12 mai 2022

Depuis près de deux mois maintenant, Egon navigue dans les environs d’Olympia, vendant ses services au plus offrant. L’accord passé avec Thaïs et son petit groupe lui assure une survie correcte, mais on ne peut lui en vouloir de chercher à améliorer son ordinaire. La vie à Seattle était largement plus confortable, et cette perte pèse lourd sur son moral. Le fait est, néanmoins, qu’il doit sans cesse élargir son périmètre pour agrandir le cercle de ses connaissances, et de ses potentiels employeurs. De fait, il s’approche de plus en plus de Tacoma, brûlant le peu de carburant qu’il parvient à se procurer pour Betty. Bientôt, l’opération cessera d’être rentable, et il lui faudra réfléchir à un moyen de tirer profit du réseau tissé à Olympia.

En coupant le moteur de la GT, l’allemand prend quelques instants pour contempler la devanture du magasin. Les tôles de métal sont rouillées, la peinture s’écaille et l’enseigne pend lamentablement, sans doute arrachée par le vent. Les néons qui l’éclairaient sont morts depuis longtemps, et les lettres du nom The Home Depot forment désormais un fatras illisible au sol. Quel drôle de temps, songe-t-il, quelle drôle d’époque. Qui aurait pu prévoir l’effondrement de leur civilisation, si tôt et si vite après qu’elle a eu atteint son apogée ? Les signes étaient-ils là, bien cachés aux yeux du grand public, mais visibles pour une poignée d’initiés ? Le mystère demeurera probablement entier jusqu’à l’extinction totale de leur espèce, d’ici quelques décennies.

La portière s’ouvre et il déplie sa silhouette compacte, enveloppée de sombre. Jetant un coup d’œil aux alentours, Egon s’assure qu’il est seul. De toute façon, le mobilier et la décoration sont loin d’être des priorités pour ses contemporains, et il est pratiquement certain de ne croiser personne – ni mort, ni vivant. Rapidement, il passe les portes automatiques au verre brisé, et pénètre dans le magasin. Non sans un sourire ironique, il est tenté de s’emparer d’un caddie pour transporter ce qu’il est venu chercher, comme un client normal. Mais en constatant que les roues sont bloquées par la rouille, il renonce et préfère attraper un panier au plastique desséché. Sans s’attarder dans les rayons, Egon repère rapidement les articles qui l’intéressent. Maintenant qu’ils se sont installés dans l’immeuble choisi par Mary, il entend bien aménager l’endroit pour le rendre plus confortable.

Il ne lui faut pas longtemps pour rassembler tout ce qu’il lui faut, remerciant intérieurement les survivants qui, au fil des années, ont délaissé ce magasin. En passant les caisses, il se retourne une dernière fois, s’assurant qu’il n’a rien oublié. Un fracas métallique se fait alors entendre au fond de l’entrepôt, le faisant sursauter. Lui-même ne s’est pas montré particulièrement discret et n’espère pas passer inaperçu. De fait, il franchit à nouveau la barrière des caisses, laissant son panier sur le tapis roulant immobilisé depuis longtemps. Qui est là ?, fait-il en élevant la voix.

Le printemps un peu plus clément offrait à bon nombre de survivants, surtout dans le cas d’Athénaïs d’explorer des horizons multiples. Seulement pour la jeune femme, il y avait quelque chose dans l’air qui avait l’odeur de la nostalgie et de la mélancolie. Deux choses qu’elle n’appréciait que bien peu. Il faut dire que Tacoma n’était plus, ne serait plus ce qu’elle avait connu plus jeune. On pourrait croire qu’elle s’y était faite, avec le temps, mais si elle avait accepté le sort et destin de Seattle, il n’en était rien pour la ville de son enfance. Un déni, un vrai, celui qui rend les yeux innocents face à la désolation qu’elle rencontrait pour la première fois. Une désolation qui l’a mettait face à ses oublis volontairement assumés. Le passé qui venait se fracasser avec son présent.

Les mois d’hiver avaient été les plus stables de ces deux dernières années. Son van, qu’elle continuait à aménager au maximum de ses capacités, et les quelques vivres qu’elle réussissait à mettre de côté au cas où la disette reviendrait frapper à sa porte, lui permettait une légèreté d’esprit qu’elle n’avait pas connu depuis plusieurs mois. Athénaïs avait retrouvé le goût des oeufs, du beurre et des légumes frais, elle espérait qu’avec le printemps, elle réussirait à mettre encore plus de couleurs dans son estomac. Pour l’heure, elle devait faire preuve d’une pragmatisme lié aux beaux jours, la vie en van entendait un entretien régulier, dont celui de la fin de l’hiver. Celui-ci nécessitait quelques fournitures qu’elle trouverait sans difficulté à Home Depot, un magasin où elle se rendait qu’elle était petite avec son père. La petite fille, qu’elle était à l’époque, adorait plonger ses mains dans les bacs où l’on trouvait des vis en vrac. C’était le conduit du petit poêle installé dans le van qui retenait plus particulièrement son attention, il était, après tout, le sauveur des nuits glaciales.

Athénaïs était partie à pied, ne prenait pas le risque de son véhicule qui était bien trop précieux à ses yeux. Sa maison, la dernière chose qui l’a reliait à des temps, peut-être, plus heureux. Un sac à dos vide qui lui servirait pour ses courses bien étranges. L’ancien dépôt, était désormais un cliché d’un de ses films de série B. Un bâtiment oublié, abandonné en taule rouillé, roussi par le temps et l’humidité. Elle entre, sans peur et sans reproches, à la recherche de ce qu’elle était venu chercher.

Alors qu’elle s’éloigne des portes d’entrées, un bruit lui annonce l’entrée d’une autre personne. C’était certainement sa veine, elle qui pensait que le monde entier aurait oublié les magasins de bricolage. La grecque se faufile entre les carreaux et le ciment pour s’éviter la déconvenue d’attirer l’attention sur elle. La jeune femme observait, cette silhouette qu’elle devinait masculine faire des emplettes au milieu de la poussière. Mais bien sur, c’était sans compter sur les chaînes au mètre qui n’attendaient qu’une chose, bouger et couler sur le sol, après tant d’années. -μη.. μη…non.. non supplie t-elle, en regardant la chaîne se dérouler et s’écraser sur le sol.

Une voix s’élève, et Athénaïs contemple l’idée de ne rien dire, ne pas bouger, peut-être qu’en ne faisant rien, la silhouette l’oubliera et partira aussi vite qu’elle était venue. Les pas qui s’éloignaient se rapproche, soulève la poussière, retrace ses pas. - Personne. Je ne veux pas d’ennuis. déclare t-elle, d’une voix claire. - Je viens comme vous chercher du matériel et me faire oublier ensuite.

Méfiant, Egon porte une main à sa ceinture, ses doigts frôlant d’abord le manche de son couteau avant de se porter sur la crosse de son arme. Difficile de prévoir de quoi il aura le plus besoin si les choses tournent mal, mais le semi-automatique lui paraît un peu plus rassurant. La voix – féminine, de toute évidence, et s’il ne se trompe pas, jeune – l’informe ne pas chercher les ennuis et il fronce les sourcils. Sors de là, vite, ordonne-t-il d’une voix froide, mais sans agressivité. Au fond, il se maudit de ne pas avoir fait le tour du magasin avant de commencer à le piller, persuadé qu’il était d’être seul sur les lieux. Après un moment sans rien entendre, un soupir lui échappe. Bien. Si l’inconnue a décidé de ne pas bouger, alors il ira la chercher lui-même, pour s’assurer qu’elle ne représente pas une menace.

Inspirant silencieusement, l’allemand se déplace jusqu’à atteindre l’allée la plus à gauche. Au moins, il peut observer ce qu’il se passe dans les rayons sans se préoccuper de ce qui pourrait venir de ce côté-là, tant qu’il tourne le dos au mur. À pas lents et discrets, il avance progressivement vers le fond du hangar, inspectant rapidement chaque rayon, sans y trouver personne – du moins, personne de vivant. Il y a bien quelques les cadavres de quelques animaux, réduits depuis longtemps à l’état de squelettes, mais rien qui n’ait pu produire la voix qu’il a entendu quelques minutes auparavant.  

En atteignant les derniers rayons, il surprend soudain un mouvement entre deux étagères. Stop, crie-t-il, se jetant immédiatement à la poursuite de la silhouette. Il ne lui faut que quelques enjambées pour l’atteindre, sa main se refermant sur un bras qui lui paraît immédiatement trop maigre. Hé, du calme ! Je ne vais pas te manger ! Son ton est probablement plus rude qu’il ne le voudrait,  mais dans le feu de l’action, il n’y prend pas garde. Prise au piège, la jeune femme se débat, son visage d’abord caché par un rideau de cheveux longs, avant d’être dégagé dans un mouvement brusque. Se dévoile alors un regard clair, mais chargé de panique, comme celui d’un animal pris dans les phares d’une voiture.

La coupable chaîne au sol, la situation d’Athénaïs avait changé du tout au tout. Elle aurait simplement attendu que l’inconnu prenne ses cliques et ses claques, sa voiture et vers l’horizon s’en retourner d’où il venait. La jeune femme espérait qu’il ne s’agisse pas de l’une des silhouette de ses cauchemars, ces silhouette qui dataient du pillage de l’immeuble dans lequel elle avait survécu quelques années avant de se retrouver seule, dans la rue, qui s'élevait en farandole pour la tourmenter.

Une nouvelle fois, la voix, froide, s’élève dans le hangar vide. Elle déglutit, hoche la tête, se refusant l’idée de devoir sortir de l’allée dans laquelle, elle s’était accroupie le temps que l’homme quitte les lieux. Athénaïs n’aimait pas ses lieux sombres, elle y venait par pure nécessité, comme beaucoup, elle n’y venait pas si elle pouvait l’éviter. Il n’y avait que des échos de vies oubliées, tout était gris, il y avait encore les cadavres des animaux qui semblaient avoir choisi de trouver leur fin ici. Même le silence avait la couleur des jours tristes, il était un brouhaha perpétuel des âmes écorchées, dévorées puis oubliées.

Athénaïs ne cherche pas à négocier quoique ce soit. La silhouette de l’homme apparaît au bout de l’aller, et il ne lui faut pas plus de temps d’observation pour savoir qu’il était temps de prendre ses jambes à son cou et soulever la poussière alors qu’elle fuyait.

Et c’est cette main qui va lui enserrer le bras, ce bras si fin, qu’elle en eut presque mal, les yeux pleins de terreurs, farouche, comme une créature que l’on trouve et qui n’avait certainement pas envie d’être mise en lumière. - Mais lâchez-moi ! crie t-elle, ses yeux pleins de frustration, de colère. Ses cheveux s’étaient échappés du foulard qui la dissimulait la plupart du temps. Le lourd rideau de cheveux épais et noir lui tombèrent devant les yeux clairs alors qu’elle se débattait, si bien que la grecque perdit de sa contenance en les balayant furieusement au dessus de sa tête.

- N’est ce pas le genre de phrases que les loups scandent avant d’emporter leur proie avec eux ? s’indigne t-elle, ensuite. Athénaïs avait entendu ce genre de phrases qui l’indignent, dans les couleurs, quand l’immeuble avait été pris d’assaut et les femmes tentaient de fuir ces hommes au sarcasme aiguisé. Elle s’indigne et se débat encore, elle était capable de se démettre l’épaule pour échapper à ses deux grands yeux bleus dont la couleur pouvait presque peur tant elle ne lui semblait pas humaine.

La grecque alors, prend en main son couteau avant de le pointer vers lui. Dernier ressort avant ce qu’elle imaginait comme l’inévitable. - Lâchez moi, lâchez moi! Si vous ne me voulez pas de mal, lâchez moi!

Athénaïs n’avait de force que celle qu’elle avait au fond du regard, du reste, elle n’avait rien que la férocité de ses deux prunelles claires. Qu’allait-il lui arriver encore ?

La garce ! La silhouette fine prend la poudre d'escampette entre les rayonnages, ses longues guiboles dérapant dans la poussière accumulée au fil des années. Mais Egon la rattrape, referme ses griffes sur le bras trop maigre. Il est surpris de sentir l'os sous ses doigts, s'attendant presque à sentir la barbaque se déliter entre ses serres. Mais la gamine tient bon, poupée comme une chiffe molle portée par un squelette vacillant. Ses cris d'orffraie lui écorchent les oreilles, griffent ses tympans. Surtout, ses yeux le frappent, un uppercut violent qui le cueille juste là, sous le sternum, et lui retourne l'estomac. Il y a une fureur, une frayeur, dans ce regard sombre et clair à la fois, comme deux phares dans la nuit, voilé d'ombres mystérieuses. La gamine n'est pas humaine, songe-t-il l'espace d'un instant. Personne n'a d'yeux aussi clairs, aussi perçants. Dissimulés par les mèches noirs qui lui barrent le visage au rythme de sa lutte, ses traits apparaissent et disparaissent, lui interdisant de la voir pleinement.

Calme-toi, rugit-il, furieux de ses soubresauts, de ses sauts de cabri pour se défaire de son emprise. Il tente de la contenir, la brutalise un peu. Elle gardera un souvenir de leur rencontre, qu'elle le veuille ou non. Un joli bracelet de galaxies bleutées, violacées, verdâtres, enroulé autour de son poignet trop délicat pour son propre bien. Tu vas te faire mal, arrête ! Pour autant, lui-même ne la lâche pas. Comme il peut, l'allemand s'efforce de la rassurer, mais sa tentative tombe à plat et la belle lui cracherait presque au visage, acerbe, vipérine. Un sourire carnassier déforme ses traits, réponse à une plaisanterie connue de lui seul. La grimace s'effondre lorsqu'elle saisit un couteau, le pointant sur lui d'un air menaçant. Qui veut du mal à l'autre, maintenant ? fait-il, mesquin.

Profitant de sa main libre, il attrape le poignet et le tord pour lui faire lâcher le couteau. Mieux vaut la désarmer avant de la relâcher, par sécurité. Rien n'indique que la chatte sauvage n'a pas une autre arme à portée de main, mais il ne préfère pas prendre de risques. La lame claque au sol et Egon s'empresse de poser son pied lourdement chaussé dessus. Seulement là s'autorise-t-il à la libérer, relevant ses paumes ouvertes en signe de paix. Tout doux, la belle, tout doux. J'ai pas menti, je ne te veux pas de mal. Je ne savais même pas que tu étais là. Je suis Wolf, se présente-t-il ensuite, usant de son alias plutôt que de sa véritable identité.

- Mais c’est vous qui me faîtes mal ! s’indigne t-elle, alors qu’il lui intime de se calmer, lui assure qu’elle allait se faire mal. Quel toupet, quel culot incroyable alors qu’il a ses serres autour de son poignet. Il lui laissera un bracelet d’ecchymoses, c’était certain. Elle marquait si facilement depuis que la disette lui avait crevé l’estomac. Athénaïs n’aura de répit qu’au moment où il lâcherait son emprise sur elle. Elle souffle, et scande, la main serrée autour de sa lame. Il doit certainement la trouver risible et ridicule, petite créature sans force cherchant à échapper au grand méchant loup. Elle finirait pas se briser les poignets si cela rimait avec une échappée.

- Légitime défense, purement et simplement ! s’insurge t-elle à nouveau, alors qu’il l’accuse de le menacer. Il lui tord le bras, le poignet, elle ne saurait dire. Et sous la pression, elle ploie, la lame vient s’écraser au sol, avec le bitume poussiéreux. Ses yeux clairs se plissent sous la douleur, la voilà soumise face à la brutalité.

- Wolf? répète t-elle incrédule, elle s’arrête d’un coup, face à ce nom qui lui semblait un peu trop à propos. Il faisait écho à ce qu’elle avait scandé à propos du loup et de la proie. Ses parents avaient-ils flairé au premier cri que l'homme aurait des airs de prédateurs, certainement les yeux, la couleur qu'elle discernait lui semblait tout à fait approprié. Il se moquait peut-être d’elle. - Vous avez certainement les yeux pour. déclara t-elle, en tentant de se donner une contenance, alors qu’elle balançait d’un geste furieux les mèches de cheveux qui barrait son visage.

Elle recule d’un pas, entre défiance et méfiance. Il n'était pas nécessaire de tenter le diable, ou dans le cas présent le loup. Devrait-elle se présenter comme brebis ? Athénaïs n'avait pas vraiment l'intention de finir en agneau sacrificiel pour les besoins de qui que ce soit. La grecque ne se gargariserait pas de provocation, elle préférait sortir de l'entrepôt en vie, plutôt que de gagner une guerre d'égo, à laquelle, elle n'avait pas certainement de vouloir tenter de gagner.

Athénaïs reprit son souffle, outrée d’avoir été ainsi malmenée, - Il n’est pas trop tard pour m’oublier. souffle t-elle, impétueuse, en regardant son poignet qui déjà avait prit quelques couleurs. Elle aurait bien du mal à travailler convenablement, elle se maudissait d’avoir choisi d’entreprendre des recherches pour son poêle à bois.

L’athénienne le regarde, il semblait avoir la même affliction qu’elle. Des yeux clairs, souvent bien trop clairs, bleus, argent peut-être même. La pénombre ne l’aide pas à déchiffrer entièrement son visage. Y’avait-il l’océan froid, le brouillard glacé des forêts, le verglas sur les fenêtres d’une ville du nord, dans le fond de ses yeux ? Athénaïs connaissait toutes les couleurs, elle avait toutes une odeur, une saveur,  un toucher, mais celle-ci, elle ne la connaissait pas.

- Athénaïs.

Un sourire amusé étire à peine ses lèvres, alors que la gamine s'offusque de ses paroles. Agace-toi, songe-t-il, narquois. Je te casserai en deux comme une brindille, épaisse comme tu es. Je ne ferai qu'une bouchée de toi. Aucun doute pour lui qu'il aura le dessus sans difficulté, malgré la lame qu'elle agite devant ses yeux. Il ne craint pas ses menaces de petite fille et s'offre même le luxe d'un sourire carnassier, presque affamé. Tu n'es pas devant un tribunal, range tes grands airs, princesse. Il la désarme sans trop de mal, se présente dans la foulée.

Comme il l'espérait, l'énonciation de son surnom fait écarquiller les yeux de la gosse, qui le répète sans trop y croire. Mes parents avaient un drôle de sens de l'humour, répond-t-il, mesquin. L'air bravache qu'elle affiche lui donne plus envie de rire qu'autre chose, alors même qu'elle tente un compliment. Ses yeux, toujours ses yeux. Cadeau empoisonné, dont il a souvent joué à son avantage, mais qui lui a souvent joué des tours en retour. Tu n'es pas trop mal dotée, toi aussi, fait-il en plongeant ses yeux dans le regard de la gamine. C'est ce qu'il a remarqué en premier ; ces yeux d'un vert surréaliste, qui semblent à la fois réfléchir la lumière et en être la source, tout à la fois. Ils sont peu nombreux, ceux qu'il a croisés et qui peuvent concurrencer son propre regard.

Libérée de son joug, elle recule, comme cherchant à s'éloigner du prédateur. Clever girl. Egon n'a pas la prétention d'être un monstre, loin de là, mais il n'est certainement pas innocent. D'ailleurs, elle lui suggère même de feindre l'ignorance, et, moqueur, il secoue la tête. Impossible. Pas avec un tel regard, fait-t-il, un sourire aux lèvres. Il ne ment pas, l'allemand. Même avec toute la bonne volonté du monde, il aura du mal à oublier ces yeux, sauvages et inquiets en même temps. La gosse se présente à son tour, dans un murmure, et son sourire se fait plus mutin. Pas commun, pour sûr. Dis-moi, petite, qu'est-ce que tu fais ici ? Certainement la même chose que lui ; des emplettes d'un ordre un peu particulier. Néanmoins, il s'interroge. Elle a l'air seule, ou si elle ne l'est pas, son acolyte est drôlement bien caché.