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Re: Off Hours
Jeu 23 Déc 2021 - 17:40
»J’imagine aisément que les situations de crise ne laissent pas autant de place aux règles et aux protocoles qu’un service rodé et bien organisé dans un pays qui n’est pas dans le besoin. » Ou qui, du moins, n’a pas le même genre de besoins qu’un pays ravagé par une catastrophe naturelle. Car, William n’a aucun doute là-dessous, la Corée n’est pas un pays idyllique où tout va bien, loin de là. Pas qu’il compte se lancer dans une telle discussion avec son interlocuteur : ils sont, l’un et l’autre, trop fatigués pour cela. Ou n’ont pas assez bu – on ne refaisait le monde qu’avec une certaine dose d’alcool dans le sang, en imaginant le meilleur, n’est-ce pas ? «Quelle est la chose la plus incongrue que vous ayez vue, jusqu’à présent ? » Peut-être ne voudrait-il pas lui répondre. Il semblait assez sérieux et, si le Québécois avait l’impression que parmi les médecins de son entourage, chacun d’entre eux surenchérissait sur les choses les plus étranges qu’ils aient vues, il n’était pas convaincu que ce soit le cas de l’homme avec qui il discutait. D’autant que sa culture jouait : il devait être beaucoup plus réservé et plus respectueux de la vie privée des autres, aussi. Enfin, tout cela, William ne pouvait que le supposer. Il ne fréquentait pas tant de Coréens, pas tant d’Asiatiques même, que cela.
«C’était une vocation aussi : j’ai toujours été fasciné par l’aviation, alors je n’ai pas hésité, quand j’ai pu réaliser mon rêve. » Peut-être aurait-il pu devenir astronaute, comme son père, plutôt. L’espace l’intriguait aussi. Mais arpenter les cieux, fendre l’air… c’était une sensation sans égal. Et flotter dans l’espace devait sûrement n’avoir rien à voir avec ça. Même s’il pourrait peut-être se reconvertir, un jour.
«Enchanté, Min-Oh. » Son nom de famille… Il ne lui ferait pas l’affront de l’écorcher, en le prononçant avec un accent canadien ou québécois – après tout, ça n’avait aucune réelle importance, n’est-ce pas ? Il secoua vivement la tête, alors que son vis-à-vis lui présentait des excuses. «Ce n’est pas… Enfin, nul besoin de vous sentir désolé. Ça ne marchait pas, et il valait mieux pour elle comme pour moi que notre mariage prenne fin. » Il en avait fait le deuil, depuis tout ce temps. En tout cas, il en était convaincu. Leur mariage avait commencé à sombrer bien avant la perte de leur enfant pas encore né, et ça n’avait qu’achevé une lente descente aux enfers. Judy devait sûrement bien mieux se porter, loin de lui. «Et c’est ce qu’on attend de vous, après tout. Je suppose que faire la conversation aux gens que vous voyez ne fait pas partie de votre fiche de poste : ça ferait mauvais genre, pendant que vous opérez quelqu’un. » Une petite boutade, rien de plus.
Will se redressa légèrement alors que la lumière s’éteignait, cherchant d’office le problème, avant que le ton paisible de son interlocuteur le tranquillise. «A vrai dire, je suis surpris des installations déjà présentes et de l’efficacité pour ce faire. Mais ça doit être normal, je suppose qu’il y a des vétérans bien rodés. »
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Re: Off Hours
Mar 25 Jan 2022 - 19:21
« Chaque organisme et pays a ses propres règles en la matière. » Le protocole de soin, pour une même maladie, d’un même patient, est différent. Certains pays approuvent des traitements que d’autres refusent, rendant caduques les précédents. Le tout est d’arriver à ne pas se perdre dans ce que Séoul et MSF préconisent pour chaque intervention. Heureusement il compte son temps en mois, pas en jours, quand il oscille entre les deux terrains, de quoi se remettre dans le bain.
La question suivante lui laisse une seconde de vide, le temps de les passer en revue. On voit de tout, aux urgences, surtout le pire, ce que les patients ne veulent pas montrer au médecin traitant avec qui ils imaginent avoir une relation, qu’il pourrait les juger, puisqu’il les connait. « Une femme inconsciente en tachycardie. Défibrillateur pour rétablir son rythme cardiaque, au premier choc, des étincelles sur son sein gauche. Elle avait un… piercing, en métal. Dans l’urgence personne n’a vraiment regardé. Il a fallu lui enlever pour éviter de l’électrocuter en prime. » A ce moment précis, Min-Oh a compris. Les urgences sont une dimension bien différente de tous les autres domaines de la médecine, celle à laquelle il faut s’attendre à tout, tout le temps. Depuis il a toujours un regard pour la poitrine de son patient, avant de tenter de le choquer. L’expérience.
Un acquiescement, quand le sujet dévie sur ce qui les a poussé à être ici. Un sourire même, convenu plus qu’autre chose, aux présentations nécessaires. Il s’excuse même de la question qu’il remarque intrusive à y réfléchir, quand bien même William ne semble pas en prendre offense. A nouveau il acquiesce, a un instant d’absence. Il lui semble que son mariage à lui est solide, entre médecins, au moins, ils comprennent les difficultés des horaires.
Un vague sourire, à l’excuse que lui tend le pilote. « Un urgentiste a en moyenne 2 minutes à accorder à ses patients. J’ai l’habitude de diagnostiquer rapidement pour réorienter le patient. » Pas vraiment au fait d’un second degré dans une autre langue. Qu’on le pardonne un instant.
Et quand le courant semble sauter, Min-Oh n’est pas si inquiet. L’habitude, l’expérience, un peu de tout mis côte à côte, le problème est récurrent peu importe le terrain des opérations. « Pour le personnel sur le terrain, en moyenne ils ne font que deux missions. Mais toute la logistique est gérée par les bureaux, qui eux font généralement leur carrière dedans. » Autant dire qu’ils savent exactement quoi envoyer pour les besoins matériels. « On s’y habitue vite. » Le plus dur est sans doute d’abandonner la douche journalière et de dormir sur autre chose qu’un lit de camp. Passé ce détail, ils sont plutôt confortables. « Au moins ici il y a des toilettes avec une chasse d’eau fonctionnelle. Si un jour vous êtes mandaté en Afrique de l’Est, attendez-vous à autre chose. » Et s’il était besoin de l’avouer, oui, il parle en connaissance de cause.
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Re: Off Hours
Lun 7 Fév 2022 - 0:51
Si Will hocha la tête, il n’avait aucune idée de ce qu’il en était : c’était, après tout, sa première mission, et tout ce qu’il pouvait savoir à ce sujet provenait d’on-dits.Au final, il avait encore énormément de choses à apprendre, surtout en n’ayant à son actif qu’une formation universitaire et une formation auprès de MSF. «Vous avez travaillé dans plusieurs hôpitaux, mis à part celui où vous travaillez actuellement ? Pendant vos études ? Vu plusieurs modes de fonctionnement différents ? » Même s’il n’avait ‘que’ quatre ans d’expérience. Mais ils avaient une longue journée tous les deux, et Will ne voulait pas alourdir l’ambiance. Et il était curieux de ce que l’homme pouvait avoir observé d’étrange ou d’incongru pendant ses années de service Il ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux, malgré tout, alors que le médecin poursuivait. «Vous avez du lui envoyer un piercing sur son sein ? C’est… Oh, ça devait être embarrassant. C’est vous qui l’avez fait ? » Probablement pas, s’il y réfléchissait. Sûrement une infirmière. C’était… surprenant. «Elle n’a pas eu de séquelles ? » Il aurait peut-être dû poser cette question en premier, mais au final, ce n’était peut-être pas non plus ce qui était venu à l’esprit du médecin face à lui.
Le Québécois réalisait, alors qu’ils échangeaient à peine quelques phrases, à quel point sa mère ne lui parlait pas de son travail. Et à quel point il n’avait aucune idée de la façon dont se déroulait ses journées. «Si peu de temps ? Combien de temps ça vous a pris, d’y arriver ? » Parce qu’à moins d’être un génie, il n’avait indéniablement pas pu le faire dès le début. Et, Will le supposait, il devait aussi lui arriver de se tromper.
Le pilote arqua un sourcil : lui qui, généralement, maîtrisait les choses et ne laissait que peu de place à l’inconnu, allait de surprise en surprise. «Seulement deux ? Parce que c’est trop dur, trop compliqué ? Parce qu’affronter ce qu’ils voient ici n’est plus possible ? J’espère que je tiendrais plus longtemps. » Même si souhaiter cela pour ne pas avoir droit à un sermon de son père n’était pas la meilleure raison. «Vous êtes plus… résistant que la plupart, du coup. Qu’est-ce qui vous fait tenir et revenir, année après année ? » Peut-être aurait-il des conseils à lui donner. Et, même s’ils lui semblaient superflus, c’était visiblement le cas. «A quel point est-ce différent d’ici ? Où avez-vous été, sinon en Haïti ? »
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Re: Off Hours
Ven 4 Mar 2022 - 17:15
« Non. » Il a toujours été dans le même hôpital, à part dans ses missions pour MSF, évidemment. « Mais j’ai été interne dans chaque service. Il n’y a que les urgences et les soins palliatifs qui ont un fonctionnement très différents des autres. » Tous les autres se découpent en deux catégories. Les premiers sont les patients de passages, pour un examen précis, une imagerie, un avis d’expert et ils disparaissent au suivis d’autres médecins spécialistes. Les autres sont les hospitalisés dans un service où tout le personnel est particulièrement entrainé à leur cas précis. Les urgences sont un énorme centre de triage pour les renvoyer aux différents services, les soins palliatifs sont… pour être honnête, un mouroir. Les patients qui y entrent n’en ressortent que dans les sacs mortuaires. C’est en soit un fonctionnement différent que d’abandonner de soigner les patients.
Un acquiescement. Ils ont bien dû retirer ce piercing, s’ils voulaient lui sauver la vie. « Plus surprenant pour nous, pour elle je ne sais pas, elle n’était pas consciente quand elle a quitté les urgences. » Et une fois le patient hors de sa responsabilité, Min-Oh ne s’amuse pas à courir après. « Pas de sa tachycardie, pour le reste elle a dû avoir quelques opérations de reconstruction, je suppose. » Disons que la collision avait emporté une bonne partie de son visage. Pas le plus simple à intuber, à son grand regret, mais en quittant le service sa vie était hors de danger.
Min-Oh a un faible sourire aux questions qui reviennent. Clairement, William n’est pas un habitué du milieu, ni des médecins en général. « Il y a plusieurs facteurs. Pour certains, ils ont fait leur bonne action et repartent vivre leur vie en se disant qu’ils ont fait leur part. » Ce qui n’est pas faux, et c’est sans doute plus confortable de vivre avec leur salaire dans leur appartement qu’ici. « D’autres ne supportent pas les conditions effectivement, que ce soit ce qu’on a à voir de misère humaine ou à supporter en terme de conditions de vie pendant quelques mois. » Les latrines et les lits de camps lassent vite, effectivement. « Et il y a aussi l’impression de… ne servir à rien. »
Un regard à l’autre suffit pour comprendre qu’il devra s’expliquer plus longuement. « Nous avions mené une campagne de vaccination dans les villages reculés du Soudan. En comptant toute la logistique nécessaire, il avait dû falloir quelques milliers de dollars, des semaines de travail et une trentaine d’hommes mobilisés. » Un coup qui en valait la peine, pour les protéger. « Entre deux campagnes la zone a été touchée par une grande sécheresse, donc une famine. Un village sur deux n’y a pas survécu, les populations avaient été décimées. »
Ils sont morts, mais au moins pas de la malaria. Est-ce que les médecins sont censés le célébrer ? Se dire que leurs actions ont eu un impact sur des vies qui six mois plus tard mourraient d’un autre problème qu’ils n’avaient pas eu le temps d’attaquer ? « Alors parfois oui, non avons un peu l’impression d’être inutile. » Ou du moins pas suffisant pour un combat perdu d’avance.
« Ceux qui abandonnent rapidement sont généralement les plus investis émotionnellement. Nous sommes des médecins, ils sont des patients, on ne devrait jamais rompre cette distance. » MSF n’a pas vocation à tenir la main des mourants, on à pleurer sur leur tombe. Ceux qui le font ont tendance à s’écrouler lorsqu’il faut repartir et abandonner ces gens à des horreurs qu’ils ne peuvent pas régler. Pour ce qui est de la question de fond. « Je suis urgentiste dans un des hôpitaux les mieux fournis de Seoul, autant dire de tout le pays. Ma présence là-bas ne change rien, on peut me remplacer en un e-mail sans problème. Ici chaque homme compte. » Et Min-Oh sera damné le jour où il ne sera pas à l’endroit où il est le plus utile pour tous.
Pour ce qui est d’Haïti. « Le climat est différent, nous opérons uniquement dans un secteur urbain, le danger imminent provient des spores, moisissures et fractures ou dégâts internes directement dus aux effondrements. Nous n’avons pas à nous soucier de reconstruction ou alimentation des victimes puisque la chose est prise en charge par d’autres associations. » Analyse en surface s’il en est. « En soit, à chaque site d’opération, nous raisonnons en terme de problèmes, que nous pouvons régler ou non. Ici la situation est assez simple, malgré tout. » Le nombre d’associations spécialisées permet de couvrir quasiment toutes les problématiques d’intervention. « Les médecins peuvent être des médecins, les constructeurs des constructeurs. » C’est quand ils doivent être sur tous les fronts simultanément que les choses se complexifient.
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Re: Off Hours
Lun 14 Mar 2022 - 23:50
«Oh. Vous n’êtes pas supposés vous spécialiser, sans toucher à tout ? » En tout cas, c’était ce qu’il avait toujours cru, par l’expérience de sa mère, mais aussi par tout ce que les films et séries médicales disaient. Même si ça n’était forcément pas cohérent, il devait y avoir une certaine réalité et cohérence derrière. Enfin, ça, c’était ce qu’il supposait du moins. «Et du coup, lequel a gagné votre préférence ? Quand vous n’êtes pas en mission ici ? » Parce qu’il devait bien y en avoir un. A moins que l’asiatique ne soit une sorte d’électron libre, que l’on laissait faire ce qu’il voulait. Will en doutait, mais peut-être était-ce un incroyable médecin, meilleur parmi les meilleurs. Quoi qu’il ne lui semblait pas assez arrogant pour ça.
Surprenant ? C’était à se demander à quelles étrangetés il avait dû être confronté, pour balayer ça comme ça. Mais, au final, peut-être que n’importe qui serait blasé à sa place. Will lui-même l’aurait probablement été, s’il avait choisi la même carrière que sa mère. Il se contenta d’acquiescer sans rien dire pour autant : ce n’était pas comme si l’information amenait à une réponse de sa part. Hormis une réponse sans intérêt, ce qui n’était pas le propre de Will. Et, clairement, il était bien plus intéressé par les informations que l’homme pouvait lui apporter sur les actions de Médecins sans frontière et la volonté de continuer à s’investir à leurs côtés ou non. Surtout alors que c’était un tout nouveau milieu pour lui. «J’en conclus qu’aucun de ces facteurs ne vous affecte ? Ou, qu’à défaut, vous ne risquez pas de vous désengager, étant donné que ça n’est pas votre première fois. » S’il se montra hésitant un bref instant, il finit par sourire à son interlocuteur. «Avez-vous des astuces, pour voir qui tiendra le coup et qui arrêtera après leur première mission ? Pensez-vous que j’abandonnerai ? » Il accepterait, évidemment, qu’il n’en ait pas la moindre idée, mais il était curieux malgré tout.
Et encore plus sur ce qu’il avait déjà vécu. Et sur la dureté de ces expériences. Il ne put retenir une moue peinée – pas entièrement sincère, mais un peu malgré tout. Ils s’étaient investis pour sauver des gens, et tout ça pour rien… «Avez-vous endigué l’épidémie ? Ce sont tant des gens perdus à cause de la famine, mais est-ce que vous n’avez pas préservé la population survivante de la maladie ? » Le pilote ne savait pas ce qui avait touché les habitants, mais son vis-à-vis et ses collègues avaient fait une bonne action, et durable. Malgré les autres difficultés rencontrés. «Vous étiez déjà repartis, quand la sécheresse a eu lieu ? » Si tel n’était pas le cas, ils auraient sûrement agi, n’est-ce pas ? Du moins, Will le pensait, n’ayant aucune idée du fait que les sommes allouées l’étaient généralement pour un projet, une action spécifique, et qu’il n’était pas possible de s’en écarter ni d’en déroger. Ni qu’il aurait fallu lever d’autres fonds pour ça et, peut-être, ne pas y arriver à temps.
Il posa ses coudes sur la table, soutenant sa tête de ses mains tout en écoutant avec attention. «Est-ce pour cela que vous n’avez jamais envisagé de vous investir à temps plein ? Votre épouse mise à part. Parce que si comme vous le dites, vous êtes dispensables à Séoul, votre présence semble cruciale ici par rapport à là-bas. Ici, ou dans tout autre pays soumis à des problèmes similaires. » Mais peut-être était-ce trop difficile, au long terme. «Je ne veux pas me montrer impoli, ce sont mes premiers jours, peut-être n’ai-je pas conscience de la difficulté de tout ça. » Très certainement, surtout alors qu’il était plus détaché des choses que la plupart des gens. «N’est-ce pas ce qui fait d’un médecin un bon médecin ? Ce détachement, qui leur permet de faire ce qui est mieux pour leur patient, sans s’acharner quand le combat est perdu ? » Une pure supposition, lui-même n’ayant jamais été gravement malade – presque pas malade tout court.
Il fronça les sourcils, malgré lui. «Est-ce souvent comme ça ? Les associations ne devraient-elles pas travailler conjointement, pour régler tous les problèmes, plutôt que chacune dans leurs coins ? » Il était peut-être utopiste ou naïf, mais ça lui semblait particulièrement inefficace de ne pas s’associer.
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