After the tempest

Donc faut renforcer l'enclos aux chevaux. Saloperie de merde. Ils m'auront bien fait chier pendant la tempête si bien que j'm'estime presque chanceuse de pas avoir vécu la panique du phare ou la discussion dont j'ai eu vent alors même que les autres revenaient en pleine tempête.

Qu'est-ce que tu veux que j'dise, pour une fois que j'peux sortir un peu le nez de ma formation d'infirmière, même si la tâche est merdique, je prends. Bon ça fait longtemps que j'me suis pas retrouvé seul avec ce glacier de Richie et même si c'est vrai qu'on a tous des raisons de tirer des têtes de dix pieds de long.

"Tu sais sourire un peu Richie ? Genre, bonjour Chiara, tu m'énerves Chiara car tu parles beaucoup mais je suis Gordon l'homme poli ?"

Bon, pas sûr que ça l'détende davantage mais j'aurais au moins essayé. En attendant j'enfilais mes gants pour commencer à tirer sur le barbelé qu'on avait trouvé pour renforcer la clôture... Enfin, du barbelé. Un truc qui y ressemble donc c'est chouette mais on va éviter de chopper le tétanos en tentant de poser ça parce que j'pense qu'on est tous pas à jour dans nos vaccins.

"Moi j'ai jamais fait ça d'ma vie, me v'la chevalière... Comment qu'on dit les gens qui travaillent avec des chevaux ?"

J'vais t'le faire parler le bougon putain ! Moi aussi j'ai besoin de changer d'air, il va pas m'gâcher cette journée pépouze à faire comme si on venait d'enterrer nos défunts une seconde fois. L'hécatombe, on l'a subit, faut passer à autre chose. Après avec Richard, difficile de savoir c'qu'il pense vraiment. Peut-être qu'il est inquiet pour sa fille ? C'est bien elle qu'il avait retrouvé à la cage ou un truc comme ça ? Au pire, tentons.

"T'as revu ta fille récemment ?"

A mon avis non mais il va daigner être plus bavard p'tet.

Il renifla et se moucha, avant de gober un bonbon au miel. Décidemment, la tempête ne lui avait pas fais du bien, et tout prêtait à croire que cette sale bronchite ne faisait que commencer. D'ailleurs, il apprendra, plus tard, qu'il s'agissait bien plus qu'une bronchite mais d'une pneumonie, et qu'il manquera d'y passer dans la foulée. Un plaisir.
En attendant, il faisait mine de ne pas s'y attarder, préférant se rendre utile du mieux possible pour réparer les dégâts de la tempête en ignorant la fièvre et la fatigue.

Et, bien sûr, il fallait que Chiara vienne compliquer la donne en prenant tout personnellement.
Richie se redressa, mains sur les hanches, et leva les yeux au ciel.

Je suis juste fatigué, Chiara. Tout ne tourne pas autour de toi, tu sais. Faisons ça rapidement, d'accord ? J'ai envie d'en finir vite.

Il l'aida avec le pseudo-barbelé, bien décidé à vite terminé cette tâche ingrate. Les pieds dans la gadoue, le vent soufflant … honnêtement ? Même lui qui était bosseur, il n'avait pas du tout envie d'être là. Il se surprenait à rêver d'un bain chaud et d'un lit confortable.

Hm j'sais pas, marmonna-t-il en posant un genoux à terre pour venir bidouiller le fil en métal, s'armant de sa pince.

La jeune femme changea de sujet du tout au tout, le faisant relever un bref regard vers elle. Sa fille ?

Laquelle ?

Il marqua une pause le temps de s'essuyer une nouvelle fois le nez.

J'ai deux filles. Les deux survivent ensemble. Et deux fils aussi, des jumeaux. Vivants, aux dernières nouvelles, mais je sais pas où ils sont.

Et Chiara était bien la dernière personne à qui il avait envie de se confier. Wyatt, ça avait plus ou moins été confirmé, se trouvai à New Eden, où il se formait en médecine. La seule chose qui rassurait Richie était de savoir qu'il y avait Kendale et sa famille là-bas aussi. Quant à Jim … Les rumeurs racontaient qu'il était toujours à l'extérieur, probablement dans une grosse résistance anti-NE. Le père Gordon aimerait bien s'y pencher plus, mais … bordel, il n'avait pas le temps, et ça le faisait vraiment chier.

Il soupira, tandis l'outil à Chiara pour qu'elle fasse de même de son côté.

Tiens. Sers bien surtout. On va consolider en faisant deux tours, même, histoire de plus avoir de mauvaises surprises.

Bien sûr que si tout tourne autour de moi. Enfin, c'est c'que j'aurais tenté de répondre s'il avait de l'humour malgré la fatigue mais à voir ses orbes rouler, c'est peut-être pas le moment de blaguer. J'veux bien comprendre qu'il soit épuisé mais ça empêche pas d'faire un brin de causette. Pour une fois que j'suis pas en train d'faire du boudin dans mon coin.

"Finir vite ou finir bien ? Parce que les deux collent pas ensemble."

Ou que celui ou celle qui arrive à faire vite et bien sans accroc viennent me soulever là tout de suite si j'me trompe ! M'enfin, je fais comme lui et j'm'active à la tâche puisqu'il veut déjà rentrer alors qu'il fait même pas frisquet. Quoi que, p'tet pour lui au final à l'entendre esquisser un petit reniflement discret. Du coup j'me dis que j'vais changer de sujet. J'ai quand même envie de blablater moi aujourd'hui. Même avec Petee si j'avais que lui sous la main. Même avec Isa... Ouais nan, pas lui quand même.

"Euh... Sarah ?"

J'tente, j'ai laissé traîner mes oreilles pour apprendre qu'il avait retrouvé sa fille mais de là à avoir entendu son prénom, me semble pas. De là à avoir entendu c'qu'il me confie, encore moins vu que je me fige, bouche en cul de poule et pas pour faire un selfie de pétasse mais par étonnement. J'suis sur le cul, au sens propre aussi d'ailleurs puisque j'me suis mise en tailleur pour commencer avec mon bout de fil, que j'commence à enrouler.

"Ah y'en a aucune qui s'appelle Sarah ?" J'connais déjà la réponse. "C'est quoi leurs prénoms ?" J'sens bien que j'l'agace un peu, il masque difficilement ça le Richie. "Pourquoi tu vis avec nous du coup en fait si tu sais où sont tes filles ? Elles aussi elles sont jumelles comme les soeurs Olsen."

C'moi qui soupire et qui m'arrête avant de lui demander s'il pense qu'elles sont vivantes alors qu'on en a rien à cirer. Et c'moi aussi qui fait la dépiter tandis qu'il esquive vaguement le sujet en me donnant quelques conseils. Deux tours, ouais, c'est noté "Canadia Dry" !

"Merci." Que j'fais en attrapant la pince et en serrant comme il me l'a conseillé avant de demander son approbation, le visage fier comme si j'venais de casser deux pattes à un cheval... Ah bah non j'serais pas fier si j'faisais ça juste à un seul de nos bestiaux, j'suis conne. "Comme ça qu'tu veux ?"

Vite et bien, c'est possible quand on est concentré sur la tâche, répondit-il du tac au tac, plongeant par ailleurs son attention sur son travail.

Très vite, elle mentionna le sujet de ses filles, sans qu'il ne comprenne vraiment pourquoi. Malgré lui, il esquissa un sourire quand elle tenta, bien en vain, de lancer l'un des prénoms des jeunes Gordon.

Presque, bravo. Mary et Johanna. Elles sont pas jumelles, non, mais mes fils oui. Wilhem et Jim.

Ses mains gantés manipulaient les outils, déroulaient avec précaution le barbelé. Quelques mèches trop longues retombaient sur son visage. Il ne regardait pas Chiara, comme si le fait d'éviter de croiser son regard aller l'empêcher de trop parler.

Je fais des allers-retours chez elles, enchaîna-t-il distraitement, pour les aider pour leur travaux d'amménagement. Mais pour l'instant, je reste ici. Pour aider.

Aider, aider, aider. Au final, c'était un peu tout ce qu'il savait faire, le père Gordon. La seule chose qui lui donnait l'impression d'avoir un peu d'intérêt, dans cette vie pourrie.
Il lui tendit la pince, lui donna quelques indications, et la jeune femme s'exécuta avant de demander approbation. D'un coup d'oeil, il vérifia. Pour une fois, Chiara avait l'air de vouloir un minimum bien faire, autant l'encourager dans cette voie. C'était presque surprenant de ne pas la voir de mauvaise volonté.

Ouip, comme ça, c'est bien. Hésite pas à serrer.

Il voulut, pour l'empêcher d'enchaîner encore sur ses questions indiscrètes, lui retourner les lumières au visage. Mais il hésita. Chiara était seule ici, et depuis longtemps. Tout portait à croire qu'elle était unique survivante de sa famille, si famille elle avait. Ca pouvait expliquer son comportement. Pas l'excuser - ça non -, mais l'expliquer, oui.

Est-ce que tu te sens bien, avec nous, Chiara ? lança-t-il alors de but en blanc, l'esprit toujours concentré sur son travail, récupérant la pince et lui rendant quand elle devait enchaîner de son côté.

Elle paraissait seule de base, toujours aigrie, et Richie s'était mis en tête qu'il ne l'aimait pas et ne voudrait jamais l'aimer. Pour lui, quelqu'un qui n'était pas efficace ne méritait pas vraiment d'attention, et Chiara cochait malheureusement, pour l'instant, cette case. Mais ... puisqu'ils faisaient cette tâche ensemble, autant tenter d'en savoir un peu plus sur elle, dans la moindre mesure.

Pas l'air d'avoir envie de discuter papy Richard. C'est presque s'il m'envoie chier alors que j'trouve ma remarque pertinente. J'vais devoir passer l'après-midi à faire la conversation. Parce que y'a des jours comme ça où c'est intenable pour moi de pas parler. Après y'en a où il faut mieux. Manquerait plus qu'on soit pas raccord, que ce soit le jour où faut pas du tout lui parler et cette journée promet d'être si longue !

"T'aimes bien aider un peu partout quoi ? Voir du paysage tout ça ? Pas trop rester au même endroit ?"

J'en démordrais pas, j'veux pas faire que serrer serrer comme il l'ordonne. Gordon. J'pouffe de rire toute seule en pensant à la rime, "il ordonne le père Gordon". J'obéis néanmoins parce que faut rester sérieuse et que j'espère qu'il a pas cramé ma p'tite phase personnelle vu que j'ai bien foutu ma manche entre mes dents pour éviter qu'on entende mon rire niais.

"Je serre, je serre."

Ah, tiens. Il pose enfin une question, fatidique en plus. Au moins j'ai réussi à ouvrir quelque chose. Franchement, que dire de ces deux dernières années passées ? Quand Jeff m'a ramené ici, ils m'ont remis en état et j'm'attendais moi-même à m'barrer une fois bien rétablie, sans demander mon reste. Mais j'avais fini par rester... Y'avait eu des hauts et des bas. Eli, Keira, Peter... Faith m'aimait pas des masses non plus au début. Y'avait eu des morts... Sawyer, Jeff, Clara, Edwin, la disparition de Zack. Tant de bordel et pourtant, j'étais là. Ils avaient réussi à me faire renouer avec le concept de "famille" si j'puis dire alors la réponse coulait de source.

"Bah ouais pourquoi j'me sentirais pas bien Rich' ?" Que j'me permets de le surnommer. "Avant vous, j'savais même pas où j'allais si tu veux tout savoir." Confiais-je ensuite. "Des mois passés sur les routes après avoir vu mon groupe décimé, ces connasses de The Haven qui m'interdise de territoire et il a fallu que j'croise monsieur side-car, paix à son âme, pour retrouver le droit chemin."

C'était pleinement vrai en plus. Si j'm'étais pas blessé ce jour là, qui sait c'que j'serais advenu sans cette rencontre. C'est grâce aux Fuckers que j'avais retrouvé de vieux principes et en avait oublié de mauvais.

"Franchement, j'suis bien contente de vous avoir trouvé. Après, j'suis pas la fille la plus sympa du monde mais ça veut pas dire que j'suis pas bien ici. J'ai mis du temps à comprendre que j'vous aimais tous bien, puis j'aime pas dire aux gens que j'les aime bien en plus. T'es l'seul à l'savoir ça d'ailleurs Rich', l'ébruite pas." Même si ça m'étonnerait fort de toute manière. "Et toi, t'étais là avant moi ? Tout ces allers-retours ? C'est que tu te sens mal ?"

Il expira lentement par le nez.

J'aime bien me rendre utile, oui, répondit-il simplement quand elle insista sur ce sujet-là.

Au final, il n'avait pas vraiment de but à rester en vie. Alors, se donner l'illusion qu'il pouvait au moins aider d'autres personnes qui avaient vraiment un but dans leur vie, un semblant d'espoir, ça le raccrochait un peu à tout ça. Et ses filles étaient numéro un sur la liste. Elles étaient encore jeunes, avaient des projets, des envies, des joies et des désirs. C'était précieux.

Il tourna la conversation sur Chiara, et lui demanda si elle se sentait bien ici. Au final, il ne lui avait jamais vraiment parlé. Peut-être que son côté insupportable cachait quelque chose et qu'elle était plus profonde que ce qu'elle laissait paraître. En tout cas, la question sembla faire mouche, et Richie eut l'impression de voir sa carapace s'ouvrir un peu.

Il s'arrêta un instant de travailler pour l'écouter, relevant ses yeux vers elle, sans flancher quand elle mentionna Jeff malgré son cœur qui se serra. Il ne l'avouera jamais à personne, ça ne regardait qu'eux, mais les deux hommes avaient eu une aventure, à l'époque. Rien de sérieux, mais assez pour que l'affection de Gordon soit totale à l'égard du tatoué, et que sa mort l'impact réellement.

Il eut un soufflement de nez amusé quand elle lui demanda de ne pas ébruiter le fait qu'elle aimait bien ce groupe, et mima une fermeture éclair contre sa bouche. Ca faisait bizarre, malgré tout, de discuter ainsi avec elle. Jusqu'à présent, il avait toujours fait en sorte d'esquiver. Pas forcément qu'elle, mais en règle général. Il se contentait d'être silencieux, présent, utile. Parler à coeur ouvert, c'était trop dangereux, selon lui. Même s'il écoutait sans peine les autres s'ouvrir à lui.

C'est cool. Que tu te sentes bien, ici.

Dans la foulée, elle retourna la question. Une seconde, il la dévisagea, avant de replonger son attention dans son travail.

Je me sens pas mal, finit-il par répondre, et peut-être qu'il mentait un peu. Juste que mes filles sont revenues dans ma vie après que je me sois adapté à notre groupe. Qu'elles … sont comme elles sont, et que je ne veux pas être … un poids pour elles. Donc je les aide quand elles en ont besoin, et je reviens aider ici ensuite.

Partir vivre avec elles était une idée qu'il gardait en tête, puisqu'elles lui avaient proposé. Mais ... il redoutait. D'être de trop. Au moins, en partageant son temps, on l'oubliait plus facilement. Il n'avait pas vraiment à s'engager sur quoique ce soit, et ça lui convenait, d'être une ombre.

J'doute pas de ses dires, il est du genre actif le père Gordon. Pas très bavard en temps normal, j'suis donc surprise de lui parvenir à lui délier la langue. Légèrement, parce qu'il est assez malin pour qu'inconsciemment, je me mette à confier mes états d'âmes. Alors j'me laisse aller à quelques confessions, hochant la tête pour approuver, c'est bel et bien devenu ma famille ici.

Puis je l'écoute et j'arque un sourcil. Sa façon de détailler les choses donnent plutôt l'impression qu'il restera un éternel quarantenaire blasé par la vie. Un père aimant mais un peu bourru aussi. Comme papa, sauf que j'étais sa seule fille et que s'il était encore de ce monde, j'pense qu'il m'aurait jamais lâché. Quoi que... J'avais fui New-York. Rien n'me disait qu'il aurait pu penser également que je voulais mon indépendance et avoir la même façon de penser que Richie...

"Pourquoi tu penses être un poids pour elles ? T'es du genre père poule comme le mien ?"

Si ce dernier était là, encore une fois, j'crois que j'lui en voudrais pas trop, personnellement. On vit dans un monde où si l'on quitte ses proches, ce n'est pas pour une journée et dans un monde où on est jamais sûr de se revoir. Chaque congé pris avec un proche qui doit s'éloigner est une sorte d'adieu.

"Elles sont en sécurité en fait ? Pour que tu ne t'inquiètes pas plus que ça ?"

J'espérais pas être trop intrusive alors qu'un morceau du barbelé ne me me pique l'index, que je finissais par secouer puis m'enfoncer dans la bouche pour sucer mon sang... Avant de me rappeler que c'était pas très propre avec les mains sales.

"Pfeu ! " Crachais-je au sol. "Ou alors, autre théorie," finalement, la fin justifiait les moyens, intrusive ou pas. "T'es ni bien ici, contrairement à ce que tu m'as dit, ni là bas, alors tu vadrouilles sans réel but si c'n'est offrir la force de tes bras, l'huile de coude quoi ? C'est ça ?"

"Pas mal" Ca voulait bien dire quelque chose. Mais il a la manière pour que ça soit subtil !

"C'est ton p'tit crédo pour pas t'attacher aux gens ? En fait, tu me ressembles un peu !"

Pour le coup, c'était délibérément taquin.