Mi-avril 2022

- T'es Connor ?

C'était le début de journée et Stanley était arrivé à Kitsap la veille. Un séjour qui allait durer puisqu'il avait bien l'intention de superviser à partir de maintenant les travaux dans la base. Du moins du côté de son groupe. C'était aussi pour lui l'occasion de rencontrer enfin les autres acteurs de ce rassemblement d'un nouveau genre. Car quand June avait approché les rebelles de Seattle, partenaires dans leurs démarches contre New Eden, il était encore à Portland. Aussi ne les connaissait-il aujourd'hui que de noms et de réputations. Pour la plupart…

Ainsi s'il avait pris le temps de voir de ses propres yeux les avancements à son arrivée, faire un tour de la base et des bâtiments nettoyés, son objectif aujourd'hui était de se présenter. Et surtout d'en savoir un peu plus sur les capacités de ces nouveaux alliés.

- J'suis Stan, j'viens d'chez les Remnants. C'est moi l'responsable des actions contre les New Eden. Il plantait le décor. Inutile de dire qu'ils auraient à travailler ensemble. Dans un maximum d'harmonie, il fallait l'espérer. C'était aussi ça que Stan cherchait à juger. Vous avez l'air bien installés là, commenta-t-il, en avisant la zone autour d'eux.

Il avait alpagué le brun à l'extérieur, au cœur des caravanes des Expendables. C'était un grand type aux cheveux longs qui lui avait désigné son responsable en quelque sorte, une minute plus tôt. Le Connor en question était tout aussi immense, nettement plus que Stanley, mais ça n'avait rien pour l'impressionner. Notre jeune - et petit - trentenaire dégageait l'assurance nécessaire pour paraître crédible aux yeux de son interlocuteur. Il observa les habitations roulantes, probablement plus confortables que les simples tentes militaires qu'ils avaient eux-mêmes dressées pour se loger. Mais qu'importait.

- Vous êtes arrivés, y a longtemps ? T'en penses quoi d'cet endroit ? Son menton partit en direction du reste de Kitsap. Puisque l'ancien joueur de baseball était là depuis plusieurs jours maintenant, il pouvait éventuellement lui partager son sentiment sur ce nouveau QG…

Connor releva le nez lorsqu'il entendit son nom dans une bouche qu'il ne connaissait pas. Il fronça les sourcils, sans répondre vraiment à la question puisque ça semblait déjà évident. L'homme scruta juste son vis-à-vis qui se présenta très vite, en expliquant qui il était et les raisons de sa présence de toute évidence. Stan, le salua-t-il sobrement, tandis qu'à côté, Khan revenait avec la curiosité des animaux qui aimaient découvrir de nouvelles personnes.

Il s'agita un peu avant de se poser dans les jambes de son maitre, comme dans l'attente d'une autorisation pour venir saluer leur interlocuteur, ou vérifier qu'il était bien ce qu'il disait être. Un rire soufflé échappa à Connor à la remarque de Stanley. Bien installés, vraiment ? Oh, les Expendables avaient le mérite d'être bien organisé pour les voyages effectivement mais... Tu dirais pas ça en hiver, lui fit-il sur le ton de l'humour, c'était un peu ironique.

En hiver, tous étaient d'accord pour dire qu'ils se gelaient. Malgré l'isolation retravaillée, les poeles à bois installés,... En été ? C'était encore une autre paire de manche, puisqu'ils suffoquaient à l'intérieur des habitacles, en cas de canicule en particulier. Quelques semaines, et toi ? fit-il, par curiosité. J't'ai croisé avant ? Ici, à Kitsap ? Connor n'était pas mauvais en observation, mais il devait admettre que depuis qu'ils s'étaient arrêtés ici, il avait surtout fait en sorte de contribuer à l'avancée des travaux.

La dernière question du Remnant le laissa songeur un instant. Qu'est-ce qu'il pensait de Kitsap ? C'était un nouveau projet prometteur, un QG qui aurait évidemment de l'intérêt pour tout le monde. Mais outre ça ? Pas grand chose, admit-il avec une petite grimace. Sans cracher sur cette nécessité - sinon Connor ne serait pas là pour travailler - ça n'était pas chez lui non plus. C'était à la fois à tout le monde et à personne, difficile de s'en faire un avis pour l'instant. L'investissement n'était pas encore trop important.

Responsable des actions anti-New Eden ? C'est super solennel comme titre, releva-t-il dans la foulée néanmoins, pour poursuivre la conversation. Stanley n'était probablement pas venu pour rien. Je critique pas, je serais jamais contre quelqu'un qui veut leur peau, précisa-t-il rapidement pour ne pas qu'il pense à de la moquerie. Loin de lui cette idée. Qu'est-ce qu'on te doit ? Comme coup d'éclat.

- J'viens d'arriver. J'étais d'jà v'nu, mais pas depuis tout ça. Cette association-là.

En réalité, cette base ne s'était jamais trouvée très loin de chez eux et elle ne leur était pas étrangère. Ils y avaient fait quelques emplettes au fil des années, les premières surtout, dans certaines zones bien définies toutefois. C'était ici par exemple, sur certains bateaux de guerre, qu'ils avaient récupéré les tourelles à la base de leur défense anti-aérienne. Les mêmes qui leur avaient sauvé la mise l'été précédent.

Stan avait regardé Connor ensuite, cherchant à reconnaître son visage. Effectivement, l'ancien sportif lui disait vaguement quelque chose. S'il avait été un grand fan d'athlétisme, il s'était toujours intéressé au sport en général et suivait généralement un peu toutes les disciplines un minimum. Mais c'était tellement loin, puis le brun avait certainement bien changé. Sans surprise, le plus jeune ne le resitua pas et se contenta de répondre un simple :

- J'crois pas. Avant d'hausser les épaules. J'coordonne la guerre, quoi, rephrasa-t-il alors que Connor l'avait certainement bien compris. Quelques attaques sur leurs avant-postes, d'la prise de renseignements, beaucoup. Il n'entrerait pas trop dans les détails, il n'avait rien à prouver. Il était certainement en tout cas l'un de ceux ici qui avait tué le plus d'ennemis. Tant qu'il ne faisait plus le compte. Vous étiez à George, vous, c'est bien ça ? Quel rôle vous y aviez joué ? Tous ? Tes gars, sur l'terrain, ça donne quoi ?

Il avait déjà croisé Aaron, armoire à glace dont il voulait bien croire en les capacités, mais qu'en était-il des autres ? En gros, combien de soldats potentiels représentait les Expendables aujourd'hui ? Car son approche de Connor n'était pas purement amicale. Il voulait connaître leurs valeurs, leurs motivations.

- C'est toi qui donne les ordres chez vous ? Ils sauraient suivre quelqu'un d'autre ? Écouter, mais surtout obéir.

Je vois, souffla-t-il. Stanley n'avait pas grand chose à prouver, il restait humble, mais surtout conscient de ses capacités. Connor pouvait entendre ça, parfaitement. De toute façon, l'approche du jeune homme n'était pas pour rien, et ça il s'en doutait. Il eut un soupir de circonstances à la mention de George : On était à George, on a coordonné la diversion et fait en sorte de revenir entier avec un maximum de personne. C'était pas un home run, mais on s'est démerdé avec les informations et les moyens qu'on avait, politique économique agressive : ils ont fait beaucoup avec très peu.

Cela dit, en elle-même, George était un échec. Parce que ça n'avait pas de sens. Cela dit, Connor n'était pas aussi tranché. La présence d'une prison rempli d'homosexuels ou en tout cas de personnes qui ne cautionnaient pas ce système, indiquait qu'il y avait une raison d'intervenir. La façade parfaite de New Eden se craquelait déjà ce moment-là, et c'était deux ans avant cette entrevue entre Stanley et lui. Ce que ça impliquait, c'était que ça ne datait pas d'hier. Que ça n'était pas nouveau. Les horreurs existaient depuis longtemps.

Mes gars sont bons, mais ceux sont pas des soldats. Ils ont des initiatives bonnes, d'autres pas aussi pertinentes qu'on le voudrait. Ils savent m'obéir, mais parce qu'ils me sont loyaux et que j'ai su faire mes preuves, expliqua-t-il à Stanley avant de porter son regard sur lui. S'il attendait de la méthode, de l'obéissance, toutes ces choses-là, il ne tapait pas forcément au bon endroit. Mais s'ils les laissaient ensemble avec une bonne marge de manœuvre, il pouvait avoir des résultats. Cela dit, ils sont pas bêtes. Ils savent où vont leur intérêt, et ce qu'ils doivent faire, ajouta-t-il simplement en portant un regard sur lui. Tu veux savoir s'ils peuvent t'aider à quelque chose ? Ici, ou sur un autre projet ?

En quelques mots, Connor faisait comprendre à Stanley qu'il ne tirerait lui-même pas grand chose de ses hommes. Qu'ils pouvaient être compétents, mais qu'ils pouvaient manquer d'analyse, de discipline. Une manière politiquement correcte certainement d'affirmer que ce n'était pas des flèches. Le tableau était néanmoins limpide pour le plus jeune. Il avait connu des combattants de cette espèce et se remémora notamment Merl et son frère.

- J'vois, répondit le militaire. Les deux, ajouta-t-il pour répondre à sa question. On s'ra clairement am'nés à bosser un minimum ensemble ici. Après cette base n'est qu'une étape. Un jour ou l'autre, il faudra sûrement refrapper fort.

Il planta ses yeux sur le grand brun devant lui. Kitsap était un exercice. S'ils ne seraient peut-être jamais de grands amis, ils devaient apprendre au minimum à coopérer. S'écouter, voire se respecter. Stan croyait au pouvoir du dehors. Affronter les morts, s'entraider pour survivre, cela tissait des liens. Les dettes de vie, si elles se multipliaient aujourd'hui, avaient toujours autant de valeur. C'était pour cette raison aussi qu'il était ici et qu'il passait autant de temps loin de son île et de sa famille. Il avait besoin de ces connexions avec ces étrangers, s'il voulait en faire de vrais partenaires. Le travail qu'ils réaliseraient ensemble ces prochaines semaines l'y aiderait.

- C'est quoi votre historique avec New Eden ? C'qui vous motive vraiment ? Enchaîna-t-il.

Connor lui répondait quand il perçut les pleurs d'un enfant dans une caravane toute proche. Ses sourcils se froncèrent. Une fraction de secondes, il crut entendre Esca et son ventre se noua. S'il avait besoin, sur bien des plans, du recul que lui offrait cette mission pour se retrouver, il savait que ça se faisait de nouveau au détriment de ses enfants. Et de son couple, mais il n'en prendrait conscience que plus tard encore. L'enfant se calma rapidement, mais il ne retint pas de demander :

- Vous avez des familles ici ? C'était un peu rhétorique évidemment. Sous sa remarque, on pouvait toutefois entendre d'autres questions : combien mais surtout pourquoi ? Vous n'avez pas un autre point d'chute ? Qu'on se le dise, à ses yeux, Kitsap n'était vraiment pas un endroit pour des enfants.

On en a conscience, sur cette base en tout cas, tu nous verras assez régulièrement. Certains sont des professionnels de la construction dans mes rangs, ils sont déjà très occupés à renforcer ce qui peut l'être et construire ce qui doit l'être, souffla Connor fermement en tournant les yeux un instant pour voir s'il en voyait certains. Daemon notamment, qui avait tout du meilleur chef de chantier désormais. Mais le jeune marié était vraisemblablement occupé ailleurs.

Ses yeux clairs revinrent vers Stanley un instant avant de soupirer. Ce qu'il avait contre New Eden ? Plusieurs choses, admit-il en prenant le temps de la réflexion. Je suis pas en adéquation avec ce qu'ils sont, profondément, je veux dire, expliqua l'homme. Ils ont blessés des amis à moi, irrémédiablement, Elena, Selene. Mais plus encore, Caroline était toujours disparue. Morte ? Peut-être. Au-delà du désir de leur obtenir Justice, j'ai une sœur, j'ai eu une femme et aujourd'hui des enfants, fit-il.

Stanley avait pu les entendre, non ? Je serais la plus grande des merdes humaines de rien faire pour eux tous quand y'a ce genre d'idéaux qui sont à nos portes, ou directement chez nous, le No Man's Land était tombé, après tout. Alors, qu'est-ce que ça voulait dire pour eux ? Qu'il pouvait laisser faire ? Hors de question. Et vous ? Demanda-t-il. Après tout, Connor n'avait eu que la version de Roza sur tout ça, et on ne pouvait pas dire qu'il était parvenu à l'écouter au milieu de tout son blabla sur les bons côtés des Remnants.

La remarque de son vis-à-vis lui arracha un sourire - peut-être un peu moqueur. Notre abri, c'est ce camping que tu vois. On a pas de points fixes, on fait que bouger. On en a besoin : New Eden donne pour un an de vivre pour ma capture, autant te dire que j'ai pas le luxe d'avoir une adresse fixe, expliqua-t-elle. La mère d'mon fils vivait avec les Haven, mais elle est morte l'an dernier, son intonation se fit forcément plus sombre. Et j'allais pas l'abandonner, ou le laisser à d'autres gens. Aurait-il dû ? Dans notre situation, la seule chose qu'on fait, c'est se démerder, on devient doué pour ça...

Mettre ses enfants en sécurité, ce n'était pas les abandonner. C'était du moins ce à quoi Stan devait s'accrocher. Il devait passer du temps avec Esther notamment, il adorerait la voir tous les jours, mais l'amener ici était inenvisageable. Pour les fréquentations, le danger inhérent. Il ne commenta pas pourtant les décisions de Connor. Ça n'apporterait rien à cette relation naissante. Il reprit leur conversation là où elle se trouvait avant.

- Ils sont arrivés chez nous un jour et, depuis leurs hélicos, ont tiré dans la foule. Des gens sont morts, dont deux d'mes meilleures amies. Joann, Michelle. Ils ont cherché à transformer nos femmes en mères pondeuses ensuite. Ils avaient visiblement des plans pour nous, on n'les a pas laissés faire. J'aime pas leur philosophie non plus, mais entre eux et moi, ça va plus loin qu'ça tu vois.

L'embrouille était clairement personnelle. Pour qui le connaissait, ça signifiait que sa hargne n'aurait aucune limite. Il était entré corps et âme dans cette guerre, parce que c'était bien tout ce qu'il était capable de faire. Il parlait la mâchoire crispée, le regard dur. Les motivations du sportif étaient aussi recevables et parce que sa tête était aussi mise à prix, Stanley ne les remettait pas en question.

- J'vais pas t'embêter plus longtemps, j'venais juste t'saluer. Il lui tendit la main. Tu m'présent'ras tes gars à l'occasion ? J'ramènerai aussi les collègues qui sont arrivés hier avec moi. Qu'ils se connaissent déjà de nom, de vue, ce serait un bon début.

Il serra la main de Connor, avant de le laisser tranquille. L'homme lui avait fait plutôt bon effet jusqu'ici.

***

Dans sa démarche, Stanley tint parole et tâcha de se montrer coopératif. Il bossa sur quelques projets avec les Expendables et ce fut par eux qu'il apprit l'arrivée de deux filles d'un autre groupe. L'une d'elle en était a priori la responsable, et comme il l'avait fait avec Connor, le jeune homme choisit de ne pas traîner pour se présenter à elle et voir un peu son "style".

- J'dérange pas ? Demanda-t-il après avoir été saluer Elena. On n's'est jamais rencontrés, j'venais m'présenter. J'suis Stan, Remnant.

Il la regarda avec la conviction de ne jamais l'avoir croisée. Quoique… son visage lui évoquait quelque chose. Mais il ignorait son lien passé avec le ranch et sans cette carte, il était bien incapable de la situer.

- J'gère tout c'qui concerne les New Eden chez nous. A c'qu'on m'a dit, t'es à la tête d'un p'tit groupe, c'est ça ?