Le plein d’huile est fait, il ne me reste plus qu’à vérifier, mais je ne trouve pas cette maudite jauge : « Crown où est la jaug… Ah j’ai rien dis, je l’ai trouvé. » L’alcôve d’Horizon est un vrai capharnaüm, des pièces, des bidons, des outils, des pots de peinture, je crois que tout ce qui est possible traine au sol ou sur les étagères, j’ai les mains noires, le visage couvert de tâche mais nous avons finalement réussi :

« D’accord, lui il sera prêt pour la mission. » Le moteur semble parfaitement rôdé, parfaitement huilé, tous les voyants sont au vert, au propre comme au figuré. William a intérêt à faire quelque chose de bien de cet appareil. Ses commandes sont réglés au millimètre, tout est optimisé. Mais nous n’avons pas terminé le travail loin de là, si l’appareil de May aussi est prêt, il reste à finir les réglages sur le mien :

« Par contre, je n’arrive pas à régler le problème avec les gouvernes d’Eclipse, il y a du jeu quand je veux virer sur la droite. » Crownfield me regarde avec l’air désabusé d’un homme fatigué. Ce que j’appelle jeu, c’est un demi-centimètre de course morte, pratiquement tous les pilotes n’en tiendraient pas compte, mais je suis quelqu’un de très exigeante. Néanmoins, il m’accompagne quand nous retournons. Je ne sais pas combien de temps s’écoule alors que nous nous débattons avec les câbles et les poulies pour tenter de trouver une solution à ce jeu. Nous décidons de faire une pause bien mérité quand j’entends des bruits de pas. Peut-être un de mes pilotes qui vient finalement nous donner un coup de main ? Mais j’ai la surprise de voir une parfaite inconnue, je regarde Crownfield avant de lancer d’une façon un peu hasardeuse :

« Bonjour, vous êtes perdu madame ? On peut vous aider ? » Petite blonde que je ne connais pas, aux yeux bleus, suivit par ce qui semble être un rampant de la garde. Que font-ils ici ? Un nouveau pilote ? J’ai largement assez de pilotes maintenant et avoir plus de machine serait impossible.

Le trajet jusqu’à Fort Ward la veille s’était déroulé sans problèmes. Etonnement, mes chauffeurs n’avaient pas songé utile de me mettre un sac sur la tête, même s’ils m’avaient immédiatement conduite en lieu sûr avec Moon, dans une maison à part et constamment sous surveillance. On ne voulait sans doute pas qu’on aille mettre notre nez n’importe où, mais la localisation de leur camp principal avait dû être déjà ébruitée pour qu’ils ne se formalisent pas plus que ça. A la réflexion, les avions qui avaient survolé la zone l’été dernier avaient bien été au Nord-Ouest de Seattle… c’étaient les leurs ou ceux de New Eden ? La question restait en suspens.

En dehors du garde toujours positionné à l’entrée de notre maison, le confort était là. Ils avaient l’électricité, même si elle avait effectivement quelques ratés, ainsi que l’eau courante et l’eau chaude. Etant donné que ce n’était pas moi qui payais la facture, j’avais pris le temps de me couler tranquillement un bain, avant de regagner ma chambre que je n’avais à partager avec personne. Je n’avais pas connu un luxe pareil depuis la distillerie. C’était plutôt agréable. Ca m’allait bien également de me faire servir le repas directement à domicile pour m’éviter de sortir. Franchement, j’allais vite m’y habituer.

Dès le lendemain matin, j’avais fait la rencontre de leur ingénieur électrique pour fixer les modalités de notre future collaboration avec lui. Je devais, dans l’après-midi, rencontré également leur pilote en chef. Le garde m’avait emmené directement à leur aérodrome, où je pouvais contempler rien que cinq avions et deux hélicoptères. « Wahou ! » Mon petit cœur d’ingénieure en aéronautique s’envola rien qu’à cette vue. Je me tournai vers mon garde, avec un large sourire. « Ils sont tous en état de marche ? » Il se contenta d’hausser les épaules et de me dire d’avancer, pas très loquace en somme… J’allais devoir attendre de rencontrer mon interlocuteur pour lui poser mes questions.

Sauf, qu’apparemment, c’était une femme. Je reportai mon regard de son collègue à elle, quand le garde me la désigna. « Oh. » C’était plutôt rare dans le domaine, mais dans le mien aussi. Visiblement, je n’étais pas attendue, ou alors elle ne s’attendait pas non plus à ce qu’il s’agisse de moi. Je lui tendis la main. « Je suis Ruby Finley, ingénieure en aéronautique. Nous avions rendez-vous aujourd’hui. June m’a embauchée pour aider à remettre d’aplomb vos installations électriques, mais elle voulait aussi que je vous rencontre. Je serais sur votre site tout le mois de Septembre. »

Quand la femme se présente, je reste sans voix, si je m’attendais… Non je ne m’attendais pas, pas du tout mais un sourire vient très largement illuminer mon visage quand je me présente à mon tour, mon accent français revenant au galop :

« Adrienne de Castel, pilote, ingénieure en génie civil. » je m’avance vers elle : « Je ne vous serres pas la main, vu mon état. » Par contre, son garde va vite me faire perdre son calme, que je déteste les gens qui appliquent une mission sans autre préoccupation. Il est là, tel un sphinx alors je vais le renvoyer : « C’est bon, tu peux nous laisser, va attendre dans la maison. » Je suis responsable de l’aérodrome, je suis chez moi, il est un intrus et cette femme est dorénavant mon invitée.

Je lui désigne le corps de mon mécanicien en chef, sa tête étant dans une des trappes de l’aile : « Crownfield, mon mécanicien, pas très causant mais c’est un homme d’une efficacité rare. » Il sort l’espace d’une seconde pour saluer Ruby et retourne à son travail. « C’est une réplique d’un Spitfire série XIX, il est en tout point similaire à l’original. C’est ma monture. » et Il est presque parfait, à part ce jeu dans l’aile. Mais j’imagine qu’une femme comme Ruby veut très certainement voir tout ce que je peux avoir à lui offrir.

« Je vous fais visiter ? » Ce n’est pas vraiment une question à ce niveau. C’est une affirmation, j’ose croire qu’elle est moitié aussi heureuse que moi de voir des avions en état de fonctionnement. « J’ai quelques réglages à faire sur certaines machines, je gage que je saurai vous employer. » Tout comme, au retour de notre mission, elle saurait très certainement être là pour réparer le plus gros des dégats que nous n’allons très certainement pas manquer de subir.

« Nous avons deux Vought Corsair et un Republic P-47. Plus un petit Apex 222 pour l’entrainement. Sans compter le Bell Cobra et le Sirkorsky Blackhawk. Autant dire que nous avons beaucoup de travail. » En parlant, j’ai le ton léger et l’air enjoué, j’ai rarement été aussi heureuse de rencontrer quelqu’un comme elle. C’est très certainement la meilleure nouvelle depuis des semaines.

La pilote était heureuse de faire ma connaissance. Son large sourire parlait pour elle. Je ne me départais pas non plus du mien, vraiment enthousiasmée par tout ce que je voyais. « C’est un intercepteur, celui-ci ? » J’en faisais déjà rapidement le tour, une fois qu’elle m’eut débarrassée de mon garde de la journée. Je n’étais pas contre avoir un peu d’intimité. Je le regardais filer sans demander son reste, me prouvant que la pilote avait un peu d’autorité. « Vous allez être forcée de me raccompagner jusqu’en bas de chez moi, vous savez ? » Sans doute que ça ne la gênait pas outre-mesure.

Je saluai d’un signe de la main le mécanicien en retour, quand elle me le présenta. « Vous avez une armée de mécaniciens à vos ordres, ou seulement celui-ci ? C’est vous qui commandez, non ? Si je peux me permettre, je suis surprise que vous ayez choisi le génie civil comme spécialité, vu votre appétence pour l’aviation. » Pourquoi ne pas choisir les mêmes études que moi ?

Elle me confirma rapidement quel genre d’avion j’avais en face de moi. Je lâchai une exclamation appréciatrice en réponse. « Ah mais oui ! Il était inégalable dans les airs, enfin… » J’haussai un peu les épaules. « Durant la seconde guerre mondiale, ça remonte un peu. Je suppose qu’ils sont plus faciles à maintenir en état que des avions plus récents ? Un modèle britannique de cette époque, ça reste rare. Où l'avez-vous trouvé ? » J’étais bien placée pour savoir à quel point la mécanique s’était complexifiée avec le temps. L’informatique avait pris une place importante dans tous nos systèmes. Malheureusement, tout ce qui était satellite et autres technologies avancées étaient devenues inutilisables. Parfois, mieux valait repartir sur des valeurs sûres.

Je lui lançai un sourire resplendissant, sans même avoir à me forcer, quand elle me proposa de me faire visiter. « Avec grand plaisir. Tout ceci m’enthousiasme énormément. La dernière fois que j’ai visité un camp d’ampleur, c’était The Haven. J’ai l’impression que vous êtes retournés aux années cinquante, mais eux, ils sont plutôt à l’ère médiévale. » Ce n’était pas vraiment comparable. « Si j’avais su que vous aviez des perles pareilles, je me serais présentée à vous bien plus tôt. » Non, en vérité… J’étais bien trop méfiante et craintive pour me mettre en avant de la sorte. C’étaient de curieuses circonstances qui m’avaient amené à venir ici. En temps normal, j’aurais laissé Joaquin conclure ces affaires sans trop m’exposer. Il fallait croire que les temps changeaient, et moi avec.

« Vous avez quatre avions fonctionnels et deux hélicoptères ? » Je restais sous le choc de la nouvelle. Moi qui n’imaginais plus des avions sillonner le ciel depuis des années, savoir qu’un camp d’ampleur avait réussi à en remettre en service était… « C’est prodigieux ! » Le mot était faible. « Ils sont tous en état de voler ? Vous me les montrez ? »

Si je dois effectivement la ramener chez elle, si elle est sous ma surveillance, mais après tout. Mon Aérodrome, mes règles, ma responsabilité : « Quel Drame. » Je ne pense pas que Ruby soit quelqu’un de dangereuse pour nous, bien au contraire. Je prends même le temps de parler un peu de moi, expliquant mon parcours : « Le génie civil n’était qu’une excuse, en réalité j’ai fait Polytechnique, je voulais devenir pilote de chasse et il me fallait un bac+5. » Avec les résultats et la carrière que je connais maintenant, mais on ne peut pas tout contrôler dans la vie malheureusement.

Je préfère encore parler de nos avions, surtout la reprendre sur un point, sur l’oiseau noir qui se tient devant nous : « Comme je vous disais, ce n’est pas un modèle d’époque, c’est une reconstitution, la cellule à moins de 10 ans. » Achevée cette année, autant dire que ce spitfire a encore de nombreuses années de vol devant lui. Je suis heureuse de pouvoir dire qu’il m’appartient que j’en suis sa pilote et aussi sa mécanicienne :

« Nous sommes tous plus ou moins mécanicien en fait, mais disons que Crownfield et un autre, Locklan, sont les principaux à travailler dessus. » Mais tout le monde doit mettre littéralement les mains dans l’huile pour entretenir les machines, surtout quand il s’agit d’améliorations en vu d’effectuer une mission. »[/color] D’ailleurs je reprends Ruby sur un point, elle a commise une petite erreur d’appréciation : « Par contre, ce sont cinq avions, si on compte notre avion d’entrainement. » Et de reconnaissance, et de sauvetage et de nombreuses autres tâches :

« Et oui, évidement que tous nos appareils sont en état de voler, sinon quel serait l’intérêt ? » Ce serait idiot de simplement vouloir mettre en place un musée qui ne serait même pas volant. J’invite Ruby à me suivre jusqu’aux Corsair, les deux avions jumeaux qui se dressent dans des hangars voisins.

[color=#006633] « Nous nous préparons pour une mission, nous allons frapper fort New Eden. Il est trop tard pour vous demander de l’aide, mais j’espère que je pourrai compter sur votre soutient et aide si nous devions revenir avec des dommages de notre missions.

Je soufflai un bref rire en réponse à la française qui ne prenait pas ombrage de devoir servir de garde le temps qu’il faudrait. J’imaginais sans mal que nous aurions encore de nombreux sujets de discussion, même sur le chemin du retour. J’hochai lentement la tête en signe d’assentiment. Elle avait fait des études prestigieuses pour obtenir simplement un niveau d’études suffisant pour prétendre à ce qui l’intéressait réellement. Faire polytechnique était un choix, mais à sa place, si j’avais voulu devenir pilote, j’aurais bien entendu choisi l’ingénierie aéronautique pour être dans le même cœur de métier. Enfin, contrairement à elle, les piloter ne m’intéressait pas tellement. J’étais plus avide de tout comprendre et tout connaître, et surtout de décrocher un emploi prestigieux ensuite. Mais au-delà de l’aspect financier, l’aéronautique m’avait parlé parce que c’était un secteur d’avenir et d’évolution. « Je me suis spécialisée dans le domaine militaire parce que c’était bien plus passionnant que le civil. Souvent, les technologies de pointe sont d’abord utilisées pour gagner en puissance avant de songer au confort. Les avions de chasse sont des merveilles de technologie, n’est-ce pas ? » Je lui rendis un sourire de connivence. « J’ai dû me contenter des drones, mais vous avez beaucoup d’ambition. Vous comptez rivaliser avec New Eden ? Ils sont si forts que ça dans le domaine des airs ? »

Je marquai un temps d’arrêt devant le Spitfire, le détaillant d’un œil nouveau. Quand Adrienne parlait de réplique… « Vous l’avez reconstitué depuis de simples schémas, avec vos connaissances en génie civil ? » Ca me surprenait. Ce n’était pas à la portée du premier venu. « J’aurais cru que vous vous seriez contentés de remettre en état des avions d’une autre époque parce qu’ils sont plus faciles à entretenir et réparer que les nouveaux. » L’informatique avait pris une place très prédominante dans la mécanique ces dernières années, ce qui rendait tout bien plus complexe.

Elle avait monté une fine équipe, avec certainement une dizaine de pilotes entraînés par ses soins, en plus de mécaniciens expérimentés. J’eus une moue appréciatrice. « Cinq avions, donc. » Je ne négligeais pas l’importance de l’Apex 222, même s’il ne devait pas être très utile en cas d’attaque. Je soufflai un nouveau rire en réponse. « Oh je suis surprise, c’est tout ! J’ai croisé quantité d’aérodromes avec des carcasses d’avion impossible à remettre en état, ou même simplement à alimenter… et vous me dites que vous en avez cinq fonctionnels, avec deux hélicoptères en plus ? C'est prodigieux ! Je me demande où vous trouvez autant d’essence pour les faire fonctionner. Vous avez songé à optimiser leur consommation ou vous vous êtes concentrés avant tout sur renforcer leur puissance de feu contre New Eden ? » Je marquai un silence, avant d’arborer un sourire en coin presque commercial. « Ou alors vous m’attendiez pour ça ? »

La remarque de Ruby est assez pertinente, relativement pertinente, les appareils stockés en extérieur ont subis une large dégradations mais ceux en intérieur, fais dans des matériaux plus durables, comme les avions de chasses, ont été relativement épargnés. Mais il faut aussi dire que sur nos appareils, seuls deux sortes d’un musée :

« En réalité, seul ce corsair et le Cobra sortent d’un musée. » Le Mudry est fait en partie de carbone, dotés d’une excellente résistance à la corrosion :[color#006633] « Le second Corsair et le P-47 sont des chimères crées à partir de carcasses et de pièces fabriquées. Et nous avons mis beaucoup de temps à les remettre en marche.»[/color] Plusieurs mois, mais nous sommes très fier de ce résultat.

« Ce qui est assez amusant en réalité, c’est que les gens se sont précipités vers les stations-services pour faire le plein, mais beaucoup ont complètements oubliés les aérodromes et puis… l’essence d’aviation n’est pas foncièrement compatible avec les moteurs de voitures. » Théoriquement ça pourrait marcher, mais ça ruinerait un moteur non préparé, alors les gens ont plus ou moins laissés les réserves de carburant en paix : « A l’aide d’un expert raffineur, nous avons optimisé autant que possible nos produits et notre consommation. » Je n’ai de cesse de répéter que nous avons accomplis un formidable travail d’équipe pour faire cette force aérienne.

Maintenant elle est puissante, redoutable et mes pilotes sont très bien entrainés et nous avons aussi fait de gros efforts pour ne pas nous contenter de puissance de feu : « Autant que possible nous avons aussi optimisés les moteurs, mais ce sont des machines anciennes, leur conception même fait qu’elles consomment beaucoup de carburant. » Des moteurs de cette taille, même optimisé jusqu’à la perfection seront toujours des gouffres à carburants, lourds et bruyant. Il faudrait des moteurs beaucoup plus récents et optimisé de par leurs structures même pour vraiment réaliser une économie substantielle de carburant : « Par contre. J’ai un projet. » Hautement irréalisable, non prioritaire, mais un projet néanmoins qui me tiens à cœur et sur le quel je travaille depuis des semaines. « Concevoir mon propre appareil. » Et si Ruby est aussi douée que ses connaissances le laisse supposer, elle pourrait être d’une aide précieuse.