Silverdale - 12 août 2022

C’est le bordel. Un putain de bordel. Tout autour de nous. Alors ouais, j’sais bien que c’est relatif, qu’en vrai, on entend plus rien ou presque dès qu’on est au bout d’la rue. Mais entre les travaux, les allers et venues, j’ai l’impression qu’on est un foutu troupeau d’éléphants en train de s’installer. Et que l’monde entier va savoir où on est alors que c’est exactement le contraire qu’on cherche à faire. De là à dire que Ruby continue de me contaminer avec sa parano, y a qu’un pas que là, j’suis prêt à franchir j’crois.

Fait chier.

Enfin bref. Je continue de fixer le plan que j’ai sous le pif, griffonnant les quelques infos qu’on a sur le coin et entourant les endroits qui m’intéressent. Marrant, ça faisait des mois que j’avais pas fait ça et j’me rends compte que ouais, possible que ce soit un truc qui me manquait. Faire du repérage, évaluer les risques, aller récupérer ce dont l’groupe a besoin. J’sais que j’suis bon là-dedans et je sais gérer la situation. Alors ouais, forcément, ça m’fait du bien de me remettre à faire ça. J’continue d’alterner les couleurs, de faire un code qu’jdois être le seul à piger à force. Et j’finis par relever la tête quand j’vois Tiago, puis Luna débarquer. « C’est vous qui êtes de corvée aujourd’hui ? Hum. » Mon regard s’attarde un instant sur Tiago alors que, forcément, j’repense aux virées qu’on a pu faire avant tout ce merdier. Surtout une sortie mémorable avec Nova. J’sens mes tripes qui s’tordent dans tous les sens, avant de m’focaliser sur maintenant. Sur ce qu’on a à faire. Sur notre présent et surtout notre avenir. C’est nécessaire si on veut réussir à avancer.

Et si on veut pas s’faire bouffer par tout ça. Parce que sinon, on aura vraiment tout perdu putain. Sauf que ça, c’est hors de question. On pourra pas faire revenir Nova ou Alaska et leur perte continuera de nous marquer, encore plus que celles de Donovan ou de Radcliff. Mais on a pas le droit de lâcher l’affaire. C’est juste pas au programme. J’ai une longue inspiration, avant de fixer Luna avec attention. « T’es assez en forme pour aller crapahuter toi ? J’préviens, si tu fais un malaise, on te ramène en te tirant par les cheveux. »  Bon, okay, j’suis pas franchement crédible, surtout vu comment ça s’est passé avec elle juste après l’explosion. Mais question de principes. Ou quelque chose du genre.

Bon, on ne va pas se le cacher, les derniers 10 jours n'ont pas été les plus agréables de mon existence, pas les pires non plus certes, mais je me serais bien passée des migraines, des vertiges, des douleurs, de la fatigue dû à cette fichue commotion. J'ai passé pas mal de temps à somnoler, complètement dans les vapes pendant presque une journée suite à l'explosion du gilet de Peter, mais petit à petit, tout est revenu dans l'ordre. Je n'ai pas gardé d'effets secondaires indésirables semble-t-il. Heureusement.

Cela fait deux jours que je suis sur pieds et que je tourne littéralement en rond. J'ai bien envie d'aider, mais je ne sais pas trop où me rendre utile. J'ai essayé de faire la cuisine, mais j'ai fait cramer le repas et depuis, j'ai interdiction de m'en approcher. C'était un a-c-c-i-d-e-n-t, je n'ai pas cessé de le répéter, juste un malheureux oubli. Tant pis pour eux, ils passeront à côté de mes talents culinaires. Quand on m'a proposé cette petite sortie, j'ai sauté sur l'occasion. Sortir un peu d'ici me fera le plus grand bien ! Je suis donc plus que prête, mon lance-pierre est bien accroché à ma ceinture, j'ai quelques projectiles dans mes poches et mon couteau est solidement ficelé de l'autre côté.

A la question de Joaquin, j'hoche la tête. Oui, on est de corvées aujourd'hui ! Mais je ne vois pas ça comme tel, plutôt comme une opportunité de me changer un peu les idées. Wyatt me manque et pour le moment, je n'ai pas la possibilité de retourner le voir. L'absence de Ace est de plus en plus difficile à supporter aussi et quand j'étais alitée, je ne pouvais pas m'empêcher de songer à lui en boucle. Je me sens tellement minable d'être bloquée ici alors qu'il a peut-être besoin de moi, quelque part.

Je fronce les sourcils, sur la défensive. Je me sens un peu vexée d'avoir été la seule blessée. «Oui, ça va, je suis pas en sucre, j'ai connu pire. » Je garde mon air sérieux mais j'hausse les épaules. « Et c'est petit de s'en prendre aux filles en leur tirant les cheveux, on ne te l'a jamais dit ? Je te frappe pas dans les couilles, moi ! » Je secoue la tête en le jugeant très fort.

Je ne suis pas fâché qu’on se soit sorti de cette sale affaire. Cela a été long et douloureux pour nous tous et on y a laissé des plumes. Prendre nos distances avec les IF et les Sinners surtout , ne peut être que salutaire. On en a bavé et je pense que les dettes ont été payées. Surtout celles de Joaquin finalement. C’est lui qui nous a amené dans ce merdier, même si on ne lui en a pas tenu rigueur… Pas vraiment. Je pense qu’il a eu suffisamment de quoi culpabiliser tout seul. Je ne vais pas dire que Nova me manque, je n’avais aucun atome crochu avec elle. Alaska… C’est un peu différent et ça me fait chier de me rendre compte que ouais, sa mort me fait bien un petit quelque chose. Enfin, mieux vaut tourner la page. Je suis remis de ma pneumonie, même si ça a pris beaucoup plus de temps que je ne l’aurais pensé. La fatigue, l’essoufflement, tout ça a finalement disparu.

Je ne suis pas mécontent de cette petite excursion avec Joaquin et Luna. Cela dégourdit les pattes et on en revient à un truc que je sais bien faire. Cela fait un moment qu’on ne s’est pas lancés là dedans et un peu de simplicité fait du bien. Et je sais que ça matche bien avec Joaquin dans ces conditions. Pour Luna, en revanche, tout est encore à voir. Elle est jeune, elle s’est montrée courageuse contre les Sinners, même si elle a été grièvement blessée et ne semble n’être remise que depuis quelques jours. Je m’étire un peu, nonchalant, à la question de Joa : « Et ouais. Ou plutôt toi qui es de corvée de nous supporter ? » Je sors une clope et l’allume avant de la porter à mes lèvres et d’exhaler un nuage de fumée vers Joaquin, avec un sourire en coin, alors qu’il s’inquiète de l’état de santé de Luna.

Je lui jette un bref coup d’œil, alors qu’elle répond avec aplomb. J’ai une petite grimace à l’évocation du coup de pied dans les couilles. Je me rappelle du dernier, pas si ancien que ça et j’ai mal rien que d’y penser. « Vrai que la balader sur ton épaule comme un sac à patates, c’est plus efficace. » Au moins, l’ambiance est plutôt bonne enfant. « Bon, qu’est-ce qu’on doit récupérer cette fois ? Tu as ta petite liste ? » J’espère que c’est pas des trucs trop techniques. Ruby a le chic et si Joaquin commence à s’y retrouver, c’est carrément pas mon cas.

C’est compliqué d’passer à autre chose. D’arrêter d’regarder par-dessus mon épaule pour m’demander quelle merde va encore me rattraper. Les autres ont payé cher mon besoin de rédemption et plus jamais j’embarquerais qui que ce soit dans c’genre de trucs. Pourtant, personne m’en veut. Ou en tout cas, pas directement. J’suppose que les fantômes d’Alaska et d’Nova qui vont m’suivre un moment mais c’est le prix à payer pour plus faire les mêmes conneries.

Maintenant, j’sais où sont mes priorités. Et les deux qui débarquent en font partie. J’laisse filer un ricanement à la remarque de Tiago, haussant une épaule avant d’souffler, comme si de rien était. « Il parait ouais. Mais parait que c’est ma spécialité d’aller récupérer des merdes utiles. » Un truc du genre quoi. Un regard à la clope, avant de reprendre, presque sérieux. « Vous avez encore assez de stock ? Que j’sache à quel moment vous allez commencer à devenir casse-couilles. » Nan parce qu’entre lui et Tony, autant dire que c’était une putain de galère quand on s’est retrouvés en rade de clopes.

J’avise Luna de bas en haut alors qu’elle me rétorque qu’elle est pas en sucre. Et, quand elle enchaine, forcément, j’éclate de rire. « Putain, t’es susceptible on dirait. J’te signale que j’ai encore la marque de des dents sur mon bras. Alors désolé si j’ai pas envie de t’porter comme une princesse. » Pourtant, j’ai été super délicat quand je l’ai sortie de l’entrepôt et j’suis pas mécontent si elle s’en souvient pas. Rapport à l’image de marque, une connerie du genre. « Mais j’te préviens. Si tu vises les couilles, j’te pète les dents. » Soufflé d’un ton tranquille avant de reporter mon attention sur Tiago.

« Des vélos. » J’ai une grimace avant de reprendre, me pinçant l’arête du nez. « J’sais pas si vous avez remarqué, mais on est un peu en rade d’essence. » Enfin, pas vraiment en rade, mais on est assez proches de la réserve pour que ça nous tracasse avec Ruby. « Alors on va trouver moyen d’faire des économies. Les petits trajets, on va les faire en vélo. Et ça vous musclera un peu aussi. Le cardio, ça fera d’mal à personne. » Je sens que ça va pas trop les enflammer comme projet. « Y a en théorie un magasin de vélos au nord d’ici, à deux kilomètres. Une promenade de santé. Si on omet l’fait qu’on va devoir traverser une portion d’autoroute. » J’leur jette un regard à tous les deux avant de reprendre. « Vous êtes parés ? C’est bon ? » Alors on est partis. Pas d’temps à perdre. J’aimerais qu’on évite d’y passer plus d’une journée.

Spoiler:

Je fais une petite moue, un peu vexée quand Tiago parle de me porter comme un sac à patates. Il va falloir que je fasse mes preuves, c'est certain ! « Je suis pas un sac à patates » Je secoue la tête. Et je me renfrogne encore plus quand Joaquin éclate de rire. Avec un air furibond, je lui réponds du tac au tac : « Ah non, ne me pète pas les dents, je ne pourrais plus te mordre justement » A la guerre, comme à la guerre ! Quand on est poussé dans ses derniers retranchements, on se défend avec ce qu'on peut !

J'hausse les épaules quand Joaquin continue en disant qu'on est en rade d'essence. Bon, de toute manière, je ne sais pas conduire donc hormis quand on me transporte, ça ne fera pas une grande différence pour moi. Le vélo c'est cool en tout cas, et effectivement, comme il le dit, ça nous musclera un peu plus. Je m'en offusque pas trop cette fois, c'est vrai que mes jambes sont loin d'être les plus musclées du groupe. « C'est cool ! » Je lâche en reprenant un air nonchalant.  

Le début de la promenade de santé se passe bien. J'essaye de suivre leur rythme mais nos enjambées ne sont clairement pas les mêmes. Les deux hommes doivent tous les deux êtres proches des 1m80 quand je fais tout juste 1m60. A plusieurs reprises, je me retrouve à trottiner pour les rattraper. Bordel, j'essaye de faire mine de rien mais c'est terriblement vexant, bon sang !

Rapidement, on arrive au bord de la fameuse autoroute et je m'avance un peu par rapport aux autres pour voir ce qu'il en est : « C'est super encombré » Je lâche en regardant les voitures collées les unes aux autres. Clairement, ça ne me plait pas vraiment de passer entre tous ces véhicules. Il doit y avoir un paquet de rôdeurs dans le coin ou coincés dedans. J'en ai un frisson, mais on ne va pas vraiment avoir le choix. « C'est le passage le plus direct » Et je peux l'affirmer sans trop de doutes au vu de la configuration des lieux. « Faire un détour va nous prendre des heures, par là, on en a pour une dizaine de minutes » Il suffit juste de traverser le cimetière de voitures... Je me tourne vers les deux garçons, ce sont eux qui vont prendre la décision finale de toute manière.

« Est-ce qu’une merde peut-être utile ? Vous avez deux heures. » Je réponds tout sourire à Joaquin. Sourire qui se fait un peu plus songeur quand il avise ma clope et s’inquiète du stock. « Oh ça va, tu as encore la chance qu’on soit casse-couilles que de temps en temps, y’en a c’est à plein temps. » Bon, plus sérieusement… « Y’en a encore, un peu… Va pas falloir trop tarder. Et me regarde pas comme ça, c’est Tony qui devient fou quand il n’en a plus. » Je prends un air complètement angélique. Non mais sans déconner. Tony il se transforme carrément. Je charrie un peu Luna, qui se vexe. Oh oh, trop facile. Je crois que j’ai trouvé mon nouveau passe-temps en fait. Faire chier la gamine. « C’est une fille en même temps… » Normal qu’elle soit susceptible, elles le sont toutes, non ? En plus, Luna est toute jeune encore. J’ai un rire forcé à la remarque de Joaquin sur le coup dans les couilles. « Haha, très drôle. » Je m’en rappelle un peu trop bien de ce putain de coup.

Bon, on doit donc trouver des vélos. « Alala la déchéance, passer de motos à des vélos… » Je pousse un soupir à fendre l’âme, exagéré bien sûr. Voilà qu’il va falloir faire les déplacements en vélo… La grande classe, vraiment… Pour le coup, je regrette la roulotte tirée par des chevaux. C’était peut être moins rapide, mais très pratique quand même. « Vous avez pas pensé à investir dans des chevaux ? » Sans déconner, c’est pas si con. Bon, je pense qu’ici, aucun ne sait monter à cheval, mais ça s’apprend. Je sais un peu, mais ça fait bien longtemps que je ne suis plus monté, au contraire de Raf qui gère carrément.

Du coup, on se farcit une paire de kilomètres à pinces pour aller rejoindre le fameux magasin. Une autoroute. Je jette un regard à Luna qui est souvent derrière nous et qui semble un peu chafouine. « Heureusement que t’es là. » Je réplique avec une pointe d’ironie tandis qu’elle évoque une évidence. On n’a pas trop le choix que de passer par là en fait. Je soupire en avisant les lieux et en regardant Joaquin. J’ai pas envie de me taper un détour de folie. Surtout si on doit revenir avec les vélos, autant ne pas cramer notre énergie. J’étudie un peu la voie qui s’ouvre à nous. Mouais, c’est pas super sécuritaire, mais y’a moyen. Du coup, je leur montre, à voie basse un chemin qui semble moins encombré. Avec moins de risques de nous faire agripper. Mais je vois aussi… Des cadavres dans les voitures. « Vous avez vu dans les voitures ? » Je les laisse voir par eux-mêmes le danger latent. « Si on la joue discrets, ça devrait passer. » Va falloir passer entre les voitures et même sur l’une d’entre elles… Parfait. Je prends une ample inspiration. C’est parti.

Spoiler:

Un sourire en coin à l’attention de Tiago, dont la remarque pourrait presque pousser à la réflexion. « Tu déconnes, mais au final, la plupart des merdes qu’on a récupérées ont fini par être utiles. » Surtout celles listées par Ruby. Mais j’aime autant éviter de trop lui donner raison. Elle en est déjà beaucoup trop consciente pour que ça soit pas casse-couilles. « Vrai que toi t’es adorable quand t’as plus de clopes. » J’roule des yeux avant de reprendre, un brin plus sérieux. « Vous avez jamais pensé à arrêter ? Ca coute la blinde ces conneries putain. » Le pire ? C’est que tout le groupe paie pour ces deux toxicos. Et sans même s’poser la question. La solidarité c’est bien de la merde tiens.

J’laisse filer un nouveau ricanement à la réaction de Luna. Qu’elle s’énerve comme ça m’fait marrer, sans que j’arrive totalement à savoir pourquoi. Et j’souffle, après lui avoir jeté un regard. « Ouais, ce serait dommage de t’priver de ton meilleur atout. » C’est qu’elle fait mal en plus.

Au reste, mon soupir fait écho à celui d’Tiago. « T’as pas idée. Mais imagine juste Ruby sur un vélo rose avec des petits rubans sur le guidon. Ca devrait compenser un peu. » Parce que j’ai un sérieux doute sur le fait que Lennox déconnait en disant ça. Et elle va y avoir droit, c’est certain. « Plus que l’petit panier et ce sera nickel. » A sa question, j’ai un froncement de sourcils. « J’suis pas sûr qu’on ait les infrastructures pour avoir des chevaux. » On pourrait en créer, c’est pas impossible. « Tu saurais t’en occuper et nous apprendre à monter ? » Encore que, pour autant que je sache, ma canadienne de copine sait ptet faire du cheval. Ca me surprendrait même pas avec elle. Je sais pas s’il a dit ça en déconnant ou pas. Mais on pourrait y réfléchir. Si on arrive à en trouver quoi.

Et, après un peu de marche, j’ai une grimace devant l’autoroute. Et les échanges entre Tiago et Luna. « Arrête, elle va encore s’vexer. » Un clin d’œil à la gamine et j’essaie d’examiner la scène. Avant de hocher la tête à leurs remarques. « Ouais, ça bouge un peu dans certaines d’entre elles, mais ils sont là d’puis trop longtemps pour être vraiment une menace. » Va quand même falloir la jouer fine. « Je passe devant. Tu fermes la marche. » Si j’suis passé, j’pourrais leur filer un coup de main. Si j’me fais choper, il pourra utiliser ses couteaux pour m’sortir de là. Ou avoir le champ libre pour s’tirer. Ca dépendra de l’inspiration du moment j’imagine.

Hum bref.

Et j’commence à grimper, sans trop de mal. Une carcasse de voiture grince un peu sous mon poids, mais j’arrive à garder mon équilibre, alors que je marche avec précaution, espérant atteindre rapidement l’autre côté du pont.

Spoiler: