Faisant mine de réfléchir, Layla savait déjà depuis longtemps qu’effectivement l’attitude de l’Américain avait jouée pour beaucoup dans leur relation des tous débuts. Ces piques, cette fierté, cette obstination, mais toujours dans le respect, oui Jeremiah ne s’était jamais dégonflé ou aplatie devant. Pour autant, il ne l’avait jamais flatté comme un toutou obéissant et docile. C’est ce qui l’avait complètement charmé. Quelqu’un qui lui tenait tête et qui n’était pas intimidé.

- Indubitablement. Lui répond finalement la jolie brune d’un ton malicieux. Aucun doute là-dessus.

Cela manquait un petit peu à l’intendante à dire vrai, ces petits échanges piquants. Ils reviendraient très certainement, simplement que les derniers événements les avaient rendus plus sérieux, plus avides de moments calmes. Jamais ils ne pourraient chasser cette dynamique entre eux, par moment cependant, ce serait plus doux et c’était là toute la normalité d’une relation.

Sortie de ses pensées par le commentaire de Jeremiah, l’Anglaise arquait un sourcil. Surprise et amusée, il était agréable d’entendre ce que venait de lui confier son homme. Passant tendrement une main dans la tignasse dorée du garde forestier, Layla pensait aussi apprécier la personne qu’elle était devenue à son contact. Il apaisait ses démons, l’avait rendue plus débrouillarde, plus forte même, mais avant de pouvoir le verbaliser à son tour, un raclement de gorge indiquait que celui qu’elle aimait avait quelque chose à ajouter.

Pinçant les lèvres pour ne pas laisser cet immense sourire amusé se dessiner sur son visage, la Britannique feignait l’incompréhension, simplement pour taquiner Jeremiah. Elle le savait peu à l’aise pour ce genre de… déclaration, pour ce genre d’attachement tout court même.

- Je… je ne suis pas certaine de comprendre ? Fit-elle avec son plus bel air innocent, malgré ses yeux rieurs.

Juste pour le pousser un peu dans ses retranchements à son tour, pour gratter un peu ce vernis, faire tomber de nouvelles défenses s’il l’acceptait.

- Effectivement, nos premières bouteilles d’hydromel. Je crois que Valentine pense se lancer un peu plus amplement dans la production cependant. Nous profiterons de son savoir-faire.

D’ailleurs, en mentionnant May, impossible visiblement de ne pas mentionner ce baiser du Nouvel An.

- Est-ce une petite pointe de jalousie que je détecte chez vous, Mister Bishop ? Il ne lui semblait pas de ce bois, du moins pas pour un stupide gage entre amies.

Levant le menton en feintant une fierté de coq, il la rabaisse bien rapidement à hauteur de la jeune femme, ne voulant pas trop jouer ce rôle ce soir. Tout ce qu’il veut c’est oublier et l’intimité du salon lui en offre mille occasions. Sa fausse incompréhension ne prend d’ailleurs pas davantage mais c’est pour ça qu’il l’aime non? Pour son côté piquant, pour cette facette joueuse qu’il avait tardé à découvrir et que leurs multiples échanges houleux avaient fini par laisser apparaître, celui-là même qui l’avait conduit à se montrer plus entreprenant, y voyant une ouverture, tout à fait justifiée finalement. Son intelligence, la droiture dans laquelle la belle se préservait mais partie intégrante de sa personnalité. Layla était tout un tas de femmes en une, plus le temps passait et plus il tombait pour chacune d’elles. Mais c’était naturel de le penser, beaucoup moins de trouver les mots pour le lui avouer à haute et intelligible voix. Et elle le savait. “Tu aimes juste me voir ramer” botte-t-il en touche. Parce que c’est exactement comme ça qu’il se sentait, lui, à la verve légendaire mais pas foutu de poser des mots sur son ressenti réel. Se rapprochant, une main vient prendre en coupe sa joue, son pouce s’attardant sur sa peau. “Tu sais ce que je serai prêt à faire pour toi” Et s’il l’ignorait, c’est qu’il était encore plus naze qu’il le pensait.

Prenant une autre gorgée d’hydromel, il acquiesce légèrement, comme pour approuver cette expérience salutaire. À la mention de la Française, un sourire moqueur et un léger rire passe la barrière de ses lèvres. “Ça la détendra peut-être” souffle-t-il, si tenter que ce soit son poison. Sympa les soirées chez la patronne. Il les imaginait aisément se défier à un concours de sourire, la première qui perdait de corvée de vaisselle. L’évier devait regorger de détritus. Non, en fait, il ne les imaginait pas, parce qu’il n’en avait rien à foutre, parce que son attention est accaparée par deux prunelles à la couleur particulière et envoutante.

Et son sourire ne fait que s’élargir à la mention de leur amie commune. Du moins celle de Layla plus que la sienne. “Bah… en tout bien tout honneur, elle est quand même dans la moyenne haute, physiquement parlant.” Genre, très très haute. Pas besoin de jouer les hypocrites, May était canon, point. “Mais non, ce n’est pas de la jalousie Miss Jones…” commence-t-il en se rapprochant encore, ses lèvres visant le cou de cette dernière. “Il y a tout un tas de choses qui me sont passées par la tête en vous voyant mais pas la jalousie, et tu n’as pas envie que je les énumère” glisse ce dernier en ponctuant chaque portion de phrase d’un nouveau baiser. Inspirant son odeur, il s’écarte légèrement pour reprendre un peu de boisson, haussant les épaules. “Bon si tu te mettais à embrasser toutes tes copines je commencerais sans doute à m’inquiéter mais j’veux dire, c’est pas comme si t’avais déjà bécoté Arizona ou Maddie ou…. enfin tes autres amies quoi.” Parce qu’il ne les connaissait pas toutes. Ils n’étaient pas vraiment du genre brunch du dimanche, belote le mardi soir et dîner à quatre une fois par mois. Tant mieux d’ailleurs.

Faisant mine de réfléchir, Layla affichait rapidement une moue innocente en hochant de la tête.

- Oui, c’est très amusant. Avouait la jolie brune sans même feindre le contraire.

Les mots étaient ce qu’ils étaient. Les actions elles, étaient bien plus parlantes à ses yeux. Encore plus ces dernières années. Toutes les fois où ils n’avaient pas baissé les bras, où ils n’avaient pas choisi la facilité, où ils avaient choisi de se retrouver… Les mots avaient leur importance, mais parfois ils étaient superflus. Comme ce soir, alors qu’il était venu directement la trouver, préférant jusqu’à prendre une douche ici, plutôt que de le faire chez lui.

Appuyant un peu plus son visage contre cette main s’étant posée sur sa joue, la jolie brune souriait un peu plus tendrement, délaissant un petit instant cette étincelle malicieuse qui animait ses yeux rieurs. Jeremiah n’avait pas à se faire du souci, n’avait pas à se faire violence pour dire quelque chose qu’il n’avait pas envie de dire ou ne savait trop comment dire. Même l’Anglaise aurait bien du mal à verbaliser ses sentiments, préférant les nuancer que de faire de grandes déclarations. Et pourtant, il y aurait matière à faire ce genre de déclaration. La peur ? Les blessures ? Il y avait sans doute un petit peu de cela également.

Elle pouffait de rire au commentaire du grand blond sur Miss James. Il était vrai que la Française avait cette… froideur et cette intransigeance qu’il sous-entendait. Layla avait appris à composer avec, puis avait même pu voir la responsable plus vive, plus amicale par moment. Valentine ne feignait simplement pas ce qu’elle n’était pas et c’était très bien comme cela.

- Vrai que May est une femme magnifique. Soufflait Layla avant de prendre une gorgée d’hydromel.

Il fallait être honnête ici, mais il n’y avait aucune arrière-pensée. Ses amies étaient toutes des femmes magnifiques, fortes et résilientes. De dire que cela ne flattait pas quelque peu son égo serait faux. L’intendante était ravie d’avoir su s’entourer de femmes exceptionnelles, peu importe l’âge ou l’horizon professionnel.

Elle arquait bien rapidement un sourcil d’ailleurs, à la mention de ce « tout un tas de choses » que lui signifiait son homme des bois. Il était toujours flatteur de savoir que l’on suscitait le désir chez son partenaire. Pas qu’elle en doutait, mais… Tant mieux si elle hantait ses nuits. Son petit sourire enchanté faiblissait un tantinet lorsque Jeremiah mentionnait Arizona et ce qu’elles avaient pu… échanger. La jolie brune pourrait garder ce petit détail pour elle, après tout, cela datait d’avant leur rencontre, mais… Il était de ces rarissimes personnes qui méritait la vérité à ses yeux.

- Alors… Comment apporter les choses ? Il faudrait sans doute effacer ce sourire hilare de son visage, mais cela donnerait sans doute trop de sérieux à ce petit aveu. Après Miss… Votiakova, ce nom laissait une réelle trace acide sur sa langue, j’étais perdue dirons-nous. Je l’étais même bien avant cela pour avoir été avec… bref. Avec ce que j’ai vécu, puis l’infidélité que j’ai surprise, je n’étais pas au meilleur de ma forme. Au meilleur de mon estime. Je me sentais très seule, malaimée, impossible à aimer en fait et… Arizona et moi, après un nombre effarant de bouteilles, nous avons trouver réconfort dans les bras l’une de l’autre. Était-il nécessaire de préciser que rien ne s’était passé depuis ? Que même lors de cette nuit, il était clair entre elles qu’il ne s’agissait rien de plus ?

Il faut dire qu’elle redoutait encore maladivement les hommes à cette époque, mais paradoxalement, l’Anglaise savait qu’elle n’était pas spécialement attirée par les femmes, aussi belles pouvaient-elle l’être. Ça n’avait été qu’un besoin de se sentir désirée, appréciée, de trouver un moyen d’obtenir l’affection dont elle avait tant été privée.