« Un ronflement avec l'accent indien ! » souffle-t-elle avec un petit rire. Effectivement, Aamir leur donnait à tous de belles envolées sonores la nuit. Si les premiers temps, c'était insupportable, avec la longue, elle s'y était faite. Son passé de militaire aidait bien, elle pouvait dormir à peu près n'importe où assez facilement.

« J'en suis certaine ! » affirme-t-elle à propos de Chris. Rentreront-ils un jour ? Elle en doute et se montre plus que réservée sur leur sort. Plus les jours passent et plus l'espoir s'amenuise, s'ils ont été fait prisonniers par les Oblivions, ils sont probablement morts et cela vaut peut-être mieux pour eux. Leurs ennemis peuvent se montrer particulièrement cruels, pire que New Eden à ce qu'on dit. Mieux vaut pour eux qu'ils soient morts rapidement plutôt que d'avoir souffert de longs mois sous la torture. Pour autant, elle garde toutes ses réserves pour elle et n'hésite pas à prétendre le contraire : ils rentreront un jour, parce que l'espoir peut maintenir des troupes réunis et faire garder un moral au beau fixe.

Quand Daniel affirme qu'il espère ne jamais se retrouver devant un Oblivion sous peine de ne pas avoir le cran de l'affronter, elle secoue la tête. D'un brusque coup de poing, elle le bouscule au niveau de l'épaule. «  ça, je ne veux pas l'entendre. » commence-t-elle. « Le meilleur moyen de perdre un combat, c'est de s'annoncer vaincu dès le début. » La militaire peut comprendre les peurs et les angoisses de l'homme en face d'elle, mais pour autant, elle veut qu'il adopte une autre mentalité. « Rien n'est jamais perdu d'avance. Si tu te retrouves un jour contre un Oblivion, je veux que tu l'affrontes, si tu ne le fais pas, il te tuera. » Les Oblivions ne portent pas les Gentle Bastards dans leur cœur, c'est certain. « Et tu en es capable. » Thaïs en est persuadée, surtout vu la motivation qu'il se donne pour l'entrainement.

« J'ai commencé le sport tôt, mais pas par du combat. J'ai fait de la danse pendant 7 ans environ, puis de la gym et de la course à pieds. » Un parcours peu ordinaire qui pouvait étonner, personne ne la voit vraiment danser, au quotidien, elle met plus en avant ses aptitudes au combat. « J'ai intégré l'armée à 18 ans et j'ai jamais arrêté les sports de combat depuis. » Donc plus de dix ans d'entrainement. « Et lorsque l'épidémie a commencé, je venais de finir une formation pour être tireuse d'élite. » Ce qui peut aussi expliquer ses facilités au tir. « Et je ne suis pas badass » réplique-t-elle avec un petit rire. La brune ne se voit pas comme tel en tout cas. « Et toi alors, parle-moi un peu de ta vie d'avant » lui demande-t-elle. « En continuant à t'entrainer évidemment... » Thaïs veut qu'il continue à tenter de lui donner des coups.

Je souris pour conclure la mention de Chris et des autres, même si ce sourire est bien feinté.

J'ouvre ensuite la bouche dans l'optique d'être outré quand elle me pousse brusquement en réponse à mon pessimisme, mais elle me coupe le sifflet en enchaînant. Elle veut pas m'entendre dire que j'oserai pas me défendre. Que j'm'annonce vaincu. Okay, alors je le dirai pas. Ça en m'empêche pas de le penser. Face à quel agresseur je pourrais me défendre ? Personne. Je courbe l'échine face à la moindre démonstration d'autorité, alors …

Hmpf … j'sais pas ...

Je baisse les yeux, me mords la lèvre inférieure. J'aimerais bien avoir autant de détermination qu'elle. Être comme elle, tout simplement. Même si je sais qu'elle a son lot de souffrances, bien évidemment. Je sais que j'ai facilement tendance à fantasmer les gens que j'admire au point de vouloir être eux. Ça manque pas pour Thaïs.

Elle se prête au jeu quand je lui demande de m'en dire plus sur elle, et je l'écoute avec attention.

Trop stylé ! L'imaginer en train de danser, c'est quelque chose.

Puis, elle me parle de l'armée, des sports de combat, qui l'ont forgé. De sa formation de tireuse d'élite. Visiblement, elle était née pour survivre. C'est presque pas juste de voir une femme de son niveau aujourd'hui, après sept ans d'épidémie, face à un gueux de mon espèce. Genre … c'est pas logique.

T'es complètement badass, hermana ! Tu t'vois pas comme je te vois ! Comme on te voit tous ici !

Vu comment mes yeux doivent pétiller alors que je lui avoue ça, elle peut bien me croire.
Je reprends ma garde quand elle me retourne la question et m'intimant de continuer à frapper. Tap, tap, je donne deux coups, redresse mon dos, et mes bras retombent une seconde le long de mes jambes avant de se relever encore sous son regard accusateur.

Oh bah moi … j'suis né et j'ai grandi à côté d'Obregon, au Mexique. Rien de bien foufou. J'aurais pu avoir une p'tite soeur, mais ça a été une sale fausse couche. J'crois qu'ils ont jugé que c'était de ma faute, d'ailleurs. Ils étaient grave religieux et avait le coup de ceinture un peu facile.

Je fronce le nez, donne un coup plutôt propre.

Mère coiffeuse, père pêcheur. J'ai appris les deux métiers, mais j'préférais être avec ma mère, à son salon d'esthétique. Pis quand j'étais ado ils ont daigné m'offrir une guitare. Là j'me suis découvert une vocation, et j'ai commencé à me faire connaître. Au début de l'épidémie, j'aurais dû participer à un grand festival de rock, sur Seattle. Ma carrière s'est arrêtée aussi nette.

Et ça, ça m'a toujours fait chier. J'aurais pu être déjà super riche et célèbre et avoir mon propre bunker. J'aurais pas fini dans le trafic, je serais pas complètement cassé dans ma tête aujourd'hui. J'aurais bien aimé savoir, d'ailleurs, comment je serais aujourd'hui, si j'avais pas vécu tout ça.

Heureusement qu'il y a la Cage aujourd'hui, pour la musique. Ça me manquait trop !

Lorsque son ami soutient qu'elle est badasse, la militaire lève les yeux au ciel. Elle ne se voit pas du tout comme cela. « ça n'a rien à voir » rétorque-t-elle, amusée de voir l'enthousiasme de Daniel à son sujet. « J'ai juste eu de la chance. Mon métier m'a préparé à l'apocalypse en quelque sorte. J'avais déjà de solides bases pour survivre. » Thaïs hausse les épaules, elle n'en tire aucune fierté, elle s'estime juste chanceuse. Là où certains ont dû tout apprendre lorsque les morts ont commencé à se relever, elle, elle a seulement eu à s'adapter, mais elle savait déjà se battre, tirer à l'arme, survivre en milieu hostile. Un sacré avantage. Elle se sent tout de même flattée de voir des petits pétillements dans les yeux de Daniel quand il la regarde, elle ne s'en rendait absolument pas compte. « Mais.... merci ? » continue-t-elle. Que dire dans ce genre de situations ? Les remerciements, ça n'a jamais été trop son truc.

Thaïs écoute son histoire et grimace. Visiblement, les parents de Daniel étaient des gros cons, le rendant responsable d'une fausse-couche. C'est ridicule que des adultes aient pu croire cela. « Trop stylé ! » souffle-t-elle, reprenant ses propres termes quand il évoque le grand festival de rock à Seattle. « C'est vrai que t'es doué ! » Elle apprécie beaucoup sa musique en tout cas. C'est pour cette raison qu'il peut se produire à la cage, ça attire du public, c'est certain !

Elle encaisse le coup qu'il lui porte, le félicitant d'un hochement de tête. « C'est bien comme ça, continue ! » Daniel évoque la cage et elle reprend aussitôt : « J'espère que bientôt nous pourrons avoir de nouveau l'électricité à la péniche, tu pourras reprendre des petits shows. » Ce ne sera jamais le grand divertissement qu'ils avaient à Seattle : plus de grands concerts, de soirées-cabaret, la cage doit désormais rester un lieu de combat, mais de la musique entre deux combats, ça peut être sympa.

Visiblement, elle n'acceptera pas l'idée d'être badass dans le regard des autres. Au moins, ça prouve qu'elle n'agit pas dans l'espoir de l'être, et que c'est tout à fait naturel chez elle. Ce qui fait qu'elle en est d'autant plus badass.
Ce qui est marrant, c'est qu'aujourd'hui, je sois face à elle. Vivant, moi aussi. Bon, pas en bon état, mais tout de même. Je pense qu'elle est le genre de personne que je n'aurais jamais côtoyé, avant l'épidémie, et là nous voilà assez proche, en train de s'entraîner ensemble. C'est amusant.

Je parle un peu de ma vie avant, et son compliment me fait vaguement rougir. Mon sourire est sincère, mon visage s'illumine. Dès qu'on parle de ma passion, de toute façon … A croire qu'il n'y avait que ça qui avait encore un effet positif sur moi.

Mes coups se font doucement plus propres à mesure que mon corps s'échauffe et mon esprit s'aligne avec mes mouvements. Je suis quand même très facilement distrait, mais j'arrive à en envoyer quelques-uns d'assez beaux, sans vraiment m'en rendre compte. Paraît que j'ai assez de force de base, j'ai juste du mal à m'en servir. M'enfin, la violence, ça n'a jamais été mon truc.

J'ai super hâte de pouvoir reprendre, oui !

Peu importait sous quelle forme, juste reprendre la musique, le chant, retourner sur scène, avoir un public, mettre l'ambiance et voir les gens chanter et danser avec moi. Je voyais rien de plus beau que ça. Bon, je n'aurais plus Curtis pour m'accompagner non plus, mais … va falloir que je m'y fasse, de toute façon.

On continue l'entraînement pendant un moment encore, en papotant de temps en temps, jusqu'à ce que Thaïs décide d'être plus sérieux et entreprenant. De là, ça devint un peu plus compliqué, mais, contre toute attente, je parvins à tenir jusqu'à la fin, jusqu'à être assez satisfait de moi. Pour une fois.