Je crois que ces derniers temps, j’ai passé plus de temps chez Grace qu’à la maison. Au moins cela nous a permis de pouvoir discuter un peu, même si les premiers temps, elle passait la plupart du temps à dormir. Parler de tout et de rien, apprendre à se connaître un peu plus, cela nous a rapproché je crois ; et, c’est une bonne chose. Le mariage aura lieu d’ici une quinzaine de jours et je commence vraiment à flipper. Tout reste encore à faire, même si j’ai déjà mon costume et que la liste d’invités à été faite. Papa, Cooper, et Phoebe s’occuperont de la musique, comme ils le faisaient avant, lors de leurs concerts. Norman aura la lourde tâche de nous emmener les alliances. Ce ne sont que des détails, ils ont pourtant de l’importance… Pour le reste, je ne sais pas comment nous allons nous débrouiller, il y a tellement de choses à préparer encore…

Je referme finalement le livre que j’ai entre les mains, soupirant en réalisant que je n’ai lu que quelques lignes depuis que je suis installé sur le canapé du salon. Trop de choses me préoccupent et j’ai du mal à m’évader… Seule la musique se révèle être une véritable échappatoire. Je me lève alors pour aller chercher ma basse dans ma chambre. De retour dans le salon, je pose l’instrument sur le canapé avant de rejoindre la cuisine pour me servir un verre d’eau. Au même moment, quelqu’un frappe à la porte. Je n’ai pas le temps de me diriger vers l’entrée que j’entends la porte s’ouvrir. Je fronce alors les sourcils avant de reconnaître la voix d’Evan.

« Dans la cuisine ! » Que je clame à son attention, souriant à sa remarque. Si je lui disais que je n’ai jamais eu de téléphone portable, il ne me croirait pas… Quand le boulanger me rejoint enfin, je l’accueille avec un franc sourire avant de lui répondre « Ça va et toi ? » Je marque une légère pause avant de poursuivre « Grace va mieux. Mais elle ne sort pas beaucoup depuis les manifestations, c’est encore difficile de marcher pour elle. J’essaye de passer la voir tous les jours. » Je réalise que je ne suis pas passé aujourd’hui. Peut-être que j’aurais le temps d’y aller dans la soirée. En attendant, je demande à Evan « Tu veux boire quelque chose ? »

La remarque d’Evan me fait rire, faut dire qu’il a le chic pour toujours s’attirer des ennuis. Aujourd’hui, heureusement, tout semble aller mieux pour lui. Et alors qu’il évoque l’état de Grace, je hausse les épaules, une légère moue sur les lèvres. Va-t-elle réellement bien ? Je n’en suis pas certain… C’est pour cela que j’essaye de passer la voir autant que possible. « Ça pourrait être mieux, j’imagine… Elle a eu de la chance, elle s’en sort plutôt bien malgré ses blessures. » Cela aurait pu être pire, c’est ce qu’il faut se dire. Quand je vois que nous aurions pu être blessé bien plus lourdement par la milice, je me dis que nous avons eu de la chance de nous en sortir… Certes, l’éraflure causée par l’une des balles sur mon flanc me rappelle que j’y ai échappé de justesse. Sans mon père, j’aurais très certainement été gravement touché. Il est intervenu à temps, devenant alors la cible des coups portés par les miliciens contre la foule. « Mais sa cheville la handicape pas mal et je pense qu’elle va finir par tourner en rond chez elle. » C’est pour cela que je vais la voir dès que je peux, pour passer un peu de temps avec elle.

Evan me demande du café. Je lui prépare ça alors qu’il se tourne en direction du salon. Je verse un peu de café dans une tasse avant de le rejoindre « Tiens. » Il désigne alors ma guitare, me demandant si je vais me remettre à jouer. J’arque un sourcil quand il me dit de ne pas essayer de le baratiner. Je soupire légèrement… Visiblement, il a remarqué que j’étais préoccupé ces derniers temps… Il y a de quoi, malheureusement… « Je… C’est juste que je ne n’envisageais pas vraiment ce qui m’attend. Se marier à dix-neuf ans, ce n’est pas ce que j’espérais, vraiment pas. Sans compter ce qu’on attend de nous ici… » Je laisse ma phrase en suspens, je sais qu’il comprendra. Le mariage, la famille… Difficile de croire que, bientôt, je fonderai peut-être une famille. Cela ne me rend pas vraiment euphorique, au contraire, cela me terrifie. « J’y connais rien aux relations de couple. J’aime beaucoup Grace mais… Je ne suis pas certain que cela fonctionne. J’ai juste peur de… Que ça ne se passe pas bien… »

J’aime beaucoup, Victor. Et c’est pour ça que je m’inquiète aussi pour lui. Heureusement, j’estime qu’il est bien entouré. Il n’est pas tout seul dans son coin. Je n’ai pas été embêté Grace pour l’instant. Je me dis qu’il est préférable qu’elle se repose, au fond. Je préfère prendre des nouvelles via Victor qui, je sais, va la voir quasiment tous les jours. Si Victor est plutôt rassurant dans ses mots, je me doute que ce n’est pas simple à gérer.

- Ça ne m’étonne pas vraiment. Mais tant mieux si elle va bien, globalement. Je crois que je deviendrais dingue à sa place si je ne pouvais pas sortir de chez moi pendant un laps de temps important. Mais je sais que tu vas la voir régulièrement, ça doit lui faire plaisir.

Je rejoins le salon après avoir réclamé de la caféine. On se connait depuis un moment et si Victor est bien capable de camoufler certaines choses, j’arrive à voir quand il est préoccupé. Ce qui reste une bonne chose où je serais probablement un ami en carton. Je le remercie pour la tasse et pose celle-ci sur la table basse avant de m’installer sur le canapé. Les yeux sur son visage, je pince légèrement mes lèvres. Je comprends très bien ce qu’il entend par là. Si j’étais à sa place, je serais aussi mort de trouille. Et en colère, indigné.. Enfin, un mélange de sentiment tout sauf positifs.

- Je pense que beaucoup n’envisageaient pas ça, non plus… Je dois t’avouer que je ne suis pas pressé que ce soit mon tour… Et j’aimerai pouvoir t’aider. En te rassurant ou en te donnant un plan pour empêcher ça mais…

En toute honnêteté, si j’avais des pouvoirs magiques pour faire disparaître ce genre de chose, je le ferais. Mais à part être là pour Victor, je suis plutôt d’une certaine inutilité. Je vois bien qu’il est stressé et mort de trouille. Ce que je comprends plus qu’il ne le pense. Il est jeune en plus de ça. C’est moins terrifiant de se marier à trente ans qu’à vingt.

- Je comprends. Tu sais, Grace n’a pas l’air d’être quelqu’un de mauvais et du peu que je connais d’elle, elle a l’air de quelqu’un de bien. Et tu l’as dit toi-même, tu l’aimes beaucoup. Ce qui est déjà un avantage certain dans un mariage… non consenti.

Ce qui n’enlève pas le fait que ce soit forcé des deux côtés et que ça ne facilite pas la tâche non plus. Mais il aurait pu tomber sur une femme horrible, lui mettant des bâtons dans les roues ou je ne sais quoi. Ils ont l’air de s’entendre, en plus de ça.

- Quant aux relations de couple, c’est normal. Tu avais quoi… quatorze, quinze ans en 2015 ? Je dois t’avouer que j’en ai eu qu’une seule… Alors… Je ne suis probablement pas le mieux placé pour t’aider. Mais dit toi que Grace est sûrement tout aussi effrayée que toi à l’idée. Mais vous avez l’air de vous entendre et tu ne verras qu’au fur et à mesure si ça fonctionne ou non…

Au fond, je sais que tout ce que je dis ne va pas le rassurer. Parce que rassurer, c’est difficile de mon côté quand je suis plus pessimiste que je ne peux le montrer en temps normal.

- Peut-être que vous tomberez fou amoureux avec le temps, toute cette histoire de famille et mariage pourraient s’avérer juste un coup de pouce. Violent le coup de pouce soit dit en passant mais…

Evan s’inquiète beaucoup pour Grace et j’apprécie le fait qu’il essaye de me rassurer. Quand il dit que cela ne doit pas être simple pour elle, d’être bloquée chez elle, j’acquiesce d’un signe de la tête. Heureusement que sa tante accepte ma présence… Cela lui fait un peu de visite. Je crois que, de toute façon, j’aurais insisté jusqu’à ce que Ruth me laisse entrer chez elles. Ma fiancée a besoin de moi et je dois être là pour elle. Cela prouve certainement à quel point je tiens à elle ? Faut dire que notre relation a évolué un peu ses derniers temps. Nous ne nous disputons plus vraiment. J’essaye d’être là pour Grace, de la soutenir, de lui faire penser à autre chose. Nous passons pas mal de temps à discuter depuis quelques jours et c’est agréable de pouvoir en apprendre un peu plus sur elle. Cela me donne de l’espoir pour ce qui nous attend.

Malgré ça… Malgré cette entente qui commence à se tisser entre nous, à cette relation qui devient de plus en plus forte… Je ne peux pas m’empêcher de me sentir nerveux et angoissé face à tout cela. Evan semble tout aussi embarrassé que moi ; néanmoins, il tente de me rassurer. Je l’écoute alors avec attention, affichant un sourire reconnaissant lorsqu’il se confie à moi.

Ses derniers mots me font rire. Il a sûrement raison. Peut-être que je dois arrêter de stresser à cause de tout ça. Peut-être que tout ira bien… « C’est quelqu’un de bien, j’en suis certain. Enfin… C’est vrai que je l’aime beaucoup. Mais c’est toute cette pression autour… C’est… C’est difficile à supporter. » Le mariage, fonder une famille… Tellement de choses qui étaient loin de le préoccuper quelques années auparavant… Je me laisse finalement tomber sur le canapé, attrapant ma basse pour jouer quelques accords. Puis je relève les yeux vers Evan pour lui demander « Et toi ? Tu n'as pas trouvé une femme qui te plaît ici ? Si tu la demandais en mariage, ça serait plus simple non ? » Je hausse les épaules, pas franchement convaincu par ce que j’avance… N’empêche, si une fille lui plaît, il devrait peut-être se lancer non ? « Y’a quelqu’un qui te plaît ici ? »

Je ne suis pas persuadé d’être d’une grande aide à Victor. Si j’essaye de le rassurer, ça n’empêche pas le côté délicat de la situation. C’est effrayant de se marier à quelqu’un d’inconnu. De fonder une famille par obligation. Certains ne sont pas bien gênés par ça. Mais de mon côté, un peu pour ne pas dire énormément. Dans le cas de Victor, s’entendre avec sa future femme est quand même une bonne chose. Je n’imagine pas si je devais me marier avec quelqu’un sans la supporter du tout. Je deviendrais probablement dingue. J’arrive à obtenir un rire de sa part et c’est déjà une petite victoire.

- Je peux comprendre. Tu ne serais pas presser à te marier et à fonder une famille que la situation serait moins problématique sur les épaules.

J’avale une gorgée de café et me décale un peu pour qu’il puisse s’affaler sur le canapé et avoir suffisamment de place avec sa guitare. Pas que ça prenne de la place mais un peu quand même. Mais sa question me fait presque m’étouffer. Je ne m’attendais pas à ce que ça se retourne au final contre moi. Je pouffe légèrement de rire et agite la tête de droite à gauche.

- Déjà.. le mariage me fait flipper. Avoir des gosses me fait flipper. Si je pouvais marcher droit vers les portes du camp pour sortir, je le ferais… Plus je pourrais repousser l’évènement, mieux je me porterais…

Je ne sais même pas combien de temps j’ai encore avant qu’on vienne devant ma porte avec une femme juste devant ma porte d’entrée pour m’obliger à l’épouser le lendemain. Ca me stress, me fait flipper. Je ne peux pas faire ça comme ça. Bon, je me doute que d’autres non plus. Je ne suis pas encore au pied du mur mais… J’ai peur que ça s’accélère au bout d’un moment.

- Non… Enfin, je ne dirais pas que personne ne me plait parce que si je reste uniquement sur le plan physique du terme, il y a beaucoup de personne qui me plaise. Mais pas au point de fonder quoi que ce soit…. Tu vois ce que je veux dire ?

Dit plus vulgairement, ça ne me générait pas des histoires courtes avec deux ou trois mais de là à imaginer le mariage et les gosses. C’est un peu trop poussé. Je pousse finalement un soupire, laissant l’arrière de ma tête retombé sur l’arrière du canapé avant de hausser les épaules.

- Je n’aime pas le principe de choisir une femme comme ça et de se l’approprier, mariage, enfant, tout ça. Enfin, je me doute que toi non plus mais… on ne m’a pas encore embêté ou pressé pour le faire. Alors, je repousse le moment.

C’est dit bizarrement encore une fois. Mais je ne cherche pas non plus à me rapprocher de qui que ce soit au-delà de l’amitié, au-delà de la connaissance non plus. C’est un peu compliqué.