Ça me révolte quand il grimace comme si j’allais le frapper. Comme si moi je pouvais lui faire ça ! Alors que quelques minutes plus tôt, c’est bien tout l’inverse qui vient de se produire. Et son regard, on dirait qu’il n’ose pas me regarder. Comment est-ce possible qu’on en soit arrivé là ? Est-ce qu’il faut qu’on touche le fond pour envisager de retrouver la surface ? Est-ce qu’on a seulement un jour été du genre a prendre notre souffle avant la noyade ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Tout ce que je sais, c’est que ça me rend fou. Sa douleur qui coule sur moi, la mienne sur lui alors qu' un temps nous étions la lumière l'un pour l'autre. Je voudrais retrouver cette flamme, ne pas la regarder s’éteindre. Trouve un moyen de raviver tout ça, mais je suis épuisé de le voir souffrir, de ne pas me sentir « assez » pour lui tenir la tête hors de l’eau. Je sais qu’il est brisé et peut -être que ma plus grosse erreur c’est d’avoir pensé que je pouvais réparer certaines de ses fêlures ou du moins les empêcher de se creuser plus profondément en lui. J’ai besoin qu’il me donne quelque chose, qu’il fasse un pas. Je me tourne vers lui , il inspire et je ne peux m’empêcher de redouter ce qu’il pourrait dire ou faire.

Baron … il se faisait appeler Baron.

Je bats des paupières. Je...je m’attendais à tout sauf à ça. Je suis désarçonné, mon bras retombe lourdement le long de mon corps, clope accrochée au bouts des doigts. Un nom, celui que je demande depuis si longtemps maintenant. Baron. Un nom sur lequel déverser la haine, les fautes. Une piste aussi.

Et … Andrew. Celui qui est revenu au No Man's Land. Celui qui m'a …

Et un second. J’entrouvre les lèvres, mais aucun son ne sort. Je suis abasourdis et peut-être que cela ne change rien que je connaisse ces noms. Certainement que cela n’efface rien de ce qu’il s’est passé, certainement aussi que même avec une telle info , je ne vais pas les retrouver en un claquement de doigt pour les faire payer. Non, ce qui compte, c’est la preuve de confiance, l’abandon, de me les dire enfin. Baron, Andrew. Je les note dans un coin de ma tête et mon premier réflexe est de faire un pas en direction de Dany tout en jetant ma clope sur le côté. Une foule de questions au bord des lèvres. Une description, d’autres infos, des détails. Mais je me fige dans mon geste, constatant l’effet que ces révélations ont sur lui. Je ne peux décemment pas en demander plus, pas maintenant. Et c’est là que Dany s’affaisse, s’écroule, rejoint le sol et que la culpabilité s’abat sur mes épaules. Non, je refuse, pas encore. Il fallait qu’il m’en parle, ça fait assez longtemps maintenant.

Je suis désolé, Curtis.

J’inspire profondément à mon tour et me laisse tomber à côté de Dany, mes mains qui se posent sur ses avants bras. Je secoue la tête et expire tout l’air que j’ai bloqué dans mes poumons. Mes mains remontent le long de ses bras pour venir s’accrocher à ses épaules et je l’attire contre moi, enroulant mes bras autour de lui et venant poser un baiser sur le haut de sa tête.

Ne sois pas désolé alors que tu viens de me donner ce que je te demande depuis longtemps. C’est plutôt a moi de te remercier de me confier enfin ces informations et je n’ai pas l’intention d’aller maintenant tout retourné pour les trouver, ne t’inquiète pas. Seulement que je sais un peu plus à quoi m’en tenir maintenant, au cas où…

Je le serre un peu plus fort contre moi en le berçant doucement.

Calme toi, respire. Tu sais, je suis pas toujours doué, mais ce dont j’ai envie c’est que les choses s’arrangent, qu’elles s’apaisent...entre nous et en générale ...au moins un peu, parce que on est pas cons on sait qu’on vit dans un monde de dingues. Peut-être qu’on peut souffler un peu, prendre le reste de la journée pour faire un truc cool...je ne sais pas quoi, mais essayer de passer un bon moment.

Ma main glisse sous son menton et je relève son visage vers moi.

T’en penses quoi ?

Je ne suis toujours pas certain d’assimiler la révélation que Dany vient de me faire et encore moins de savoir quoi en faire, mais après tant d’émotions, il me semble que nous avons le droit, le besoin même de souffler un peu. Et je sens la résistance quand j’attire Dany contre moi, mais il se laisse finalement  faire et sa chaleur contre le moi a le don de m’apaiser. Comment j’ai pu oublier un instant cette sensation qu’il me procure? Mon visage qui se perd dans ses cheveux ébouriffés quand je le serre un peu plus fort encore. Remontant son visage vers le mien, je chasse quelques unes de ses larmes du bout des doigts et mon regard retrouve le sien avec une douceur que je lui ai refusée un plus tôt . Ça m’attriste de devoir en arriver là pour obtenir des réponses et j’ai du mal à voir cela comme un mal nécessaire, mais je ne peux pas constamment me sentir rejeté, tenu en dehors de tout ça. Nos vies, nos destins sont étroitement liés et il faut en tenir compte, je ne veux pas que cela en soit autrement et je suis convaincu que dans le cas contraire, Dany aussi voudrait ne pas être tenu écarté. Du moins, je l’espère. Un fin sourire se dessine sur ses lèvres et en miroir j’en fais de même.

On peut peut-être aller se balader, déjà ? Ça fait longtemps que j'me suis pas éloigné d'ici … Ce sera déjà l'aventure.

Il approche son visage et je pose un baiser sur ses lèvres sans me faire prier un seul instant, retrouvant ce contact dans un soupir libérateur. Je passe alors mon bras autour de ses épaules et l’entraîne pour aller faire cette promenade.

Je ne sors presque pas ces derniers temps, je pense qu’un peu d’air frais ne peut que me faire du bien. Il ressemble à quoi notre monde pour le moment? Je crois que j’ai préféré rester dans le déni et ne pas entendre toutes ces histoires, rester dans mon coin et ne me mêler de rien. Je regrette de ne pas avoir été là quand vous auriez pu en avoir besoin.

Il faut que je retrouve ma place dans le groupe et pas uniquement me contenter du stricte minimum, ce n’est pas comme ça que je mérite ma place. Je pousse un soupir tout en continuant à marcher et en serrant Dany contre moi.

Raconte moi, les histoires, tout ça...Je ne sais même pas si Chris et Aamir vont bien...ni les autres.

Je me sens coupable de m’être autant renfermé sur moi-même, me contentant de m’occuper des plantes et des deals sans prendre part à la vie du groupe. Je ne peux pas continuer comme ça. Je fronce les sourcils, grimace un instant et je pose un baiser le haut de la tête de Dany. C’est probablement avant tout par rapport à lui que je me sens coupable. Il faut que je me reprenne, il a raison pour lui, pour moi, pour nous et je sens naître au fond de moi une détermination qui m’avait quittée depuis trop longtemps maintenant. Je hausse les épaules et je m’empresse d’ajouter en marmonnant.

Merci d’être toujours là sweetheart .