C’est fou d’être plus entouré que jamais et de se sentir finalement si seul. J’ai du mal à trouver ma place, du mal à me trouver un but. Les stigmates restent profonds, les blessures aussi que ce soit les miennes ou celles des autres et souvent je me perds a rêver à des moments plus simples. Des moments que je pourrais vivre sans la rage et la soif de vengeance qui sommeillent au fond de moi et que je cultive depuis bien trop longtemps. Alors, certainement que je suis un peu distant avec Dany, avec les autres. Ça ne veut pas dire que je chéri pas leur présence dans ma vie, simplement que je prends de plus en plus conscience que l’attachement ça vient avec le risque de perdre. Et que Dany, ce n’est peut-être pas en mon pouvoir de le sauver de lui même ou des autres. S’il voulait vraiment que je le sauve ça fait longtemps que je pourrais bien plus m’impliquer dans ce qui est arrivé. Alors mon rôle auprès de lui, parfois je viens à en douter et ça me fait mal. Ça vient avec son lot de culpabilité et le besoin de m’isoler encore plus. C’est pourquoi cette nuit, j’ai dormi avec mes plantes et je me suis encore explosé la tête au-delà de l’entendement. Les yeux encore rouges, la gorge enrouée, je suis monté sur le toit, comme si prendre de la hauteur pouvait me permettre de prendre de la distance.

Je m’installe au bord du toit, les pieds dans le vide… au bord du gouffre et je n’ai pas de pulsion morbide à me placer là, simplement que je trouve que c’est une belle métaphore pour le précipice qui continue de s’étendre devant nous tous. Je ne m’attends pas à ce que quelqu’un vienne me trouver ici et c’est pourquoi je sursaute quand j’entends une voix s’élever derrière moi. Je n’ai pourtant pas besoin de tourner la tête pour constater que cette voix je la connais par cœur et qu’elle me réchauffe le cœur autant qu’elle augmente la sensation de vide. Mon cœur s’accélère à mesure qu’il approche et je pousse un soupir lorsque je peux sentir la chaleur de son corps contre le mien. Ses bras s'enroulent autour de moi et je presse doucement mon coup contre son visage.

T'as pu dormir, cette nuit ?

Je m’apprête à lui répondre que oui, j’ai très bien dormi. Par automatisme, par besoin de le préserver, mais j’en ai marre de faire semblant alors je m’éclaircis la gorge avant de lui répondre.

Pas trop non.

Je ne dors pas bien quand je suis avec lui, pas bien quand je suis loin de lui non plus. Je ne dors jamais bien, sauf lorsque je m’écroule complètement éclaté.  Il vient se placer à côté de moi et sa chaleur me manque déjà quand je m’empare de la barre qu’il me tend. Presque par réflexe et sans même y penser, je l’ouvre mais je ne mords pas un morceau. Je la garde simplement posée dans ma main qui elle reste écrasée contre ma cuisse.

Tu étais où, hier ? J'ai l'impression que ça fait une éternité qu'on a pas passé de temps ensemble ...

Je tourne la tête vers lui et lui adresse un petit sourire, l’air de dire que tout va bien avant de me pencher vers lui pour poser mes lèvres contre les siennes. Mon visage qui caresse doucement le sien avant de reculer pour lui répondre.

J’ai dormi avec mes plantes. Ça me fait du bien parfois de me retrouver tout seul...Même si tu as raison on ne fait que se croiser, sans se voir vraiment et je ne sais même pas ce qu’il se passe dans ta vie ses derniers temps, ni toi tu ne sais ce qui se passe dans la mienne. Je ne sais pas pourquoi c’est comme ça Dany, je voudrais qu’on soit toujours plus proche, mais je me rends dingue et je crois que je ne me laisse pas avoir assez de place. Pourtant j’en ai envie tu sais, de faire des efforts pour nous sauver tous les deux ...tout ne peut pas reposer sur moi.

Et cette confidence, elle m’écorche les lèvres. Je mène la barre chocolatée à mes lèvres, mais rien que l’odeur suffit à m’écœurer alors je la remballe et la dépose à côté de moi pour plus tard. Je me mords à l'intérieur de la joue avant de retourner la tête vers lui. Ma main qui se pose sur sa cuisse et mon pouce qui caresse distraitement le tissu de son pantalon.

Comment tu vas ? Pas un comment tu vas banal...comment tu vas ? Vraiment !  

Le temps, il prend des allures différentes quand Dany est à côté de moi. Comme s’il passait un peu plus lentement parce que chaque minute doit être chérie et appréciée et qu' aucune d’elles n’est acquise. Et chaque minute est aussi douloureuse que délicieuse. Le fond des tripes qui se tord et sa main qui vient finalement chercher la mienne dans un geste qui me réchauffe le cœur. Cet instant, il pourrait rester comme il est, se passer de mots, juste profiter de la présence de l’autre et laisser le monde entier ralentir autour de nous. Ce serait plus simple non ? Sauf que Dany et moi, il faut croire que le simple ce n’est pas fait pour nous. Et je la vois bien sa réaction à ma question, qu’il n’a pas envie de me répondre. Ça me blesse, ça me renfrogne sur moi même et quand il parle de son bras, je pousse un soupir. Je lui ai posé une vraie question pour avoir une vraie réponse . Pas l’évidence, ce qui se voit au premier regard quand il grimace de douleur au milieu d’un mouvement. Non, moi je voulais savoir comment ça va, au fond de lui, mais il faut croire que je n’ai pas le droit d’obtenir une réponse valable. Je secoue la tête en fixant le ciel, regrettant de m’être levé ce matin et comme la solitude, elle pousse à la solitude, je me prends un instant à regretter presque de ne plus être tout seul. Je me mords à l'intérieur de la joue, en signe de rappel, parce que malgré mes pensées qui vagabondent, je sais bien que je ne veux pas qu’ils sortent tous de ma vie et encore moins Dany. Pour me sortir de mes pensées, sa main se perd sur mon menton, pour tourner mon visage vers lui. Je m’exécute en serrant la mâchoire.

T'as pas besoin de me sauver angelo. Il faut que t'arrête de souffrir pour moi. Ca m'aide pas. Ca ne t'aide pas non plus. Et ça fait pas avancer les choses. J'ai peur. Pour toi. Plus pour moi. Pas en ce moment en tout cas.

Je tente de tourner la tête, mais il m’en empêche d’une légère pression de ses doigts. Parce que c’est possible de ne pas souffrir en voyant ceux qu’on aime avoir mal? Lui il ne souffre pas de me voir être l’ombre de moi -même? J’en doute fortement et oser dire que ça ne l’aide pas, c’est vraiment pas loin de se foutre de ma gueule. Je devrais en avoir rien à foutre ? J’ai pas envie d’être ce genre d’être humain ! Alors, certes, il faudrait trouver un juste milieu plutôt que de me bouffer comme je le fais mais lui non plus...il ne m’aide pas. Ma jambe s’agite doucement en signe d’impatience et mon regard planté dans le sien.

Il faut arrêter maintenant. Faut qu'on se reprenne. Même moi je perds du poids, tu te rends compte ?

Je ne rigole pas. Je ne trouve pas ça drôle. Ce serait de ma faute sans doute ? Je me contente de lever les yeux au ciel.

Je veux pas nous voir tous les deux dépérir comme deux bêtes. Regarde-toi. Tu sors plus. Tu fais juste ce qu'il faut pour pas te faire engueuler par les autres. Et regarde-moi. Regarde mon bras. Regarde mes sorties de plus en plus dangereuses. Je sais même pas ce que j'essaie de prouver en faisant ses missions. En butant des humains. J'ai tué des humains, Curtis ! Pour une putain de voiture que Bill désirait ! Et toi ! Tu marches comme un rôdeur dans l'Orb ! Jure que tu te ferais abattre si tu te baladais à l'extérieur tellement t'as l'air déjà mort !

Je secoue la tête en plissant les yeux, je comprends ce qu’il me dit, mais ça m’énerve et je ne parviens pas à lutter contre cette pulsion. Je retire ma main de la sienne et je m’empare d’une clope roulée dans un paquet de fortune au fond de la poche de mon jeans trop large. Je le coince entre mes lèvres et l’allume avant de secouer encore la tête en recrachant la fumée.

Tu crois que j’avais envie de te voir dans un tel état pendant des mois? T’avais tes raisons, tu devrais respecter le fait que j’ai les miennes. Et putain quoi t’as tué des humains pour la caisse de Bill ?!? T’en as plein qui prennent des vies pour moins que ça. C’est comme ça que le monde tourne maintenant, il faut t’y faire.

C’est rare que je bouscule, mais je suis saoulé par tout ce qui bouillonne en moi et ça continue de monter sans que je puisse lutter.

Merci de me dire que j’ai l’air mort ! C’est sympa ça Dany. Peut -être que je suis un peu mort de te voir toi, être au bord de la falaise constamment depuis des mois, de ne pas vouloir me parler, me donner ce qu’il faut pour essayer de te venger, de nous venger. De voir parfois la peur dans ton regard à mon égard, de voir que je ne suffis pas à te maintenir réellement hors de l’eau, de voir que je ne suis pas assez, que je n’en ai pas fait assez, qu’on n’est toujours pas proche comme j’aimerais que ce soit le cas, même si tu fais des efforts. Et putain mon petit égo, il ne devrait pas peser face à tout ce que t’as vécu, mais faut reconnaître que c’est pas une position évidente pour moi...Alors avant de te la ramener comme à réfléchi un peu Dany. Si j’ai l’air mort comme tu dis, je le répète c’est parce que j’ai mes raisons, celles-là et d’autres aussi…

Ce qui me brûle les lèvres ce ne serait pas joli de le dire et je me retiens uniquement parce que je sais que malgré sa maladresse, ses intentions ne sont certainement pas mauvaises à mon égard.

Et t’es le premier à dire que tu sais pas comment faire pour aller mieux, et bien moi non plus, je ne sais pas, je ne sais plus.

Je tourne la tête vers lui et le fixe un instant avant de me détourner en haussant les épaules et en tirant à nouveau sur ma clope pour recracher la fumée dans un long soupir.

Je pourrais déjà m’en vouloir de mon hostilité, de ne plus être capable depuis un moment d’être celui que j’étais et de me demander même si seulement il existe encore. Si ce n’est pas simplement une notion floue et abstraite. Je remarque bien qu’il semble avoir besoin d’un peu de temps pour digérer tout ce que je balance et je m’en voudrais presque de m’en vouloir. Je suis paumé, c’est tout. Je pousse un grognement quand il dit qu'il ne voulait pas, qu’il trébuche dans ses propres paroles et je continue à fumer en me demandant pourquoi je suis assez con pour faire mine de repousser la personne qui compte le plus pour moi. La boule au fond de mon ventre qui ne se tait jamais et trouve des échos jusque entre mes tempes.

Alors c'est ma faute c'est ça ?C'est à cause de moi que t'es comme ça ? A cause de moi, 'entre autre' ?

Ma langue vient claquer contre mes dents. Évidemment que c’est en partie à cause de lui, il croit quoi ? Que je peux tenir une éternité fasse aux murs qu’il dresse autour de lui sans que ça finisse par me peser. Et cette fois encore je m’en veux, je m’en veux de ne pas pouvoir être fort tout le temps, de ne pas parvenir à garder la tête haute. C’est probablement que comme toujours je me fou bien plus de pression et de responsabilités qu’il ne faudrait. Je me refuse à tourner la tête vers lui parce que je sais que si j’y devine de la peine, je vais avoir du mal à gérer ça.

J'suis désolé alors, Curtis ! J'suis désolé d'être ce poids qui te tire vers le bas ! J'suis désolé de pas t'apporter c'que tu veux ! J't'avais prévenu depuis le début, tu le sais, ça, pas vrai ? Tu t'en souviens ? Tu le savais !

Putain comme si j’allais devoir lui donner raison maintenant. Ce n’est pas parce qu’il m’a prévenu que ça doit justifier de tout laisser passer, comme le fait de ne pas pouvoir l’aider. Je sais plus quoi faire de tout ça, ça me rend dingue. Je grimace alors qu’il s’agite, se redresse. S’il veut partir là maintenant, je ne suis pas certain d’avoir la force de le retenir. Je regarde le vide devant moi et je m’accroche à un point dans le flou.

Et arrête de fumer ta merde là !

Il s’empare de ma clope et l’envoie de le vide Non, mais il se fout de la gueule de qui, lui qui est défoncé la moitié du temps. Il pense que je ne le vois pas ? Il se prend pour qui à me dire ce que je peux faire ou non ! Je pousse un autre grognement et ma main part à la recherche d’une autre clope que je m’apprête à allumer pour probablement lui souffler la fumée au visage en ultime signe de provocation. Je n’en ai pas le temps.

Réagis putain ! J'veux pas que tu meurs, réagis bordel !

Sa main s’éclate contre ma joue, il m’agrippe et je me relève brusquement pour lui faire face. Tout ce qu’il trouve à faire, c’est reculer. La colère qui grimpe en moi. Oh qu’il n’aille pas faire genre qu’il a peur de moi. Je serre les poings, je devrais pouvoir me contrôler. J’inspire et au lieu d’expirer doucement, je bondis vers lui. Mes mains qui s’agrippent à son col.

Ne refais plus jamais ça ! T’entends ! Parce que je ne promets pas de toujours répondre de moi. Et t’a pas à me dire ce que je peux faire ou non quand toi tu t’en préoccupe à peine de ce que je pense, de ce que je te demande.

Je le repousse et allume finalement ma clope. Je reste proche de lui, mon regard rivé dans le sien, le menton relevé.

T’attends quoi de moi ? Évidemment que tu veux pas que je meurs, comme je ne veux pas que tu meurs mais eh spoiler alerte c’est pas réellement entre nos mains. Alors, tu veux quoi ? Que je recommence à sourire ? Que je fasse semblant que tout va bien ? Je suis incapable de t’aider à aller mieux, alors ouais ça me fatigue. Je dois m' excuser sans doute ? Et c’est pas parce que tu m’a prévenu que j’allais pas essayer, je ne vois pas le rapport.

Ma main se pose sur lui pour remettre dans l’ordre sur le col de son t-shirt et je tire une longue bouffée avant de faire un pas en arrière. Mon regard reste figé dans le sien.