Je fronce le nez, alors que je détache la vieille affiche de la semaine dernière pour y accrocher la nouvelle. Comme d’habitude, aucune nouvelle. Pour Lukas ou pour moi. J’en profite aussi pour remplacer la sienne vu que, pour une fois, j’suis venue toute seule. Il était super occupé à préparer le renforcement de la barricade du rez-de-chaussée et j’ai pas eu envie de le péter dans son élan. Faut dire que ouais, on passe genre tout notre temps ensemble, alors c’est pas plus mal si, pour une fois, je fais un truc toute seule. Il est cool Lukas, du genre vraiment cool. Et en vrai, sans lui, j’suis pas sûre que j’aurais tenu bon ici ces dernières semaines. J’serais probablement rentrée en pleurant à Sanctuary Point, persuadée d’être capable de rien et que plus jamais je retrouverais Johanna ou les autres.

Mais là, à deux, on tient bon. Et y en a toujours un pour prendre le relai quand l’autre y croit plus. Oh, j’suis pas idiote, les chances pour qu’il retrouve sa famille sont à peu près aussi minces que les miennes. Encore que, eux au moins, ils étaient pas poursuivis par ces connards. Donc au final, j’dirais qu’ils ont probablement dû mieux s’en sortir.

Je griffonne la date du lendemain sur mon affiche, pour rappeler que je repasserais et j’ai un soupir avant de reculer d’un pas. « Mouais, bon, ça ira. » Et je me tourne vers le Store, prête à faire mon petit tour habituel. J’échange de la ficelle dont on a pas besoin contre des clous, je négocie pour un bouquin et je finis par me figer quand je vois deux types qui me sourient largement. « Hé, combien pour un petit tête à tête ? » Ils ont pas l’air bien vieux mais, comme à chaque fois que des mecs sont en supériorité numérique, ils se sentent plus pisser. Ouais, je la trouve cool cette expression.

Enfin bref. Je regarde autour de moi, prête à crier si besoin, mais je me rends compte qu’ils posent vraiment la question. « Pardon ? » Je les fixe, battant des cils. « Ouais… on t’avait d’jà vu au motel et euh, on sait que vous êtes bonnes. » Un coup de coup de coude de la part de son pote. « A ce que vous faites quoi. ‘fin t’es bonne aussi mais euh… » Ah putain, je suis tombée sur le duo de boulets. « Ouais ce qu’on veut dire c’est qu’on veut juste un petit coup vite fait ! Et on a de quoi payer hein ! C’est pas une arnaque ! » C’est bien ma veine tiens, faut que ça tombe quand Lukas est pas là. Remarquez, c’est ptet parce que Lukas est pas là qu’ils tentent leur chance. « Désolée, j’fais pas c’genre de trucs en fait les mecs. Mais j’ai entendu dire qu’il y avait deux filles à l’entrée qui étaient dispo. » Ptet qu’elles accepteront des têtes de con. Au moins, ils ont pas l’air méchants. Le plus petit des deux laisse échapper un soupir de déception et lâche, avec encore de l’espoir dans la voix. « Si tu changes d’avis tu nous dis hein. Promis, on te frappera pas ni rien ! Et on fera chacun notre tour. » Ouah, meilleur argumentaire du mooonde. J’ai quand même vaguement envie de voir si je pourrais les émasculer proprement. Ou salement. Bref, sont quand même particulièrement dégueu. Le pire, c’est qu’ils ont l’air persuadés d’être… gentils ? Ouais un truc du genre. Du coup, j’ai pas trop envie de chercher la merde, des fois qu’ils changent de stratégie d’approche. Je me retiens de lever les yeux au ciel et je me contente d’un sourire. « Ouais, ouais, j’ypenserais. »

Là, je préfère couper court direct et je fais demi-tour pour me perdre dans la foule. ‘fin, quand on a des cheveux roux, c’est pas le truc le plus facile à faire, j’vous le garantis. Et, forcément, ils me suivent. Bon, on va dire que c’est parce que j’vais en direction de la sortie hein. Je prends une grande inspiration alors que je m’arrête de nouveau panneau d’affichage, faisant mine d’être super concernée par ce qui se passe dessus. Et les ignorant autant que je peux. Nan mais, ça va le faire. J’espère. Y a intérêt.

Tariq est là ? Son regard clair avise le vendeur derrière son étale, qui la fixe longuement avant d'hausser les épaules. Elle sait, d'un regard, qu'il voit très bien de qui elle parle. Pour autant, il n'a pas l'air d'avoir envie de lui fournir une réponse. Elle se doute que l'information n'est pas gratuite, mais n'est pas forcément en position de troquer quoi que ce soit, surtout pas pour du vent. Pas passé depuis un moment, lâche finalement l'homme alors qu'elle fronce les sourcils. Merde, ça n'est pas pour l'arranger. Ce sale type n'a pas remontré sa figure depuis la dernière fois, Johanna sait pourtant qu'il ne s'attend pas à ce qu'elle ait survécu. Pourquoi tu le cherches ?

Ses yeux se perdent un instant dans le vide. Elle est à peu près persuadée que si elle répond qu'elle veut lui refaire le portrait, elle ne risque pas de s'attirer des faveurs. Pourtant, ses poings se serrent à peine y songe-t-elle, tandis qu'elle pince les lèvres ensuite. Elle force un sourire qui n'a rien de très sincère, mais qui maintient au moins l'illusion : J'aimerais lui poser quelques questions, si vous le croisez, vous pouvez lui dire que c'est urgent ? Demande-t-elle d'une voix d'ange. Il secoue la tête : Va voir vers le panneau d'affichage, tu pourras lui passer un message, de l'index, il lui désigne l'élément qu'elle a raté. Johanna a un soupir. Merci, fait-elle.

Elle s'y avance. Devant lui, c'est désert, et elle a le temps de parcourir les annonces, les photos abandonnées, les messages laissés à la va-vite. Tout ça lui rappelle évidemment le No Man's Land, on pourrait presque parler d'une autre époque. Mais au bout d'un moment, alors qu'elle anote un message à l'attention de Tariq, ses yeux glissent vers une feuille où elle reconnait l'écriture. La signature éveille en elle une impression de vertige puissante, d'autant plus en l'arrachant brutalement. C'est elle. C'est Abigail, elle en est persuadée ! La localisation d'un rendez-vous ? Elle fait volte face, revient vers son interlocuteur et lui plante le papier sous le nez.

Depuis quand ce message est là ? Fait-elle vivement, en s'imposant. Elle pourrait être encore plus près, mais se refuse à démordre pour l'instant. Johanna est trop proche de retrouver sa soeur pour laisser qui que ce soit lui dire non. Et son vis-à-vis a l'air de comprendre. C'est la gamine rousse qui vient constamment le poser ici, fait-il en essayant de la repousser poliment. Elle était là y'a pas longtemps, elle est partie, articule-t-il. Ou ? Dans quelle direction ? Lui a tout juste le temps de lui désigner une direction de l'index qu'elle fait volte-face et y court. Et alors qu'elle s'engage dans un couloir vers la sortie, elle appelle : Abigail !?

« Hé ! Attends ! On a pas fini de causer ! Sois pas vache ! » Ils sont sérieux là ? Ca y est, ça commence à bien me saaaaouler. Je regrette de pas avoir demandé à Lukas de venir avec moi, mais j’avais pas non plus envie qu’il croit que j’ai tout le temps besoin de lui. Faut pas déconner quoi. J’le vois déjà avec son petit sourire en coin et tout là. Pfeuh.

Bon, par contre, j’espère qu’ils vont pas se décider à me suivre, parce que ça risque de devenir vraiment problématique. Je grimace, alors que je me faufile comme je peux, les yeux rivés au sol, en espérant me faire suffisamment manger par la foule pour disparaitre. J’aurais dû prendre mon vélo, j’aurais pu m’enfuir plus vite. Erreur de débutante là. Un soupir, alors que je me retrouve dehors, les deux mecs toujours sur mes talons. Et j’attrape un caillou par terre, prête à leur lancer en pleine gueule si besoin.

Sauf que j’entends une voix. Une voix beaucoup trop familière pour pas que je me fige comme une idiote. J’ai rêvé, ça peut pas être elle. « Ah ! T’as changé d’avis ? T’es raisonnable alors ? » Je roule des yeux et je souffle un « fermez-là sérieux. Vous avez vraiment rien de mieux à faire que de harceler une gamine de 15 ans ? » Là, forcément, le plus vieux des deux s’fige. « Quoi, t’as QUE 15 ans ? » Un haussement d’épaules alors qu’ils se décomposent tous les deux. Ouais, ils se sentent cons mais là, c’est pas mon problème. Je les regarde même plus alors qu’ils bafouillent des excuses et que je me tourne dans tous les sens, cherchant une tête blonde qui, je le sais bien, sera que dans ma tête.

… mais non.

J’écarquille les yeux alors que je la reconnais. Je déglutis, alors que les larmes commencent déjà à déborder sans même que je m’en rende compte. « Oh putain, elle pleure, cassons-nous. » Y en a deux qui détalent aussi sec alors que je fixe la sortie. Et surtout la silhouette qui s’en détache. « Johanna ?» Un murmure à peine audible, totalement incrédule alors que je suis totalement incapable de bouger. Sans déconner hein. Un piano pourrait me tomber sur le coin du nez que j’arriverais même pas à faire un pas sur le côté. Déjà que je sais même pas comment je fais pour continuer de respirer. « Joe… » Un peu plus fort cette fois. J’espère qu’elle va m’entendre. En tout cas, on peut pas me rater. Je crois.

Tu te fais des films. Peut-être. Peut-être que ça n'est qu'un hasard. Pourtant sa main ne peut s'empêcher de serrer la feuille qu'elle a décroché, au point de la froisser. Elle n'en connait pas encore les mots par cœur, mais son palpitant s'accroche à ça comme une naufragée à sa bouée, dans l'espoir de trouver rapidement le rivage. Ce n'est pas elle. Et si ça l'est ? Et si c'est vraiment elle ? Tu te voiles la face. Tais toi... Grogne-t-elle en réponse, avant de sortir du Store.

Elle avise autour d'elle, à la recherche de ses longs cheveux roux. Elle a l'espoir de la voir comme ça, mais rien ne se distingue. L'urgence la fait bifurquer. Peut-être qu'elle est encore dans le coin. Johanna fait le tour rapidement, en essayant de l'appeler, de la voir. Abigail ! Sa voix porte pourtant, elle ne se donne pas assez, c'est ça ? Pauvre folle. C'est ce qu'elle est. Folle de croire qu'il y a encore une chance de la trouver en vie. Pourtant, elle en a vraiment besoin, c'est viscéral. Sa sœur, elle doit être seule depuis si longtemps, abandonnée, laissée pour compte.

Si personne n'est là pour prendre soin d'elle, qui le fera ? N'est-ce pas son rôle, à elle ? Seulement à elle ? Abi ! Sa voix ne porte plus, elle désespère. Le souffle court, elle sent les larmes lui monter aux yeux à l'idée d'être passée juste à côté d'elle sans la voir. Ce serait... Non, ça n'est pas possible. Elle se retourne alors et se fige soudainement. Dans le cadre d'une entrée, la silhouette fine de sa soeur. Est-ce une vue de son esprit ? Elle ne sait pas. C'est toi, articule-t-elle en avançant vers elle sans attendre.

Ses jambes la portent, son corps avec, mais Johanna ne se sent pas bouger. C'est presque au pas de courses qu'elle parvient au niveau d'Abigail pour la saisir soudainement par les épaules. La toucher débloque quelque chose. C'est forcément elle. C'est bien toi, tu es là ! Il ne lui en faut pas plus pour la prendre dans ses bras, la serrer avec force. Tu te trompes. Non, c'est impossible. Elle ne peut pas se tromper. Ce serait trop cruel, trop sadique. Je suis désolée d'avoir raté ton anniversaire ! Lâche-t-elle dans un sanglot étranglé. C'est absurde, mais c'est la seule chose qui lui vient à l'esprit. Tout ça pour la perdre encore.

Jamais. Plus jamais.

126 jours.

J’aurais aimé. Perdre le compte. Mais non. A chaque fois que j’ai ouvert les yeux depuis que le motel a brûlé, c’est comme si on me marquait de l’intérieur. Un jour de plus à passer sans Johanna. Sans savoir comment elle va, sans même savoir si elle est en vie. A avoir le cœur qui s’accélère en voyant une tête blonde au milieu de la foule. Et à faire avec la déception qui va avec.

Alors ouais, pendant une seconde, j’ai pas envie d’y croire. Parce que je vais encore avoir envie de pleurer. Je vais encore rentrer à l’appartement et me rouler en boule dans le canapé sans rien dire. Lukas commence à être habitué, ce sera pas la première fois. En général, il attend que ça passe, en me parlant de tout et de rien et plus d’une fois, il m’a lu un de ces bouquins assommants. Bon, en vrai, ils sont plutôt cools, mais je vais pas lui dire. Et il a une jolie voix en plus. Ce que je risque encore moins de lui dire.

Mais là, c’est différent. Y a un truc en plus. J’saurais pas dire quoi ou comment, mais c’est là. Bien là.

… c’est vraiment Johanna.

Et heureusement qu’elle, elle peut bouger. Parce que j’sens vraiment plus mes jambes. J’ai toujours du mal à croire que c’est bien réel, même quand je sens ses bras qui m’enlacent. Combien de fois je l’ai rêvé ce moment pour pas que ce soit une fois de plus ? Ptet qu’un jour, ce sera même la fois de trop. Si ça se trouve, en vrai, je vais entendre un bruit bizarre et me réveiller dans ma chambre. Et ce sera super moche, moi je vous le dis. Parce que ça a jamais été aussi vrai.

Je me sens trembler des pieds à la tête. « … t’es là pour de vrai ? » Un murmure, à peine audible cette fois. Parce que j’ai peur d’éclater en sanglots. Parce que c’est ma grande sœur. Et c’est quand elle souffle qu’elle est désolée d’avoir raté mon anniversaire, que je me dis que ça peut être vrai tout ça. J’veux dire, j’aurais pas pu rêver un truc pareil. Alors, mes bras passent autour de la taille de ma sœur et j’enfouis ma tête contre elle. « C’est pas grave. Les anniversaires c’est nul de toute façon. » Je commence à pleurer sans même m’en rendre compte. Toutes les larmes que je retiens depuis des mois, quand je m’étais promis d’arrêter d’être faible. Et je la serre de toutes mes forces, pour être bien sûre qu’elle disparaitra pas cette fois.

Je sais pas combien de temps ça dure, mais je sais que j’ai pas la moindre envie de lâcher. « Je suis désolée de t’avoir perdue de vue. » Des mois que ça me pèse fort sur le cœur, que j’y pense tout le temps. Si je l’avais pas perdue de vue, on aurait pu rester toutes les deux. Et c’est ma faute, j’ai pas su faire. J’étais un poids pour elles. Ca n’arrivera plus. Plus jamais.

Je finis par la relâcher. Juste un peu. Pour mieux la regarder. Et si j’ai envie de lui dire un paquet de trucs, en vrai, je me contente juste de la prendre de nouveau dans mes bras.

Elle serre contre elle Abigail fermement, un sanglot lui échappe à nouveau alors qu'elle cale sa tête contre son épaule, le nez dans son cou. Ses longs cheveux roux ne la dérangent même pas, Johanna n'oserait pas s'en plaindre. Si c'est son esprit qui lui joue des tours, cet instant semble la combler cent fois trop qu'elle ne pourrait pas envisager le déchirement que ça serait de la perdre encore. Elle ne peut pas se réveiller maintenant. Elle ne peut pas, parce que cette étreinte est trop vraie pour être irréelle, justement, et qu'il n'y aura rien pour lui faire plus de mal que ça.

Je suis désolée, articule-t-elle de concert avec sa sœur. Elle n'ose pas la relâcher, sans doute parce que ça impliquerait prendre le risque de la perdre. Impensable. Elle encaisse les pleurs de sa cadette, sans sentir les larmes rouler sur ses joues. Elles ne s'écartent l'une de l'autre que pour se regarder et réaliser que c'est vrai. Du pouce, Johanna essuie quelques sillons humides sur les pommettes d'Abigail et lui offre un sourire. Un bref rire lui échappe. C'est vrai alors ? C'est vrai ! Je t'ai cherché partout, j'ai attendu des jours dans l'abri de Zoey, mais tu n'es jamais arrivée, et j'étais malade, explique-t-elle.

Elle ne peut s'empêcher de s'excuser encore, alors que ses larmes redoublent de son côté. Elle a la gorge serrée par l'émotion et plus encore, par la peur de ne pas être comprise. Elle n'est pas une mauvaise sœur ! Mais une mauvaise personne. Oui, peut-être. Pour Mary-Abigail pourtant, Johanna redouble d'attention, d'effort, parce qu'elles sont les dernières l'une pour l'autre. Je ne savais plus comment faire, j'ai retourné tout Seattle à ta recherche, j'ai craint que New Eden t'ait capturé, ça aurait été la pire configuration possible. C'est Hope qui m'a dit que tu t'en étais sortie, puis... Puis j'ai rencontré un homme, Winston, qui m'a expliqué que tu étais partie avec d'autres gens, ajoute-t-elle.

Un autre sanglot qui secoue ses épaules, elle a du mal à se remettre sur les rails, à ne pas se laisser emporter. Les murmures sont devenus des chuchotements entêtants, mêlés à l'émotion qui lui étrangle la gorge, elle a du mal à réfléchir, à savoir qui écouter. Ses petites voix internes ont dans l'idée de l'assourdir à l'évidence. J'aurais dû rester avec toi, je suis désolée ! Souffle-t-elle simplement... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Personne ne t'a fait de mal, n'est-ce pas ?

Je me dis que si je continue de la serrer de toutes mes forces, elle disparaitra pas. Jamais. Et j’aurais plus jamais à vivre sans elle, à devoir compter tous les jours sans avoir la moindre idée de ce qui a pu lui arriver. Mais là, au moins, il y aura pas de 127ème jour sans ma sœur. Ca me réchauffe le cœur comme pas permis, même si ça efface pas tout le reste et que quelque chose s’est quand même cassé pour de bon. Oh, pas mon amour pour elle, y a jamais rien qui pourra toucher ça. Mais qui je suis. Qui elle est aussi j’imagine. Ce serait logique.

Je finis par tousser un rire au milieu de mes sanglots, alors que moi aussi je lui dis que je suis désolée. « On va faire écho à force… » Et mes lèvres tremblent quand elle essuie mes larmes. J’essaie d’arrêter de pleurer, même si c’est difficile. Et, quand elle me dit où elle m’a attendue, ça me fait encore plus mal. « … oh non. Je… je t’ai attendue au bar. J’étais avec Lex. On est restées aussi longtemps qu’on a pu, mais les New Eden étaient là. Ils ont essayé de lui faire du mal. J’ai dû en tuer un et… » J’arrive même pas à finir ma phrase parce que j’ai le souffle coupé et les yeux écarquillés, comme à chaque fois que je repense à cette nuit et aux jours qui ont suivi. On aurait dû réfléchir à un vrai point de chute, à un endroit où se retrouver. On a trop fait confiance à la chance et à cette pensée que jamais rien pourrait nous séparer. Mais ça n’arrivera plus.

Je la serre de nouveau contre moi avant de secouer la tête. « Nan, ils m’ont pas eue. J’ai eu tellement peur qu’ils t’aient fait du mal aussi. » Je bats des cils avant de la regarder longuement. « Hope va bien ? Elle s’en est sortie ? » J’me sens soulagée malgré tout. « Kaycee va bien aussi. J’sais pas pour les autres… » Je me mordille la lèvre, chassant quelques larmes qui continuent de rouler avant de hocher la tête quand elle continue. « Ouais. Winston. Il vivait à l’hôtel. Le euh… Moonshiner. Lex m’a emmenée là-bas. On est restées quelques jours avant de tout cramer et de partir au sud vu qu’on avait plus de nouvelles de personnes. » Je me sens coupable maintenant et je souffle, dans un murmure. « Je savais que t’étais vivante. J’aurai dû rester pour te chercher. Je… » Et je ravale le gros sanglot qui me vient. « … pardon Joe. Je t’ai laissée là-bas. »

Mais elle est là. Bien là. J’essaie de m’y raccrocher comme je peux. « T’as fait comme t’as pu. Tu… c’était tellement le chaos cette nuit-là… Comment t’as réussi à t’en sortir ? » Et je lui attrape la main, me refusant à la lâcher, alors que je me dis qu’on devrait ptet pas rester plantées là au milieu du chemin. « Je vais bien. Promis. J’ai eu de la chance. Faut pas t’inquiéter, d’accord ? » Et je prends une grande inspiration. « Je te raconte, si tu me racontes. Tu viens ? On peut prendre à manger, sur le toit. T’as mangé ? » Elle a l’air d’avoir maigri non ? Et son regard, il a quelque chose de différent. Mais c’est pas grave. C’est Johanna. Ma Johanna.