- Mais est-ce que nous l'pouvons ?

Se mettre à la place de l'autre ? Et même l'imaginer, ne serait-ce que quelques instants ? La jeune femme observe son interlocutrice à travers les flammes. Je ne peux pas comprendre une mère, Ina... Pas sans avoir donné la vie elle-même. Elle sait que ce jour-là, elle saura ce qu'est un amour inconditionnel. Dans l'intervalle, elle ne peut qu'imaginer la beauté de ce fardeau. Et je me demande parfois si tu n'as pas oublié ce que ça fait, d'avoir mon âge... Peut-être qu'elles sont exactement à la place que le temps et les esprits ont défini pour elles.

Et pourtant Kaya écoute sa mère. tente de s'approprier son récit pour vivre ce qu'elle éprouve. Les flammes changent de couleur au gré du récit et semblent trahir les émotions de l'une, de l'autre ou peut-être des deux. Les propos de Nima ont l'avantage d'être empreints de sagesse. Et du coin de l'oeil, elle perçoit son grand-père qui hoche la tête régulièrement comme pour approuver ses paroles. Sa grand-mère, quant à elle, est plus mesurée. Peut-être plus critique, aussi.

Je ne suis pas certaine que tu aurais accepté si je t'avais demandé la permission... explique-t-elle en retour, sans honte et sous le sceau de la vérité, à Nima. Justement parce que tu t'inquiètes, et que tu éprouves ce besoin de me savoir en sécurité. Je crois que je peux comprendre ça parce que c'est aussi ce que je souhaite pour toi, mon frère et tous les gens que j'aime. Et quelque part Kaya se félicite une nouvelle fois que la femme qui lui a donné la vie soit si attentive. Et peut-être aussi patiente, aussi. Il est vrai qu'une simple lettre doit se montrer bien insuffisante aux yeux d'une mère...

Elles ont toujours eu un lien privilégié, quelque chose qui n'appartenait qu'à elle et dont son père était exclu. Mais la jeune femme se rend compte, aujourd'hui, que cette bénédiction peut aussi être une malédiction. Je ne peux pas suivre exactement la même route que toi, Ina'... glisse-t-elle doucement. Le feu vire à un bleu clair, apaisant. Je suppose que je ne pourrai jamais faire taire cette peur que je fais naître en toi quand je m'absente, et j'en suis désolée. Mais tu m'as faite femme et... Je ne peux pas me brider pour t'épargner. Parce que sinon je resterai toujours ta fille. Et seulement ta fille, tu comprends ? Kaya souffre tout autant de l'absence de sa mère. Elle s'est inquiétée maintes fois pour elle et continuera à le faire. Mais elles ne peuvent pas vivre à travers l'autre.

Quant à cette sagesse que lui transmet avec patience Nima, la jeune femme s'y montre malgré elle perméable. Elle croit comprendre mais n'a pas l'expérience pour saisir. Elle écoute sans véritablement entendre. Et quelque part, elle en est consciente. Est-ce qu'elle vous écoutait, vous, quand elle avait mon âge ? Kaya décide de prendre ses grand-parent à témoin. Et le sourire de l'un comme le rire acerbe de l'autre semblent confirmer que ce n'était pas le cas. Tes mots sont sensés, Ina. Mais il faudra sûrement des années pour que je les comprenne. Tu m'as transmis ton savoir et je t'en suis reconnaissante. Mais l'expérience et la sagesse, tu ne peux pas me les enseigner... C'est sûrement ça le problème, dans le fond. Il viendra probablement un temps où elle se retournera sur son passé, et qu'elle y verra les mêmes erreurs naïves que sa mère voit aujourd'hui. En rira-t-elle ? Ou se méprisera-t-elle pour ça ?

Comment va mon petit frère ? reprend la lakota. Sur un ton plus apaisé. Peut-être parce que ce moment qu'ils partagent tous les quatre devrait être placés sous le sceau de la joie et de la légèreté. S'il n'est pas là c'est peut-être qu'il est... réveillé ? suppose-t-elle, peinant tout de même à croire qu'elle prononce ces étranges mots. Cette fois la papa n'est pas un blanc... indique-t-elle dans la foulée à ses grands-parents. Mais ils doivent déjà le savoir puisqu'ils veillent sur eux dans le monde des rêves, et le réel.

Je ne l'ai jamais oublié. Concède pourtant la native à sa fille, haussant brièvement les épaules. Mais le monde à changé. J'ai changé. Et Kaya marque néanmoins un point, en rappelant une chose. Jamais, elle ne lui aurait donné la permission de partir seule. Pas comme ça. Et pour une fois, ses paroles se trouvent empli d'une sagesse nouvelle qui lui fait hocher la tête, d'avantage ouverte au dialogue.
Préférant rester silencieuse à la suite de ses paroles, revenant croiser les bras contre sa poitrine en émettant un bref soupir à cette idée. Nos routes sont amenées à se séparer. Mais je doutes qu'elles ne se recroisent jamais. Maintient la brune, relevant finalement les yeux vers sa cadette. Mais si tu rentres; Je ferai en sorte que tu puisse ressortir en étant prête. Parce que tu ne l'es pas encore. Pas assez. Il y avait encore tellement à faire, pour que sa fille puisse être accomplie. Et à sa question, elle ne peut que baisser brièvement le regard au sol, sachant pertinemment ce que ses parents en pensaient aisément.

Ta mère ne nous à jamais laissé aucun répit. concède finalement son père non sans un sourire tendre à cette idée. Intenable, passionnée, et beaucoup trop vive pour le calme d'une réserve. A côté, tu fais figure d'enfant sage. qu'il ne plaisante qu'à moitié, esquissant un regard désolée à son géniteur. Je suis comme tu m'as faite. A l'image des Sihasappa. se risque t-elle à proposer. Assurément. Mais tu as acquis bien plus en sagesse ces dernières années. et s'il rit, c'est à la question de sa fille qu'elle reprend finalement. Il va très bien. Il commence doucement à essayer de se mettre debout, pour faire ses premiers pas. Avec un peu de chance, tu seras là, quand il essaiera pour de vrai. Mieux valait accepter l'idée de son retour un jour, plutôt que de se laisser portée par le doute. Pour l'heure, du moins.

Quand au père... Comment ça ? s'enquit d'office sa mère, se tournant vers elle en retenant un soupir. Non. Et il à passé le rite d'Hunkapi. Il porte désormais les couleurs des Sihasappa. Et pour une fois, Ehawee ne trouve rien à y redire, et elle ne peut s'empêcher de remercier les esprits pour ce court instant de paix, alors qu'elle avise le ciel qui semble prendre une toute autre teinte.

Le soleil se lève déjà ? N'étaient-elles pas ici depuis quelques minutes, pourtant ? Le temps est drastiquement différent, ici. Une journée ne vaut qu'une heure sur terre. souligne son père avec douceur, reprnant à leurs égards. Si vous souhaitez vous dire un dernier mot... Ensuite, il vous sera temps de reprendre vos vies, là ou vous les avez laissés. Auprès de ta famille, pour toi. Et au milieu des morts, pour toi. qu'il indique à Kaya, fronçant les sourcils à cette idée. Comment ça, des morts ?