Début avril 2022

C’est un peu après l’aube que Maeve pousse la porte de sa maison, essayant de ne pas faire grincer les gonds qui ont sérieusement besoin d’être huilés, se voulant la plus discrète possible. Mais évidemment, c’est sans compter la quadrupède qui complète le trio de la demeure qui fonce dans ses jambes à la recherche d’une attention qu’elle consent à lui offrir de quelques caresses rapides, retirant ses chaussures tant bien que mal alors qu’il la sollicite et manque de la faire chuter. Pestant intérieurement, elle jette un coup d’oeil au salon sur sa droite, désert à une heure si matinale. Sur la pointe des pieds, un petit sourire niais figé sur ses lèvres, elle prend la direction des escaliers. Le pied sur la première marche, du mouvement dans la cuisine lui signale que sa colocataire est déjà levée et elle freine son élan, bifurquant dans sa direction.

Si leur emploi du temps ne leur laisse que peu de moments amicaux, la relation nouvelle de sa meilleure amie avec Zack leur en confère encore moins. Non pas que la chirurgienne s’en plaigne, si ces moments lui manquent, ils sont moins primordiaux que le bonheur que celui de la militaire lui procure.

Un petit air bloqué dans sa tête qu’elle ne peut contenir, elle fredonne jusqu’à apercevoir Arizona et un sourire encore plus large fend ses traits. Ce n’est pas une attitude habituelle pour la quadragénaire, plutôt taciturne et résignée depuis de nombreux mois. Cette légèreté, cet enthousiasme contraste sincèrement avec sa mélancolie hivernale. Rompant l’espace entre elles, la doc passe une main dans son dos et dépose furtivement un baiser sur la joue de sa camarade dans un “Salut toi” avant de prendre appui sur le comptoir pour se propulser doucement sur ce dernier, assise à même le bois, jambes ballantes dans le vide. “Tu m’en sers un?” Demande-t-elle en désignant le breuvage de son amie. “Je meurs de faim” grogne cette dernière en espérant que son cher et tendre ait laissé quelques bons petits plats dans leur frigo. C’était un point non négligeable à l’affection indirecte que Maeve nourrissait pour le jeune homme. Ils se croisaient peu, se parlaient encore moins et les rares échanges entre eux avaient été régis par le sacro-saint dispensaire. Peut-être quelques efforts en ce sens seraient d’ailleurs à réaliser dans un futur proche. Après tout, il passait pas mal de temps ici et si elle devait le croiser régulièrement, autant l’apprivoiser un minimum. Et inversement. “Matinale pour la prise de fonction ou nuit de garde et repos bien mérité?” Et tandis qu’un petit sourire malicieux étire de nouveau ses lèvres, la doc penche le visage sur le côté, faussement suspicieuse. “Ou ton bellâtre ronfle encore dans mes draps?” Le possessif n’est là que pour souligner le non sérieux de cette question et non pour rappeler qu’elle est la propriétaire des lieux. Ari était autant chez elle ici que sa propre personne, c’était un acquis non négociable. “J’ai l’impression qu’on ne fait que se croiser depuis quelque temps, il va falloir remédier sérieusement à ça Winslet. Je vais réserver des créneaux rien que pour toi et moi et vais défier le premier qui s’oppose à ça!” Le menton haut dans un air altier qui ne lui sied guère, elle se permet de boire une gorgée de la boisson chaude de sa meilleure amie en attendant que la sienne soit prête.

Oui, de la légèreté, et toujours ce petit air en tête qui ne la quitte bien. Maeve semble heureuse, et ce n’était pas arrivé depuis trop longtemps.

“Ewww” grimace la quadragénaire à la mention des problèmes intestinaux du chien, avant de lui lancer un regard autoritaire, index levé dans sa direction. L’animal penche la tête sur le côté, oreilles dressées et la doc se contente de lever les yeux au ciel, abandonnant toute tentative dans un battement de cils. L’idée que sa meilleure amie quitte le camp pour une nouvelle mission en extérieur n’est pas pour lui plaire évidemment. Il y a toujours une angoisse associée, la peur de la voir passer les portes du dispensaire trop amochée pour qu’elle puisse lui venir en aide. Mais Maeve s’est résignée depuis le temps, impuissante quant à cet état de fait. Son attachement ne rend pas les choses aisées et sa position pas très enviable mais rien ne sert d’ajouter du poids sur des épaules qui en supportent déjà beaucoup. Acquiesçant sobrement, elle noie son inquiétude dans un demi-sourire, profitant qu’elle rebondisse sur le fameux bellâtre. Louchant sur l’assiette sortie à son attention, son sourire s’élargit. Son ventre grogne par anticipation. “Au moins a-t-il conquis mon estomac” Et pour une femme avec un rapport à la nourriture si déséquilibré, c’était déjà beaucoup. La doc se nourrissait toujours sur le pouce, avec de longues périodes de perte d’appétit. Et pour ponctuer sa phrase elle pioche dans ce qui peut-être mangé froid, calmant ainsi les ardeurs bruyantes de son système digestif.

C’était également un bon indice sans prendre la température à chaque fois. Tant qu’elle voyait une assiette pour elle dans le frigo, c’était que Zack continuait à venir et que, donc, tout semblait rouler entre eux. “Merci” souffle-t-elle doucement en récupérant la tasse, s’octroyant une longue gorgée salvatrice. Elle ne pourrait profiter que de quelques heures de sommeil. Jour de repos ou non, la chirurgienne savait qu’elle finirait par pousser les portes du dispensaire. “Touché!” grimace-t-elle d’une petite bouille enfantine quand l’attaque lui est renvoyée et qu’elle n’a, ma foi, aucun argument valide. Il était vrai que sa présence dans la demeure se faisait plus rare et pas seulement pour les heures enchaînées.

Sirotant son café ou ce qui ressemble le plus à du café, elle se pince les lèvres pour contenir un nouveau sourire. “Je ne peux pas être contente à l’idée de te voir?” Ment-elle effrontément. Pas vraiment, évidemment que la toubib était heureuse de se trouver un créneau, même aussi matinal, avec Arizona mais elle n’est pas présentement la raison de sa surprenante légèreté. “Hum… juste un en réalité” souffle-t-elle rapidement en se planquant, nez dans sa tasse, comme si ce simple geste suffisait à stopper l’avancée de son amie. Un regard en coin lui prouve que non et elle repose sa tête à côté d’elle. Leur dernière vraie conversation laissant suggérer l’absolu contraire de ce qu’elle s’apprête à dire, elle sent une pointe de malaise prendre le dessus un court instant et elle se mord l’intérieur de la joue. “J’ai… je… je me suis laissée une dernière chance avec Jill” finit par avouer cette dernière, sachant que d’un point de vue extérieur, ça ne semblait pas la meilleure option pour son bien-être sur le long terme.

La réaction ne se fait pas attendre et la grande chirurgienne se fait soudain toute petite. Tapotant le dos de sa comparse pour l’aider à se remettre de la fausse route, elle baisse la tête. Ce n’est pas de la vexation ou du ressentiment qu’elle ressent. Pour être parfaitement honnête, la quadragénaire comprend sincèrement les appréhensions de sa meilleure amie sur cette relation. Si les rôles étaient inversés, si Jill était celle choisie par l’un de ses proches, nul doute que la mise en garde serait d’actualité. Parce qu’elle ne la connaîtrait que sous une certaine réputation et ne verrait qu’une facette de sa personnalité. “Elle ne m’a pas brisé le…” Elle s’interrompt dans sa contestation, inspirant profondément. Il n’était pas aisé de mettre des mots justes sur un mal être qui l’avait poursuivi de nombreux mois et reflétait une toute autre réalité. La flic ne l’avait jamais mis plus bas que terre, ne l’avait jamais traité comme la pire des immondices. Elles s’étaient éloignées peu à peu et Maeve avait juste eu du mal avec le résultat final - du moins semblait-il l’être à l’époque - de quelque chose d’aussi fort.

Les protestations et les petits piques d’Arizona devraient l’agacer, mais c’est elle et présentement, la doc trouve cela tout bonnement adorable. “Je suis touchée que tu te mettes au garde à vous pour me préserver mais rentre tes griffes tigresse” rit-elle en la bousculant à son tour d’un léger coup de genou. Les yeux dans les siens, avec un aplomb qu’elle n’a que trop peu dans le privé, elle confirme. “Je suis certaine que c’est ce que je veux” et histoire de rassurer la militaire, elle consent à se livrer un peu plus. “Ce n’est pas un coup de tête. Ça s’est fait doucement cette fois, je veux dire, on a pris notre temps et Jill a fait une moooontagne d’efforts. J’ai pesé le pour et le contre pendant des semaines avant de me rendre compte que je ne faisais que perdre davantage de temps. Je préfère prendre ce risque que passer le reste de ma vie à me demander et si. Je sais que tu t’inquiètes pour moi et je sais ce qu’on dit d’elle mais…. je t’assure qu’elle n’est pas la même avec moi et qu’elle n’a jamais agit autrement que ce qu’elle promettait.” Prenant la main d’Ari, elle la porte à ses lèvres comme pour panser les tensions. “Je ne te demande pas de lui faire confiance. Juste à moi” conclut-elle avec une petite moue d’enfant qui quémande une faveur. “Je suis heureuse. Tu es heureuse. On est heureuse, retire tout le décorum morts qui marchent et guerre ouverte et on a une vie de rêves” tente-t-elle pour détendre l’atmosphère.

Maeve Wheelan qui se focalisait sur le positif et uniquement le positif, on aurait tout vu. Reprenant un peu de nourriture, elle grignote quelques morceaux. “S’il me fait encore mon assiette je suppose que tout va pour le mieux avec… Jack” écorche-t-elle volontairement son prénom juste pour la chercher un peu, un petit sourire de peste accroché à ses lèvres.

Un regard lourd de sens appelant à la raison se pose sur sa comparse, comme pour pointer l’évidence et l’excès de zèle de cette dernière. “Ce n’est pas comme ça qu’on rentre ses griffes” souligne cette dernière en étirant finalement ses lèvres dans un sourire. Peut-être parce qu’elle sait que mille arguments ne la tireront pas de ce sentiment protecteur que la militaire a toujours eu envers elle, possiblement parce qu’elle que son caractère et celui de Jill provoqueront, parfois, des étincelles et que rien ne ressemblerait à un long fleuve tranquille, sans doute parce qu’elle a foi en bon sens de sa meilleure amie pour prendre le recul nécessaire le moment venu. Rien qui n’alourdit son humeur néanmoins, trop portée par ce petit nuage dont elle n’a aucune intention de se défaire. Alors quand la brune en rajoute une couche, comme pour sceller sa promesse, elle se redresse brusquement, le droit bien droit sur le comptoir, portant sa main sur sa tempe dans un salut militaire. “Hoy hoy captain” répond-t-elle pour passer à autre chose et détendre sa colocataire pour de bon.

Haussant les épaules face à la réponse de sa vis-à-vis au sujet du prénom de son bellâtre dans un “outch” peu crédible sur le coup porté, la chirurgienne note dans un coin de son esprit que le sujet agit comme une soupape et a le don d’attendrir son amie. Information primordiale qu’elle s’évertue à ancrer et dont elle usera assurément trop.

De toute façon, le sourire timide et le rouge qui monte aux joues d’Ari lui soutire un sourire amusé qu’elle tente de contenir, vainement. Acquiesçant en s’assurant de ne pas la couper dans son élan, elle sirote quelques gorgées de café. “Il cuisine pour toi, il te fait ressembler à une adolescente timide, il te fait sourire, il a plutôt intérêt à ce que je sois sérieux. La menace vaut dans les deux sens. S’il te brise le coeur, grand et fort ou pas, je lui brise les reins” et elle mime un morceau de bois que l’on craque en deux, ajoutant l’onomatopée qui va avec. Non, elle ne faisait peur à personne avec sa silhouette longiligne et sa force de mouche mais l’intention était là. “Mais il n’a pas passé toutes les épreuves…” commence-t-elle mystérieusement dans une petite moue énigmatique, laissant volontairement un ange ou deux passer avant de reprendre. “Il n’a pas passé l’épreuve ultime de la meilleure amie, petits plats dans le réfrigérateur ou non à mon intention, c’est tout au plus quelques bons points d’avance. Je compte bien le torturer un peu comme ma position l’exige et m’autorise à le faire” Mentalement évidemment et avec une note d’humour, quand elle en aurait le cran et arrêterait de se planquer dans sa chambre quand elle croisait pour la pause pipi de la nuit…

“D’ailleurs, en parlant de briser des reins, j’aurais besoin d’un service…”