden a raison, déclara-t-elle à haute voix, essentiellement à l’intention de la benjamine, et avec ça, le dispensaire est sous pression…

Avec une présence exacerbée de milices New Eden et leur sage-femme/avorteuse sous le coup d’une prime, c’était même un euphémisme de dire que le bébé de Kaycee était « sous pression ». Oxana avait l’impression de ne plus pouvoir se fier à personne. Valérian avait ses propres soucis, quant aux communautés de Bill et Connor… allait-elle réellement donner sa pleine confiance à des hommes ayant prouvé être vénaux ET sexistes ? Hors de question. Elle allait se créer sa propre voie.

- On pourrait… on pourrait changer et se battre à notre manière, lâcha-t-elle d’un coup.

En disant cela, elle pensait aux vivants plus qu’aux morts. Dans l’immédiat, elle ne voyait ce qu’elle pouvait faire de plus pour les monstres qu’avait décrit la coréenne, sinon de se reposer sur les pièges et la prudence. Ce qu’elle avait envie de se cramer les poumons dans une clope de plus… mais la quadragénaire dut extérioriser autrement – en détaillant son idée.

- Il y a suffisamment de monde qui met des bâtons dans les roues des New Eden, on apportera rien de beaucoup plus intéressant, rien sinon rendre plus voyante la croix dans leur dos, par contre… si le dispensaire ne peut plus fonctionner décemment pour les femmes dans le besoin, on pourrait prendre le relais, elle haussa les épaules, avoir une autre planque, secrète, y emmener toutes celles qui sont persécutées, qui ont besoin de soin, d’avorter ou d’accoucher en paix…

Oxana se grignota l’intérieur de la joue. Ce plan ambitieux, ça signifiait renoncer à leur façon de gagner leur vie. Ce n’était pas que le proxénétisme lui manquerait – bien au contraire – mais elle ne savait pas si elle serait capable de faire survivre ses filles autrement. Pourtant, elle ne pouvait plus faire l’autruche et la fuite pure et simple lui paraissait hors de question.

- Pendant que toutes les autres communautés sont occupées à se faire remarquer, à coups d’embuscades et autres fusillades en pleine rue, on pourrait se faire oublier encore, et discrètement apporter leur pierre à l’édifice.

Elle fixa les deux femmes, sans doute mieux avisées qu'elle sur toutes ces questions. Johanna baissa le regard ensuite pour fixer ses chaussures, tentant de réfléchir. Mais elle se sentit bête, ici. Parce qu'Eden et Oxana étaient déjà loins dans leurs plans, si loin qu'elle peinait à les suivre. Un soupir lui échappa, elle pinça les lèvres un temps avant de revenir à elles. Des idées fusaient, des opportunités avec. Là où Oxana s'inquiétait de pouvoir lutter à sa manière, Eden s'échinait à vouloir comprendre ces nouveaux rôdeurs et une manière efficace de les contrer. Et sur ce point, Johanna ne savait pas vraiment comment s'y prendre. De plus amples informations étaient nécessaires...

Peut-être que le groupe d'Ellie en sait plus, glissa-t-elle à la coréenne en haussant les épaules. Ce n'était pas une valeur sûre mais, avec un peu de chance... Comment on pourrait faire passer l'information que nous fournissons ce service ? Demanda-t-elle ensuite à Oxana en portant un regard curieux vers elle.

Est-ce qu'on pouvait faire confiance à qui que ce soit pour ça ? Elle avait en tête le fait que ça avait causé de gros problèmes au dispensaire...

Et on le ferait où ? Ici ? Demanda-t-elle. Si l'idée était posée à la va-vite, Johanna ne se rendait pas compte que ça avait besoin d'être réfléchi. Elle voulait des solutions immédiates pour pouvoir aider tout le monde. On continuerait de se prostituer, même si ça n'est pas dans les valeurs de New Eden ? S'inquiéta-t-elle.

Pour Alba, Amalia, Hope ou Ellie. Elle s'en faisait beaucoup. Même pour elle : que diraient-ils s'ils découvraient son passé ? Johanna s'était bien gardée d'en parler à Victor, encore plus à Cooper, de peur de leurs réactions. Et face à des hommes, il était normal d'avoir peur. Ils étaient capables de tout.

Si Thea est partie avec l'un d'eux, elle pourrait avoir des problèmes, ils ont pu... Je ne sais pas, mais la punir pour ce qu'elle fait ici, murmura-t-elle en sentant une vive angoisse la prendre. Par réflexe, elle se mordilla la peau du pouce : Mon contact m'a dit que c'était contre leurs mœurs, leurs codes de conduite, il y a des primes qui ont été posé au No Man's Land pour la pratique d'avortement... Glissa-t-elle aux deux femmes. On est vraiment prêtes à faire ça ?

« Se battre à notre manière ? »

Le ton était dubitatif, plus que dubitatif. Elle ne voyait pas bien comment il était possible de se battre d’une quelconque manière contre New Eden sans devoir courber l’échine d’une manière ou d’une autre. Sa seule priorité c’était ses enfants, cette pensée, elle avait l’impression qu’elle était un leitmotiv qui tournait en boucle comme un disque rayé. On ne pouvait pas vraiment lui reprocher d’avoir des priorités bien différentes de celle d’Oxana. Si les deux femmes s’entendaient, elles n’en demeuraient pas moins très différentes. Alors se battre … oui, mais non. Peu importe la manière. Il était préférable peut être même d’oublier la prostitution un temps, histoire de se faire oublier.

Voir sa tête mise à prix pour l’avortement d’une autre ? Elle secoua la tête. Ce n’était pas un risque qu’elle souhaitait prendre. Ça tombait même sous le sens, à la question de Johanna, elle secoua la tête désapprouvant sobrement l’idée que les filles puissent prendre un risque. Qu’on ne lui fasse pas le coup de la solidarité féminine et autre concept d‘accessibilité aux soins, ça lui ferait une belle jambe et elle n’en avait d’ailleurs vraiment rien à faire, pour rester polie. « Personnellement c’est un risque que je ne prendrais pas. » déclara t-elle de but en blanc, quitte a devoir assumer les conséquences de ce choix.

Elle s’en tamponnait le coquillart des femmes dans le besoin. Elle pourrait signer cette pensée sur du papier si on ne la croyait pas. Rien, il n’y avait rien qui lui ferait prendre un quelconque risque, hors de question d’être personnellement dans le viseur de New Eden. « Ça me semble difficile de se faire oublier quand on devient le seul endroit où sont prodiguer des soins comme l’avortement. Ce genre de nouvelles va vite, et peut tomber dans une oreille malintentionnée. »

Le monde avait changé, et les grandes envolées rebelles avaient un prix, un vrai. Les nouvelles vont vites et New Eden grandit vitesse grand V. « Voir ma tête mise à prix n’est pas dans mes projets. Le plus anonyme je suis, le mieux que je porte. Le statut d’avorteuse je le laisse à qui voudra bien prendre le risque de le prendre. »

Il fallait ouvrir les yeux, et peut-être que ceux d’Eden allait dans une direction bien différente de celles des filles du motel. Souhaitent-elles se battre seulement ? La chose ne lui semblait pas aussi évidente ou noire ou blanche.

« Ils m’ont l’air bien trop créatifs pour prendre un quelconque risque. Mais ce n’est que mon avis. Et les primes bien trop importantes pour que la délation ne fasse pas loi..   »