J’essaie de me reposer pendant que je nourris Polly. Pour l’instant elle ne pleure pas et c’est une sacrée pause pour moi. J’essaie de suivre les conseils de maman, mais je suis tellement… épuisée. Ma fille a des coliques et ne fait que pleurer, hurler, se tortiller. Je m’en veux comme pas possible. J’ai peur que ce soit de ma faute d’une façon ou d’une autre. Je veux pas réveiller Julian non plus, il a mieux à faire. Je ne veux pas que ça lui pèse d’avoir Polly. Je suis la maman, c’est moi qui dois gérer ça, un point c’est tout. Même si je suis la pire mère du monde. Si je merde trop, je sais pas ce que je vais faire. Je peux pas filer ma fille à quelqu’un d’autre, ou… peut-être que ce serait la meilleure chose à faire en fait ?

Je pince les lèvres. Ça me fait un mal de chien de penser à tout ça. Je sens mes yeux se remplir de larmes même les paupières fermées. J’arrête pas de pleurer j’en ai marre.

Je veux pas transmettre ça à ma fille.

C’est peut-être exactement ce que je fais sans le vouloir en fait ! J’ouvre les yeux et les larmes coulent sur mes joues. Est-ce que je suis en train de pourrir Polly sans le vouloir ?

Ok. Je peux pas faire ça. Il faut pas que je fasse ça. Je veux pas que Polly soit comme moi. C’est la dernière chose que je lui souhaite. Il faut que je… je sais pas. Que je me ressaisisse ?! Que je… que je me force à sourire. Que je me force à être positive. Que je trouve le moyen de dormir. Il faut que je fasse mieux ! Vraiment mieux.

Je feins donc un sourire, essuyant mes larmes de ma main libre. Voilà c’est un début. Je continue de nous bercer pendant que je lui donne le sein. À force de faire semblant que je suis positive, je vais peut-être vraiment réussir à y croire, non ?

Je me réveille en sursaut, alors que les dernières bribes de cauchemar s’évaporent doucement. Il me faut, comme à chaque fois, quelques secondes pour me rappeler où je suis, pour me dire que je suis bien en sécurité. En général, quand ça arrive, il me suffit de me tourner pour voir Hazel qui dort à côté de moi. Et ça m’apaise direct. Sauf que là, quand je tâtonne de son côté du lit, il est vide. « Merde… » Soufflé dans un murmure alors que je tente tant bien que mal d’émerger.

J’ai un temps, alors que je me rassois et que je finis par attendre Polly qui pleure. Encore. Un soupir, alors que je me relève, enfilant un t-shirt pour aller rejoindre Hazel dans sa chambre. Pour ça qu’elle est pas restée là du coup. J’ai un soupir, me glissant hors de la chambre en silence. Et j’hésite quelques secondes avant de les rejoindre. Si elle est partie, c’est qu’elle voulait être tranquille avec la petite non ? J’avoue que je sais pas trop quoi faire et les secondes s’égrènent, avant que je finisse par rentrer. On a installé un matelas par terre dans la chambre, pour rester au calme avec elle à n’importe quel moment du jour ou de la nuit.

Et elles sont là toutes les deux. Hazel à moitié assise avec la petite qui tète tout contre elle. Je finis par me rapprocher sans un mot et je m’assois, me calant tout contre elle alors que je pose une main sur Polly. J’entoure les épaules de ma femme de mon bras libre et je reste comme ça de longues minutes sans dire un mot. Finalement, Polly arrête de téter et je souffle dans un murmure, ma main effleure la joue toute ronde de notre fille. « On dirait qu’elle dort là. » Je laisse de nouveau filer quelques instants de silence avant de reprendre, toujours sur le même ton. « Tu veux en parler ? » Je vois bien qu’elle a les yeux bouffis de larmes et qu’elle a beau essayer, il y a quelque chose qui va pas. Sauf que je me sens totalement démuni sur ce que je peux dire ou faire pour l’aider à aller mieux. Déjà, je suis là. Je fais au mieux sans trop savoir dans quelle direction je vais. En espérant que je sois pas totalement en train de me foirer.

Je m’en veux quand je vois Julian qui arrive dans la chambre de Polly. On l’a réveillé assurément. J’aurais préféré qu’il dorme. Il mérite de dormir et de se reposer. Puis… j’aime pas qu’il me voie dans cet état. J’ai du mal à prendre soin de mon apparence. Je suis qu’un blob flasque et sale qui donne le sein à sa fille qui fait que hurler. C’est… putain ça me terrorise. Il va me quitter c’est certain. Il en aura marre. Il en pourra plus. Il voudra mieux et il mérite mieux.

Je ferme les yeux en essayant de respirer un grand coup subtilement. Il s’approche et vient se caler tout contre moi, tout en caressant la joue de notre fille. Sa chaleur, c’est… J’ai qu’une envie c’est de me cacher au creux de ses bras. Un vrai parasite qui veut que prendre et prendre. Il se force sans doute de toute façon et moi je prends quand même…

J’essaie de me rappeler les mots de maman, quand je suis allée la voir avant-hier. J’essaie de rationaliser un petit peu. De ne pas sombrer. Pour ma fille avant tout. Puis pour Julian. Même si je suis une mauvaise mère et une mauvaise épouse, je les aime plus que ma propre vie. Je dois faire des efforts pour eux. Je cligne un peu des yeux pour chasser les larmes qui commençaient à apparaitre. J’ai pas envie de pleurer encore. Pas envie de me donner en spectacle devant Jul. Il mérite tellement mieux.

- Oui…

Elle dort. Pour une fois. Les médicaments de maman semblent aider. Je me lève donc péniblement du matelas pour aller la déposer dans son berceau. Je pris tout ce qui existe pour qu’elle ne se réveille pas. Qu’elle ne souffre pas. Que je ne perde pas mon sang-froid et commette quelque chose d’horrible. Pour qu’elle puisse se reposer un petit peu. Pour que Julian puisse retourner dormir paisiblement aussi.

- Non, tout va bien ne t’en fais pas. J’essaie d’être convaincante. Il faut juste que je me douche vite fait. Que je mange un morceau. Voilà. La base. C’est tout. Je ne veux surtout pas qu’il s’en fasse pour moi. Il subit déjà bien assez.

Je me doute à quel point ça doit être un calvaire pour Hazel en ce moment. Et moi de mon côté, j’arrive à rien. Je sers à rien en tout cas. Rien qui pourrait vraiment leur être utile à toute les deux. Ouais, je suis là, c’est bien. C’est le minimum quoi. Mais pour le reste, c’est plus compliqué. Et j’ai pas envie d’aller solliciter les autres, ça montrerait juste qu’on sait pas se démerder tous les deux. Je sais qu’elle le vivrait mal de son côté si je faisais ça.

J’ai un sourire quand elle me confirme que la petite dort et je la suis des yeux alors qu’elle la repose dans le berceau. « Cool. » C’est ce qu’il faut dire non ? Au reste, je sais pas trop quoi répondre. J’arrive pas vraiment à la croire et j’arrive pas à piger pourquoi elle veut pas m’en parler. Et je réprime difficilement un soupir quand elle enchaine, comme si de rien était. « Okay. » Je me relève à mon tour et, sans lui laisser le temps de réagir, je vais la prendre dans mes bras, ma main calée sur sa nuque pour la garder tout contre moi. Et je finis quand même par la relâcher, avant de reprendre, dans un murmure. « Tu vas aller prendre ta douche. Et je vais nous faire un truc à manger. J’ai faim aussi. » C’est même pas un mensonge pour le coup. Et j’ajoute, toujours sur le même ton. « Y a encore des piles dans le babyphone. Je m’occupe de la petite si elle pleure. »

Je lui laisse pas vraiment le temps de protester et je l’entraine dehors avant de la pousser gentiment en direction de la douche. De toute façon, vu comment je suis réveillé, je serais bien incapable de me rendormir maintenant. Et, une fois dans la cuisine, j’essaie de deviner quelle heure il est. 3h ? 4h ? Ouais, un truc du genre. Je dormirais mieux demain. Ou pas ouais. Le soleil devrait se lever d’ici deux heures de toute façon. Et tout le monde commencera petit à petit à s’agiter. Sauf erreur de ma part, Amy est pas là. Elle doit être restée dormir avec Jay. Cette pensée me fait sourire, alors que je commence à fouiner dans les placards pour préparer de quoi manger.

Il reste du pain de maïs, des œufs frais. Même quelques tranches de jambon. « Un vrai petit dej de champion. » Ouais, à cette heure-là, ça peut sembler un peu paradoxal, mais on est plus à ça près. Au final, je prends de longues minutes à faire tout ça, non sans aller vérifier de temps à autre que Polly dort bien. Et, une fois revenu à la cuisine, j’entends un bruit de pas discret, alors qu’Hazel me rejoint enfin. Et je lui rends un sourire, attendant de voir si elle va vouloir parler de quelque chose en particulier ou pas. Ou si on va continuer de faire comme si de rien était.

Les bras de Julian se referment autour de moi avant que je ne puisse l’arrêter. Je ne dois pas sentir la rose… mais je n’ai pas la force de le repousser. Je ferme plutôt les yeux et me mords l’intérieur de la joue pour ne pas me mettre encore à pleurer. C’est paradoxal, puisque j’apprécie ce contact autant qu’il me fait culpabiliser…

Il me relâche doucement et je n’ai qu’une envie c’est de résister, de rester là au creux de ses bras et d’oublier un peu le monde pour quelques instants supplémentaires. Je m’en veux quand il propose de nous faire quelque chose à manger. Polly et moi on l’a réveillé et maintenant il a fait et je n’ai rien préparé. En plus, il va devoir se coltiner notre fille si elle pleure, puisque je serai sous la douche…

Encore une fois, il ne me laisse pas le temps de résister et me guide à la salle de bain. Franchement… je suis tellement fatiguée que je ne lutte pas davantage mentalement. J’hoche de la tête et accepte finalement tout ça. Il faudra que je m’excuse par la suite tout de même. Refermant la porte, je soupire en silence. J’ai le cœur gros. Lourd. Je me dirige vers la douche et j’allume l’eau. Pas trop chaude pour en laisser à Julian. S’il fallait en plus que je pique toute l’eau chaude… J’attrape une serviette propre et je me glisse sous l’eau tiède. Machinalement, je me lave. Les différents parfums viennent me chatouiller le nez, mais lorsque je sors de la douche après quelques minutes, je me sens déjà un peu plus légère. J’enroule une serviette autour de mes cheveux mouillés, après mettre rapidement sécher le corps. Je m’observe dans la glace quelques instants… avant de grimacer et de ne plus y jeter un œil. Je n’aime pas le reflet que je vois. Je finis ma toilette, avant de sortir de la salle de bain à pas de souris pour ne pas réveiller Polly. J’enfile un beau pyjama, histoire de ne pas avoir l’air d’une grosse larve pour Julian, pas comme ces derniers temps. Je sèche un peu mes cheveux avec la serviette, puis je décide enfin de descendre. D’affronter l’homme que j’aime. Mon estomac gargouille déjà dans l’escalier quand l’odeur de la cuisine arrive à mes narines.

Polly dort encore et ça me soulage énormément. J’approche de la cuisine et observe un instant Julian en train de cuisiner. J’ai encore une fois ce sentiment étrange, aussi attendri de coupable. Quand il se retourne pour me sourire, je force un petit peu pour le lui rendre en retour.

- Est-ce que je peux t’aider ? Tu pourras te reposer un petit peu. Polly doit le tenir éveillé lui aussi et en plus il doit en faire plus dans la maison puisque je semble servir à rien d’autre qu’à faire pleurer ma fille.

Au moins, elle essaie pas de négocier et accepte d’aller prendre une douche. Ca lui laissera un peu de temps pour souffler, même si ça règlera pas le problème comme ça en un clin d’œil. Forcément, un nouveau soupir m’échappe, alors que je redescends, sans faire de bruit, jusqu’à la cuisine. Il m’a pas fallu longtemps pour m’approprier cet endroit au final et j’y ai rapidement pris mes marques. Probablement parce que j’ai tout rénové et que je l’ai fait comme je voulais. Ma maison idéale en quelque sorte. Ca me fait sourire, encore plus quand je pense à qui vit ici. « Ouais, la maison parfaite… » Soufflé pour moi-même, alors que je finis le petit déj, sans me rendre compte tout de suite qu’elle est déjà dans la cuisine.

Hazel avec moi, je l’observe quelques secondes avant de désigner l’ilot central. « Tu peux préparer la table. Et nous faire des tartines. » Et j’ajoute, d’un ton léger. « J’ai pas besoin de me reposer, t’en fais pas pour ça d’accord ? Au pire, j’irais faire une sieste dans la journée avec Polly, ça te permettra de souffler un peu. » Je suis pas vraiment sûr que ça lui plaise ou qu’elle le prenne bien, mais c’est trop tard pour faire demi-tour. Je sors la poêle du feu et je la dépose entre nous, avant de souffler, le regard fixé sur son pyjama. « Je l’aime bien celui-là. » Et je me rapproche pour l’embrasser dans le cou avant de préciser, non sans malice. « Même si je te préfère sans. » Un clin d’œil alors que je m’installe et que j’attends qu’elle fasse de même. Je commence à manger, sans rien ajouter de plus pour le moment. Je sais pas trop si je peux dire ou faire un truc intelligent et j’ai pas envie de lui prendre la tête pour rien non plus. Enfin, c’est pas pour rien en vrai, mais c’est pas la fin du monde.

…enfin si. Oh et puis merde.

Un soupir, alors que je me pince l’arête du nez, attrapant ma tasse remplie de cet espèce d’ersatz de café que les filles ont réussi à faire. Je sais pas comment elles se sont démerdées, mais il est super bon. « Au fait, t’as participé aux paris sur la date de naissance de notre neveu ? » On a même fait une petite liste et tout. Mais j’ai pas souvenir d’avoir vu son nom dessus. « Le gagnant échappe aux corvées pendant une semaine. Le plan parfait. »

Je finis par tendre la main pour serrer ses doigts entre les miens. « T’as envie de parler de quelque chose en particulier Haz’ ? Pour une fois, on a le temps tous les deux et on devrait pas être dérangés. Vu qu’Amy dort chez Jay. » Même si ça me dérange pas, ça me fait quand même encore bizarre. Parce que je l’ai pas vue grandir probablement. Mais du coup ouais, on est tranquilles donc. Normalement. Pas dit que ça dure bien longtemps, alors autant en profiter.

Je m’occupe de mettre la table et de faire les tartines, je ne pense pas qu’il me laissera en faire plus. Suffit de l’entendre me dire qu’il ne faut pas que je m’inquiète pour le repos. Qu’il fera une sieste avec Polly pour que moi je me repose. Je me sens tellement coupable ! Si j’arrivais à mieux prendre soin de ma fille…

J’ai pas le temps de laisser libre cours à cette pensée que Julian pose la poêle entre nous et complimente mon pyjama. Je savais que j’avais bien fait de faire un effort. Il doit en avoir marre de me voir habillée comme un sac de patates. Il s’approche d’ailleurs pour embrasser mon coup et dire qu’il me préfère quand même sans. Je sens mon cœur papillonner un petit peu, tant parce que je suis flattée, tant parce que je crois qu’il n’aimerait pas ce qu’il verrait maintenant… Ça me fait quand même sourire un tout petit peu, sans que je force cette fois.

Je m’installe et je commence à manger. Ça fait du bien. J’ai pas beaucoup de temps dernièrement pour vraiment cuisiner. J’essaie, pour Jul, mais je finis souvent par des trucs très rapides… Il soupire et je relève mes iris boisés sur lui. Est-ce que j’ai fait quelque chose ? Est-ce qu’il est agacé d’être debout à cause des pleures de Polly ? Il me parle de paris cependant.

- Je… non. J’ai l’impression d’avoir raté quelque chose. Je savais pas, avec Polly, je… Je bredouille. Je me sens à part… Malin. Que je commente concernant le prix du gagnant. C’est tellement simple que ça me fait sourire timidement à nouveau. Le genre de paris qu’on fait en famille, oui ! Ta prédiction ? Je suis curieuse.

Sa main vient rejoindre la mienne et il noue ses doigts aux miens. Ce simple contact, ça me fait tellement de bien. Je me crispe un petit peu cependant quand il me demande si je veux parler. Je sais très bien pourquoi il me dit ça… L’espace de quelques secondes, j’hésite un peu. Est-ce que je continue de faire comme si tout allait bien ? Maman lui parlera éventuellement, ça j’en suis certaine…

- Je… Comment j’aborde tout ça ? Qu’est-ce que je dis ? Comment je le dis ? C’est plus difficile que je pensais, être mère. Bon, c’est un début ? Avec ses coliques… je suis juste épuisée. Ma mère m’a dit aussi que les hormones peuvent me jouer des tours. Je pense juste… que j’ai peur. De pas être une bonne mère, de pas être une bonne compagne pour toi. Je veux pas que tu regrettes… D’être avec moi ou d’avoir voulu un enfant avec moi. Je fais vraiment de mon mieux. Je te le promets. Je… je vais trouver ce que je peux faire pour Polly, pour qu’elle pleure moins. Que tu puisses dormir et te reposer. Je vais prendre plus soin de moi aussi. Être plus présentable pour pas qu’il regrette de rentrer à la maison quoi. J'ai cette boule dans la gorge, mais je ne pleure pas. Pas encore. J'en ai assez de pleurer...