Belfair, Sud-Ouest de Bainbridge Island
17 février 2022

« Yōkai ! »

C'est de cette manière que la nippone attire l'attention de ses deux camarades sur la menace. Cette dernière s'accompagne bien vite de deux autres cadavres. C'était à prévoir. Ériger un barrage, ça fait du bruit. Le bruit des explosions nécessaires pour provoquer un glissement de terrain et ainsi obstruer la route sont autant d'invitations au festin pour les cadavres de la région. Ce ne sont pas les premiers morts qui entendent perturber le travail des ouvriers. Et Sun espère sincèrement qu'ils ne seront pas les derniers. L'action est préférable à l'ennui.

Le danger est bien vite écarté. La force des morts résident dans leur nombre, non sur leur aptitude à faire face à un adversaire en combat loyal. La kenshi s'agenouille à côté du mort et ferme ses yeux d'un mouvement de l'index et du majeur. C'est inutile, mais c'est moins dérangeant ainsi. Jill et May ont également terminé leur travail et Sun leur décoche un regard avant de se redresser. Non sans avoir essuyé son shinai recouvert d'hémoglobine sur les vêtements sales du mort.

Elle la connait bien, Jill-cjhan, la nippone. C'est une amie. Du moins se plaît elle à la considérer ainsi malgré ses manières quelque peu désobligeantes et son absence de pudeur. Mais ses relations avec May-San sont jusque-là restées parfaitement formelles. Et comme souvent lorsque Sun se retrouve confrontée à une personne qu'elle ne connaît pas, ou très peu, la kenshi fait preuve d'une retenue toute japonaise. Ce qui, elle l'espère, ne s'apparente pas trop à de l'antipathie.

La voici qui reporte son attention sur la muraille en cours de construction. Elle s'attarde un instant sur le vieux camion à benne qui est maintenant traîné jusqu'au centre de la route. Avec, toujours, cette saveur d'échec qui lui étrille les papilles. « Les murailles sont un aveux de faiblesse ! » dénonce-t-elle à nouveau. Plus pour elle-même que pour ses deux alliées proches. Et peut-être pour la troisième ou quatrième fois depuis le début de la matinée. Sans être bercée par la mentalité nippone de la moitié du siècle précédent, Sun jugera toujours qu'une mort au combat est préférable que le déshonneur de l'attente.

Elle est néanmoins assez sage pour ne pas transformer son avis en source de problème. Après tout, ce n'est pas elle qui commande. Et son sang lui ordonne aussi de suivre les ordres. Une gorgée d'eau chaude plus tard, la future trentenaire se retourne vers ses camarades et s'incline légèrement devant eux. Un geste qu'elle effectue encore par réflexe. « Vous êtes efficaces ! » La remarque vise plus la blonde que la brune, à vrai dire. Cela fait déjà longtemps qu'elle sait bien que Jill est une guerrière de valeur. Elle découvre simplement ce dont May-San est capable. Et ce qu'elle voit pour l'instant lui donne des raisons d'être optimiste pour le reste de la journée.

Après avoir balayé les environs à travers le prisme de ses jumelle, Sun se détend quelque peu. Juste un peu. Elle retire ce fameux balais dans le cul que sa meilleure amie évoque souvent. « Tu nous parlais d'un concours d'urine, je crois, Jill-Chan ? » à vrai dire la nippone n'a accordé qu'une attention toute relative à l'histoire de sa camarade. Peut-être qu'il en va de même pour May. Mais entre le bruit des travaux et l'une des histoires étranges de la brune, le choix est tout de même assez vite fait...

- Tu peux aussi rester là nuit et jour et si l’envahisseur arrive, tu le retiendras avec tes petits bras, que je rétorque  à Sun avec un sourire en coin.

Ce disant, j’extirpe du crâne d’un cadavre la lame du piolet qui vient de s’y enfoncer. Hum, délicieux parfum. On a beau s’y habituer, ça ne fait pas plus plaisir aujourd’hui. Bref, Sun me salue avec cette gestuelle toute nipponne et je chasse ses compliments d’un geste désinvolte de la main.

- C’était que quelques bouffeurs. Si on n’était pas capables de s’en occuper, je pense qu’on ne serait pas là aujourd’hui.

Mon regard dévie vers le « chantier ». Et que ça fait des trous, et que ça pousse des carcasses, et que ça décharge des débris, et que ça coupe les arbres… tout est fait pour que le trajet devienne impraticable pour quiconque désire emprunter la route. Y’en a encore pour plusieurs jours de boulot, plusieurs semaines peut-être.

- Hum ? Sun me prend de court avec sa question, qui revient à la conversation qu’on avait avant l’apparition des affreux, ah ouais, l’été dernier, sur la place. Les mecs ont littéralement fait un concours de qui pissait le plus loin, c’était à mourir de rire, pour moi en tout cas, mais on sait que j’aime les blagues grasses, t’as un bikini dans tes affaires ? Tu viendras avec nous la prochaine fois. Toi aussi May !

J’administre un coup de coude amical à ma voisine, au moment où mon talkie crachote une communication.

- « Lenore au chantier. On a repéré des gens, potentiellement hostiles. Y’a quatre personnes qui sont rentrés dans le Safeway, on ne sait pas combien y’en a à l’intérieur. »

Mes prunelles consultent brièvement mes comparses : notre mission ici, c’est aussi de nettoyer Belfair des rats qui y logent. Les rapports du printemps ont informé que des sales gosses essayaient de faire la loi dans le coin. En l’occurrence, notre consigne est clair : avec nous ou contre nous, il n’y a pas d’âge légal pour se faire plomber. J’ai dû apprendre à digérer mes états d’âme sur le sujet.

- On arrive avec Sun et May, que je réponds dans l’appareil, ne faites rien sans nous.

Je fais un signe de tête vers la jeep qui nous a amenées là et me cale au volant en reprenant la conversation comme si de rien était.

- Et d’ailleurs, la Chine avait un putain d’empire et leur muraille a été plutôt utile, non ? Je dis pas ça parce que t’es bridée, précisé-je pour désamorcer toute accusation de racisme, c’est la seule grosse muraille que je connaisse, je mets le contact et hausse les épaules, là où j’te rejoins par contre, c’est que tout sera plus simple si les conflits se géraient à l’ancienne, avec un bon duel à l’épée ou au pistolet.

C'était presque la routine, maintenant. Partir sur les routes, tuer de la charogne et rentrer en un seul morceau. Parfois pour des ressources, parfois pour des raisons un tantinet plus complexes, comme c'était le cas aujourd'hui. Enfin, ce n'était pas nécessairement plus compliqué que n'importe quelle autre mission, mais Liv considérait tout de même que les enjeux étaient relativement plus sérieux, au final. Et si ce chantier parvenait réellement à éloigner New Eden - à les empêcher de venir détruire ce qu'ils avaient de plus précieux - alors le jeu en valait la chandelle. Enfin, May était là pour vider la zone de tout ce qui pouvait potentiellement faire obstacle à la progression du projet, et la petite comptait bien faire son boulot.

La blonde enfonça donc le crâne d'un dernier décharné d'un coup de pied ferme, rangeant sa matraque à la taille de son jeans, comme toujours. Sun lui envoyait un compliment par rapport à son efficacité, d'ailleurs. Et si Jill balayait le commentaire d'un geste de la main, Liv haussa les épaules en offrant tout de même un sourire à Masako. Oh, elle était du même avis que l'ancienne flic, mais elle ne voulait pas non plus froisser l'autre demoiselle.

Enfin, Cendrillon faisait de son mieux pour rester concentrée sur ce qui se passait autour, au même titre que ses copines de la journée. Sauf qu'en réalité, elle était un peu distraite. Elle se frottait l'épaule sans même le réaliser, ruminant le fait que c'était ici qu'elle avait mangé une balle dans l'articulation en question, quelques mois plus tôt. Et pour cette idiote de Selene, le pire. Quelle petite chieuse. Le simple fait de se remémorer les événements était suffisant pour qu'elle éprouve des envies de meurtre à nouveau. Mais Sun reprenait plutôt la parole, exigeant visiblement la suite de l'histoire de Blair. Histoire que May comprenait plus ou moins, d'ailleurs. Et elle se doutait qu'elle était plus ou moins pertinente. « Tu sais très bien que c'est moi qui aurait gagné, si j'avais été là. » lâcha-t-elle en riant, essayant sans succès d'éviter le coup de coude tandis que le talkie de sa pote alertait le trio à propos d'une présence au Safeway du coin.

Évidemment que la princesse se demandait si c'était les tarés qu'elle avait croisé, avec Maddie. Elle échangea un regard avec ses comparses, comprenant bien que le temps n'était plus vraiment à la rigolade. Elles avaient du pain sur la planche. May se dépêcha de s'installer du côté passager tandis que Jill prenait le volant, s'assurant d'un coup d'oeil que Sun grimpait à l'arrière alors que la conductrice démarrait.

Décidément, le thème des murailles était le sujet de l'heure. « Muraille ou pas, la fin justifie les moyens. En quoi c'est un problème si c'est ce qui nous permet de gagner la guerre? » Non parce que c'était bel et bien une guerre, elle n'allait pas se mettre la tête dans le sable. Et honnêtement, elle avait l'impression que le projet n'était pas ce qu'ils avaient fait de pire jusqu'ici. Mais peu importait, puisque le trio arrivait bientôt près de leur destination. Jill ralentissait tandis que Liv s'emparait de son flingue, envoyant une balle dans la chambre en essayant de repérer du mouvement. Elles feraient le reste à pied, sûrement? « Tu vois quelque chose? » demanda-t-elle à Sun et ses jumelles. Goldenberg se pencha un peu vers l'avant de la console centrale, avant de continuer.

« Les toits, il faut surveiller les toits. »

« Ce serait un bon entraînement. »

Sun n'a franchement rien contre l'idée de remplacer la muraille avec ses petits bras, comme le dit si bien Jill. Même s'il est vrai que l'idée de rester jours et nuits sur place n'aurait sans doute rien de bien épanouissant. Peu importe. Parce que sur son impulsion, le sujet dévie bien vite sur ce fameux concours d'urine dont parlait l'ancienne flic. Et elle le regrette tout aussi tôt.

Elle essaie de participer, la nippone. De ne pas briser l'ambiance en se montrant imperméable à l'humour étrange des occidentaux. Alors oui, elle rigole. Mais jaune. De manière presque mécanique, et largement forcée. « Si je joue à l'urine avec vous, on pourra dire que... » La plaisanterie sonnait mieux dans sa tête. Elle regrette déjà ce coup de folie. « Que... » Son visage se teinte d'une jolie couleur cramoisie. « Non, rien. » Elles peuvent peut-être passer à autre chose, là ? Inutile de s'attarder sur ce gros blanc. Et c'est précisément à cet instant que le talkie crachote et annonce la présence d'une menace dans les environs.

Sauvée par le gong !

« C'est le bingo ! » claironne Sun. D'une manière toute nippone. Avec un demi-sourire à peu près expressif. Et la voici qui s'empresse de monter dans la jeep. À l'arrière. Et au milieu. Parce qu'elle a besoin de regarder la route pour ne pas être malade, la prof' de Kendo. Même si elle ne l'a jamais dit à personne. Alors c'est donc le regard rivé sur la route qu'elles empruntent qu'elle se joint au débat renouvelé de la muraille. « Je suis japonaise. » indique-t-elle laconiquement quand Jill évoque la Chine. Ca ne le concerne pas, tout ça. « Mais de mémoire les mongoles se sont simplement contentés de contourner la muraille, au final. Ils se sont donnés beaucoup de mal pour pas grand chose. » Elle peine à accorder du crédit à l'Empire du Milieu. Et oui, les choses seraient bien plus simples si les conflits pouvaient se régler grâce à des duels. Mais l'honneur est une denrée rare, ces temps-ci. « La façon dont on gagne une guerre est importante, May. » indique-t-elle ensuite à Cendrillon. Toujours sur ce ton neutre, dénué de reproches mais également de chaleur. « Ou du moins, ça devrait. » Mais rares sont les personnes qui accordent encore de l'importance aux règles, là encore. La fin semble justifier les moyens.

Arrivées à proximité du Safeway, le trio marque un temps de pause sous le couvert des bois proches. Sun descend du véhicule et observe les environs de ses jumelles. Elle hoche la tête pour répondre à la question de Cendrillon. « Un instant. » souffle-t-elle en balayant le bâtiment du regard. Elle baisse ses lunettes lorsque May lui indique qu'il faut observer les toits. « Ah oui ? » Elle n'est pas née de la dernière pluie. C'est un peu insultant de recevoir des conseils pareils. Mais Sun ne s'en offusque pas plus que de raison et glisse les jumelles à Jill pour qu'elle puisse également y aller de sa petite observation. « Une sentinelle sur le toit. Peut-être deux. Je n'en suis pas sûre mais il me semble que ses lèvres bougeaient. » La preuve que le garde parlait avec un camarade ? La nippone fait sauter le barillet de son six coup et le fait tournoyer avant de le remettre un place d'un mouvement du poignet. « On leur laisse une chance ou on nettoie la zone directement ? » Elle suppose qu'ils peuvent oublier ces duels qu'évoquait Jill tout à l'heure.

La nippone observe ses deux camarades sans se faire trop d'illusions sur la réponse qu'elle obtiendra. Le talkie crachote à nouveau. Mais contrairement à la dernière fois, ce n'est pas la voix de Lenore qui s'en élève. Ce nouveau timbre est inconnu. « Bonjour ? » C'est trop mielleux. Trop assuré. « Vous n'auriez pas égaré quelque chose ? » Aucun doute sur le fait qu'il fasse référence à Lenore, et à ceux qui l'accompagnaient. Ce que Sun retient de tout ça ? Ce n'est pas qu'elle risque de perdre des camarades. Sa considération est plus tactique : ils n'ont plus l'avantage de la surprise et, dans l'immédiat, du nombre.

- Et bah s’ils contournent la muraille, il nous restera plus qu’à leur botter le cul, rétorqué-je en haussant les épaules.

Les références en histoire sont limitées – ai-je déjà dit que je n’étais pas une excellente élève à l’école ? – alors je n’ai pas de quoi tenir la répartie avec Sun. Qu’importe, puisqu’on est maintenant à portée de jumelle et qu’il est maintenant possible d’avoir un peu plus d’information. Potentiellement deux personnes sur le toit. Quant à savoir si on attaque direct, j’ai l’intention de contacter Lenore sur le sujet, mais elle me prend de vitesse…

… ou non. Ce n’est pas mon ancienne coloc’ qui parle, c’est une jeune personne au ton mielleux qui joue la carte de l’assurance. Je lève une main en direction de mes partenaires pour leur signifier de ne pas réagir, ni répondre à ma place. Surtout May, parce que je la sais sanguine et elle a un passif avec les voyous du coin. Moi, justement, ça me renvoie des années en arrière : quand j’ai eu affaire à mes premiers contacts avec de jeunes délinquants. Je m’empare donc du talkie, prend une inspiration, et ouvre les communications.

- Hey. Ici Jill. Je peux savoir à qui je parle ?

Il y a un moment d’hésitation, puis une réponse se faire entendre.

- « Zekke. »
- « Zekke » ? Cool comme prénom, dis-je non sans un sourire en coin.
- « Vous n’avez rien à foutre ici. »
- Je suis désolée, Zekke, mais avant d’essayer de trouver un terrain d’entente, j’ai besoin que tu me prouves que la jolie blonde à qui appartient ce talkie et son équipe vont bien.
- « Pourquoi je voudrais trouver un terrain d’entente ? »
- Hum… parce que je t’assure que tu n’as pas envie d’un terrain de mésentente avec nous, répliqué-je calmement.
- « Allez vous faire foutre. »

Ça se coupe là, mais je suis confiante en vérité. Il n’a pas la voix d’un tueur, il a la voix d’un poisson-ballon. Autrement dit, d’un gosse qui essaye de se faire plus gros et plus impressionnant qu’il ne l’est. Pendant le blanc qui règne, je me tourne vers mes partenaires, et particulièrement May.

- C’est un gamin. J’imagine de la même bande à laquelle t’a déjà eu affaire ? La blonde n’en a pas gardé un super souvenir d’ailleurs, pour l’instant, je reste ici pour communiquer. Mais vous deux, vous pourriez essayer de vous rapprocher discrètement : j’ai besoin d’un visuel plus précis.

Avant que les filles ne m’aient répondu, le talkie se rallume et j’entends Lenore. Elle n’a pas l’air trop bouleversée, seulement tendue – et ça se comprend.

- « Jill, on est ok. »

Pour l’instant…

« La façon dont on gagne une guerre? » Elle s'arrêta un peu pour observer Sun, l'espace d'une seconde, légèrement étonnée. « Faut-il prétendre que nous avons le choix? » Non parce qu'elle comprenait bien où elle voulait en venir. Aux yeux de la prodige des arts martiaux, cette mission de dernier recours était un signe de faiblesse - un échec, sûrement. Mais la blonde savait très bien que ce n'était qu'une arme de plus pour démonter la gueule de ces enfoirés - indirectement - une fois pour toute. Elle n'allait pas faire comme si la guerre laissait place à l'honneur et à la fierté, et qu'elles avaient le luxe de choisir comment gagner, parce que c'était complètement faux. Or, si Sun voulait croire le contraire, c'était son choix. May l'appréciait assez pour respecter sa vision des choses. Et Jill s'occupait d'envoyer une connerie pour déconner, de toute façon.

Cendrillon souffla du nez en riant, reprenant pourtant son sérieux assez rapidement pour se concentrer sur l'extérieur. Elle dévisagea Masako quand elle s'offusqua de sa question, se froissant un brin de son sarcasme. Après tout, elle ne voulait qu'aider ses copines, au final. « Je fais que prévenir. » lâcha-t-elle sur un ton peut-être trop sec. Et quand Sun confirma ses doutes, la petite grimaça, comme si la balle à son épaule lui chatouillait l'omoplate à nouveau. C'est à ce moment-là que la radio osa grésiller à nouveau - sauf que ce n'était pas Lenore que le trio pouvait entendre. Elle nota sans faute le geste de Jill, d'ailleurs, lui indiquant silencieusement de se taire avant de faire foirer sa tentative pour négocier, sûrement.

Et la conversation que sa pote avait avec Zekke lui donnait une très désagréable impression de déjà-vu, le pire. La main crispée sur son flingue, Liv portait attention à ce que Jill disait en même temps qu'elle balayait l'endroit de ses yeux bleus. Nul besoin de mentionner qu'elle n'avait pas envie de se faire prendre à nouveau par leur petit jeu à la con. L'adolescent venait de couper la communication, maintenant, tandis que la princesse soupirait. Est-ce qu'une seule putain de fois, une expédition pouvait se dérouler sans pépins? C'était trop demandé?

« Assurément.» répondit-elle immédiatement à Blair. « Les mêmes voix de gosses, les mêmes prétentions ridicules concernant leur territoire. » Elle secoua la tête. « Ils ne savent pas ce qu'ils font, c'est peut-être notre plus gros avantage. » ajouta-t-elle ensuite, non sans revoir le visage de cette gamine qu'elle avait froidement abattu, la dernière fois. Elle avait trouvé la mort en ne sachant pas ce qu'elle faisait, oui. Et Goldenberg se demandait soudainement si sa mort n'était pas ce qui motivait la troupe à les faire chier à aujourd'hui.

Lenore était en vie, au moins. C'était déjà ça. Liv hocha de la tête quand Jill partagea son plan. Le trio était effectivement aveugle, là, tout de suite. « Change de fréquence radio pour nous parler, du coup? » C'était plus une affirmation qu'une question, mais elle ne faisait que confirmer. Elle lança ensuite un regard à Sun - malgré leurs différences évidentes, elle était tout à fait à l'aise de s'aventurer plus loin avec elle. La demoiselle avait sa confiance. May leva son flingue devant elle, s'avançant aussitôt en suivant la lisière du petit boisé pour rester à couvert. Rapidement, elle nota une tête qui faisait les cents pas devant la porte principale du Safeway. Impossible de confirmer la présence de la sentinelle sur le toit, de sa position. Peut-être que sa vis-à-vis, un peu loin derrière, pouvait remédier à la situation. Elle plia les genoux, se recroquevillant dans la végétation en levant les cils vers les grandes fenêtre du commerce. Au moins trois autres têtes.

Elle se retourna, faisant le chiffre quatre avec ses doigts pour le signaler à Sun, qui avait le talkie. C'était définitivement le reste de la bande.

- Les choix existent toujours, May-kun.

Toujours. Parfois ils sont difficiles à discerner, et parfois ils semblent carrément absents. Mais il existe toujours plusieurs voies. La vie elle-même se résume à une succession de décisions. Ces dernières ont mené les trois femmes à survivre quand d'autres mourraient. Certains sont simplement plus faciles à faire que d'autres. Car ils coûtent souvent plus cher et exigent des sacrifices. C'est pourquoi certaines personnes se rabattent constamment sur la facilité. Et perdent leurs âmes dans le processus.

Quant à la remarque de Jill sur la muraille et le fait qu'ils n'auront qu'à combattre ceux qui la contourneront, Sun est plutôt d'accord. Il n'y a plus qu'à espérer qu'elle ne sera pas trop longue, alors. Car à ses yeux la promesse de l'action supplantera toujours celle de la sécurité. Ou que quelqu'un la fera exploser. Et non, ce n'est pas de l'humour.  Comme ça après la muraille de Chine, nous aurons la muraille déchirée. Là, par contre, c'était bien une plaisanterie. Un peu tordue voir carrément nulle, il ne faut pas se mentir. Mais Sun fait de son mieux...

Quoi qu'il en soit le trio se retrouve bien vite sollicité pour aller aider le groupe de Lenore. Et le temps de se rendre sur place, elles ne peuvent que constater que la situation a évolué. Et pas à leur avantage puisque les gêneurs repérés ont capturé leurs camarades. C'est ennuyant... Surtout d'un point de vue tactique. La présence d'otages complique les choses. Et la voix qui crachote bien vite dans le haut-parleur ne semble pas décidée à leur faciliter les choses. Quel arrogance. s'étonne Sun. Est-ce justifié, ou une simple tentative d'intimidation ?

La nippone est un brin perdue. Elle n'aime pas l'idée de tuer des enfants. Par définition, ils ne savent pas ce qu'ils font. Mais elle ne connait pas cette petite bande, contrairement à May. Elle a donc eu déjà affaire à ces gens-là ? Nous pourrions peut-être les raisonner ? propose-t-elle d'une petite voix, tandis que les deux autres conversent au sujet des mésaventures de May, et des similitudes entre les gamins qu'elle a rencontrés et ceux qui retiennent Lenore et son équipe en otage. En tout cas le plan que Jill finit par proposer lui convient. Elle occupera les gosses tandis que la blonde et elle se rapprocheront pour évaluer la situation. 了解した ! approuve-t-elle. Compris, pardon ! Il lui arrive parfois de mélanger les langues sans même s'en rendre compte. Mais ce n'est qu'un détail.

La voici donc qui s'élance en compagnie de May, profitant de la lisière des bois et de la distraction de Jill pour gagner du terrain jusqu'à leur bâtiment de destination. Le duo trouve un point d'observation et la blonde compte les adversaires visibles avant de lui indiquer un chiffre avec ses doigts. Quatre cibles. indique-t-elle sobrement, quoique avec une légère grimace. Elles ont l'avantage numérique et si elles ont l'effet de surprise, manquer l'un des adversaires pourrait bien signifier la mort de leurs camarades. À quel point tenons-nous à sauver Lenore et les autres ? se sent-elle obligée de demander à l'ancienne policière. Oui, comme elle le disait, tout est une question de choix. En tout cas si tu veux qu'on entre, il va nous falloir une diversion. Du genre efficace. Vraiment efficace. Parce qu'elles sont à quatre contre deux, pour l'instant. Et qu'elles n'ont pas non plus l'avantage de la hauteur. Elle se feraient tirer comme des lapins en s'avançant à découvert dans la configuration actuelle.

Mais elle ne se fait pas de soucis. Jill est une championne lorsqu'il s'agit de faire du bruit...