Elle va bien, elle est partie avec les hommes du camping... Elle hoche la tête pour lui répondre, n'ose pas lâcher sa sœur pour autant. Le fait est que ça parait encore surréaliste, et Johanna tremble que ça soit un tour de son esprit malade. Elle déglutit péniblement, une vague pensée pour l'actrice qu'elle balaie ensuite de plus belle : Et Alba, ainsi qu'Amalia, je les ai retrouvés à Olympia il y a quelques jours, explique-t-elle dans la foulée. C'est pour ça que son nez est encore un peu gonflé, qu'elle a une marque de bleue sous la paupière gauche. Un vilain coup, pas mérité, mais ça n'est pas bien grave.

Sans Isha, la survie est de toute façon beaucoup moins facile. Elle se débrouille comme elle peut, vit sur les stocks qu'elle a fait auprès de The Haven, et qu'elle a laissé dans la Love Mobile, dans laquelle elle vit. Même si elle y meurt de fruit la nuit, au moins se trouve-t-elle à l'abri. C'est vivement que Johanna secoue la tête pour répondre à sa sœur quand celle-ci s'en veut de ne pas l'avoir attendu : Non, ne t'en veux pas pour ça, tu as bien fait ! lui assure-t-elle. Surtout pas... C'était très dangereux de rester, les New Eden ont commis des horreurs, pas seulement au motel, ajoute la blonde fermement.

Elle ne veut pas avoir à se remémorer ces souvenirs, notamment parce que ça lui rappelle qu'elle a les mains sales désormais. Mais, elle préfère quand même éviter à Abigail qu'elle ait la curiosité d'aller voir. J'ai sauté sur le toit du bâtiment à côté et ensuite, je suis restée cacher avant de descendre et m'enfuir, souffle la blonde avant d'esquisser une petite grimace de circonstances. Elle a failli se vautrer, y perdre une cheville. J'ai trouvé la première bouche d'égout à portée et je n'ai pas hésité plus longtemps, il fallait partir au plus vite et au plus loin possible, inutile d'attendre que ces hommes lui mettent la main dessus.

Un soupir lui échappe. Voilà qu'Abigail se fait du souci pour elle maintenant. Elle ne s'est pas croisée dans un miroir depuis un moment, sans doute... La Love Mobile n'en a pas. Je... Oui, j'ai mangé... Je reviens de chez les Haven, les relations d'Oxy ont... Prononcer le nom de l'ukrainienne lui donne soudainement mal au ventre. Elles sont toujours d'actualités, renchérit-elle rapidement en suivant la jeune fille où elle le dit. Elle est fébrile, ne sait pas si c'est vraiment une bonne idée. Tu vis ici ? Demande-t-elle alors. Pour savoir si elle est passée de nombreuses fois à côté d'elle sans jamais la voir.

Je bats des cils, avant de tilter de qui elle parle. « Elle… tu les as vus ? Tu as… Milow va bien ? » Je la fixe, essayant de pas trop espérer pour rien. Mais si je l’ai retrouvée elle, c’est que tout est possible non ? Mon regard s’illumine un instant quand elle me dit qu’Amalia et Alba vont bien. « C’est vrai ? Oh c’est super… comment elles vont ? » C’est là que je tilte sur son état et que j’effleure doucement la marque sous sa paupière. « Ca vient d’où ça ? » D’une voix plus douce, inquiète, alors que d’un coup, j’ai encore envie de pleurer sur ce qui a pu lui arriver.

Je me mordille la lèvre quand elle continue, hochant la tête. J’me sens quand même toujours coupable de pas l’avoir cherchée assez. Mais elle est là, entière et je pourrais ptet la protéger maintenant. Ouais, je sais, j’suis pas très douée pour ça et j’ai déjà du mal à me protéger moi-même. J’essaie de me raccrocher au fait qu’on soit toutes les deux là, toujours en vie. Avant de souffler, à mi-voix. « Et… tu sais pour papa ? Ou les jumeaux ? » J’me sens un peu monstrueuse de pas avoir pensé à eux tout de suite, mais ils faisaient moins partie de ma famille que les autres quelque part. « Les New Eden… ils ont fait quoi à Seattle ? » J’ai envie d’une réponse à cette question ? Je sais pas trop.

Et je l’écoute, alors qu’elle me raconte comment elle s’est enfuie. « T’as bien fait. T’as trop géré Joe. Moi j’ai surtout eu de la chance. » Et je la serre une nouvelle fois contre moi. Je fronce le nez alors qu’elle prononce le nom d’Oxy. Et ça fait toujours aussi mal en vrai. Je sens mon cœur se faire plus lourd, mais je m’efforce de sourire. « Okay, c’est bien. J’ai… j’ai croisé un de leurs médecins. J’dois aller les voir. Pour travailler avec eux de temps en temps et avoir de quoi manger aussi. » Comme ça, je suis sure d’avoir toujours un point de chute et des réserves. Je serre sa main pour la rassurer. « J’habite pas loin ouais. J’me suis trouvé un appart pour me cacher. Et je l’arrange pour que personne me trouve. » Je l’entraine sur les toits et je la relâche juste pour négocier deux bols de ragoût contre les piles et les herbes que j’avais apportées.

Et je tends un des deux bols à Johanna avant de m’assoir sur le rebord. « J’ai cherché un coin où je pouvais être tranquille. Et où je pourrais venir souvent ici. J’voulais te retrouver, mais je savais pas par où commencer. » Je fronce le nez, avant de reprendre. « J’me suis trouvé un genre de coloc. On s’entraide pour pas tout faire tous seuls. » Et je continue sur ma lancée. « Mais maintenant, t’es là. Tu vas venir avec moi et t’auras ta chambre et tout. » Et on se quittera plus jamais. Je veux plus jamais passer autant de jours sans la voir.

Il va bien, fait Johanna au sujet de Milow, qu'elle a vu lors de son séjour chez les hommes du camping. Là-bas, elle avait pu se remettre de sa grippe, ou sa pneumonie, elle ne sait même pas ce qu'elle a attrapé. Vivre avec les rats pendant des jours, dans le froid et l'humidité, ça n'est pas pour aider évidemment. A se demander comment faisait Zoey quand elle y était tous les jours. Un soupir échappe à la blonde, qui se redresse légèrement : On pourra aller les voir, si tu veux... Alba et Amalia. Elles sont dans le coin justement.

Mais elle n'insiste pas, c'est à la convenance de sa sœur. Elle-même n'est pas partie vivre avec elles de toute façon, pour une bonne raison. Elle les aime énormément évidemment, mais c'est surtout que son indépendance l'a fait grandir. Isha l'a faite grandir. Elle ne se voit plus refaire partie d'un girl club de la même manière, ni même d'aucun groupe à dire vrai. Pour prendre le risque de les perdre encore et d'en souffrir comme jamais ? Très peu pour elle. Elle doit se concentrer sur ce qui compte vraiment...

Non... Non, je ne sais pas pour eux, je ne sais pas où ils sont, admet-elle finalement au sujet des jumeaux et de leur père. Elle pince les lèvres, hausse les épaules : Papa était dans un groupe avec des gens mais je n'ai pas son adresse et je n'ai pas cherché à savoir non plus... De toute façon, lui ne nous a pas trop cherché, renchérit elle dans un soupir. Comme d'habitude, à croire que les adultes sont voués à être décevant. Il a probablement des circonstances atténuantes, mais Johanna n'a pas envie de les entendre alors qu'elle a failli mourir bruler vive. Pour changer, ajoute-t-elle.

Elle détourne néanmoins les yeux. Parler du No Man's Land lui donne l'impression d'y être encore. Ils... Ils ont... Ils ont mis des croix, ont accroché des gens dessus qui ne voulaient pas les rejoindre... explique-t-elle avec des mots dilués. Elle n'y a pas trouvé le corps d'Oxana. Heureusement. Le No Man's Land est une place d'exécution, ajoute-t-elle simplement en haussant les épaules. Johanna aimerait faire comme si ça ne la touchait pas. Mais ça n'est pas vrai. Elle ne peut pas rester insensible à tout ça. Un colocataire ? Qui est-il ? Il vit avec toi ? Demande-t-elle en fronçant les sourcils. Tu voudrais vraiment que je vienne aussi ?

Milow va bien. D’entendre ça, ça me réchauffe le cœur. Et j’suis soulagée qu’il ait pu s’en sortir lui aussi. Je hausse une épaule quand elle évoque les filles, avant de répondre, avec une moue. « Ouais, on pourra. Enfin, plus tard quoi. » Là, j’ai juste envie de retrouver ma sœur. Et, je saurais pas dire pourquoi, mais j’me sens plus de faire comme avant. Y a un truc qui s’est cassé cette nuit-là et qui a creusé un gros trou tout autour de moi. Sauf que ça me protège un peu maintenant et je suis pas prête à laisser trop de nouvelles personnes franchir cet espace.

Johanna, c’est différent. Ca l’a toujours été et ça changera jamais. J’me rends bien compte que, même si elle a changé aussi, pour la première fois depuis des mois, j’ai l’impression d’arriver enfin à respirer correctement. Et, quand on parle de papa ou des jumeaux, j’ai une grimace avant de piquer un peu du nez. « Pas comme si on avait vraiment espéré que ça change hein… » Bah, c’est pas vraiment important finalement. On a plus besoin de lui depuis des années et ces derniers mois ont fait que le prouver un peu plus. J’aimerais bien qu’il ait rien, même si ça voudrait dire qu’il a pas fait d’effort pour nous.

J’essaie de chasser cette couche de tristesse qui s’ajoute déjà à une montagne bien trop grosse pour moi, avant de me figer quelques instants quand elle parle du No Man’s Land. Alors ouais, j’aurais pas dû poser la question si je voulais pas de réponse qui risquait de pas me plaire. Mais c’est encore pire que ce que je pensais. « Des croix… » Murmuré alors que je me mordille la lèvre. Une place d’exécution. « Et le motel… tout a brûlé ? » J’ai les larmes aux yeux une fois de plus, avant de finir par secouer la tête.

Et je préfère me concentrer sur Lukas. « C’est un gosse comme moi. Il a perdu sa famille avec la chute de Seattle. On s’entraide comme on peut. Au moins, on est pas tous seuls et ça évite d’avoir des problèmes quand on tombe sur les mauvaises personnes. » Une grimace alors que je repense aux deux abrutis. « Il s’appelle Lukas. Je te le présenterai. » Par contre, au reste, je fronce les sourcils. « Pourquoi j’aurais pas envie que tu viennes Joe ? » Et là, mes yeux s’embuent de plus belle. « Je… j’ai compté chaque journée où j’ai été séparée de toi. Je… sans toi, j’avais l’impression que… qu’il me manquait un bout de moi. Je veux plus te perdre. » Je repose ma gamelle, l’estomac noué. « J’veux plus te perdre. » Ouais, je me répète, mais ça tourne tellement en boucle dans ma tête que j’ai l’impression que je vais exploser. Et je cache mes mains pour pas qu’elle voit que je tremble, juste à cette idée.

Oui, tout a brulé, souffle-t-elle en réponse à sa sœur au sujet du motel. Aucune raison de s'attarder là-dessus, c'est un chapitre qui prend définitivement fin, qui n'aura plus de suite. Le temps d'Oxana est révolu, elles sont livrées seules, à elles-mêmes, sans la protection de l'ukrainienne. Mais son enseignement ne sera jamais perdu, et ça, Johanna en a parfaitement conscience. Elle a un soupir peiné évidemment. La blonde lui manque affreusement, malgré les difficultés à lui parler parfois. C'est peut-être ça qui lui manque, finalement. Johanna préfère ne pas y penser néanmoins.

D'autant plus qu'Abigail renchérit. Pourquoi n'aurait-elle pas envie qu'elle reste ? Elle ne sait pas trop. L'espace d'une seconde, Joe hésite, un peu dépassée. Sans doute est-elle un poids. Elle se rend compte que sa cadette s'en sort sans elle, elle a réussi en quelques mois à trouver des alliés, un colocataire, plus vite qu'elle qui a choisi la voie de la guerre malgré tout. Elle craint de l'éclabousser avec tout ça, mais ne peut se résigner à l'abandonner : Je ne veux plus te perdre non plus, Abigail, plus jamais, souffle-t-elle en se rapprochant encore une fois, venant la serrer fort contre elle.

Je t'aime, c'est bien là sa seule certitude.

FIN