Hope tournait dans tout les sens. Encore et encore, et encore. Impossible de trouver le sommeil, et ça, depuis cette horrible nuit de novembre. Comment elle le pouvait ? Elle avait lâchement abandonnée tout le monde au motel. Même si récemment elle a pu revoir Johanna et être rassurée de la savoir en vie, qu'en est-il des autres ? D'Abi ? Et à chaque fois, son coeur se serre, se comprime, elle a mal, cherche à étouffer ses sanglots dans son oreiller. Heureusement, jusqu'à présent, personne n'avait remarqué son manque de sommeil, pas même Violet. Cette dernière n'aurait pas hésitée à en parler à Alex, et la blonde ne voulait sûrement pas que la seconde de Connor s'en mêle.

Mais aujourd'hui, l'avantage, c'est qu'ils n'étaient pas sur un terrain vague. A proximité, qui lui tend les bras, un château. Ni une ni deux, après avoir enfilée un immense pull qui lui tombe jusqu'au genoux et des bottines, l'ancienne actrice se dirige vers la caravane de Bruce, qu'elle réveille sans hésitation. J'ai encore du mal à dormir, tu peux jeter un oeil à la petite de temps en temps ? Il était le seul au campement qui comprenait, sans qu'elle ait besoin de parler. Et c'est tant mieux. Après ça, elle prend sans attendre la direction de la cuisine du château.

Evidemment, la trentenaire tente de se faire aussi petite qu'une souris. Tout le monde semble dormir, mis à part Ana qu'elle entend gazouiller de loin. Des petits bruits aussi dans le salon, sûrement un feu de cheminé qu'elle se fera un plaisir de voler ! Donc, une petite bouteille de vin, un verre à pied, et la voilà déjà en train de retirer ses bottines en direction du grand salon pour s'écraser sur le divan. Sauf que, bien sûr, il y a un mais. Il y avait déjà quelqu'un dans le salon, avec quasiment la même idée. Richard, Richie, Richou.

Evidemment, le voir là provoque chez l'ancienne actrice une bonne bouffée de chaleur dans sa poitrine, qui grimpe jusqu'à ses joues. Mais elle est aussi prise d'une horrible peur ; depuis qu'elle a apprit que deux de ses soeurs sont deux de ses filles, depuis l'arrivée de la faction au domaine, la blonde avait tout fait pour esquiver le thérapeute. Il avait fait beaucoup pour elle, il a aussi une place spéciale dans sa vie mais... elle avait peur d'affronter le père des filles qu'elle avait abandonné.

Si l'envie première qui lui traverse l'esprit est de ramasser doucement ses chaussures et de prendre la fuite sans qu'il s'en rende compte, puisqu'il avait le dos tourner, Hope décide finalement de faire face à ce qui arrivera un jour ou l'autre. Je peux me joindre à toi ? Demande la blonde d'une voix douce à Richie, maigre sourire dans le coin de ses lèvres, même si elle aperçoit facilement le visage creusé du thérapeute.

Les journées passaient, longues et pénibles, et Richie n'avait toujours pas de nouvelles. Il demandait, sans arrêt, à droite, à gauche, lançait des messages au talkie, essayait de s'éloigner du domaine pour tomber – qui sait ? - par hasard sur une piste. Ça en devenait maladif, à ce stade. Que ce soit ses filles ou ses fils. Il crevait de douleur de ne pas savoir où ils étaient et comment ils allaient. Et il culpabilisait mortellement de lui, continuer sa petite vie à côté. Comme le lui avait reproché Mary ou Johanna, à leurs premières retrouvailles. Qu'il puisse être en bonne santé et pas en train de crever la bouche ouverte en articulant péniblement le nom de ses enfants. C'était dur, mais il l'avait entendu, et à présent, ça prenait toute la place dans sa tête.
Devrait-il se laisser dépérir ? Voir même se foutre en l'air? Est-ce que c'est ça qui leur ferait plaisir, qui les rassurerait ? À son stade, il n'était plus vraiment sûr de rien, et sa vision des choses était complètement biaisée. Plus rien n'avait vraiment de sens ni d'intérêt.

Il papillonna des yeux quand une voix le sortit de ses sombres rêveries et tourna le visage vers Hope. Pour un peu, il se trouvait surpris d'être ici, face à la cheminée, une tasse de café froid serré entre ses doigts. Il n'aurait pas pu dire depuis combien de temps il était assis là à fixer sans le voir le feu crépitant.
Un sourire fatigué étira brièvement ses lèvres alors qu'il se redressait vaguement.

Bien sûr. Installe-toi, lui souffla-t-il en désignant le canapé, ou le fauteuil à côté, selon ce qu'elle préférait.

La présence de Hope ne lui était pas désagréable, loin de là. Même s'ils parlaient peu et qu'au final, ils se connaissaient pas tant que ça, il y avait un truc qui les liait. Tout deux étaient parents, et pas forcément les 'meilleurs parents' selon un point de vu extérieur. Richie avait voulu l'aider, à une époque, parce qu'il aurait aimé avoir pareil aide de son côté. Malgré tout, il était heureux pour elle qu'elle ait pu retrouver sa fille après tout ce temps. Autrement … il se doutait bien que la jolie blonde aurait pu mettre un terme à sa vie si ça avait trop traîné. Il la comprenait.

Il posa la tasse sur la table basse, revenant doucement à lui.

Je sais même plus à quoi je pensais. A rien, peut-être.

Son regard se posa sur elle. Il appréciait l'effet de lumière que créé les flammes sur un visage et cette ambiance chaleureuse et tamisée que cela engendrait.

Problèmes de sommeil ?

Debout entre le canapé et le fauteuil, un mince sourire gêné sur le visage, Hope attendait impatiemment la réponse de Richard. Il n'est pas difficile de remarquer la fatigue noircir le visage du thérapeute, qui met quand même un temps avant de lui donner une réponse, et même de tourner la tête vers elle. De son côté, elle ne peut retenir un grand sourire heureux lorsqu'il accepte de passer un petit moment en sa compagnie, et la blonde dépose son verre et la bouteille sur la table basse, prenant place sur le fauteuil. Préférant lui laisser de l'espace.

Oui, on peut dire ça comme ça. Elle se râcle la gorge, pas vraiment prête à confier au thérapeute que la chose qui l'empêche de bien dormir n'est autre que la perte de l'endroit qui puait le sexe et qu'elle partageait avant avec ses deux filles. Bordel, elle a encore du mal à s'en remettre. La blonde se penche alors en avant pour déboucher la bouteille et se servir un verre, proposant au passage à Richard d'en mettre dans sa tasse, sans savoir si elle était pleine ou non. Elle étire ensuite son gros pull pour ramener ses jambes nues sous ce dernier.

Avec un peu d'hésitation, les yeux dépareillés de la blonde viennent enfin se poser sur le visage du thérapeute. Toi aussi, non ? Indécise, comme à chaque fois en sa présence, l'ancienne actrice ne savait pas par quoi commencer, quoi dire. Il ne faut pas être Einstein pour comprendre que tu manques de sommeil. Depuis quand t'es là ? Evidemment que ça l'inquiétait. Pour le peu de fois qu'ils se sont vue, Richard a toujours été là pour la blonde. Ce soir, elle aimerait bien que les rôles s'inversent.

Evidemment, peut-être que son ancienne condition de prostituée et de voisine de chambre de ses filles allaient sûrement mettre un frein à une discussion normale à présent, Hope ne voulait pas que son partenaire de soirée se rabaisse à ça, et comprenne que la jeune femme savait très bien écouter quand il faut. Et elle n'hésitera pas à l'aider à remonter la pente. Quel que soit le problème. Tu sais que je suis bonne aussi pour écouter les autres.. Puis, sur un ton léger, amusé, elle ajoute : Bon, je ne sais pas hypnotiser, mais j'ai d'autres compétences ! Et non, elle ne parlait pas de sex.

Son sourire se fit plus doux en voyant l'air sincèremment ravi de Hope quand il accepta qu'elle s'installe avec lui. C'était agréable, de pouvoir apprendre à la connaître en-dehors de sa souffrance, rien qu'en tant qu'humain. Même si Richie n'était pas du genre à aller vers les autres ni réellement à discuter. Parfois, il s'en voulait pour ça. Mais l'observation avait l'air de lui suffire, et il avait du mal à se forcer. Ça ne l'empêchait pas d'apprécier les gens de ce groupe.

D'un léger signe de la main, il déclina la proposition silencieuse de la jeune femme de le servir en vin.

Merci. Je ne bois pas.

Et ce, depuis bien longtemps maintenant. Ça remontait à avant l'épidémie, même. Et c'était bien l'une de ses victoires personnelles. Il savait qu'il aurait sombré dans la boisson s'il en avait bu la moindre goutte. Mieux valait prévenir que guérir.

Son regard glissa distraitement sur la jeune femme. Il laissa un air malicieux passer sur ses traits quand elle lui retourna la question.

Comme tu peux voir.

Depuis combien de temps était-il là ? Là, elle lui posait une colle.
Il baissa le nez sur son café, en prit une gorgée froide qui lui arracha une légère grimace. À côté de lui, deux bouquins, un qu'il avait eu le temps de terminer, l'autre, à peine entamé.

Je dirais … après que tout le monde soit parti.
Tu sais que je suis bonne pour écouter les autres. Bon, je ne sais pas hypnotiser, mais j'ai d'autres compétences.

Richie pencha le visage vers elle, un air amusé passant sur ses traits. Il se décida à poser sa tasse sur la table basse pour ramener une jambe sur le canapé.

C'est très gentil de ta part, souffla-t-il.

Bien sûr, ça se voyait comme le nez au milieu de sa figure qu'il n'allait pas vraiment bien. Mais … qui allait bien, dans cette faction ? Chacun avait ses fantômes, ses démons, ses regrets et ses tourments, et malheureusment pour le père Gordon, il avait de plus en plus de mal à cacher les siens. Il était juste … fatigué.

C'est juste … difficile. D'être parent.

Il eut un sourire triste qui devait raisonner en elle.

J'ai l'impression d'être à côté de la plaque, constamment. Et de toujours avoir un coup de retard. J'ai la chance que mes quatre enfants soient encore en vie - même si ça, depuis l'invasion de New Eden, il n'en était plus très sûr -, et j'arrive même pas à les garder sous mon aile. C'est pas grâce à moi qu'ils ont survécu.

Et il ne savait plus quoi faire. Que ce soit pour les retrouver - s'ils voulaient être retrouvé, déjà -, les aider, les sauver ... Il avait l'impression qu'il n'arriverait jamais à rien. Que, de toute évidence, ils s'en sortiraient mieux sans lui, et que ça aurait été moins une souffrance pour eux s'il avait été mort depuis longtemps. Bref, des tourments de parent, quoi.

Il refuse sa proposition de partager un verre, et même si Hope est un peu déçue, elle ne montre rien. La jeune femme se contente de hocher la tête, haussant machinalement les épaules, remplissant uniquement son verre avant de se lover confortablement dans le fond du fauteuil. Dans ce monde, nombreux sont ceux qui se font plaisir différemment : l'alcool, la cigarette, le sexe. Le sang. Alors évidemment, son refus attise la curiosité de l'ancienne actrice, qui préfère cependant ne rien demander pour ne pas le froisser. Au cas où. Il semblait déjà bien mal ce soir.

Silencieuse, Hope se contente alors d'écouter attentivement les réponses que lui apporte son thérapeute d'un jour, buvant une ou deux gorgées de temps en temps. Je vois.. Fait-elle d'une petite voix, un mince sourire faussement amusé dans le coin de ses lèvres. Je ne sais pas si mes mots peuvent te rassurer, mais je suis dans le même cas. Même si contrairement à son vis à vis, la blonde avait la chance d'avoir sa fille désormais h24 à ses côtés. Enfin, que tu sache que tu n'est pas seul à ressentir ce genre de chose, en tant que parent.

Hope pouvait se réjouir de savoir sa fille tout les jours en vie, en bonne santé, et près d'elle à tout heure de la journée, mais les années perdues loin d'elle ajoute évidemment de la difficulté. Sans parler de la présence d'Alex dans sa vie. Même si la blonde apprécie cette dernière de plus en plus, ça ne change rien au fait qu'elle la déteste en même pour la grande place qu'elle occupe dans le coeur de son enfant. Si les deux femmes étaient en danger, et une seule devait être sauvée, Hope n'était même pas certaine que Violet la choisirait.

Faut dire aussi que tes enfants sont grands. Simple constat de la part de la blonde, qui reprend une gorgée de son verre, se stoppant net avec un regard surpris. Attends, tu as dis quatre ? Elle était évidemment au courant pour Joh et Abi, mais qui étaient les deux autres ? Tu as deux autres enfants en plus de tes deux filles ? Etrangement, elle se met à prier tout les Dieux. En espérant que ce soient pas des garçons, et en plus de ça, d'anciens clients.

Il hocha la tête, observant le joli visage de la jeune femme, dont les traits, les pommettes, reliefs et creux étaient esthétiquement mis en valeur par la lumière orangée du feu.
Un sourire sans joie étira ses lèvres. Bien sûr qu'elle comprenait et qu'elle était dans le même cas. C'était aussi pour cela qu'il se confiait si aisément à elle, sans honte. Être parent, sur le papier, c'était quelque chose de fabuleux. En vrai, et avec une épidémie aussi dévastatrice dans les pattes … c'était un pur cauchemar. Il avait l'impression d'être constamment en train de courir après des fantômes, qui en prime le fuyaient.

Ils sont grands, oui. Ce sont de jeunes adultes, maintenant. Même si Mary est encore bien jeune. Trop jeune.

Il se refusait, pour autant, de l'infantiliser comme il l'eut fait. La rouquine était pleines de ressources et possédait une force mentale que lui était loin d'avoir.

Attends, tu as dis quatre ?

Son regard se déroba des flammes pour se figer dans celui de Hope. Son visage se pencha sur le côté. Oui, effectivement, il ne lui semblait pas lui en avoir déjà parlé.

Mes aînés, des jumeaux. Jim et Wyatt. Ils doivent avoir … il se gratta la nuque. Ils doivent être sur leur vingt-cinq, cette année. Putain.

Il souffla du nez, secoua la tête pour refouler son amertume. Il avait tellement merdé, encore plus avec eux, qu'il avait traîné avec lui dans sa descente aux Enfers. Hope était loin de se douter de toutes les merdes qu'il avait faites, tous les bagages de hontes, erreurs, meurtres et pétages de câbles qu'il se traînait. À ce jour, il n'était même pas apaisé de tout ça. Il sentait que ça grouillait en lui, et que la colère était toujours là. Il sentait qu'il était chaque fois à ça de replonger dans ses travers.

Ça s'est pas trop bien fini, entre nous. Je pense qu'ils se portent bien mieux sans moi aujourd'hui.

Ce n'était même pas dis avec tristesse, juste, comme toujours, un certain regret. Probablement qu'il aurait fini par les faire tuer avec ses conneries de vengeance et de haine insatiable pour les meurtriers de son propre frère.

En fait …

Il passa sa langue sur sa lèvre, se redressa partiellement. Ça lui coûtait de dire ça. A vrai dire, c'était la première fois qu'il parvenait à aligner assez ses pensées pour pouvoir en créer de vraies phrases.

Je crois que je n'ai pas d'autre but, aujourd'hui, que mes enfants. Que je n'arrive plus à savoir qui je suis si je ne suis pas un père. Que … que j'ai peu d'intérêt à continuer. Tu vois ce que je veux dire ?

Sans quitter le visage de son voisin du regard pétillant, Hope a un faible sourire attendri par le comportement bien paternel de ce dernier. Ou peut-être que c'était le vin. Non, c'était bien de la tendresse. Aussi loin que peuvent remonter ses souvenirs, il ne lui semble pas avoir vue une seule fois Nick parler de sa fille de cette manière. C'était touchant à voir. Mary est très mature pour son âge, mais ça m'empêchait pas souvent de me comporter avec elle comme si elle avait dix ans. Elle a un léger rire. C'était d'ailleurs la seule ; peut-être son côté maman ?

Prenant une nouvelle et dernière gorgée de son vin, elle manque presque de tout recracher lorsqu'il lui répond enfin au sujet de ses deux autres enfants. Des jumeaux. Des hommes. Et en plus, majeurs et vaccinés. Manquerait plus qu'ils soient passé dans son lit. Mais l'ancienne actrice se rassure sur la présence de Jo dans le motel, et très souvent de Mary à l'accueil ; elles auraient certainement fait les présentations. Non ? Eh bien, monsieur, on a pas chômé hein ! Merde, quatre enfants. Tu m'étonnes que tu te sent étroit dans ton esprit. Un enfant c'est pas mal de boulot. Mais quatre.

Même si elle était très à l'écoute de ce que souhaitait lui confier Richie, ça n'empêchait pas la blonde de glisser une ou deux petite remarque amusée. La suite en revanche, l'oblige à reprendre son sérieux. Oh. A ce point.. Même si il ne semble pas triste, ça n'empêche pas l'information de l'être. Elle entrouvre la bouche pour lui répondre, mais il enchaîne sur sa situation actuelle, et ça lui crève le coeur. Richard n'est pas un ami proche, intime, pourtant, ça lui fait mal d'entendre ça.

Un long silence s'installe, durant lequel la blonde n'a pas osée regarder son thérapeute, fixant son verre vide en cherchant quoi dire pour ne pas qu'il se sente pris en pitié. Elle finit par se lever pour remplir son verre, avant de partir s'installer confortablement sur le canapé à côté de Richie, face au feu. C'est à moi que tu dis ça ? Fait-elle enfin, avec un sourire doux, et d'une voix chaleureuse. Moi, la femme qui se mettait sans cesse en danger de mort pour ressentir quelque chose ?

La blonde dépose sa tête contre le dossier du canapé en cuir, attentive. Il n'y a pas quelque chose qui te plairait ? De faire ou de voir ? Si il le fallait, Hope serait prête à l'aider.