Backward Running, Time's not moving.

Ça doit faire 5 bonnes minutes que je suis devant sa porte et que je n’ose pas y toquer. Indécise, je ne suis pas certaine de ce que je viens trouver ici, de ce que ça pourrait bien m’apporter de plus. Le temps arrange les choses, aucun doute là-dessus, mais… suis-je trop impatiente ? Trop pressée ? J’ai l’impression d’avoir fait 20 pas en arrière depuis que j’ai entendu leur nom. Depuis que je sais qu’ils existent toujours et qu’ils sont encore une menace bien réelle.

Est-ce que j’avais tellement avancé ? Je n’en suis pas si certaine en fait. De tout pousser dans un coin de mon esprit pour ne plus y penser, ce n’était pas d’accepter les choses au fond, ce n’était pas de guérir de mes blessures et d’aller de l’avant, je pense. Ou je ne sais pas. C’était peut-être la chose à faire ? Ou pas. Oui, je suis incapable de savoir ce qui est juste ou non et ça m’agace à un point inimaginable.

La vérité, c’est que je n’ai pas envie de partir. ÇA, j’ai pu y réfléchir et comprendre que si je ne me suis pas enfui dès que Lennox à prononcer leur nom, c’est que malgré ma terreur, je… j’ai besoin de m’arrêter de m’enfuir, que je me suis attachée aux gens… Ou du moins certaines personnes. Que j’ai une routine, que je connais le coin, que j’ai besoin de construire quelque chose quelque part, de ne plus être l’ombre de moi-même.

Je me retrouve donc devant cette porte fermée, au sous-sol du château, à me mâchouiller la lèvre inférieure avec indécision, en ne sachant pas si je serai capable de parler, ou si ça ne changera pas quoi que ce soit.

Je me passe une main sur le visage et je décide de rebrousser chemin. Je sais ce qui m’est arrivé, je n’ai pas besoin de le verbaliser à quelqu’un d’autre. Déjà, d’avoir dû laisser sous-entendre le traitement que j’ai subi à Portland, de voir la pitié dans certain regard, je n’ai pas supporté. D’un autre côté… Une sexologue n’est pas une personne lambda non plus, n’est-ce pas ? Je m’arrête. J’ai envie de hurler. Ce n’est pas possible d’être aussi indécise. Je ne suis pas comme ça, je n’ai jamais été comme ça.

C’est une professionnelle, non ? Qui pourra m’aider avec certains... traumas ? Qui ne me jugera pas ? Qui ne m’offrira pas sa pitié ?

Je reviens une énième fois sur mes pas. Qu’est-ce que je fais ? J’espère que personne ne me voit faire. Je réfléchis trop, je…

Je finis par toquer.

Elle fixait le plafond depuis plusieurs minutes désormais. Faisant rapidement le résumé de son retour ici, et de cette volonté de ne plus chercher à tisser de liens, comme au bon vieux temps. Si elle avait appréhendé ce retour après ces quelques mois passés aux côtés d'Ana-Lucia, les choses s'étaient pourtant relativement bien passée. Quoi de plus logique, dès lors qu'elle mettait de côté toute tentative de discuter pour se concentrer sur les ressources, et ce qui entrait ou sortait de leur nouveau domicile.

Et puis, il y avait cet enfant. Qu'elle n'étais pas vraiment sûre d'aimer, et qui la confortait dans l'idée que l'instinct maternel était décidément une sacrée connerie. Mais les coups toqués contre sa porte la stoppèrent dans ses pensées tumultueuses, alors qu'elle se redressait de son matelas en avisant la porte, sourcils légèrement froncés.

J'arrive. se contente t-elle d'annoncer avant de se saisir du kimono noir qu'elle ne quitte plus depuis qu'elle l'a trouvé dans un des placards du domaine, resserrant la ceinture de ce dernier pour masquer le body qui vient aplanir son ventre du mieux qu'il peut. Ouvrant la porte pour tomber nez à nez avec Camila, sans pouvoir masquer sa surprise de la trouver ici, devant sa porte.

Wow, tout va bien ?

Parce qu'au vu de son regard, tout ne semblait pas aller si bien que ça. Avisant sa silhouette sans mot dire, avant de reprendre à la suite.

J'allais me faire une tisane, à défaut de pouvoir prendre un verre de vin... Son sourire crispé en dit long sur sa joie d'être enceinte. Je t'en fais une ? ses cheveux ébouriffés laissent entendre que ce n'est pas le cas, mais qu'importe. S'effaçant en laissant à Camila la possibilité de passer, refermant la porte derrière elles deux pour l'inviter à prendre place sur l'une des chaises face à son bureau avant de la contourner avec douceur.

Camomille ou fleur d'oranger ? pas vraiment au fait de ce que la jeune femme pourrait avoir à lui demander, alors qu'elle reste la plus neutre possible dans ses gestes.

Je souhaite autant que la porte s’ouvre ou ne s’ouvre pas. C’est étrange comme sentiment. L’espoir et l’appréhension. Qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je vais la déranger ? Peut-être que ça ne l’intéressera pas de me parler, de…. Je ne sais pas, de me traiter ? C’est trop bizarre, mais avant que je puisse tourner une énième fois les talons, j’entends Faith qui dit qu’elle arrive. Je pourrais encore m’enfuir ? Quelle idée idiote… Je ne vais pas prendre mes jambes à mon cou comme une enfant quand même.

La porte s’ouvre finalement et je vois que ça surprend la brune. Je suis un peu prise de court par sa question toute simple. Est-ce que tout va bien ? Non… pas depuis un moment. Je me contente juste d’hausser les épaules, ce n’est certainement pas ici que je vais vider mon sac… si j’y arrive même dans de bonnes conditions. Faith me propose une tisane et j’hoche de la tête avant d’entrer chez elle.

Elle m’indique l’une des chaises pas trop loin et je vais m’y poser un peu machinalement. Je me sens perdue, appréhensive, apeurée, honteuse… mais je suis ici. C’est déjà ça, non ? J’en ai tellement marre d’être mené par ma peur, c’est pour ça que je viens la voir elle. Il ne faut pas que je me dégonfle, il ne faut pas que je laisse ma fierté gagner cette fois. Je continue de me mordre l’intérieur de la joue nerveusement.

- Oh euh... Fleur d’oranger ? Je n’ai jamais goûté, mais n’importe quoi pour m’occuper les mains sera bon.

Je devrais peut-être lui dire pourquoi je suis ici ? Pour ne pas qu’elle gaspille une tisane si au final, elle ne souhaite pas m’aider ?

- Faith, attends. Je… Comment je dis les choses ? Comment j’aborde quoi que ce soit ? Peut-être qu’elle devinera vu la conversation qu’on a eu en groupe l’avant-veille ? Ou pas, elle n’est pas devin non plus. J’ai… besoin de voir quelqu’un. Un spécialiste. J’ai vécu des choses, je… je veux plus fuir, faire comme si tout allait. J’ai cru comprendre que tu étais spécialisée dans un domaine qui pourrait… Je ne veux pas m’imposer, si tu ne veux pas ce n’est pas grave. Je peux te payer aussi… Je me tais. C’est trop décousu.

Fleur d'oranger, donc. Elle hoche la tête et s'affaire à la tâche, avant de tendre sa tasse à Camila et se laisser retomber sur son siège en soupirant. Vivement la fin de cette grossesse. Chaque pas devenait un peu plus une torture supplémentaire, et le moindre effort l'épuisait pour la journée. Affligeant. songea t-elle avant de relever les yeux sur Cam qui reprenait la parole, ou du moins... Essayait. Elle reste silencieuse, sans lâcher son regard d'une seconde alors que la pauvre s'embourbe dans ses explications.

Levant enfin la main d'un air qui se veut apaisant, lui indiquant de boire sa tisane avant qu'elle ne refroidisse. Je me doute bien que tu n'es pas venu pour me parler du bulletin météo de la semaine. Personne ne vient dans ce bureau sans raisons, Camila. lui rappelle t-elle avec douceur. Hormis quelques rares élus. Elena, Tori. Peter, Nobu. La liste s'était grandement raccourcie depuis son retour, après tout. Et ça lui convenait. De fait, sa santé mentale en était préservée.

Tu vas prendre une grande inspiration. Te calmer, et me ré expliquer du début l'histoire qui t'amène dans ce bureau. demande t-elle avec une douceur qu'elle ne s'autorise qu'en consultation, relevant les yeux sur la survivante avec un air moins dur que d'ordinaire. J'étais psychiatre avant de m'orienter vers la sexologie. Donc... J'ai une vague idée, de pourquoi tu viens me voir. s'excuse t-elle en baissant brièvement le regard. Bien sûr, elle avait toujours des couples qui ne parvenaient plus à avoir de rapports. Ou à l'inverse, à deux doigts de s'entretuer. Maiis au milieu, il y avait les personnes comme Camila. Détruites, qui ne souhaitaient plus fuir leur corps, ou leur vie. Qui avait besoin de reprendre possession de leur vie, à commencer par leur propre corps.

Tu ne me paieras rien du tout. Aucun des membres de ce groupe n'a jamais rien payé, et ce sera la même chose pour toi. Je veux juste que tu prenne le temps de finir ta tasse, mettre de l'ordre dans tes idées. Et quand tu seras prête, je serai là pour t'écouter. D'accord ?

Elle s'autorise enfin une esquisse de sourire, rassurant d'un regard Camila. Ici, elle était en zone de sûreté. Personne n'entendrait ce qu'elle souhaitait évoquer, les craintes qui devaient lui ronger le corps et l'âme. Des traumatismes qu'elle saurait combattre, du fait qu'elle avait déjà su faire la première démarche d'être venue la voir.

- Pourtant, j’aurais préféré venir te parler de la météo. Ça doit être usant pour toi à force… Ça m’échappe sans que je ne m’en rende trop compte.

Je sais bien que c’était son métier… que ça l’est encore, mais au fond elle mérite aussi qu’on vienne lui parler de tout et de rien et pas seulement pour nos problèmes ? Je sais que cette pensée est un peu motivée par ma gêne, par ma peur et ma fierté, mais aussi un peu par empathie. J’en suis encore capable apparemment.

Faith essaie de me calmer, de m’aider à reprendre le dessus sur le capharnaüm de mon esprit. J’ai la tisane entre les mains et le regard braqué sur les volutes de fumée qui s’en échappe. Tout raconter ? Du début ? Je… j’ai peur. Peur de la faire fuir, peur d’être viré, peur de lui avouer certaines choses.

C’est pourtant la raison de ma venue ici. Qu’est-ce que je fais ? Psychiatre et sexologue, pouvais-je tomber sur meilleure spécialiste ? Même pas en rêve, je crois…

Bon. Concrètement, je ne peux pas décemment passer cette opportunité. Malgré l’envie de me lever et de fuir en courant, je m’en voudrai toute ma vie, aussi courte sera-t-elle. Je souffle donc sur la tisane et finis par gouter. C’est sans doute bon, mais toutes les émotions qui grouillent en moi m’empêchent d’apprécier. Je pose la tasse sur le premier meuble à ma portée, parce que je tremble un peu et je ne veux pas que ça se voie. Je joins donc les mains, avant de prendre une grande inspiration.

- Des sujets à éviter ? Ou je peux… vraiment tout te dire ? Je relève enfin le regard. J’ai… j’ai fait des choses pour survivre et… C’était horrible. Je sens ma gorge qui se serre un peu, mais j’essaie de garder ma composition. Je comprendrai si certaines choses, tu préfèrerais ne pas les entendre. Spécialement puisqu’elle est enceinte. Je m’en veux déjà de venir l’embêter. Et si ce que je racontais la choquait au point que son bébé… je ne sais pas, reçoive de mauvaises ondes ? Je n’y connais rien, mais… peut-être qu’il vaut mieux que je la laisse en paix pour faire grandir son môme comme il faut ?

Rien n'est usant pour moi, Camila.

Encore moins, quand il s'agissait de son travail de base. L'observant avec le plus grand sérieux, quand à cette question. Elle avait pu entendre de tout. Du pire, comme du moins pire. Allant de simples disputes de couple, jusqu'à des deuils impossible à faire, des viols, des incestes. Tout était passé dans ce bureau, sans qu'elle ne soit jamais impacté plus qu'elle ne pouvait se l'autoriser. Crois moi. Il en faut beaucoup pour me mettre à mal. Sans doute parce qu'il était plus aisé de soigner la souffrance des autres plutôt que la sienne. Se gardant bien de le dire, alors que la jeune femme s'intrigue de savoir si certains sujets sont à éviter ici, et qu'elle secoue doucement la tête à cette question.

Aucun. lui assure t-elle avec une bienveillance qu'elle ne s'autorise qu'au cours de ses séances, levant la main pour apaiser sa patiente du jour quand elle annonce avoir commis des choses horribles. C'est si tu n'en avais pas commise, que je te regarderai bizarrement.

la violence était devenue monnaie courante, dans ce bas monde. Sans doute que tous dans ce groupe, avait des choses à se reprocher, plus ou moins horribles. Et à nouveau, elle secoue la tête à la proposition d'éviter de mentionner certains détails.

Tu n'es pas la première à passer la porte de ce bureau. J'y ai vu de tout, tu sais. Et j'ai moi même fait des horreurs, pour survivre. Ce n'était pas un concours, moins encore une volonté d'écouter des choses horribles pour le plaisir. Mais simplement le fait que de par ce travail qu'elle avait continué d'explorer en pleine apocalypse, il n'y avait malheureusement plus grand chose capable de l'atteindre. Les horreurs l'avaient blindés, et sa vie n'avait fait que continuer de construire des remparts autour d'elle.

Alors retire de ta tête toute crainte, de me choquer. Tu pourrais m'annoncer les pires sévices possibles, je ne suis de toute manière, pas ici pour te juger, mais pour t'aider. Tu comprends ? souligne t-elle avec douceur, venant boire une gorgée de sa tasse avant de reprendre la parole, se saisissant d'un carnet et d'un stylo prête à entendre son histoire.

Si tu n'as pas d'autres questions, je suis prête à t'écouter.

Faith me rassure comme elle le peut. Me dit qu’aucun sujet n’est a évité, qu’elle a entendu de tout et que rien ne va l’horrifiée.

J’aimerais la croire, me dire qu’elle ne me regardera pas différemment, qu’elle ne me jugera pas. Est-ce possible ? Est-ce seulement possible ?! Est-ce que je ne devrais pas garder tout ça pour moi ? M’assurer une place ici le temps que ça durera ? Cacher les horreurs que j’ai commises, puisqu’elles sont du passé ?

Je plonge le regard dans ma tisane à la fleur d’oranger. Rien de moins. Une tisane à la fleur d’oranger. C’est idiot. Tellement idiot et futile comme breuvage. J’ai une tasse de tisane fumante entre les mains et dehors il y a des esclavagistes, des cannibales, des pédophiles, des morts qui reviennent à la vie et j’en passe.

Je prends tout de même une gorgée et ça me réchauffe de l’intérieur. C’est purement physique parce que je sens mon âme complètement gelée et noire, irrécupérable. Je ne crois pas tellement en Dieu et toutes ces choses, j’ai quand même du respect pour la religion à cause de ma mère, mais… Voilà, je crois surtout que je vais vivre avec cette noirceur et cette lourdeur puis crever comme un chien dans un caniveau. Rien de bien n’arrive aux gens comme moi. Alors, si on se met à parler paradis et enfer… Bon, je tergiverse mentalement parce que je redoute le moment où j’ouvrirai la bouche.

Je pose ma tisane et prends une grande inspiration. Je ne peux pas louper l’occasion d’obtenir de l’aide, de pouvoir retrouver la force de me racheter.

- Comme tout le monde… les choses sont allées de mal en pire en 2015. Par contre, c’est l’hiver 2016 que ma vie a vraiment changée, au point où ça ma changer moi au plus profond du noyau qui fait de moi qui je suis. Mon père et moi on a rejoint les Oblivions en pensant que c’était juste une communauté mieux organisée. En pensant qu’on aurait une chance de survivre avec eux… On se trompait, mais tellement. Tu peux même pas t’imaginer combien ils sont malades.

Je lui raconte donc tout. Si au départ j’hésitais, c’est comme si je venais d’ouvrir la boite de Pandore. Des choses que je n’ai jamais dites à voix haute que j’ai tenté d’oublier mille fois déjà. Mon père qui est mort dès nos premières heures dans ce camp. Moi qui me suis fait violer à répétition la première semaine. On m’a battu, on a abusé de moi et la seule façon que j’ai trouvé de m’en sortir, ça été de devenir une prostituée. Au moins, après les viols, on me laissait parfois un paiement… J’ai pas eu la force de mourir faut dire, donc… j’avais pas tellement d’autre choix pour vivre. Je lui raconte ma grossesse, puis… le meurtre de mon enfant. De mon bébé naissant. J’ai peur de sa réaction. Peur de la choquer, mais je continue. Je lui raconte les maltraitances, la famine, les abus répétitifs. L’occasion que j’ai eue de passer du bordel à l’arène. Les jeux de l’Arène. Les bébés. Les jeux avec les bébés... Les femmes. Les morts. Les viols. Encore les viols, même s’ils étaient plus rares en dernier. Je lui raconte la tentative de meurtre que j’ai subie. Que c’était que pour pimenter les paris des hauts placés. Je lui dis pour ma vengeance, pour le bien que ça m’a fait.

Je lui raconte que c’est grâce à Sebastian que je me suis enfuie, mais qu’au fond, toutes ces choses me poursuivent encore jour et nuit.

Je décris ma survie, les meurtres que j’ai dû faire parfois, les vols même si ça voulait dire en condamnés d’autre pour moi voir un nouveau jour se lever. Les attaques d’animaux, la solitude. La peur. Les gens que j’ai croisés, les pensées que j’ai eues…

Je lui raconte tout jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à la conversation qu’on a eue, jusqu’à ce que j’ai entendu parler de nouveau des Oblivions…

Et je pleure.

À chaudes larmes, sans savoir m’arrêter. J’ai enfin vidé mon sac.