Il n'avait plus la force de contrer les propos de Cez. Ça faisait longtemps qu'il se débattait contre cette idée, cette évidence même. Alors même qu'il avait dit, sans détour, ce « je t'aime » à Ruben, pour se prendre un rateau humiliant dans la foulée. Il avait décidé de refouler. Encore et toujours.

Il secoua la tête, l'écoutant expliquer son point de vu, sa réalité, dans l'espoir d'ouvrir un peu plus son esprit à lui. Tout ce que lui avait dit Otis ne faisait écho que maintenant. Peut-être était-ce le moment.
Son regard se releva très partiellement vers lui, avant de repartir se planter sur un point invisible dans la foulée. Malgré lui, il souffla du nez à ses propos concernant son ancien métier.

Oui mais …

Rien d'autre ne lui vint de plus concluant qu'un simple 'moi je veux pas' ou 'c'est pas pareil', alors il se contenta de lâcher un soupir. Y'avait des choses à travailler encore, dans sa tête, pour qu'il puisse s'accepter pleinement et ne pas se montrer homophobe envers lui-même. Les autres, il s'en moquait. Mais lui, c'était … pas pareil.

Il déglutit. Mine de rien, Cesare savait parler, et il avait même une jolie voix chaude et douce quand il le voulait. Pour un peu, Milow avait l'impression d'être avec quelqu'un d'autre.

Comment... comment tu pouvais savoir … pour moi ?

Sa voix se brisa légèrement, il toussota, mais sa détresse était visible, et son aîné n'était pas dupe. Alors, quand il lâcha cette dernière phrase, ce « c'est pas grave » qui raisonna, le jeune adulte se mordit fort la lèvre, submergé d'un seul coup par l'émotion.
L'étreinte de Cez lui servit de soutient.

J'veux pas chia-...

Le sanglot le fit taire, comme un coup dans le ventre, il couvrit sa bouche de sa main dans l'espoir d'étouffer la suite, mais ça lui échappa. Il se mit à pleurer, d'un seul coup, comme un bébé, le corps et le visage appuyés sur son camarade, ses yeux couvèrent de ses doigts tremblants. Il n'était même pas sûr de savoir pourquoi il pleurait réellement.
Les secondes et minutes s'égrenèrent, dans le silence perturbé par ses sanglots et reniflements. Il n'arriva pas à s'arrêter de lui-même et fut forcé d'attendre que la crise de larmes se calme seule.

Quand finalement, il ne fut plus assailli par les spasmes douloureux, il découvrit son visage, soupira lourdement, toujours secoué de hoquets difficilement maintenus. De là, il secoua la tête, lâcha un bref rire jaune. La situation lui apparaissait pathétique. Grotesque.

J'pleure parce que j'suis pédé ... fit-il remarquer, lançant à Cesare un regard en biais.

Il ne sut pas ensuite s'il pleurait ou s'il riait, mais les émotions ne voulaient décidemment pas le lâcher.

Étrangement, Cesare parvint à l'apaiser. Il fut d'ailleurs le premier d'une longue lignée à parvenir à lui arracher pour de bon cette vérité. Les autres aidèrent, certes, et lui n'avait eu qu'à récolter ce qu'ils avaient semé, mais … tout de même. Milow n'aurait sans aucun doute pas cracher la vérité à n'importe qui.

Alors il pleura. Dans ses bras, dans cette étreinte qui sonnait presque paternel et qui le projeta il y a de cela bien des années, à l'époque où il avait encore un père, et à l'époque plus reculée encore où ce père et lui-même étaient encore proches. Une éternité, autant dire.

Alors il pleura, pas que pour se désoler de son orientation. Pour un mélange de tout, pour lâcher prise. Ça dura trop longtemps pour que ce ne soit que pour cette unique raison, et peut-être que Cesare pourrait le déduire de lui-même.
Milow finit par relâcher la pression dans une remarque concernant ce moment qui les fit rire tous les deux. Les doigts tremblants, il secoua la tête, essuya ses joues trempées et se redressa un peu, soufflant entre ses lèvres pour bien conclure sa crise de larme. Il opina du chef en réponse à la question de son aîné, sans trop oser le regarder malgré tout. De là à ce qu'il le remercie, le temps pouvait encore passer.

Je crois.

Il lui tendit un paquet de cigarettes, que Milow refusa en fronçant le nez. Il renifla un coup, essuya une ultime fois ses yeux brillants, laissant l'idée de leur discussion se frayer définitivement un chemin à l'intérieur de son crâne. Au final, ça ne changeait pas grand chose, d'accepter. Il n'avait pas l'impression de devenir bien plus effiminé qu'il ne l'était déjà, et ses ongles ne s'étaient pas vernis d'un seul coup. Tout était pareil, à l'exception qu'il se sentait plus léger.

Le dis pas aux autres s'te plaît.

Il leva son regard vers son visage.

Même s'ils s'en doutent ou quoi. J'veux pas que ce soit mis en avant. J'veux pas qu'on me charrie, même pour rire.

Même si Cez pouvait affirmer que ce n'était pas une honte, un truc à se cacher, Milow n'en avait pas envie. Pas là. Il songea d'ailleurs à Isha, rebuté par les gays, sans honte de l'affirmer à haute voix. Son histoire le justifiait, sans l'excuser, mais …

Surtout pas à Isha.

Manquerait plus qu'il perde son bff pour ces conneries.

Il eut une grimace. C'était un peu triste, de se dire que Cesare cachait déjà ça à Isha, et que Milow allait devoir faire de même. Après tout, c'est son bff, son bro, ils devaient se faire mutuellement confiance, non ? Oui, mais non. Milow connaissait les idées d'Isha sur ça, il savait aussi qu'il pouvait être buté sur certains sujets. Il serait dévasté de le voir lui tourner le dos pour ça.

Tu crois qu'il nous parlerait plus pour ça ?

Ça lui donnait l'impression d'être un hors la loi, de faire une bêtise. Honnêtement, ça n'aidait pas à s'accepter. Bah, au moins, il n'avait pas à faire avec un père conservateur ou des conneries comme ça. Même s'il n'avait pas envie de perdre Isha, ou pire ! De devoir essuyer un regard accusateur, écoeuré de sa part. Il était persuadé que sur ce sujet-là, il ne pourrait jamais le changer. Malheureusement ... Milow n'était pas sûr de pouvoir cacher ça pour toujours. Isha était naïf, mais ... ouais. Il devait peut-être se préparer à éventuellement le perdre dans un futur plus ou moins proche.

Merci, souffla-t-il, réellement soulagé de voir qu'il pouvait avoir la confiance de Cez.

Il se leva en écho à son aîné, réajusta sa veste et attrapa son sac, qu'il jeta sur son dos. Avoir pleuré l'avait soulagé. Le fait d'avoir parlé, peut-être. D'être compris, et d'entendre dans la bouche d'un autre que ce n'était rien. Il avait l'impression idiote d'être quelqu'un d'autre, d'avoir passé un chapitre de sa vie. Comme s'il était moins frustré. C'était une bonne chose, sans aucun doute. Ca faisait du bien.

J'vais rentrer j'pense.

Devoir se coltiner les adultes complètement déchirés, c'était pas son kiff, surtout qu'il se faisait bully à chaque fois.
Il sortit, accueillant l'air frais d'une grande inspiration, et offrit un sourire sincère à Cez. Finalement, il était pas si affreux que ça, ce type.