- Et moi donc… je prendrai des bêtes de selfies, plaisanté-je au sujet du dernier Iphone.

J’éclaire toujours Zack, qui bataille avec ses outils, tout en m’expliquant la raison de notre présence ici. Au bout d’un certain moment, je suis même tentée de lui proposer d’enfoncer la porte, ou de déglinguer la serrure à coup de 9 mm, mais Sésame, ça s’est ouvert.

- Ok monsieur la pie, on va vous récupérer des jouets, je lui fais signe de s’écarter, j’y vais d’abord. Luke, avec moi.

Et Deb’ peut rester en retrait pour couvrir Zack, au cas où. Un coup d’œil à mon binôme, et je tire doucement le bâtant. Précédée par mon arme, j’avance précautionneusement dans un environnement qui PUE la charogne. Je ne vois rien pourtant au premier abord. On doit faire quelques pas dans la boutique, entre les guéridons et enjambant les écrans éclatés, pour trouver les trois mordeurs qui se décomposent ici depuis des années.

Ils sont dans un état de décomposition terriblement avancé mais n’ont pas le ventre crevé, comme l’essentiel des voraces qui se sont gavés jusqu’à littéralement se péter le bide. Impossible de savoir ce qui a tué ces gens, mais vu leurs vêtements et leur faiblesse extrême, j’estime leur transformation au début de l’épidémie. Les cadavres sont donc restés là, tout ce temps, sans rien à grignoter… c’est presque triste. Ils tendent pitoyablement les bras, ventousés au sol et aux présentoirs par la mélasse qui a suinté de leur chair putride.

- Trois rôdeurs, on s’en occupe, que je déclare à Zack et Deborah ; trois coups de couteaux plus tard, je me permets une petite remarque plus légère, j’espère que vous êtes à jour de vos vaccins, je suis pas sûre que respirer cette merde soit très recommandé.

Les corps ont quand même mijoté là pendant au moins six ans, sans autre aération que ce qui doit naturellement filtré par les grilles bouchées par la poussière et les crottes de souris. Non vraiment, question sanitaire, on n’est pas au max. A cause du rideau métallique baissé d’ailleurs, il ne fait pas spécialement plus clair alors, alors je reviens faire don de ma lumière au bricoleur.

- Y’a d’autres magasins à visite après celui-ci ?

Je relève la tête et je lui lance un regard en coin, alors qu’un sourire mutin se dessine sur mes lèvres. « J’ai aucun doute là-dessus. » Je réprime un ricanement alors que j’m’imagine deux secondes en train de prendre la pose et j’finis par ouvrir la porte avant qu’elle perde trop patience. Nan parce que, pas besoin de me dire quoi que ce soit, je sais quand les gens qui m’entourent commencent à vouloir arrêter d’faire dans le subtile pour tout exploser à coups de flingue, de hache ou j’sais pas quoi du même genre. « J’espère que c’était pas trop long pour toi Nanny. » Un clin d’oeil vers elle avant de hocher la tête au reste. « Cool. »

Deb’ me fait signe, son arme en main, alors que j’commence à évoluer à côté d’elle. L’odeur me prend direct à la gorge et, même si c’est pas la première fois que j’sens un truc aussi dégueulasse, c’est toujours aussi désagréable. J’ai une vague grimace quand j’vois les rôdeurs et j’ai quand même un temps d’arrêt. C’est pas souvent qu’on en voit d’aussi vieux. Enfin, perso, c’est pas souvent quoi. C’est limite hypnotique, surtout en voyant juste quelques morceaux à travers les faisceaux des lampes torches. Mais j’secoue la tête pour me remettre les idées en place, surtout quand ils sont rapidement mis hors d’état de nuire.

Ma lampe dans la bouche pour me faire de la lumière, je commence à désosser rapidement une télé éclatée et je récupère quelques composants avant même que Jill revienne vers moi. Je profite de sa lumière pour souffler en direction de Luke et Deb’. « Chopez-moi tout ce qui est rallonges, câbles et les boîtiers internet. Ce qui a pas été bouffé par les rats quoi… Les webcams aussi j’prends. » Je me focus déjà sur une nouvelle télé, alors que j’entends d’autres grognements un peu plus loin et qui semblent encore moins vivaces que ceux qu’elle vient de buter. « On dirait que les pourris avaient des potes. C’est souvent que t’en vois des comme ça ? » Je lance un regard curieux à Jill qui est clairement plus aguerries que moi dans les sorties du genre. « Sont moins dangereux que la version 2.0. » Deux petits clacs plus tard et j’ai attaqué une autre télé, faisant sauter les vis sans hésitation.

Et, à sa question, j’sors un bout de papier replié de ma poche. « Ouais le euh… Scott McLendon's Hardware. De ce que j’avais noté, faut redescendre la route principale qu’on a prise tout à l’heure. C’est genre à 300 mètres à vol d’oiseau. » Ouais j’avais quand même fait un minimum de repérage, je savais juste pas quel était notre point de départ.

L’équipe s’organise. Luke et Deb’ partent en quête de ce qu’a demandé notre Bob le bricoleur, moi, je guette toujours, lame en main. L’espace est assez dégagé pour voir venir, mais d’autres grognements se font entendre. D’autres mordeurs se cachent donc dans les parages, probablement derrière le comptoir principal – ça expliquerait pourquoi je ne les ai pas vus. Puisqu’il n’y a pas urgence, je prends le temps de répondre à Zack.

- Des mous comme ça, c’est assez rares. Faut vraiment qu’ils aient rien eu à bouffer pendant longtemps pour terminer comme ça…, d’un pas léger, mais non moins alerte, je prends la direction des bruits gutturaux, ce qui est bizarre d’ailleurs en un sens…

Ils sont là. Un couple de putréfié au visage entièrement décomposé. La peau s’est détaché et disloquée, les yeux se sont ramollis, il ne reste plus qu’une face osseuse couverte par des restes de chairs noirs et gras. Aucun d’eux n’a la force de lever un bras en me voyant. Je les trépane avec tranquillité, puis reprend le fil de ma conversation.

- J’veux dire… on sait qu’ils ne digèrent rien, ça a été prouvé, par les scientifiques du camp notamment, et par empirisme : leur estomac finit par être tellement rempli qu’il éclate, donc ils ne font rien de la bidoche qu’ils avalent, dans ce cas, pourquoi ne pas manger les rend amorphe ? C’est pas comme s’ils manquaient d’apports nutritifs…, j’essuie mon couteau et le range : cette fois, toutes les menaces sont écartées, c’est plus du comportementalisme alors : les rôdeurs reviennent avec une obsession, manger. S’ils ne peuvent pas assouvir cette obsession, ils perdent leur raison d’exister et se mette en sorte de veille…

Oui, j’ai potassé les rapports publics des laborantins quand j’ai pu. C’est mon côté enquêtrice ça, et aussi parce que c’est utile, une fois sur le terrain, de savoir à quoi tu as affaire. C’est d’ailleurs pour ça que le taux de mortalité relatif au morsures a drastiquement diminué avec les années : plus les gens apprennent le fonctionnement des voraces, plus ils savent s’en prémunir.

- Mais qu’ils aient un comportement spécifique qui ne sois pas que mécanique, ça veut dire que ça en fait une espèce à part entière ? Je divague à voix haute pour tuer le temps, pendant que le bricoleur s’amuse, bref, dès qu’on en a fini ici, on va voir le magasin suivant dans la liste, et je vais me mettre à fouiner aussi tien. Rallonge et box internet qu’il a dit ?

Ca m’épate toujours de voir comment ils sont rapides et organisés à chaque fois que je fais une sortie. C’est rassurant quelque part et on est bien loin du chaos dans lequel je me suis retrouvé à plus d’une reprise, que ce soit quand j’étais dans le groupe de mon frère ou quand je me baladais tout seul après, avec des compagnons occasionnels. J’lève à peine la tête pour voir Luke et Deb’ s’activer, mais c’est surtout ce que raconte Jill qui m’interpelle en vrai.

Je lève un sourcil dubitatif à ses paroles. « Bizarre ? » Je la suis des yeux, fixant les deux rôdeurs qu’elle bute sans qu’ils réagissent ou presque. Ils s’étaient vaguement aperçus qu’on était là, mais franchement, j’avais jamais vu ça en fait. Quand ils tombent au sol, y a une espèce d’odeur dégueulasse qui s’échappe d’eux et je fronce le nez avant qu’elle ne continue dans ses explications. J’fais sauter une vis dans sa direction pendant qu’elle parle. « Oups… » Bon, ça va, elle l’a ratée. En vrai, c’est surtout que je l’écoute avec tellement d’attention que je continue de bosser par réflexe, sans faire totalement attention à ce que je fais. « Mais du coup… ça leur apporte quoi d’bouffer ? Si c’est pas ça qui leur file leur énergie ? » Je tapote le téléviseur avec mon tournevis, songeur avant de reprendre mon boulot.

« Ce serait pas déconnant. » Qu’ils soient une race à part entière. « J’veux dire, avec les nouvelles mutations à la con-là. Ils évoluent. On dirait presque qu’ils… apprennent. » Ouais, ça fait froid dans le dos putain. « J’en ai quand même vu ouvrir des portes quoi. » Et je parle même pas de toutes les conneries que j’ai pu entendre à leur propos. J’ai eu du mal à faire le tri entre les rumeurs et la réalité vu tous les trucs improbables que j’ai pu entendre sur eux. Je me relève après avoir versé un paquet de composants dans mon sac à dos et je m’attaque aux ordinateurs avant de récupérer carrément un portable à l’écran explosé. Ca peut toujours servir et je vais pas passer une heure à le démonter.

Je lève un regard vers elle quand elle commence aussi à ramasser des trucs et, quand on a fini de tout ratisser, je lance un portable dans sa direction. « Tiens, pour les selfies. » J’suis étonné que ce truc ait survécu aussi longtemps mais, en vrai, pour prendre des photos si on arrive à le faire redémarrer, ça peut toujours servir. Finalement, quand je vois ce que tout le monde a réussi à trouver, je laisse échapper un petit sifflement satisfait. « Ah cool. Je pensais pas qu’on en aurait autant. Les gens ont tellement eu tendance à tout péter que je m’attendais à pire. » Faut dire que le magasin a eu l’air fermé super vite, ça doit pas mal jouer aussi. « C’est bon pour toi le bricolo ? On peut enchainer ? » Un hochement de tête en direction de Luke qui ouvre de nouveau la voie vers l’extérieur, non sans un panier chargé de tout le bordel qu’il a pu trouver. Ca a un côté improbable qui m’arrache un sourire. J’referme mon sac et j’fixe Jill avec un sourire en coin. « J’évite de dire les dames d’abord là hein… » Bon, on devrait pas en avoir pour bien longtemps en bagnole, même à faire quelques détours pour éviter les trous dans la route.

Qu’est-ce que ça leur apporte de bouffer ? Est-ce qu’ils « apprennent » ? Alors là, si on savait, j’imagine qu’on en serait déjà plus là aujourd’hui.

- C’est la question à 10 pots de miel ça, car oui, dans un monde où les billets de 10$ ne servent plus qu’à faire des origamis, je parie sur l’or des abeilles comme top monnaie, ceci dit, je commence à me demander si c’est pas un virus français… je veux dire : des créatures qui ne pensent qu’à bouffer, ça leur ressemble pas mal ! ricane-t-elle.

Et aller, on se met au boulot – enfin, on continue le boulot. Pendant un moment, on entend plus que les respirations, les reniflements et les articles qu’on décroche de leur support. MacGyZack semble au final plutôt content de la pêche et m’envoie même un smartphone, que je rattrape à la volée. Il est marrant ce gars, je l’aime bien.

- Je déconne pas, je vais en faire, des selfies, et plein ! Par contre, je le dis maintenant pour que vous n’ayez pas d’espoir, je regarde chacun de mes partenaires avec un sourire en coin, aucun de vous n’aura des nudes !

*

Nous voilà donc de nouveau en voiture, après avoir bien chargé ce qu’on a déjà trouvé. Le second magasin déjà, il donne un ton un peu différent. Il est plus grand, le rideau est à moitié levé et les portes vitrées ont été brisées. C’est évident que le passage a été forcé par d’autres personnes avant nous. A vue de pif, je dirais que ça date – ça ressemble au passage des gamins qu’on a pu observer dans d’autres enseignes de Belfair – mais on ne sait jamais.

- Ok… on va la jouer plus prudemment celle-là, encore plus je veux dire, Deb’, tu restes dans la voiture avec Zack. On y va d’abord avec Luke pour une inspection rapide : si c’est ok, on revient vous faire signe, je les regarde un part un, en attente d’une approbation, si jamais pour X raison vous avez un problème, vous avez le droit de vous barrer avec la caisse. On s’en sortira tous les deux, j’ai une œillade complice avec le rappeur : on en est clairement pas à notre premier rodéo !

J’ai un sourire amusé à sa répartie, avant de laisser filer un silence pensif. « Et à bouffer des trucs improbables. Ouais ta théorie est pas mal en fait. » En vrai, ça soulève tellement de questions que ça me filerait presque mal au crâne en vérité. D’autant que je vois pas du tout comment on pourrait avoir réellement des réponses. J’veux dire, les scientifiques peuvent élaborer un paquet de théories, mais je pense que les premiers à avoir foutu la merde doivent être pourris depuis un moment déjà. Ou en train de baver dans un coin de leur labo depuis 6 ans. J’vous dis pas l’odeur. Enfin bref.

Je lève un sourcil quand elle récupère le téléphone et je ricane même au reste de ses propos. « J’devrais m’en remettre pour les nudes. Même si ça doit valoir le détour. Par contre, je veux une photo duckface. En contrepartie pour le téléphone. T’en penses quoi ? C’est honnête non ? » J’suis même prêt à en faire une pour avoir cette photo qui vaudra son pesant de… pots de miel donc.

En tout cas, j’suis vraiment content de ce qu’on a pu récupérer. Et j’souffle, en direction des autres. « Je sais, on dirait un bon gros tas de trucs inutiles. Mais ça va vraiment pouvoir servir. » Et pas que pour que je m’amuse à jouer à l’apprenti sorcier-mécano. « J’fais pas que collectionner les trucs qui brillent, pas d’inquiétude. » Même si je commence à sacrément en accumuler mine de rien.

Nous voilà repartis en direction de l’autre magasin. J’espère que ça se passera aussi bien, mais quand je vois déjà la gueule des lieux, j’ai un vieux doute. Et, à entendre ce que dit Jill, j’suis pas le seul à imaginer que ce sera pas aussi simple. J’mime un salut militaire en réponse, soufflant un « compris patronne » avec un sourire, même si mon regard reste sérieux. J’vais pas jouer au con sur ce coup-là. Les portes claquent alors que Luke et Jill s’éloignent. Un regard en direction de Deb’, alors qu’on colle tous les deux notre visage sur les vitres, attendant de voir un signe de leur part que tout roule. Autour de nous, tout semble calme. Je sais que le ménage a été fait dans le coin. Pour autant, ça me rassure pas sur ce qu’ils peuvent trouver à l’intérieur. D’autant qu’en y regardant bien, le toit a pas l’air bien solide. Je fronce les sourcils, désignant l’arrière de la boutique à Deb’. « Tu trouves pas que ça bouge vachement ? Ou c’est moi qui hallucine ? » J’ai du mal à le dire vu d’ici.