Faire partie de divers clubs, c’était s’intégrer au reste de la population, n’est-ce pas ? Et quoi de mieux qu’un club de lecture, pour partager avec des personnes intéressantes, faire connaissance et sans doute garder contact avec quelques personnes qu’elle ne voyait plus beaucoup depuis qu’elle avait quitté le cinquième district pour le deuxième. Et puisque la situation de son mari lui offrait de ne plus travailler à la blanchisserie, elle avait beaucoup de temps à occuper - par l’hôpital, l’orphelinat et… une certaine position sociale à défendre, si on veut. Cela faisait aussi partie du contrat qui la liait à Luther ; elle serait le visage du couple ; pour sourire, accueillir et garder sa réputation sauve. Et ce, malgré les casseroles qui trainaient derrière elle. Luther pourrait toujours se défendre sur la générosité chrétienne pour justifier son choix d’épouse. Elle n’avait de toute façon aucunement l’intention de lui faire honte. Encore moins depuis qu’elle portait son enfant.

Sa silhouette légèrement arrondie mise en avant, elle avait suivi la réunion avec sourire et intérêt alors que le groupe de femme avait lu le premier tome d’Outlander - relu et noirci aux passages délicats. Les discussions allaient bon train, les badineries étaient présentes et quelque part, une complicité s’était créée. Vraie ou fausse, Ela était bien mal de le deviner - elle, en tous cas, était sincère dans ses échanges. Guindée certes, mais pas hautaine. Pas ici, du moins. La réunion se terminait, l’heure était au thé et aux petits gâteaux apportés par l’une d’elle. « La lecture était intéressante, tu ne trouves pas ? » Demande-t-elle à Jena qu’elle avait rencontré il y a peu, grâce à ces réunions. L’israélienne avait sympathisé avec quelques-unes d’entre elles et trouvait la trentenaire très intéressante. Elles n’en n’étaient pas au stade à s’inviter des invitations chez l’une ou l’autre, mais pour Ela ce début avait quelques élans d’amitié… Non ?

« J’ai eu l’occasion de lire bien nombre de livre avant celui-là, mais l’Ecosse ? Je ne m’y étais jamais vraiment intéressée avant ça. » Après tout, son monde à elle, était plutôt oriental. Fait de soleil et de miel. Même si cela faisait finalement plus de dix ans qu’elle n’était plus retournée dans son pays - le reverrait-elle un jour ? Elle avait quelques doutes. Mais le passé était ce qu’il était, n’est-ce pas ? Même si elle était loin de se douter que ce début d’amitié avec Jena la mènerait à se replonger dans un passé pas aussi lointain qu’elle ne l’aurait imaginé. L’Ecosse, avait-elle dit. Dans son esprit déjà, un souvenir tentait de refaire surface mais… Quelque chose bloquait encore - un formatage, évidemment. Elle n’avait pas vraiment le droit de se rappeler d’un passé qui compromettrait sa place dans cette communauté.

C’est plutôt nouveau pour Jena, ces clubs de parfaite petite femme au foyer. Autant le dire, ce n’était pas forcément son truc avant. Elle a du s’y mettre en devenant mère, sans pour autant être l’épouse et la mère parfaite. Le temps la rendue plus posée et sage que dans sa jeunesse, mais pas au point de devenir une couturière hors pair ou une jardinière de talent. Face au listing des différents clubs, elle a du faire un choix. Elle a conscience que d’avoir des relations est important ici. Savoir tisser les bons liens est une façon d’assurer ses arrières. Surtout en l’absence de son époux. Le club de lecture a été une évidence pour elle. Déjà qu’elle est frustrée de ne plus avoir libre accès aux livres maintenant, alors que tout est contrôlé… Au moins, elle peut lire et s’aérer l’esprit ici, avec des femmes qui partagent son goût pour ce loisir. Même si les lectures ne sont pas forcément celles qu’elle aurait pu choisir en temps normal. Mais, toujours un peu fleur bleue, elle a au moins l’excuse de la restriction pour se perdre dans quelques romans à l’eau de rose.

Clairement, le livre choisi n’est pas dénué d’ironie pour elle… Et cela fait naître des souvenirs doux amer chez la jeune femme… Perdue dans ses pensées, elle est interpelée par Ela, à côté d’elle. « Si. Je suis curieuse de voir où cela va mener. » Réellement. Ce n’est pas juste de la politesse. Elle a un sourire pour la future mère. Elle pourrait presque être envieuse, mais elle a déjà fort à faire avec Wilan, encore bébé et fragile. Bien assez pour ne pas forcément vouloir remettre le couvert dans 9 mois… Et pourtant, ça la titille. Mais avec un mari souvent parti… Elle soupire intérieurement, alors qu’elle a bien conscience de ne plus être toute jeune non plus. Mais Ela n’est pas beaucoup plus jeune et pourtant, elle est enceinte, alors… Elle y croit malgré tout.

Elle a un sourire un peu triste quand elle reprend en évoquant l’Ecosse. « Et pourtant, c’est un pays magnifique… Avec des légendes vraiment intéressantes. » Elle avait été enchantée par son séjour là bas, surtout que c’était là que Locke lui avait fait sa demande en mariage, alors qu’elle était enceinte de Maelys. Certes, un mariage convenu, puisqu’elle était en cloque, mais il avait fait les choses bien alors que rien ne l’y obligeait. Alors comment ne pas penser avec nostalgie à ce pays enchanteur, à la météo aussi changeante et impétueuse que Locke ? Et cela lui fait mal quelque part. « Tu es friande de romans d’amour ? Ou fantastiques ? » Jena a toujours aimé les contes et les légendes, parce qu’il y a souvent une morale.

La lecture de ce livre lui avait beaucoup plu, malgré les passages censurés. Elle avait aimé se perdre dans la description des paysages écossais et rêver un peu à ces lieux qui, à travers ce livre, semblaient irréels. Pourtant en dehors de ces enceintes, la nature n’avait-elle pas repris ses droits sur le goudron et le bitume ? Parfois, elle se surprenait à oublier qu’elle savait ce qu’il y avait dehors. Comme si les souvenirs s’étaient murés en mirages. Ce n’est pas comme s’ils s’étaient échinés à la convaincre que toute cette vie menée auparavant était… mauvaise. Et même si de plus en plus elle doute de leurs vérités, la peur installée dans le cœur de l’israélienne faisait tout de même le travail. Alors… Des mirages oui, cela semblait plus prudent.

« Je n’ai pas eu l’occasion de m’y rendre, malgré les nombreux déplacements de mon défunt mari. Et toi, cela semble bien te parler ? » Qu’elle lui demande, réellement intéressée pour la réponse. Jena dégageait quelque chose qui lui plaisait bien, comme si elle lui semblait familière. Mais c’était impossible, jamais leur route ne s’était croisée avant l’arrivée d’Ela à Walla Walla. Loin d’elle l’idée que cette femme lui avait été soufflée par une connaissance qu’elles avaient en commun. Quand Jena lui demanda ce qu’elle préférait lire, la réponse qui lui vint la surprit elle-même : « Eh bien, un peu c’est vrai mais… J’ai toujours bien aimé les livres aux intrigues politiques, quelques thrillers également. Certains auteurs ont réellement le don du suspens » Qu’elle lui avoue, sans trop élever le ton, de peur d’être entendue des mauvaises personnes. Sans doute que ce genre littéraire n’était pas trop apprécié des Soeurs.

« Mais pour rêver un peu, le fantastique fait généralement très bien son travail » Qu’elle approuve. « Tu as le temps pour boire un thé en ma compagnie ? Ou est-ce que tu es attendue à la maison ? Je dois dire que je ne suis pas pressée de retrouver ma maison vide… » Souffle-t-elle, avec un léger sourire. Le fardeau de l’épouse du Docteur Hawksley était bien la solitude. « Il faudra encore quelques mois pour que ce petit bonhomme vienne me tenir compagnie. » S’amuse-t-elle, tendre avec une main posée sur son ventre.

Les deux femmes s’installent ensemble, à la fois à l’écart du groupe tout en restant prises par le brouhaha des badineries autour d’elles. « Et toi, ton genre littéraire ? Le fantastique ? L’historique peut-être… Si tu connais quelques légendes écossaises, un peu des deux, j’imagine ? » L’israélienne en aurait aussi à dire avec ses légendes orientales. Mais pour l’heure l’intérêt ne se portait pas sur elles, Ela avait encore en tête les paysages écossais décrit entre les lignes du bouquin, et elle n’était absolument pas contre de faire perdurer le voyage avec une amie connaisseuse.

Forcément, parler de l’Ecosse éveille un puissant sentiment de nostalgie en Jena. Un sentiment de perte également. Jamais elle ne reverra ces paysages magnifiques. Et plus jamais avec le père de ses enfants, l’homme qui lui a complètement retourné la tête et qu’elle n’arrivera jamais vraiment à oublier. Beaucoup trop de choses au quotidien lui rappellent Locklan. Rien que voir sa fille le lui rappelle… Elle sourit doucement, mélancolique. « J’y suis allée une fois. C’est là que j’ai été demandée en mariage. » Elle était enceinte de Maelys alors, et Locke avait décidé de se remettre avec elle et d’assumer son rôle de père. Le mariage n’était que la suite logique pour officialiser tout ça mais… Cela demeurait un moment romantique et surprenant, que Jena chérissait encore. Il n’était pas obligé de faire ça. Cela avait rendu ce sens du devoir un peu moins austère et froid.

Naturellement, la brune demande à Ela ce qu’elle aime lire d’ordinaire. Malheureusement ici, les lectures sont restreintes et Jena ne peut malheureusement pas se satisfaire pleinement de cette censure. Mais c’est déjà bien de pouvoir trouver du temps à perdre pour lire. Un luxe qu’elle n’a pas pu se permettre les premières années de l’apocalypse. Pouvoir perdre du temps, c’est un sentiment merveilleux. Pouvoir s’ennuyer aussi. C’est le signe du confort. De la sécurité. « Oh… Malheureusement, tu ne trouveras plus trop ton bonheur maintenant. » Elle a un air désolé sur le visage. Avant d‘acquiescer quand l’israélienne revient sur le genre du fantastique pour s’évader un peu. Un sourire fleurit sur ses lèvres quand elle lui propose de venir boire un thé. « Avec plaisir. » Son regard s’attarde sur le ventre de la jeune femme. « Profite bien de cette grossesse, c’est un moment précieux. J’espère juste que tu ne seras pas trop incommodée. J’ai eu la chance que mes grossesses se passent bien. » Elle sait bien que ce n’est pas donné à tout le monde et que certaines vivent très mal ces neufs mois. « Ton mari n’est pas très présent ? » Elle a bien dit qu’elle rentrait dans une maison vide, non ? Parce qu’il travaille beaucoup ? Parce qu’ils ne s’aiment pas et ne se tolèrent pas vraiment ? Difficile à dire.

Elle s’installe près d’Ela, riant quand elle lui retourne sa question : « Les deux. Un soupçon de romance également. Je suis fleur bleue. » Je ris. « Je me suis intéressée à ce pays, parce que mon mari était écossais. Je suis plutôt curieuse. Mais je ne me suis mise à la lecture qu’assez tardivement. A l’âge adulte. Je trouvais ça chiant quand j’étais adolescente… Le programme imposé à l’école était d’un ennui. Mais comme j’ai du me replonger dans les études ensuite pour devenir psychologue, il a bien fallu lire. Et j’y ai pris goût. Il suffit de trouver ce qui t’intéresse. »

« J’ose espérer que la demande était plus romantique que celle du bouquin » S’amuse-t-elle, complice. Oui, Ela était réellement loin - si loin - des réalités de sa condition à cette époque. Le déni était de toute façon plus facile à gérer, les œillères plus confortables à porter. « En tous cas, j’imagine le cadre magnifique… A défaut d’y être allée un jour. » Qu’elle souffle, avec douceur. Parfois, certaines conversations semblaient surréalistes ici, à Walla Walla. C’est sans doute ce qu’aucun venant de l’extérieur dirait, sans aucun doute. C’était comme une mauvaise sitcom finalement, avec des revers plus sombres. Mais les deux femmes semblaient passées maîtresses dans l’art de donner le change, et d’afficher sur leur visage ce sourire qui trompait tout le monde - c’était tout ce qu’on leur demandait, n’est-ce pas ?

D’ailleurs, elles s’installent ensemble, un thé dans une main, un petit sablé dans l’autre, un peu comme d’autres d’ailleurs. C’est qu’il fallait bien les occuper, ces femmes au foyer, n’est-ce pas ? L’israélienne délaisse bien vite son thé gourmand pour venir poser sa main sur son ventre, le cœur gonflé d’une chaleur non feinte cette fois-ci. « Je la chéris… Sincèrement. Je n’ai pas eu le bonheur d’en vivre une à termes par le passé… » Souffle-t-elle, avec un soupçon de tristesse au souvenir de son premier fils, perdu lors de sa fausse-couche. « Ce n’est pas faute d’avoir essayer mais… Mon mari est décédé tôt après cette épidémie et puis… Sept ans ont passé, déjà. » C’était long, sept ans, n’est-ce pas? Et déjà un an qu’elle avait rejoint - contrainte et forcée - New Eden. Même si aujourd’hui, il était difficile de voir à quel point sa situation était bancale. « Eh bien, il y a des avantages et des inconvénients à être mariée au très estimé Dr Hawksley, il se dévoue beaucoup à ses patientes et en ce moment, à la clinique, il y a beaucoup à faire. » La vérité c’est qu’ils étaient toujours aussi mal à l’aise quand ils se retrouvaient dans la même pièce. C’est pour ça qu’il n’y avait jamais un soir sans qu’ils ne reçoivent les jours où Luther rentrait pour l’heure du dîner.

« Cela étant, je m’inquiète moins pour lui que tu dois l’être quand ton mari part en mission » Lui retourne-t-elle, avec compassion. C’était difficile de rester derrière, à attendre. Elle était soulagée de ne pas connaître cette inaction, cette angoisse-là. Surtout parce qu’elle avait été celle qui tenait l’arme, aussi. Peut-être que certaines barrières auraient sauté plus vite, mariée à un soldat.

« Tu as parlé de deux enfants… Comment s’appellent-ils ? » Qu’elle pose, sans penser au fait qu’elle n’avait jamais vu Jena qu’avec une jeune fille à ses côtés. « Ca te laisse au moins un souvenir de ton précédent mari, j’imagine qu’il n’a pas survécu non plus à cette épidémie… » Elle compatit, sincèrement. L’envie aussi, un peu. Il ne lui reste plus rien d’autre que les alliances de son précédent mariage, dont la sienne toujours à son doigt, à côté de la bague de Luther, tandis que celle d’Abel est précieusement rangée dans le tiroir de sa table de chevet.

La brune a un petit rire, à la fois ému mais aussi nostalgique. « Elle l’était. Etonnamment. Même si… elle a été motivée par la nécessité. » Un sourire doux amer se dessine sur ses lèvres. « J’étais enceinte de ma fille.» Ela a déjà du voir l’adolescente, pour resituer un peu dans le temps cette demande en mariage. « C’est… grandiose. Sauvage. J’ai vraiment vibré là bas. J’aurais presque pu voir une fée surgir dans la lande déserte… » Elle parle d’une voix plus basse alors que toutes ces légendes ne sont que des fadaises pour l’Eglise. Voire même de l’hérésie. Cela reste de l’imaginaire… Un genre qui ne déplaît pas à Jena. Elle s’installe avec Ela pour un goûter fort bienvenu. Quelque chose de normal dans le monde d’avant, devenu surréaliste après l’apocalypse. Et Jena apprécie de pouvoir de nouveau s’adonner à ce genre de frivolité… Même si l’atmosphère est oppressante parfois ici, qu’on peut vite tomber à cause d’une délation, fausse ou non, qu’un climat de méfiance règne, Jena préfère 1000 fois cela que sa vie avec les bikers. La seule chose bien de cette période… C’était Locke.

Jena évoque le bébé à naître de sa compagne du moment. Une petite pique d’envie se fait sentir quand elle la voit poser sa main sur son ventre, machinalement, comme toutes les futures mamans le font. Pourtant, la psychologue sent la tristesse dans la voix d’Ela. Ses mots l’interpellent… Une grossesse à terme… Une fausse couche peut-être ? Voilà bien une expérience traumatisante. Peut-être un peu moins que de perdre un enfant qu’on a pu élever et voir grandir… et encore. Mais aucune peine n’est mesurable à une autre de toute façon. « Je suis désolée de l’entendre. » La sincérité lui dans le regard bru, avant que la chaleur n’y revienne : «Ce petit bout va être adoré. » Et va grandir dans une ville fermée et conservatrice. Mais avec un peu de chance, il ne verra jamais un rôdeur au sein de ces murs. Ou pas avant être devenu apte à mener une guerre. SI tant est que ce soit encore d’actualité dans plusieurs années.  Jena décèle probablement une distance au sein de couple Hawksley alors que l’époux est bien trop occupé par son travail pour s’occuper de sa jeune épouse enceinte. Alors que c’est dans ces moments là qu’une femme a besoin d’être aimée et soutenue. « Je me souviens comme j’avais besoin de l’attention de mon mari comme j’étais enceinte… » Elle glisse cela l’air de rien, laissant une porte ouverte.

Mais Ela a raison. Son époux à elle au moins, reste à Walla Walla. Alors que River… Risque sa vie à chaque fois et peut ne jamais revenir. « C’est nouveau pour moi… D’être femme de militaire. Je savais à quoi m’attendre, River m’a bien prévenue, mais cela demeure difficile de n’avoir comme seul recours que prier pour qu’il revienne. » Ce sentiment d’impuissance est terrifiant. Mais elle fait avec, bravement. « Au moins… les retrouvailles sont à la hauteur du manque. » Elle souffle cela avec davantage de malice.  Une malice qui déserte son regard à la question innocente d’Ela. « Maelys. Et… Ewen. Je l’ai perdu il y a 4 ans. » Est-ce qu’un jour, elle pourra parler de son fils sans cette fêlure dans sa voix ? Elle en doute. Des années ont passé et cela demeure toujours aussi douloureux. Au moins peut-elle désormais parler de son petit sans fondre en larmes. C’est une amélioration… Non ? « J’ai encore mon alliance, tu sais ? Il a disparu il y a 2 ans et demi. Sans lui pour nous protéger… Nous avons fui, Maelys et moi. Nous avons survécu tant bien que mal. Ma fille… elle est très débrouillarde. Elle a tout appris de son père. » Il y a de la fierté dans son expression. « Mais quand elle est tombée malade, je n’avais plus de recours… autre que celui d’accepter de venir ici pour la soigner. » Elle termine avec un sourire sans joie. « Tu sais tout. Et toi, comment as-tu vécu ces dernières années ? »

Le pire est sans doute de constater à quel point Ela se prenait au jeu de cette conversation qui lui arrache un sourire sincère quand son amie évoque cette demande en mariage dans le cadre bucolique écossais. Entre les descriptions magnifiques des landes du livre qu’elle avait lu et l’éclat dans le regard de Jena, Ela s’imagine bien la scène. « J’imagine, j’aurais été heureuse de découvrir les landes. » Elles semblaient aussi surnaturelles que cette conversation autour d’un thé et quelques gâteaux. Quand on savait ce qu’il se passait dehors. Mais Ela, à l’heure actuelle, n’y pense pas. Elle ne s’y autorise pas - pas encore, du moins.

« Oh, je n’en doute pas… Mon premier mari n’avait pas le droit d’aller bien loin une fois que je suis tombée enceinte. Mais ici, c’est un peu différent. Luther est un homme fort demandé, mais j’ai tout le confort que je souhaite à la maison, et nous avons engagé une dame de compagnie à plein temps aussi » Cela compensait, un peu. Mais si elle devait dire la vérité, c’est que le couple Hawksley ne savait pas rester seul en tête à tête sans ressentir un certain malaise. Cette distance resterait probablement à jamais. « Je comprends l’angoisse… d’une certaine manière. Dehors, la vie était… compliquée. » Dit-elle, en restant bien évidemment évasive. A Fort Ward, tout le monde donnait de sa personne au combat. Et ça n’allait pas sans risque. Elle a un sourire sincère, néanmoins. Au moins Jena est-elle mariée à quelqu’un qui sied à son cœur. Ce qui n’était pas si courant, finalement à Walla Walla.

« Maelys et Ewen… » Répète-t-elle, en sentant quelque chose - comme une alarme - se déclencher dans son esprit. Jena, Maelys, Ewen. Ces noms ensemble lui disaient quelque chose, rappelait à elle une histoire qui lui semblait si lointaine qu’elle pensait l’avoir rêvé. « Ewen… » Qu’elle répète, en faisant un effort pour se reprendre. « Je suis désolée… Je prierai pour lui. » Mais cette intuition ne la quitte pas, elle vient parasiter sa conversation avec Jena et la met mal à l’aise mais… Elle ne peut pas, pas ici, jamais d’ailleurs. Alors l’israélienne fait ce qu’on l’a si bien conditionné à faire ; taire cette voix qui essaye de lui rappeler quelqu’un évoquant ces noms il n’y a pas si longtemps, en réalité.

Et quand Jena parle de son alliance, Ela vient distraitement caresser sa bague de ‘fiançaille’ à son doigt. « Je comprends… A vrai dire, Luther a tenu à ce que je mette mon ancienne alliance comme bague de fiançailles… Une façon de nous attirer la bénédiction de mon défunt mari. » Dit-elle, racontant cette si jolie histoire répétée maintes fois. Et puis, ça la titille quand même. « Il s’appelait Abel, Abel Amrani… Et le tien ? » Demande-t-elle, pas si innocente que ça finalement. Son histoire faisait réellement écho à quelque chose qu’elle connaissait mais, elle n’était pas vraiment sûre d’elle. Aussi, finit-elle par profiter de la distraction offerte par la dernière question de sa nouvelle amie.

« Comme toi, j’ai survécu dehors jusqu’à ce que je croise leur route à Seattle… Mon mari est mort quasiment… au tout début, à vrai dire. J’ai survécu tant bien que mal avec d’autres survivants. » Elle raconte, en restant volontairement évasive. « Jusqu’à ce que je croise la route de leur émissaire, à Seattle. Je dois dire… que j’étais dans un sale état. » C’était le cas de le dire, après avoir été mise à terre par l’un des Trônes. « On peut dire qu’ils m’ont, en quelque sorte, sauvé la vie. Les miens ont tous été tués… » Quel horrible mensonge s’échappait là de ses lèvres. Pour autant, c’était la seule version acceptée ici, la seule qui ne lui attirerait aucun ennuis.