Amy haussa les épaules : il pouvait ruminer dans sa tête tant qu’il voulait, mais personne le laisserait broyer des idées noires – autant que possible, en tout cas. Même si ça voulait dire être sur son dos et être pénibles et le soûler de paroles – heureusement que ça n’était pas arrivé quelques mois plus tôt, quand elle ne parlait pas. Elle grimaça, à cette pensée : aurait-elle été suffisamment ingrate pour ne pas participer à la recherche ? Déglutissant difficilement, elle secoua légèrement la tête, comme pour chasser le doute et la pointe de culpabilité. Bien sûr, qu’elle y aurait été. Malgré leurs différents. « Plein de trucs ! On a trouvé Rayman, et un Assasin’s creed, et un truc qui s’appelle Beyond two souls. Et GTA, et plein d’autres trucs ! Un truc sur Batman aussi, je crois. On a pris des jeux un peu au hasard, en vrai, donc on a pas tout regardé… » Elle hocha la tête. « Oui ! On voulait pas embêter tout le monde à le mettre dans le salon chez Matias, Allegra et tout. On sait jamais… » Elle, elle avait tendance à s’emballer quand elle se mettait à jouer, à s’acclamer vivement et à vivre le jeu comme si elle était dedans. Même si Jayden était plus mesuré. Mais par contre, si Julian jouait avec eux… « On pourrait l’y amener, juste pour le moment ! Qu’on puisse tous jouer ensemble ! Ce serait super cool, non ? »

Elle fronça les sourcils, avant de sourire. « Un poids mort ? Tu rigoles ! Tu serais le parrain le plus cool du monde. Parce que tu ferais des courses de fauteuil avec moi, pas vrai ?! On pourrait courir contre Koda ! » Bon, elle ne voulait pas ignorer ce qu’il lui disait. Elle voulait juste… lui faire voir différemment. Même si ça devait être compliqué pour lui, actuellement. « Et tu iras mieux. Tu as tout pour aller mieux, ici, tu crois pas ? Même si on est peut-être un peu trop sur ton dos… Mais on ne te lâchera pas, et on fera tout pour que… pas que tu passes à autre chose, mais pour que tu réussisses à aller de l’avant, malgré tout ça. » Et elle était persuadée qu’il n’y avait pas de meilleur endroit pour ça. Parce que, au final, c’était ce qui avait marché pour elle. Et, qu’elle le veuille ou non, qu’elle l’ait rejeté pendant des années ou pas, ils fonctionnaient plutôt de la même façon. « A défaut de course de fauteuils… Tu crois qu’on pourrait faire un traîneau ? Koda devrait pouvoir le tirer, quand elle sera plus grande, non ? » Ce serait super cool, ça !

Mais, si elle part dans tous les sens et raconte plein de choses, elle ne peut s’empêcher d’être silencieuse, un peu, alors qu’elle voit la réaction de Julian face à son cadeau. C’était l’effet qu’elle voulait, mais… elle était quand même surprise, elle ne pensait pas y arriver. Pas à ce point-là. Et elle se sentait prise d’une vague de tendresse envers son parrain, à l’instant. « Tu n’imagines pas à quel point ça me touche. Que ça te plaise comme ça. » Inutile de lui dire qu’elle avait peur que ça soit trop. Mais au final, c’était peut-être juste ce dont il avait besoin ? Elle l’espérait. « Un peu. Mais ça valait le coup. » Et ça, elle le lui répéterait autant qu’il le faudrait. Et, malgré elle, même si c’était logique, elle confia à mi-voix qu’elle commençait à oublier sa mère. Sa voix, mais aussi les détails de son visage, ses mimiques, sa gestuelle, même si elle ne parla que de la première. « Tu crois vraiment ? Je suis… comme maman ? » Bien sûr, il l’avait connue bien plus longtemps qu’elle, et devait garder tout ça en mémoire bien plus fidèlement aussi. Mais ressembler à sa mère, alors qu’elle – la métisse la réalisait maintenant – était si parfaite, ou presque, elle peinait à y croire et, en même temps, n’aurait rien aimé plus que ça. Mais elle plissa les yeux, quand il lui demanda de manière hésitante si elle pensait ce qu’elle disait. « Non, je ne crois pas. J’en suis sûre. » Elle n’avait pas le moindre doute à ce sujet. Et, même s’il lui fallait du temps, il le réaliserait aussi, non ?

Elle sourit légèrement, toujours un peu crispée par l’inquiétude de lui avoir fait mal mais en essayant de relativiser, à sa question. « … quelques semaines ? Quelques mois. Elle n’avait pas fait que ça, mais le temps de récolter les photos, de faire le dessin, de le refaire, de l’agrandir… puis de réaliser le tableau tissé… ça avait été plutôt long. Dans ma chambre, ou dans des endroits où je savais que tu ne serais pas, pour le dessin. Et pour le reste… Ben en bas, dans la maison ! Même si, de toute façon, tant que ça n’avance pas vraiment, ça ne ressemble à rien. J’ai eu super peur que tu viennes voir le métier à tisser et que tu soulèves le drap dessus par curiosité… » Mais, heureusement, il ne l’avait pas fait. « Je suis soulagée que ç’ait vraiment été une surprise. Tu voudras que je l’accroche dans ta chambre ? »

Bon, visiblement, Amy n’a pas dans l’idée de me laisser ruminer sur mon état. Je ne vais pas m’en plaindre, même si j’en ai bien envie. J’ai quand même un léger froncement de sourcils en voyant une ombre passer sur son visage. Ou en tout cas, c’est l’impression que j’en ai. « Y a un souci ? » Je la vois même grimacer, c’est que j’ai pas rêvé non ? Un temps, avant de sourire quand elle continue et me parle des jeux qu’ils ont trouvé. « Ebé, vous avez fait des sacrées trouvailles. Et tu préfères lequel alors ? » Et je reprends, d’un ton léger. « On peut le mettre dans notre salon à nous si tu veux. Ce serait sympa aussi. » Comme elle dit, pour qu’on puisse jouer tous ensemble, ce serait sympa. Et ça animerait sacrément nos soirées.

J’ai un vague sourire quand elle continue. « Si tu le dis… enfin, je suis pas déjà le parrain le plus cool du monde ? On m’aurait menti ? » Je retiens quand même un soupir, alors que l’idée d’être encore limité dans mes mouvements me plait vraiment pas. « Et Koda va bientôt être trop rapide pour nous de toute façon. » Je finis par hausser une épaule quand, comme tout le monde, elle me dit que ça ira mieux. « Je sais… c’est juste… Frustrant. Et c’est peut-être plus compliqué que je le pensais de passer à autre chose. » De ne pas ruminer chaque moment qui s’est passé entre le moment où on nous a éclaté les pneus de la voiture à celui où je me suis réveillé dans mon lit. Ca tourne en boucle, un peu trop souvent. Même si ça fait déjà plusieurs semaines. Alors ouais, ça aide pas à être serein ou se forcer à être patient.

Je lève un sourcil quand elle reprend. « Un traineau ? Tu crois qu’on aura assez de neige pour ça ? Mais ça pourrait être intéressant d’apprendre à Koda à tirer une charge oui. Tu voudrais qu’on fabrique un petit chariot ou une espèce de traineau ? » Ce serait sympa à faire. Enfin, pour le moment, je suis concentré sur le cadeau qu’elle vient de me faire. Et je lui rends un nouveau sourire, alors qu’elle reprend la parole. « Tu pensais vraiment que ça pourrait ne pas me plaire ? » Quelque chose d’aussi personnel, sur lequel elle a passé un temps fou, ça pouvait qu’être le cadeau parfait. « Oui, tu lui ressembles un peu plus tous les jours. Des fois, quand t’est concentrée sur quelque chose, que tu fronces les sourcils, j’ai l’impression de la revoir. » Et elle me manque terriblement. J’ai passé plus la moitié de ma vie à l’avoir à mes côtés et j’ai encore du mal à me faire à la vie sans elle. Même si ça fait plus de cinq ans. A sa réponse, sur le fait que je le mérite, je me contente d’un haussement d’épaules, sans faire plus de commentaires, pas vraiment convaincu.

Et je l’écoute, alors qu’elle me donne plus de détails. « Ah ouais, quand même. Je pensais pas que t’y avais pensé aussi tôt. Va falloir que je te trouve un cadeau de dingue pour ton anniversaire. T’as mis la barre super haut ! » Je reprends, non sans un nouveau sourire. « J’irais jamais fouiner dans tes affaires. Ca a déjà été compliqué qu’on arrive à avoir de nouveau une intimité, un vrai jardin secret, c’est pas pour aller voir ce que tu traficotes dans ton coin. » Et je ne suis pas si curieux que ça. Je me soigne en tout cas. « Je sais pas si je préfère la chambre ou le salon en fait. Les deux me plairaient bien. T’en penses quoi ? »

Elle baissa la tête, alors qu’il relevait. Évidemment. Parce qu’il avait dû être attentif à ces infimes changements, à ces sautes d’humeur. Qu’il les repérait, instantanément. Déglutissant difficilement, elle se força à le regarder. « Rien. Je… J’ai pensé à ce qu’il se serait passé, si tu avais disparu avant. » Avant qu’ils ne soient vraiment intégrés, qu’ils ne soient si bien aussi. Aurait-elle pensé qu’il l’aurait tout simplement abandonnée, voyant que c’était bien pour elle ici ? Elle n’en avait aucune idée, et ça lui faisait incroyablement peur. Ça lui serrait totalement l’estomac. Parler des jeux, et de leur console, en revanche, était beaucoup moins difficile. « GTA, parce que j’arrive à battre Jayden ! Je fais n’importe quoi, et ça marche ! » Bon, elle n’arrivait peut-être pas tout à fait à le battre. Mais suffisamment pour estimer que si. Même si, en vrai, elle aimait beaucoup voir ses petites rides de concentration face à des jeux plus émotionnels et plus difficiles, où il y avait des choix et des manipulations spécifiques à faire. Elle se sentit rougir légèrement, secouant vivement la tête. Peut-être que son parrain n’avait rien vu. « Ce serait super ! Je lui proposerai ! » Après tout, c’était lui qui s’était embêté à tout brancher et tout, et probablement lui qui le referait, alors… « Y’en a un qui te donne envie plus que les autres ? » Parce qu’il aimait ça, jouer. Alors il devait les connaître, non ?

Elle ne put s’empêcher de le regarder avec surprise, avant de rire doucement. « Si, mais tu serais encore plus meilleur. » Une façon de dire les choses qu’elle avait déjà toute petite. Ou plutôt, qu’elle avait abandonnée depuis le temps mais… ça ne faisait pas de mal de la réemployer, si ? « Tu crois ? Mais elle est encore toute petite ! » Bon, peut-être pas tant que ça, mais elle n’était pas bien âgée. « Je ferai la course avec elle en scooter, si Eli et Keira reviennent nous voir ! Elle s’arrêta un instant, marquant une hésitation. Enfin, si c’est pas trop dangereux, bien sûr. » Elle ne voulait pas blesser le chien. « Je… Je sais que ça va te sembler injuste ou pas t’aider pour l’instant, mais y’a que le temps qui pourra le faire, non ? Tu es en sécurité ici, et tu as les meilleurs soins qu’on peut te donner et… Enfin, on veut tous faire de notre mieux pour t’aider à passer à autre chose. Mais tu peux aussi nous dire ce qu’on peut faire. » En avait-il seulement la moindre idée ?

Huassant les épaules, elle plissa les yeux. « Je sais pas, je n’y ai pas pensé. Tu crois qu’il n’y en a pas assez ? Il en faut beaucoup, pour ça ? » Son visage s’éclaira quand il surenchérit, malgré tout. « Mais oui, ce serait trop bien ! Une petite charrette ou quelque chose comme ça ! Tu crois qu’elle pourrait tirer Jackson ? Si on les surveille ? Ou juste amener les légumes du potager à la maison ? Ou la laine des moutons ? » Si elle voulait bien, en tout cas. « Je sais pas. Je voulais te faire plaisir, mais j’avais peur de te rendre triste. Je suis très contente que ça soit pas le cas. » Très soulagée aussi. Elle se figea pourtant légèrement, à ses paroles. « Je… Je suis très heureuse de lui ressembler. Si je pouvais être comme elle… » Elle s’arrêta, incapable de poursuivre. Si elle pouvait être aussi attentionnée, généreuse, gentille que sa mère… Ce serait probablement trop beau pour être vrai. « C’est pas trop dur ? » Qu’elle lui y fasse penser.

Amy regarda son parrain d’un air malicieux. « Évidemment ! Pourquoi tu crois que j’ai fait ça ? » Absolument pas dans ce but, en réalité. Elle voulait… Elle voulait simplement le remercier, de ne pas avoir baissé les bras, depuis toutes ces années. Lui montrer sa reconnaissance. Lui prouver qu’elle n’agirait plus avec autant d’égoïsme. « C’était pas ce que je voulais dire ! Je voulais… Je veux dire, tu aurais pu vouloir voir ce sur quoi je travaillais pour la maison, sans penser à un secret. Je sais que ut ne ferais pas ça. Je te fais confiance. » Et, alors même qu’elle le disait, elle réalisait à quel point c’était vrai. Elle avait arrêté de regarder par-dessus son épaule, quand ils étaient ensemble, pour voir s’il faisait la gueule, ou s’il n’était tout simplement plus là. Elle n’avait plus de moment d’arrêt, en entrant sans une pièce dans laquelle il se trouvait. « Je serai contente de pouvoir le voir, moi. Mais c’est ton cadeau. Est-ce que tu préférerais le voir, le soir, avant de dormir ? Ou le matin, en sortant de ta chambre ? Tu le verrais sûrement plus souvent dans le salon. »

J’ai un froncement sourcils à sa remarque et je la fixe quelques instants, avant de finir par souffler, d’une voix plus douce. « Pas la peine de t’imaginer des trucs comme ça Amy. Je suis là. Et je compte bien rester là encore longtemps. D’accord ? » Un sourire rassurant avant que je finisse par secouer la tête avec un rire quand elle continue. « GTA ? C’est pas le truc de bagnoles ça ? Et tu bats Jay ? T’es sûre qu’il te laisse pas gagner ? » Je lui lance un regard taquin avant de remarquer qu’elle rougit, sans que j’arrive vraiment à comprendre pourquoi. Enfin, au reste, j’ai un hochement de tête, sans trop chercher plus loin. « Et je sais pas trop lequel je pourrais préférer, ça fait longtemps que j’ai pas joué à ce genre de trucs tu sais. » J’ai jamais été trop branché jeux vidéo, sauf pour déconner avec quelques potes. Autant dire que je risque pas d’être un adversaire redoutable. Mais ce sera marrant.

Et, encore une fois, l’esprit d’Amy va à 100 à l’heure. Parfois je me demande si c’est pour compenser tout ce qu’elle a pas pu faire ces derniers mois, voire ces dernières années, maintenant qu’elle a une vie aussi normale que possible. Et, quelque part, j’en suis content. Même si j’aurais préféré qu’elle ait une adolescence plus agréable, au moins, elle peut enfin se rattraper. « Difficile d’être encore plus meilleur jeune fille. Pour le reste, on avisera, je pense qu’Haz’ saura mieux dire que moi si ça peut le faire avec Koda ou pas. » Je me contente de hausser les épaules quand elle continue, pas vraiment convaincu par ses propos. « Ca va aller hein. Me faut un temps. Et que vous soyez patients avec moi. » Surtout ça. Le reste, je m’en accommoderais. Pas comme si j’avais vraiment le choix de toute façon.

A l’évocation de la neige, j’ai une moue. « On est en bord de mer. Donc j’ai des doutes sur le fait qu’on vraiment assez ouais. Amener les légumes ce serait pas mal. » Ou la laine. « Enfin elle est encore un peu petite pour tout ça de toute façon. » Qu’elle s’enflamme pas trop non plus à imaginer encore plein de trucs dans tous les sens. Un nouveau regard au cadeau alors qu’elle en parle un peu plus et je souffle, songeur. « Non, ça me fait plaisir. Vraiment. Et tu sais, même si ça fait un peu mal, même si ça rend triste, c’est pas toujours une mauvaise chose. » Je tends la main pour effleurer sa joue et je garde le silence quelques secondes à sa question. « Un peu. Mais au moins elle continue de vivre à travers toi, alors c’est une bonne chose. » En tout cas, j’en suis persuadé.

Je la laisse continuer et au final, je souffle, non sans agiter la main dans sa direction. « Allez, aide-moi à me relever. On va trouver un coin sympa dans le salon. Comme ça, on pourra le voir plus souvent. Et je sais pas toi, mais je me ferais bien un petit thé avec des gâteaux. » Ou un petit grog, mais il parait que ça fait pas bon ménage avec les anti-douleurs. J’attends qu’elle m’aide à me relever et je me traine tant bien que mal grâce à elle jusqu’à chez nous. J’ai quand même un temps d’arrêt sur le seuil, avant de serrer Amy contre moi. « C’est notre maison ma grande. » Malgré les hauts et les bas, c’est bien un truc qui changera jamais. « Tant que tu seras là, avec moi, ce sera notre foyer. L’oublie pas. » Parce que ouais, possible qu’on ait des petits ratés ces dernières années. Mais ça va aller maintenant. Je crois.