Vérifier encore une fois les stocks. Eviter de me demander à quel moment on va tomber en rade de médocs et comment on va gérer. Alors ouais, je sais qu’on a d’autres moyens pour se soigner, mais j’avoue que je suis pas serein. Je le suis jamais vraiment, même si je fais en sorte de donner l’impression du contraire. Et je finis par refermer la porte du placard avec un soupir. On s’en sort pas si mal en vrai, même si je sais que ça va continuer à me stresser, quoi que je fasse.

D’un coup, j’entends que ça s’agite dans l’entrée. Je relève la tête et je pose le bloc-notes que je dois filer à Lisandro. « Y a un souci ? » Hochement de tête de Leila qui dirige les deux autres. Ils portent quelqu’un on dirait. Je fronce les sourcils, suivant le mouvement, avant de sursauter quand je vois sa… jambe ? Putain, c’est sa jambe qui vient de tomber ? Ah non, c’est une prothèse. Petit coup de flip mis à part, je secoue la tête pour me focaliser sur le blessé.

Qui est donc en train de délirer on dirait. « Où est-ce que vous l’avez trouvé ? » Haussement d’épaules de Leila. « Je saurais pas te dire. Je viens juste de filer un coup de main quand ils ont débarqué. » Bon, je note dans un coin de ma tête de demander plus tard, quand il sera en état. Et j’entends le type marmonner des paroles inintelligibles. Un nouveau froncement de sourcils quand je vois dans quel état de maigreur il est. « Bordel… » Soufflé entre mes dents alors que je commence à découper ses fringues, non sans un regard autour de moi. Evidemment, je suis tout seul, le contraire aurait été étonnant. Bon, c’est pas une urgence vitale non plus, faut pas déconner. Mais faut pas avoir des goûts de luxe niveau assistance ici des fois. Ouais, ouais, j’ai envie de râler aujourd’hui, je saurais pas dire pourquoi.

Je pose ma paume sur le front du mec, soufflant, à mi-voix. « Doucement. Pas besoin de marcher. Ou de bosser. D’accord ? Je m’appelle Nolan. Je vais m’occuper de toi. » Evidemment, Leila est restée en retrait, prête à intervenir si le type me saute à la gorge. J’espère que je vais pas devoir l’attacher, mais j’exclus pas cette possibilité. Que je mets à peu près au même niveau que lui filer un calmant. J’aime pas gâcher ce genre de ressources pour rien. Tant qu’il se fait pas de mal à lui-même, ça devrait le faire non. Je baisse les yeux pour voir son bras, non sans grimacer en voyant à quel point il est maigre. « Si je le perfuse, l’aiguille va passer au travers. » Bon, j’exagère potentiellement un peu. Déjà, le nettoyer et voir s’il a pas de blessures visibles. Et essayer de le calmer. « Hé, tu m’entends ? T’es avec moi ? » Toujours lâché d’une voix tranquille, qui contraste un peu avec celle du type. Mais c’est une bonne façon de capter son attention.

J’essaie de comprendre ce qu’il raconte mais, très franchement, dire qu’il est confus est un sacré euphémisme. Il est totalement en train de délirer et j’espère que je vais pouvoir faire quelque chose pour lui. Autre que de rendre ses derniers moments moins difficiles à vivre quoi. Ouais, c’est pas super festif ce que je raconte, mais en même temps j’ai arrêté d’être du genre super optimiste quant à l’issue de certaines urgences. Ca évite les grosses désillusions. « On verra plus tard pour ce que tu nous dois. Essaie de te calmer. » Soufflé d’une voix aussi douce que possible, alors que je finis par choper enfin une veine qui a l’air exploitable. Autant dire que ça relève du miracle ou pas loin.

Finalement, il finit par perdre connaissance. Dans le fond, c’est pas plus mal, ça me permet de bosser plus efficacement. Ses plaies sont pas vilaines et j’ai même pu faire des points. Un dernier coup d’œil à la perfusion et j’ai quand même une grimace, avant de finir par le laisser tranquille quelques heures. C’est l’heure de changer ses pansements et je commence à préparer tout le matos avant de l’entendre s’agiter. « Hé, salut la belle au bois dormant, on dirait que t’émerges enfin. » Un sourire amusé, avant de l’entendre souffler quelques mots. « Je séquestre personne, parait que c’est mal vu. »

J’entends sa voix un peu rauque et je chope une gourde avec une paille que je pose près de lui. « Tiens, ça te fera pas de mal. Promis, y a rien de chelou dedans. » Un silence, alors que je l’observe quelques instants. Je sais que, par sécurité, il y a toujours quelqu’un dehors tant qu’on sait pas qui est ce type et d’où il vient mais, pour le moment, on est tranquilles tous les deux. Le Conseil viendra l’interroger quand il sera en état mais ce sera pas avant qu’ils aient mon feu vert quoi. « Désolé de te décevoir, mais t’es pas mort. Et… ouais, bienvenue à The Haven. » Un sourire un peu plus franc avant de reprendre, d’un ton tranquille. « De quoi tu te rappelles exactement ? » Histoire que je sache à quoi m’en tenir avec ses blessures déjà. Et que j’ai pas à radoter sur mon groupe quoi. Pas que me répéter soit pas ma passion, mais un peu quand même. Pourtant, je suis du genre patient hein, mais faut voir à pas déconner.

Bon, au moins, il est pas mort. C’est plutôt une bonne nouvelle. Ouais, je suis du genre super enthousiaste comme type, je sais bien. Mais on se satisfait de peu de nos jours quand on est médecin, je peux vous l’assurer. Sans compter que ouais, il devrait pas avoir de grosses séquelles, s’il fait pas de la merde quoi. Mais ça, j’y peux pas grand-chose. Il est même en train d’émerger et, quand je l’entends me répondre, on dirait qu’il a l’air cohérent. Plus ou moins quoi. Autant que possible en tout cas. « Le mariage est un concept sociétal qui n’a plus lieu d’être. Et franchement, je suis à peu près sûr que le prince charmant est le dernier des connards. » Genre, un mec parfait quoi. Ca existe juste pour foutre la merde dans les histoires d’amour.

Hum, bref, j’en étais où ? Ah oui. Le patient donc. Qui se réveille. « Ah ouais ? Tu te souviens des noms de ceux que t’as croisés ? » Ca pourra toujours servir pour savoir s’il est fiable ou pas. Et j’ai une grimace compatissante quand il continue. « Ouais, je peux comprendre. Mais les groupes, pour la survie, c’est quand même carrément utile. » Pour avoir fait les deux, j’ai clairement pas envie de revenir en arrière. « T’as une raison précise pour pas les aimer ? » Histoire de voir si on peut pas remédier un peu à ce qui le travaille quoi. « Vrai que t’es pas bien épais. » Doux euphémisme pour parler de son état. Va falloir un petit temps avant que je considère qu’il pourra être sur pied. Surtout que c’est un truc qui prend masse de temps de se remplumer correctement. « C’est compliqué ces derniers mois. De rester seul. Tu l’es depuis combien de temps ? » Soufflé d’une voix douce. J’essaie de pas le brusquer, qu’il se braque pas. C’est toujours délicat d’avoir ce genre de conversation mais, l’avantage d’être médecin, c’est que les gens se confient plus facilement.

Et j’ai un rire silencieux quand il continue. « Normal. Et ça va pas s’arranger de suite. Mais si t’es sage, tu pourras manger normalement rapidement. » Ca m’arrangerait même, les perf, c’est vraiment en extrême urgence et on commence quand même à être en rade. Ca va lui coûter cher tous ces soins, mais chaque chose en son temps. Je le sauve, après la facture Et en général, c’est pas moi qui la présente en plus. Un sourire amusé à sa question. « Disons que t’es pas recalé. Mais va falloir encore bosser un peu pour l’examen. » Je reprends, désignant sa jambe. Ou plutôt son absence. « Me faudrait tes antécédents si t’es en état de papoter un peu plus. Et si t’as des allergies, histoire que je te tue pas en essayant de te soigner. C’est le genre de trucs qui fait tache sur le CV. » Quoi, ça se dit pas ?