Valérian émergea de ses pensées et lança un regard surpris à Cesare. Un sourire plissa son regard fatigué : « des activités plus variées ne seraient pas de refus. Si tu trouves des livres au gré de tes pérégrinations, apporte-les moi : romans, essais, pièces de théâtre… on dit que la culture de l’esprit est un soleil pour les gens instruits. » Il eût un pâle sourire. « Je m’en contenterai donc pour le moment. » La lecture représentait une échappatoire pour le grec. En s’absorbant dans ces ouvrages, il avait le sentiment de fuir les murs épais de ce bunker et d’oublier momentanément son morne quotidien.

Il gloussa d’un air complice avec Cesare lorsqu’ils évoquèrent ensemble les mésaventures de Sidney. « Tu aurais dû voir sa tête ! » le grec jeta un coup d’oeil par-dessus son épaule pour s’assurer que l’afro-américain ne pouvait pas les entendre. Il se pencha ensuite vers Cesare et lui dit sur le ton de la confidence : « il a fait mine d’attraper le sceau pour me le lancer à la figure ! Pour un homme aussi guindé, il perd certainement ses moyens quand on le surprend aux toilettes ! » Ils rirent en silence de longues secondes, les épaules secouées par cet irrépressible accès d’hilarité. Le regard brillant, Valérian s’intima finalement au calme d’un petit geste de la main et échangea un regard espiègle avec son compagnon. « J’ai remarqué comme tu regardes Sidney avec insistance depuis quelque temps. Ses vestes en tweed te feraient-elles de l’effet, Cesare ? »

L’italien proposa ensuite de procurer aux habitants du Nid des verrous et le grec hocha la tête, reconnaissant. Il attrapa les deux magazines pornographiques que lui tendait Cesare et jeta un coup d’oeil appréciateur à leurs couvertures. D’aucuns n’auraient pas assumé de s’adonner à de telles lectures ; mais ce n’était pas son cas. Sa sexualité ne faisait l’objet d’aucune forme de réserve de sa part et il assumait pleinement ses désirs. « Ah, parfait… j’ai toujours préféré les femmes à petits seins. L’obsession de certains hommes pour les poitrines généreuses m’échappe complètement. (il leva les yeux de son magazine et considéra un instant Cesare) et toi, où va ta préférence ? »

À mesure qu’ils discutaient, l’atmosphère du bunker parut se réchauffer. Au-delà de l’alcool qui émoussait ses tourments, Valérian retirait un véritable réconfort de cet échange frivole en compagnie de Cesare. La commissure de ses lèvres frémit à la mention de la russe. Il observa attentivement son compagnon qui éprouvait visiblement des réticences à son sujet. « Yulia peut-être… difficile ; mais elle tient plus que tout à la survie de ce groupe. Elle se porterait sans hésitation à ton secours si tu te trouvais en difficulté. » La jeune femme n’était pas aussi impitoyable qu’elle le laissait penser ; son langage fleuri et son comportement brusque formaient une épaisse carapace qui dissimulait une sensibilité dont peu mesuraient l'étendue. « Cela dit, je te conseille de ne pas trop lui porter sur les nerfs. Elle manie sa massue avec une aisance surprenante. » conclut tranquillement le grec.  

Il se raidit à la mention de Sasha et porta sur son compagnon un regard dont il fut incapable de chasser l’inquiétude. Il serra les poings lorsque Cesare évoqua l’homme dont elle s’était entichée. « Combien de fois l'ai-je exhortée à la prudence ! » s’exclama-t-il avec colère. « Mais elle n’en fait qu’à sa tête ! Il suffit que le premier venu lui fasse les yeux doux pour qu’elle baisse ses gardes ! » La jeune femme aurait pu être blessée, voire tuée. Mais elle continuait de prendre des risques inconsidérés, convaincue de la bonté de chaque survivant qui croisait sa route. Le grec se frotta le visage dans un geste las : « j’ignore comment lui faire entendre raison. »

Il leva les yeux vers Cesare à sa question. Un soupir affaissa ses épaules et il dit à regret : « nous nous sommes disputés il y a quelque temps. Depuis, nous nous adressons à peine la parole. Mais je m’inquiète pour elle ; je crains qu’elle ne finisse par se mette en danger. Elle ne mesure pas à quel point ce monde est mauvais. »